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Les formes de l'illégitimité intellectuelle: genre et sciences sociales françaises entre 1890 et 1940

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Texte intégral

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Université de Montréal

École des hautes études en sciences sociales

Les formes de l'illégitimité intellectuelle: genre et sciences

sociales françaises entre 1890 et 1940

par Hélène Charron Département de sociologie Faculté des arts et sciences

Thèse présentée à la Faculté des arts et sciences en vue de l’obtention du grade de docteure

en sociologie © Septembre 2009

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Université de Montréal

Faculté des études supérieures et postdoctorales

Cette thèse intitulée :

Les formes de l'illégitimité intellectuelle: genre et sciences

sociales françaises entre 1890 et 1940

présenté(e) par :

Hélène Charron

a été évalué(e) par un jury composé des personnes suivantes : Paul Sabourin

président-rapporteur Marcel Fournier

directeur de recherche (UDM) Francine Muel-Dreyfus directrice de recherche (EHESS)

Francine Descarries membre du jury (UQAM)

Rose Marie Lagrave membre du jury (EHESS)

Antoine Savoye

(3)

Résumé

Cette thèse en sociologie historique analyse les logiques d'inclusion et d'exclusion des femmes dans le champ des sciences sociales françaises entre 1890 et 1940 à partir de l'étude des positions sociales, des prises de position et de la réception des travaux produits par des femmes dans les principaux périodiques de sciences sociales orientés vers la sociologie et l'anthropologie.

La démonstration prend comme pivot l'accès des femmes aux savoirs et aux diplômes universitaires. La première partie porte sur les femmes non diplômées qui s'insèrent dans le champ des sciences sociales avant 1914, principalement par le biais d'une implication dans la mouvance réformiste ou dans les groupes féminins et féministes. Les figures féminines légitimes, dont les travaux ne suscitent pas de controverses, se situent aux positions les plus hétéronomes du champ là où les enjeux de la pratique réformiste priment sur les enjeux de la connaissance. Les figures de la transgression non diplômées, qui prétendent participer à l'élaboration des connaissances empiriques et théoriques sur les sociétés, provoquent au contraire des réactions négatives qui renvoient leurs analyses féministes hétérodoxes vers le champ politique.

Après 1914, le nombre de femmes et de travaux féminins dans les périodiques et les groupes de sciences sociales français diminue globalement jusqu'en 1940, et les femmes non-diplômées cèdent leur place aux diplômées. Les processus de qualification différenciée selon le genre qui contribuent à reformuler l'antinomie entre compétences intellectuelles et féminité s'adaptent à l'accès des femmes aux diplômes. D'un côté, la majorité des nouvelles diplômées s'oriente et est orientée vers les nouvelles professions sociales (surtout le travail social) et vers l'enseignement qui valorisent les compétences traditionnellement associées au féminin et qui construisent leurs identités professionnelles en opposition au travail intellectuel, particulièrement au travail théorique. De l'autre côté, les seules femmes diplômées aspirant à demeurer dans le champ des sciences sociales qui parviennent à obtenir une reconnaissance relative avant 1940 se spécialisent dans les secteurs de la recherche empirique, réalisent leurs travaux au sein d'institutions savantes, s'assimilent aux problématiques et aux perspectives légitimes et n'adoptent pas de posture militante féministe.

Mots clés: Rapports sociaux de sexe, champ, femmes, France, sociologie, anthropologie, naturalisation, différencialisme, féminisme, éducation supérieure

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Abstract

In this dissertation in historical sociology, I analyze gender relations and the construction of women’s intellectual legitimacy in the French social sciences between 1890 and 1940. To that end, I study the social positions, the intellectual productions, and the reception of women in the main social science periodicals leaning towards sociology and anthropology.

The pivotal point of my demonstration is women’s university enrolment and graduation. The first part of my dissertation is about women lacking a university diploma that nevertheless played a role in the social sciences before 1914, mainly through participating in the reformist circle of influence or by being involved in feminine and feminist groups. The “legitimate feminine figures”, i.e. women whose works did not fuel any kind of controversy, are in the most heteronomous parts of the field of study, in which issues about the reformist practice prevail over issues about knowledge. On the other hand, the “figures of transgression”, i.e. women lacking a diploma but pretending to participate in social empirical and theoretical knowledge, provoke negative reactions that, in turn, relegate their heterodox feminist analyzes to the political field.

After 1914 and until 1940, the amount of women and of feminine works in periodicals and French social science groups decreased, and women with a university diploma replaced those lacking one. The gender-differentiated processes of evaluation, which contributed to reformulate the antinomy between intellectual competence and femininity, adapted itself to the fact that women had access to university diploma. On the one hand, the majority of newly graduated women heads and is directed towards new social professions (mainly social work) and teaching. Both professions promote competences traditionally associated with women, and construct the latter’s professional identities as disjoint from intellectual, and mainly theoretical, activities. On the other hand, the only graduated women aspiring to stay within the field of the social sciences, and who succeeded before 1940 in gaining a relative recognition for their competence, pursued empirical research, accomplished their work in accredited institutions, took on problems and perspectives sanctioned by the expert community, and did not play the role of feminist activists.

Keywords: Gender, Social sciences, Sociology, Anthropology, Intellectual legitimacy, France, Feminism, Naturalism, Differentialism, Education

(5)

Table des matières

Résumé...iii

Abstract...iv

Table des tableaux...xiii

Liste des abréviations...xv

Remerciements...xviii

Introduction générale...1

Émergence des sciences sociales française, 1890-1940 ...1

Légitimité intellectuelle et accès des femmes aux diplômes universitaires en France entre 1890 et 1940 ...4

Histoire et sociologie des intellectuelles françaises: un champ d'étude en émergence. .6 Le développement des sciences sociales comme espace masculin...7

Les femmes comme objet, puis comme sujet de discours sur la société...8

L’analyse des expériences féminines dans les groupes de sciences sociales français. .11 Organisation des chapitres...13

Chapitre 1 : Femmes, rapports sociaux de sexe et logiques d’inclusion et d’exclusion dans le champ des sciences sociales naissantes...19

1.1 Femmes, rapports sociaux de sexe et genre : éléments de définition ...20

1.1.1 La dimension structurale et transversale du genre ...21

1.1.2 L’historicisme et l’antinaturalisme...21

1.1.3 Émergence du concept de « genre », son potentiel, ses limites...23

1.1.4 L’antécédance du sexe sur le genre remise en question et la reproduction des rapports sociaux de sexe...24

1.2 La division sexuée du travail ...26

1.2.1 L’assignation prioritaire des femmes à l’espace domestique : les dimensions matérielles et symboliques ...27

1.2.2 Les femmes sur le marché du travail : séparation, hiérarchie et qualification...28

1.3 Les logiques sociales d’inclusion et d’exclusion des femmes dans les activités intellectuelles ...31

(6)

1.3.1 L’antinomie entre travail intellectuel et féminité : stigmate et contradiction des

statuts...33

1.3.2 La construction de la compétence pratique et l’exclusion des femmes des disciplines théoriques ...40

1.3.3 Du bon usage du féminisme: illégitimité de l'analyse sociologique des rapports sociaux de sexe et soumission du féminin au masculin ...44

1.4 Structuration des sciences sociales françaises en « champ »: modalités générales d'organisation...47

Chapitre 2 : Considérations méthodologiques...53

2.1 Hypothèse méthodologique préliminaire et sélection des matériaux...54

2.2 Analyse du discours ...58

2.3 Catégories descriptives...59

2.3.1 Logiques de production féminine...60

2.3.2 Logiques de réception des discours ...60

2.3.3 Modèles généraux de division sexuée du travail et légitimité intellectuelle des femmes...61

2.4 Régularités discursives, rapports sociaux et modes de domination linguistique...63

2.5 Portraits sociologiques et trajectoires intellectuelles...69

Chapitre 3 : Distribution des présences féminines dans les groupes de recherche en sciences sociales...73

3.1 Les milieux leplaysiens...74

3.1.1 La Société d’Économie Sociale et La Réforme sociale...75

3.1.2 La Société internationale de Science sociale et La Science sociale...78

3.2 Le milieu réformiste et le Musée social comme espace de production de savoir....81

3.3. La Revue universitaire...84

3.4. Les périodiques durkheimiens...85

3.5 La Revue internationale de sociologie et la Société de sociologie de Paris...88

3.6. Bulletins et mémoires de la Société d'anthropologie de Paris...93

(7)

Première partie : Héritage de l’éducation féminine catholique traditionnelle (1890-1914) : L’impasse du différentialisme et du naturalisme radical comme fondement de la légitimité intellectuelle des femmes dans les groupes de science sociale...99

Éducation traditionnelle des femmes dans la bourgeoisie et l’aristocratie française...99 Milieux d’accueil privilégiés des femmes éduquées dans les sciences sociales françaises avant 1914...103 Les fondements cognitifs et idéologiques rendant possible et limitant la reconnaissance des femmes comme intellectuelles...106 Chapitre 4 : Le « rôle social de la femme » et les figures féminines légitimes...111 4.1 Le rôle social des femmes selon Émile Cheysson : les cadres légitimes de la présence des femmes dans les cercles leplaysiens et dans les milieux réformistes...112 4.2 Les congrès et les séances publiques de la Société d’économie sociale : une participation féminine marquée du sceau de la compétence pratique et morale...118

4.2.1 Des responsables d’œuvres sociales aux pionnières du travail social...123 4.2.2 Le travail des femmes et la défense de la famille chrétienne comme enjeu moral et objet d’enquête. ...134 4.2.3 Les femmes monographes...148 4.3 Éducation par les femmes et éducation pour les femmes...165 4.3.1 Les enjeux de l’éducation des femmes : entre éducation sociale et éducation supérieure ...167

4.3.1.1 Nouvelle éducation des femmes pour les catholiques sociaux des Semaines sociales ...167 4.3.1.2 L’éducation familiale...171 4.3.1.3 L’enseignement secondaire et supérieur des femmes catholiques : les propositions féminines ...176 4.3.1.4 Ambiguïtés masculines quant à l’extension de l’éducation des femmes dans La

Science sociale et la Revue internationale de sociologie...182 4.3.2 L’éducation ménagère ou domestique...189 4.3.2.1 Émergence d’un secteur d’étude légitime pour les femmes...191 4.3.2.2 Définition de l’enseignement ménager comme opposition au savoir théorique...195 4.3.2.3 Augusta Moll-Weiss et l’échec de la reconnaissance intellectuelle des spécialistes de l’enseignement ménager ...204 4.4 Le féminisme légitime et l’antiféminisme ordinaire ...212 4.4.1 Appropriation masculine du féminisme et autorité légitime...214 4.4.2 Le féminisme de tendance chrétienne : l’exaltation des devoirs féminins et de la complémentarité de sexe...224

(8)

4.4.3 Réception des féministes légitimes...232

Conclusion...235

Chapitre 5 : Les figures féminines de la transgression...239

5.1 La structuration des critères légitimes d’étude des inégalités entre les sexes dans les ouvrages masculins. ...245

5.1.1 Les leplaysiens, les catholiques et les positivistes sur le féminisme : la tradition, le bon sens et la doctrine comme critères de validité ...247

5.1.2 Structuration d’une approche scientifique de la « question de la femme » chez les sociologues et anthropologues de sexe masculin ...251

5.1.2.1 L’évolutionnisme, l’ethnologie, l’histoire et les statistiques sociales comme critères scientifiques et sociologiques légitimes...252

5.1.2.2 Science, morale et politique : la constitution du point de vue objectif...258

5.1.2.3 Les femmes auteures dans les travaux sociologiques et anthropologiques masculins sur leur condition sociale : une absence relative...260

5.2 Appropriation féminine des théories évolutionnistes et des sciences humaines et naturelles...262

5.2.1 L’exceptionnelle Clémence Royer, philosophe et anthropologue à la Société d’anthropologie de Paris...264

5.2.1.1 Parcours biographique et intellectuel...264

5.2.1.2 Conscience de genre et différentialisme épistémologique...269

5.2.1.3 Théories sociologiques évolutionnistes : une vision originale du rapport entre matriarcat et patriarcat...272

5.2.1.4 Présence controversée à la Société d’anthropologie de Paris...276

5.2.1.5 Dans le sillage de C. Royer : Jeanne Schmahl et Marguerite Souley-Darqué...281

5.2.2 Les théories évolutionnistes matriarcales, l’exacerbation du féminin et la critique épistémologique radicale des renooziennes...285

5.2.2.1 Céline Renooz et La Nouvelle Science féminine...287

5.2.2.2 Lydie Martial et les conditions d’une reconnaissance intellectuelle limitée à la Société de sociologie de Paris...296

5.3 La critique politique et le positionnement des militantes féministes ...303

5.3.1 Vigilance des féministes dans les séances et les événements publics...305

5.3.1.1 Éliska Vincent et le suffrage féminin comme phénomène ancien...306

5.3.1.2 Jeanne de Maguerie : une présence transversale dans les groupes de sciences sociales...309

5.3.1.3 Un échange entre Émile Durkheim et des femmes de lettres sur le divorce et le mariage...313

(9)

5.3.2 Comparaison des statuts des féministes et des femmes de lettres à travers les

comptes rendus de la Revue internationale de sociologie...318

5.3.2.1 Réception des écrits féministes...319

5.3.2.2 Reconnaissance des femmes de lettres aux marges des sciences sociales...328

5.4 Le travail des femmes comme objet d’étude sociologique...332

5.4.1 L’étude des types professionnels féminins à la Société de sociologie de Paris. 335 5.4.1.1 Définition masculine des professions intellectuelles...336

5.4.1.2 Analyses féminines de la situation des femmes dans les professions intellectuelles ...338

5.4.1.2.1 Jane Misme et la mise en évidence des inégalités de genre dans la profession enseignante et chez les écrivains. ...339

5.4.1.2.2 Aurel et le différentialisme littéraire...343

5.4.1.3 Déni du caractère sociologique des analyses féminines sur le travail des femmes et rejet vers le champ politique...345

5.4.2 Premières analyses féminines statistiques et spécialisées au Musée social et à l’Office du travail...353

Conclusion...361

Conclusion de la première partie...364

Deuxième partie : Accès des femmes au savoir masculin et aux diplômes universitaires : reconfiguration des modalités de reconnaissance et d'exclusion des femmes dans les sciences sociales françaises (1900-1940)...369

Du secondaire aux universités : la lente conquête du baccalauréat...370

Les diplômes universitaires et l’assimilation progressive des agrégations...372

Les institutions d’enseignement supérieur annexes à l’Université et privées : des voies d'accès au champ des sciences sociales pour les femmes...376

État du champ des sciences sociales et positionnement des femmes diplômées...380

Chapitre 6 : La professionnalisation des femmes et ses effets paradoxaux (1900-1940) : la progressive séparation hiérarchisée des disciplines...389

6.1 L’orientation professionnelle féminine : une « science » des métiers légitimes pour les filles qui émerge dans l’entre-deux-guerres...392

6.2 Les professions majoritairement féminines : l’aboutissement de la compétence pratique et pédagogiques des femmes de la réforme...402

6.2.1 Les professeures spécialistes de pédagogie : l’absence de création intellectuelle ...404

(10)

6.2.1.1 Enseignement féminin et création intellectuelle: Marie Dugard, l'exception qui

confirme la règle de l'antinomie...407

6.2.1.2 Le Bulletin de l'enseignement secondaire des jeunes filles et les enjeux féminisés de la professionnalisation...415

6.2.2 L’autonomisation du travail social : une discipline conforme aux définitions dominantes du féminin, située dans un rapport d’opposition aux sciences sociales théoriques ...421

6.2.2.1 Le travail social comme discipline appliquée et pratique, étrangère à la production des connaissances et à la théorisation ...422

6.2.2.2 La disparition du travail social des espaces de production du savoir sociologique ...429

6.2.2.3 L’échec de l’insertion des « sciences domestiques » dans l’institution universitaire ...433

6.3 Pionnières des professions libérales et rapport militant à la connaissance à travers la Section d'études féminines du Musée social...440

6.3.1 Création d’une Section d’études féminines au Musée social : l’impossible autonomie des femmes et la mise en doute de leurs compétences intellectuelles...442

6.3.2 Composition des deux sections d’études féminines en 1920 et en 1936 : le passage des militantes non diplômées aux professionnelles...444

6.3.3 La progressive autonomisation des rapports d’études de la SEF face aux directives des autorités du Musée social : le statut des intellectuelles...446

Conclusion: ...452

Chapitre 7: Les femmes hautement diplômées et la recherche « fondamentale »: adoption et appropriation des pratiques et des perspectives de recherche masculines ...455

7.1. Les doctorats féminins : un portrait...458

7.1.1 Une minorité qui poursuit la recherche après la thèse en droit ou en lettres...459

7.1.2 Des objets d'étude de plus en plus « neutres » du point de vue du genre...463

7.1.3 Réception des thèses et redéploiement du stigmate de la féminité...464

7. 2. Les femmes hautement diplômées sans assises institutionnelles dans le champ des sciences sociales: des militantes autour de 1900...473

7.2.1. Lydie de Pissarjevski et Kaete Schirmacher: appropriation des statistiques et démystification du travail domestique des femmes...474

7.2.2. Première théorie sociologique des rapports sociaux de sexe au XXe siècle: l'apport contesté de Madeleine Pelletier à la compréhension du « sexe social »...481

(11)

7.2.2.2. Théorie sociologique des rapports sociaux de sexe et hétérodoxie transgressive

...484

7.3. Des femmes chez les durkheimiens ? De la première série de L'Année sociologique au Centre de documentation sociale...499

7.3.1 La première série de L'Année sociologique (1896-1914)...500

7.3.2 Persistante invisibilité des travaux féminins dans les périodiques durkheimiens de l'entre-deux-guerres...503

7.3.3 Soutien des étudiantes en sociologie: le rôle de Célestin Bouglé ...510

7.4. Les intellectuelles dans les institutions de sciences sociales: entre invisibilité et travail empirique...512

7.4.1 L'anthropologie comme espace d'accueil précoce des femmes...514

7.4.1.1 La Société d'anthropologie de Paris et le travail des femmes en anthropologie. 515 7.4.1.2 L'ethnologie et les musées comme compromis empirique favorable aux présences féminines ...519

7.4.2 Les Congrès internationaux de sociologie dans les années 1930: survol comparatif des présences féminines...528

Conclusion:...534

Conclusion générale ...537

Transformations de la structure du champ et positions des femmes...537

Distribution des compétences selon un schéma de genre...541

Les conditions de l'autonomie intellectuelle : différencialisme de genre et violence symbolique...547

L'impasse du différencialisme de genre...548

Violence symbolique, conscience de genre et perspectives légitimes androcentriques ...550

Les conditions de la reconnaissance intellectuelle des femmes ou l'effet minimum du stigmate de la féminité...553

Sources documentaires...558

A. Périodiques dépouillés...558

B. Archives consultées...558

C. Articles du corpus de périodiques...559

D. Livres écrits par des femmes dont il est fait des comptes rendus dans les périodiques ...567

(12)

E. Principaux ouvrages imprimées du corpus...572 F. Autres études spécialisées...576 Annexe 1: Contraction du champ des sciences sociales français et positionnement des intellectuelles françaises, 1890-1940...601 Annexe 2 : Distribution scolaire des femmes en France, 1890-1930...602 Annexe 3: Liste des thèses de doctorat soutenues par des femmes dans les facultés de lettres et de droit, 1892-1944...604 Annexe 4 : Distribution des thèmes des chroniques du Bulletin de l’enseignement secondaire des jeunes filles, 1909-1911 et 1920-1921...626

(13)

Table des tableaux

Tableau 1: Thèmes des contributions féminines dans La Réforme sociale, 1890-1930...77 Tableau 2 : Distribution chronologique des contributions féminines dans La Réforme sociale, 1890-1930...78 Tableau 3: Liste des femmes membres de la Société internationale de science sociale, 1892-1914...79 Tableau 4 : Thèmes des contributions féminines dans La Science sociale, 1890-1926...81 Tableau 5 : Distribution chronologique des contributions féminines dans La Science sociale, 1890-1926...81 Tableau 6 : Missions réalisées par des femmes pour le Musée social, 1890-1920...82 Tableau 7 : Thèmes et distribution chronologique des analyses bibliographiques d’ouvrages écrits par des femmes dans les périodiques du Musée social, 1897-1939...83 Tableau 8 : Thèmes et distribution chronologique des chroniques et des articles courts écrits par des femmes dans les périodiques du Musée social, 1896-1939...84 Tableau 9: Adhésions féminines à la Société de sociologie de Paris entre 1901 et 1917, selon la Revue internationale de sociologie...89 Tableau 10 : Distribution chronologique et thématique des communications faites à la Société de sociologie de Paris (c), des articles (a), des comptes rendus (cr) et des traductions d’articles (tr) publiés dans la Revue internationale de sociologie par des femmes,1896-1939...91 Tableau 11 : Distribution chronologique et thématique des interventions de femmes à la Société de sociologie de Paris entre 1896 et 1939, tel que rapporté par la Revue internationale de sociologie. ...92 Tableau 12 : Distribution chronologique des thèmes des analyses d’ouvrages écrits par des femmes dans la Revue internationale de sociologie, 1896-1939...93 Tableau 13: Distribution chronologique des contributions féminines dans les Bulletins et les mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, 1890-1940...94 Tableau 14: Secteurs de recherche des femmes publiant des articles et des communications dans les Bulletins et mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, 1890-1940. ...95 Tableau 15: Distribution chronologique et thématique des comptes rendus d'écrits féminins dans L'Anthropologie, 1890-1940...95 Tableau 16: Distribution chronologique et thématique des articles (a) originaux publiés par des femmes dans L'Anthropologie et des communications (c) présentées devant l'Institut français d'antropologie, 1923-1940...96

(14)

Tableau 17: Principales oppositions symboliques structurant l'attribution des compétences selon le genre...549 Tableau 18: Distribution du nombre des étudiantes dans les Facultés de droit en France, 1889-1929...604 Tableau 19: Distribution du nombre des étudiantes dans les Facultés de médecine en France, 1889-1929...604 Tableau 20: Distribution du nombre des étudiantes dans les Facultés des sciences en France, 1889-1929...605 Tableau 21: Distribution du nombre des étudiantes dans les Facultés des lettres en France, 1889-1929...605 Tableau 22: Distribution des thèmes des chroniques du Bulletin de l’enseignement secondaire des jeunes filles, 1909-1911 et 1920-1921...628

(15)

Liste des abréviations

AS: Année sociologique

ASEFMS: Archives de la Section d'études féminines du Musée social ASMP: Académie des sciences morales et politiques

AMS: Annales du Musée social Ann. soc.: Annales sociologiques

BESJF: Bulletin de l'enseignement secondaire des jeunes filles

BHVP: Bibliothèque historique de la ville de Paris BIT: Bureau international du travail

BMD: Bibliothèque Marguerite-Durand

BMSAP: Bulletins et mémoires de la Société d'anthropologie de Paris

BNF: Bibliothèque nationale de France CAC: Centre d'archives contemporaines CLSS: Collège libre des sciences sociales CNFF: Conseil national des femmes françaises ELSP: École libre de science politique

EPHE: École pratique des hautes études GFEF: Groupe français d'études féministes IFA: Institut français d'anthropologie

JE: Journal des économistes

JSSP: Journal de la Société de statistique de Paris MDMS: Mémoires et documents du Musée social

MET: Musée d'ethnographie du Trocadéro MS: Musée social

MS: Mouvement social

ODDM: Les Ouvriers des deux mondes

RCHL: Revue critique d'histoire et de littérature RIS: Revue internationale de sociologie

RPFE: Revue philosophique de la France et de l'étranger RPP: Revue politique et parlementaire

RS: La Réforme sociale RU: Revue universitaire

(16)

SAP: Société d'anthropologie de Paris

SEF: Section d'études féminines (du Musée social) SES: Société d'économie sociale

SISS: Société internationale de science sociale

SS: La Science sociale

SSP: Société de sociologie de Paris UFCS: Union féminine civique et sociale UPS: Unions de la paix sociale

(17)

À la mémoire de mon père, Germain. À la force de ma mère, Lise.

(18)

Remerciements

La réalisation de ce long travail est tributaire du soutien et de l'aide d'un grand nombre de personnes qu'il convient de remercier chaleureusement. D'abord, l'intérêt de ma directrice à l'EHESS, Francine Muel-Dreyfus et de mon directeur à l'Université de Montréal, Marcel Fournier, envers mon projet de thèse et la confiance qu'ils m'ont témoigné tout au long de mon parcours doctoral ont été une source inestimable de motivation. Leurs lectures attentives des différents chapitres de cette thèse m'ont permis d'améliorer la qualité de son contenu et de son style. Je dois également remercier tout spécialement Gilles Houle qui, avant de nous quitter trop rapidement, a marqué mon parcours intellectuel. Au-delà de nos nombreuses et passionnantes discussions informelles, son examen attentif de mon parcours méthodologique fut précieux. Au département de sociologie de l'Université de Montréal, je dois également remercier Claire Durand, Deena White, Marie-Françoise Dauphin ainsi que mes collègues au doctorat et à l'association étudiante. Je souhaite souligner la disponibilité de Johan Heilbron, Jean-Louis Fabiani, Antoine Savoye et Catherine Marry pour des discussions sur mon objet de recherche, tout autant que celle des bibliothécaires du Musée social et de la Bibliothèque Marguerite-Durand à Paris.

Il importe aussi de souligner que cette thèse a profité du soutien financier d'une bourse d'études supérieures du CRSH, ainsi que d'un bourse de soutien aux cotutelles de thèse du FQRNT pour les déplacements en France, ainsi que du département de sociologie et de la faculté des études supérieures de l'Université de Montréal.

Enfin, le soutien de ma famille a été tout au long de ces années le plus précieux de tous. Frédéric Parent, ton amour, ta confiance en moi et tes précieux commentaires ont laissé leur trace partout dans ce manuscrit qui te doit beaucoup. Ensuite, Antoine, petit bonheur né durant la thèse, ta présence est une source, chaque jour renouvelée, de plaisir et d'équilibre. Enfin, Lise, fidèle lectrice et dispensatrice d'encouragements, Catherine, ma chère sœur féministe et Frédéric, mon frère, vous êtes une tribu stimulante au sein de laquelle il fait bon vivre et qui m'a fait ce que je suis aujourd'hui.

(19)

En quoi consiste l’infériorité intellectuelle de la femme ? […] Que lui manque-t-il ? De produire des germes, c’est-à-dire des idées (Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, à l'entrée « femme »).

Depuis quelques décennies, les femmes sont majoritaires dans le corps étudiant des programmes de premier cycle en sciences sociales des universités occidentales. Cette nouvelle situation, qui sert souvent de justification aux discours de « l'égalité-déjà-là » entre les hommes et les femmes, cache toutefois une réalité beaucoup plus complexe : les femmes continuent de se spécialiser dans certains secteurs des sciences sociales plus traditionnellement féminins et demeurent beaucoup moins nombreuses que leurs collègues masculins à accéder aux postes de professeurs. Si plusieurs sociologues s’intéressent à la progression récente des femmes dans les hautes sphères savantes (Chamberlain 1991, Morley et Walsh 1996, David et Woddward 1998, Fox 2001, Delavault, Boukhobza et Hermann 2002, Tremblay et Chevrier 2002, Pigeyre et Valette 2004), peu d'études portent sur les moments historiques où le processus de division sexuée du travail intellectuel commence à se structurer dans les sciences sociales françaises. Or, retourner au moment historique où d’une part, le champ des sciences sociales se met en place, et où, d’autre part, les femmes commencent à se scolariser et à investir les professions masculines, m’apparaît être une porte d’entrée particulièrement intéressante pour saisir les mécanismes à l’œuvre dans (ou les modalités de) l’organisation (ou de la réorganisation) des rapports sociaux de sexe dans cet espace spécifique et, plus largement, dans le champ intellectuel. En d’autres termes, il semble nécessaire de sortir de la période actuelle pour comprendre les rapports sociaux de sexe et la construction de la légitimité intellectuelle des femmes dans ce secteur du champ intellectuel.

Émergence des sciences sociales française, 1890-1940

La période comprise entre 1890 et 1940 est caractérisée, en France comme ailleurs en Occident, par de profonds bouleversements sociaux. Les sciences sociales émergent

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lentement, comme des disciplines autonomes aux contours encore flous, du vaste espace discursif de la « question sociale » dont les penseurs viennent aussi bien de l’espace politique, du champ universitaire, des nouvelles professions techniques, de la philanthropie que des mouvements sociaux. La préoccupation de la gestion du social ainsi que l’inquiétude liée aux effets de l’industrialisation et à la concentration des masses ouvrières stimulent le développement des premières recherches de nouvelles connaissances « positives » utiles à l’action sociale et aux réformes (Savoye 1994, Leclerc 1979). En France, le contexte des années 1880 est favorable aux nouvelles initiatives institutionnelles faisant la promotion des sciences sociales et à la maturation, dans l’institution universitaire, des méthodes et des idées sociologiques développées ailleurs depuis les années 1860. Entre 1890 et 1900, un grand nombre d’institutions tant universitaires1, étatiques2 que privées3 se

mettent en place dans la ville de Paris et recrutent de nombreux membres (Mucchielli 1998). Polarisés notamment autour de l’opposition entre savoir désintéressé et savoir utilitaire, ces différents espaces de production de connaissances ne privilégient pas les mêmes approches d’étude du social et n’ont pas les mêmes visées ; ils occupent des positions concurrentes, parfois complémentaires, dans le champ naissant des sciences sociales4 qui est dominé, à la veille de la Première Guerre mondiale, par les représentants

universitaires. Au tournant du siècle, la pauvreté persistante rend évidente l’inefficacité de la philanthropie et donne une nouvelle crédibilité aux économistes sociaux qui prônent des mesures réformistes visant la stabilité et la paix sociale, voire la « coopération de classe » (Horne 2004). Ceux-ci se voient peu à peu légitimés dans le champ universitaire qui subit d'importantes modifications sous les actions politiques de Victor Duruy, de Jules Ferry et

1 Plusieurs périodiques scientifiques notamment l’Année sociologique et la Revue internationale de

sociologie, des chaires d’études à Bordeaux, à la Sorbonne et au Collège de France, de multiples publications

majeures comme les Règles de la méthode sociologique, La division du travail social et Le suicide d'É. Durkheim.

2Notamment l’Office du travail et les services publics de recherche statistique.

3Le Musée social, le Collège libre des sciences sociales, l’École des hautes études sociales, l’Institut

international de sociologie, la Société de sociologie de Paris, etc.

4 Les sciences sociales sont encore peu différenciées. La philosophie et l’histoire appartenant aux lettres, la

psychologie et la sociologie sont les deux principales nouvelles sciences qui inaugurent la division du travail dans les sciences sociales (Mucchielli 1998). Les sciences politiques, la démographie, l’économie politique et sociale, les statistiques sociales demeurent dans le giron des écoles dites sociologiques. De plus, l’anthropologie et la sociologie, bien qu’organisées en espaces relativement distincts en raison principalement de leur histoire disciplinaire, travaillent sur des objets similaires, sont en constant dialogue et se partagent d’importants penseurs comme M. Mauss, L. Lévy-Bruhl ou C. Lévi-Strauss par exemple.

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de Louis Liard (Charle 1994). Parallèlement, des disciplines traditionnelles, plus particulièrement des lettres et du droit, émergent des penseurs – notamment A. Espinas, G. Tarde, R. Worms et É. Durkheim – qui mettent en place les fondements épistémologiques et philosophiques des nouvelles sciences sociales universitaires.

Ces prestigieux universitaires appartiennent à une minorité privilégiée, car la structure universitaire est très rigide et distribue parcimonieusement les nominations. La majorité des diplômés et des chercheurs demeurent toute leur vie exclus des carrières universitaires, particulièrement des carrières parisiennes. Au tournant du siècle, les durkheimiens forment sans conteste le groupe de recherche le plus prolifique, le plus uni autour d’un « maître » et de leur œuvre collective, l’Année sociologique, et réussissant le mieux dans les années qui suivent à imposer les éléments fondamentaux de leur perspective sociologique dans le champ des sciences sociales françaises (Karady 1979 , Mucchielli 1998 et 2004). Malgré leur position prédominante, ils demeurent toutefois relativement peu nombreux par rapport à leurs concurrents actifs tant dans les institutions privées qu’à l’université où leur position demeure somme toute incertaine au moins jusqu’après la Grande Guerre. Par ailleurs, la mort de Durkheim en 1917 met en évidence les divergences profondes, masquées par l’autorité du maître, qui traversent le groupe et le caractère éclaté des pratiques sociologiques et des interprétations de la pensée de Durkheim (Heilbron 1985, Marcel 2001). Les années 1920 sont néanmoins marquées par la consolidation de l’autorité intellectuelle des sociologues universitaires malgré une revalorisation de la sociologie plus empirique – qu’il faut lier à l’imposant financement de la Fondation Rockefeller –, représentée dorénavant davantage par les universitaires que par les leplaysiens et le Musée social qui l’avaient initiée. En somme, le champ sociologique naissant, encore mal défini, ne se réduit pas aux durkheimiens mais se compose d’une multitude d’individus diversifiés, bien qu’appartenant de plus en plus à la structure universitaire, dont les pratiques nous révèlent les mécanismes d’élaboration et d'organisation de ces nouvelles sciences sociales. Les femmes ont-elles accès à ces nouvelles connaissances et aux nouvelles formations donnant les compétences nécessaires à l’écriture et à la recherche sociologique ? Quelles barrières existe-t-il entre elles et la reconnaissance universitaire ?

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Légitimité intellectuelle et accès des femmes aux diplômes universitaires en France entre 1890 et 1940

Les rapports sociaux de sexes se modifient radicalement à mesure que l’univers du travail salarié s’ouvre plus complètement aux femmes parallèlement à l’extension de leurs droits sociaux et de leur scolarisation. La période napoléonienne avait consacré la croyance en l’infériorité intellectuelle des femmes dans un cadre juridique rendant formelle la division stricte des sexes dans des espaces distincts et opposés (le privé et le public) et la sujétion légale des femmes aux hommes. Néanmoins, les idéaux républicains qui animent les tentatives de consolidation du nouveau régime démocratique français rendent possibles, en offrant les outils philosophiques essentiels à la pensée de l’égalité, la contestation de cet ordre sexuel et l’organisation de mouvements féministes de tendances variées (Bard 1995, Klejman et Rochefort 1989). Ceux-ci contribuent, dans un contexte de luttes entre l’État et l’Église pour le monopole de la gestion du social, à la diffusion de l’idée d’égalité des sexes et à l’amélioration de la « condition des femmes » par la mise en place de réformes sociales concrètes allant en ce sens. Parmi celles-ci, l’accession progressive des femmes à l’enseignement secondaire, puis supérieur a joué un rôle important dans la légitimation de la présence de femmes dans les professions intellectuelles et dans l’affaiblissement de la croyance répandue en l’infériorité intellectuelle des femmes.

Entre 1880, lorsque l'enseignement secondaire féminin public et laïc est institué, et 1938, lorsque les programmes de formation dans les écoles normales supérieures féminines et masculines sont assimilés, un ensemble de mesures permet aux femmes de s'insérer peu à peu dans la structure universitaire. La préparation progressive des filles au baccalauréat dans les écoles secondaires publiques et privées à partir de 1908 et l'assimilation des programmes secondaires publics proposés aux deux sexes par le décret Bérard en 1924 sont des moments centraux de ce processus d'accès des femmes aux savoirs masculins. Dès le début du XXe siècle, certaines femmes accèdent aux plus hauts diplômes en médecine, en

droit et en lettres, d'autres tentent d'être admises dans les écoles et les concours les plus prestigieux. Même si, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, les femmes demeurent

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minoritaires dans les différents corps étudiants, et qu'elles sont presque complètement absentes des corps professoraux universitaires, les études supérieures pour les jeunes filles de la bourgeoisie perd une partie de son caractère transgressif. La figure de l'étudiante se banalise progressivement.

Néanmoins, quels débouchés professionnels existe-t-il pour les femmes désireuses de participer à l’avancement des connaissances ? Quels types d’espaces investissent-elles pour ce faire ? Leurs travaux sont-ils reconnus ? Les mœurs et les idées concernant le rôle social des femmes et leurs capacités intellectuelles changent incontestablement entre 1890 et 1930, mais un grand nombre de résistances demeurent et l'assignation prioritaire des femmes à l'espace domestique se maintient. S’il est manifeste que les femmes occupent de nouvelles places dans tous les secteurs, est-il possible qu’il s’agisse, par-delà la conquête de nouvelles possibilités, d’un déplacement de la division sexuée du travail qui laisse intactes la séparation et la distance entre les deux sexes ?

En somme, la période 1890-1940 offre une cohérence en regard du développement des sciences sociales et des transformations dans les rapports sociaux de sexe. En fait, elle commence avec l’apparition des écoles sociologiques qui marqueront la première moitié du XXe siècle, elle est traversée par un événement (la Guerre de 1914) souvent présenté,

parfois avec exagération, comme un moment de rupture dans les rapports sociaux de sexe et elle se termine avec une période de crise sociale et économique qui remet en question les avancées féministes et les capacités du paradigme scientifique à expliquer et à résoudre les problèmes sociaux. Embrasser l’ensemble de cette période nous permet notamment de voir en quoi la rupture de 1914, l’accession des femmes aux études universitaires et la professionnalisation des sciences sociales sont significatives dans la construction de la légitimité intellectuelle des femmes dans les sciences sociales françaises.

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Histoire et sociologie des intellectuelles françaises: un champ d'étude en émergence

L'historiographie anglophone et francophone sur la France s'est peu intéressée à la « place » occupée par les Françaises dans les sciences sociales naissantes. Certains avancent même l'idée qu'il y aurait pas de femmes dans ce champ avant 1945 (Charle 1999). L’historiographie concernant les pays anglo-saxons est beaucoup plus avancée sur cette question. À la lumière des travaux existants (notamment McDonald 1994, Deegan 1988 et 1991, Lengermann et Niebrugge-Brantley 2002, Broschart 2002, Richardson 2002), on constate que les femmes sont beaucoup plus rapidement « intégrées » dans les sciences sociales anglaises et américaines que françaises ; ce que vient confirmer une comparaison des index recensant les auteures de l’American Journal of Sociology (Grant et al. 2002) et de la première série de l’Année sociologique (Charron 2004). Pourtant, un nombre important des facteurs ayant favorisé l'insertion des femmes dans les sciences sociales anglaises et américaines semblent exister également en France au tournant du XXe siècle.

Comme dans les pays anglo-saxons, les Françaises étaient impliquées activement dans les groupes de bienfaisance depuis le début du XIXe siècle (Fayet-Scribe 1990), elles

commençaient à pénétrer le milieu universitaire lors de l'émergence de la sociologie comme discipline propre (Mayeur 1977, Mosconi 2004, Charrier 1931) et il existait en France un mouvement féministe libéral qui revendiquait parmi ses priorités l’accès des femmes à une éducation équivalente à celle des garçons (Bard 1995, Klejman et Rochefort 1989). En outre, la préoccupation pour la « question sociale », ferment de la sociologie, était à ce point une « mode » touchant une multitude d’individus (Mucchielli 1998, Horne 2004), qu’il est peu plausible qu’aucune femme n’ait participé à la recherche sociologique en France avant 1939.

L’absence apparente des femmes dans le développement des sciences sociales françaises nous est apparu problématique, d’autant plus que nos recherches préliminaires confirmaient l’existence d’un nombre non négligeable de femmes insérées d’une manière ou d’une autre (comme membres ou interlocutrices) dans les groupes masculins voués aux sciences sociales. Peut-être cette invisibilité tient-elle au type de travaux produits par les femmes et à leurs positions dans les groupes de recherche masculins.

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Bien qu’on assiste actuellement à une multiplication des travaux portant sur les intellectuelles françaises du tournant du XXe siècle (Carroy, Edelman, Ohayon et Richard

2005, Racine et Trebitch 2004, numéro spécial de Travail, genre et société 2000 et de Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle 1998), les approches dominantes font encore ressortir d’abord les grandes intellectuelles flamboyantes et non les travailleuses de l’ombre qui sommeillent dans les livres oubliés et dans les périodiques. Des pans entiers de l’activité intellectuelle des Françaises au tournant du XXe siècle demeurent inexplorés et

parmi eux, leur implication dans les groupes et les périodiques de sciences sociales.

Le développement des sciences sociales comme espace masculin

La littérature portant sur le développement des sciences sociales en France demeure concernée presqu’exclusivement par les réalisations masculines et se partage essentiellement entre les études sur les influences intellectuelles des grands penseurs (Lukes 1973) d’une part, et les études portant sur le champ des sciences sociales « dans lequel Durkheim a tenté d’imposer sa méthode et ses problématiques » (Mucchielli 2004 : 270) d’autre part. Cette deuxième série de travaux nous renseigne beaucoup plus que la première sur les contextes possibles d’implications scientifiques féminines. Néanmoins, puisqu’ils portent surtout sur les luttes intellectuelles pour la reconnaissance et la légitimation dans le champ universitaire (Karady 1976 et 1979, Clark 1973), sur la constitution des écoles sociologiques et les facteurs de réussite des durkheimiens (Besnard 1979, Nandan 1983, Mucchielli 1998 et 2004), seuls les principaux protagonistes, c’est-à-dire des hommes, sont mis en évidence5. Il existe un clivage majeur entre ces derniers

auteurs qui travaillent sur les théoriciens universitaires et ceux qui se penchent sur la sociologie empirique, laquelle a longtemps souffert d’une déconsidération dans l’historiographie dominante. Malgré un regain d’intérêt récent pour ces sociologies empiriques, qui se pratiquent dans des espaces moins « désintéressés », plus diversifiés et ouverts aux amateurs – comme le Musée social (Horne 2004) ou la Société d’économie

5L'approche biographique de M. Fournier (1994, 2007) a l'avantage, en s'attardant au détail des relations

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sociale (Savoye 1994) – elles sont encore souvent présentées comme engluées dans leurs paradigmes traditionalistes, incapables de proposer des idées générales, des modèles de recherche et des données empiriques sérieuses. Cette hiérarchisation des objets de recherche n'a pas favorisé l'intérêt pour les formes dominées de pratiques intellectuelles.

Les femmes comme objet, puis comme sujet de discours sur la société

Plus volumineuse, la littérature portant sur l’histoire des femmes et des rapports sociaux de sexe6 n’aborde pas non plus précisément notre objet de recherche, mais offre

plusieurs hypothèses heuristiques, ainsi que des approches et des données stimulantes. Il est possible d’extraire de cette masse documentaire disparate des travaux utiles concernant la division sexuée du travail intellectuel, l’histoire des intellectuelles françaises et la pensée de la différence des sexes. Parmi les travaux sur la pensée de la différence entre les sexes7, qui

oriente les pratiques intellectuelles féminines ou définit leur illégitimité (Perrot 2000), ceux qui nous interpellent le plus s’intéressent aux transformations du statut des femmes dans la pensée occidentale, au passage de la position d’objet à celui de sujet, à l’accession des femmes à la raison (Fraisse 1985). Ce type de réflexions assez générales sur les conceptions de la différence entre les sexes est nécessaire pour aborder l’activité intellectuelle des femmes, car il nous dévoile l’espace des possibles et des résistances, des ouvertures et de l’impensable. Néanmoins, ces études se donnent le plus souvent comme objet central la pensée masculine sur les femmes et les rapports sociaux de sexe ainsi que l’idéologie

6 Bien que les rapports sociaux de sexe soient transversaux à tous les espaces sociaux, la tradition historique et

sociologique d’étude de « la femme » a encore un effet classificatoire qui isole les femmes et la littérature francophone les concernant dans une catégorie à part des autres objets d’études plutôt que de voir intégrée la dimension de rapports sociaux de sexe à l’ensemble des secteurs des sciences sociales.

7 À partir du XIXe siècle, une profusion de discours concernant « la femme » se font concurrence dans

l’espace public français : les littéraires (Moreau 1982, Borie 1973) et les philosophes (Fraisse 1996, Collin 2000) s’intéressent à la nature de la femme, à son rôle dans la société, les médecins (Veith 1973, Knibiehler et Fouquet 1983) participent à la construction du corps féminin, de sa nature faible et de ses maladies, alors les autorités publiques prennent conscience de la présence féminine dans l’espace public, et cherchent à baliser les sphères féminines et masculines d’action (Roncin 1992, Cova 1997, Auslander et Zancarini-Fournel 1999). Tous ces discours, ainsi que les influences réciproques qu’ils exercent les uns sur les autres, ont été étudiés de façon approfondie depuis plusieurs années (Tuana 1993). Le discours scientifique sur les sexes, a

fortiori le discours des sciences sociales, a été moins étudié (Charron 2004, Besnard 1973) ; notons que les

sciences biologiques ont eu droit à davantage d’intérêt (Russet 1989, Löwry et Gardey 2000, Wijngaard 1997, Jordanova 1989, Laqueur 1992).

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scientifico-politique qui légitime cette domination et la donne pour éternelle. Elles ne font pas apparaître les femmes comme des sujets historiques et ne leur donnent pas vraiment la parole.

Les ouvrages qui s’interrogent plus précisément sur la parole publique des femmes peuvent être regroupés en trois catégories : les histoires des féminismes français, les études sur les professions intellectuelles et les « biographies » d’intellectuelles. Les recherches sur l’histoire des féminismes sont bien développées et nous font connaître des femmes importantes du tournant du siècle. Souvent, les féministes étaient aussi des diplômées, des intellectuelles, des scientifiques ou des professionnelles, mais leurs activités non politiques sont peu considérées par la littérature consacrée au féminisme.

D’un autre côté, les études portant sur les professions demandant une formation intellectuelle explorent d’autres espaces spécifiques, et non strictement politiques, susceptibles de révéler des pratiques scientifiques féminines inconnues. En effet, puisqu’à l’époque étudiée les sciences sociales ne constituent pas encore des professions bien structurées, il est nécessaire de se pencher sur les professions intellectuelles connexes. Pourtant, les ouvrages portant sur l’accès à l’éducation secondaire et supérieure des femmes (Mayeur 1979, Lelièvre et Lelièvre 1991), sur les nouveaux métiers féminins comme le travail social (Fourcaut 1982, Knibiehler 1984, Guerrand et Rupp 1978, Verdès-Leroux 1978, Rater-Garcette 1996, Salomon, Perrot, Fournier et Hache 1996, Jovelin et Bouquet 2005), sur l’enseignement féminin (Mosconi 2004, Cacouault 1984, Cacouault-Bitaud 2007, Mardagant 1990, Charle 1999, Dumoulin 1998), sur l’insertion des femmes dans les professions intellectuelles traditionnellement masculines – tant dans l’administration (Clark 2000), les professions libérales (Edelman 2005, Catinat 1998) que le journalisme et la littérature (Leroy et Bertrand et Sabiani 1998, Heinich 2004, Robert 1999, Ducas 2003) – nous apprennent finalement peu de choses sur l’activité intellectuelle des nouvelles diplômées et professionnelles qui désirent se hisser dans des espaces autrefois interdits aux individus de leur sexe. L'ensemble de ces travaux insitent davantage sur les modalités d'organisation et les entraves que rencontrent les nouvelles professionnelles dans leur quête de reconnaissance que sur leurs activités intellectuelles. Les conditions sociales de l'activité

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intellectuelle ou de l'implication féminine dans des groupes de recherche masculins demeurent ainsi largement inexplorées.

Enfin, il existe certaines recherches portant sur des intellectuelles, généralement féministes et ayant fait des contributions intéressantes à la réflexion sur le social, qui adoptent une approche biographique dans laquelle les motivations, les expériences intimes et les trajectoires sont prises en considération. Celles sur Clémence Royer (Fraisse 1985, Harvey 1987, Demars 2005), Madeleine Pelletier (Bard 1992, Sowerwine et Maignien 1992, Gordon 1990 et 2008), Céline Renooz (Smith Allen 2000), Aline Valette et Marcelle Capy (Diebolt et Zylberberg-Hocquart 1984) ou encore sur les sœurs Lombroso en Italie (Coffin 2005), Ellen Key en Belgique (Ottavi 2005), Beatrice Webb et Harriet Martineau en Grande-Bretagne (McDonald 1994) ou Marianne Weber en Allemagne (Wobbe 2004) réfléchissent sur des expériences spécifiques, des trajectoires particulières à travers différents espaces, lieux d’engagement et de travail, mais ne nous apprennent que peu de choses sur les rapports sociaux de sexe dans les espaces occupés par ces femmes, car elles ne les étudient pas systématiquement. Elles mettent toutefois en évidence les conditions rendant possible l’exercice de la vie intellectuelle et formulent des hypothèses théoriques qui peuvent avantageusement être étudiées à l’échelle de groupes ou d’espaces restreints dans lesquels plusieurs femmes ont pu pratiquer la recherche en sciences sociales.

Si on définit la sociologie française naissante comme un espace, ou un champ au sens bourdieusien, il faut s'interroger sur les relations sociales constitutives de ce champ, ce que l’approche biographique dominante (en mettant l’accent essentiellement sur la dimension singulière et psychologique de l’expérience et la description de faits individuels) ne permet pas, particulièrement à l’heure actuelle où les données empiriques de la participation des femmes aux sciences sociales sont encore très peu connues.

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L'analyse des expériences féminines dans les groupes de sciences sociales français

Depuis quelques années, on note un intérêt nouveau pour l’étude des femmes dans certains espaces de recherche en sciences sociales. Néanmoins, aucune étude approfondie n’existe encore et les contributions sont souvent des actes de colloques qui formulent plus de questions que de réponses et portent sur des espaces très spécifiques du champ des sciences sociales. Elles sont en général le résultat de travaux historiens qui nous offrent des pistes de recherche sérieuses. Savoye (2005) propose une typologie des différents types d’enquêtrices connues, Battagliola (2003) se penche sur le contenu des quelques monographies réalisées par des femmes dans Les Ouvriers des deux mondes et Blum et Horne (1988) nous font connaître les activités de la section d’études féminines du Musée social, principalement dans une perspective d’histoire des féminismes. Ces travaux nous indiquent un fait important : ce sont les groupes de sociologie les moins universitaires qui accueillent le plus volontiers des femmes dans la première moitié du XXe siècle.

Il est donc pertinent et novateur de s'interroger sur la construction de la « place » des femmes dans les groupes masculins de recherche en sciences sociales (particulièrement orientés vers la sociologie et l'anthropologie), définis comme constitutifs du champ naissant des sciences sociales, en se penchant sur les relations intellectuelles entretenues entre les individus des deux sexes dans ces espaces, lesquelles devraient nous permettre d’identifier et d’analyser les mécanismes sociaux d’inclusion et d’exclusion, les modalités de la reconnaissance, de l’ouverture et de la résistance aux transformations de la division sexuée du travail intellectuel.

L'objectif de cette thèse n'est donc pas de faire reconnaître le point de vue et les analyses féministes et féminines comme sociologiques, c'est-à-dire de statuer sur la valeur intrinsèque des travaux produits par des femmes, bien que notre recherche fasse parfois ressortir la grande valeur sociologique de certains travaux. On ne trouvera donc dans cette thèse que les femmes, et parmi elles les féministes, qui sont visibles dans le champ des sciences sociales, qui ont cherché à y être active ou qui y ont été reconnues par les individus déjà actifs dans ces espaces comme des auteures de travaux méritant des analyses

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bibliographiques. Cela signifie que toutes les femmes qui n'ont pas signé des travaux qu'elles auraient réalisés (qu'elles utilisent des pseudonymes ou travaillent de manière anonyme pour d'autres personnes) ne sont pas l'objet de ce travail. En réalité, cette thèse ouvre un ensemble de chantiers de recherche qui nécessiteraient le travail de nombreux chercheurs et chercheuses en histoire et en sociologie. L'ensemble des institutions savantes qui naissent au début du XXe siècle, ainsi que les principaux intellectuels de cette époque,

ont laissé des archives dont l'analyse, dans une perspective de genre, serait des plus profitable pour la compréhension de la construction de la légitimité intellectuelle dans nos sociétés. Évidemment, un tel travail n'a pu être réalisé dans le cadre de cette thèse qui adopte une perspective plus large sur l'ensemble du champ des sciences sociales français entre 1890 et 1940. Ce choix théorique et méthodologique implique toutefois plusieurs insatisfactions reliées aux points d'ombre qui demeurent présents, surtout dans les derniers chapitres de la thèse où un travail en archives plus approfondi aurait permis de préciser les analyses proposées.

Cette thèse décevra également les lecteurs et les lectrices qui espéraient y trouver une étude ou une critique complète et systématique des théories sociologiques des principaux sociologues de l'époque comme É. Durkheim, G. Tarde, R. Worms ou E. Cheysson, ou même une confrontation systématique de ces théories avec les approches féminines et féministes de la connaissance sociologique. Des analyses de ce type parsèment évidemment l'ensemble de la thèse, mais ne sont pas le premier objet de celle-ci. Ce ne sont pas d'abord les systèmes de pensée de chacun de ces sociologues qui importent ici, mais le système de relations entretenues par les femmes dans les espaces de sciences sociales entre 1890 et 1940, le type de connaissance qu'elles ont pu y développer et leur réception par les autorités des groupes de sciences sociales français orientés vers la sociologie et l'anthropologie.

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Organisation des chapitres

Cette thèse prend comme pivot l'acquisition du savoir et des diplômes universitaires par les femmes entre 1890 et 1940. Elle est divisée en deux parties comprenant chacune deux chapitres. La première partie aborde l'implication des femmes non diplômées dans les divers secteurs du champ des sciences sociales entre 1890 et 1914, tandis que la seconde partie s'interroge sur le positionnement et la reconnaissance des femmes diplômées.

Avant d'aborder le cœur des analyses, trois chapitres préliminaires présentent les cadres théoriques et méthodologiques de cette étude. Le chapitre 1 définit théoriquement l'objet de la recherche, c'est-à-dire les rapports sociaux de sexe ainsi que le concept de « champ » utilisé pour désigner l'espace intellectuel progressivement spécialisé sur les questions sociales. Ce chapitre est également l'occasion de formuler les principales hypothèses déjà proposées dans l'historiographie concernant la reconnaissance intellectuelle des femmes en Occident depuis le début du XXe siècle. Le chapitre suivant présente les

règles méthodologiques qui ont présidé à la construction du corpus, au traitement des données recueillies et à l'analyse proprement dite. Nous y développons également des réflexions sur le langage comme instrument de domination symbolique et comme outil d'émancipation des groupes dominés. La description détaillée des matériaux sélectionnés et des présences féminines dans chacun d'entre eux constitue le troisième chapitre de la thèse. La progression chronologique et thématique des productions féminines dans les principaux périodiques de sciences sociales français de l'époque sont disponibles dans ce chapitre sous la forme de tableaux commentés.

Ensuite, l'analyse des logiques de reconnaissance et d'exclusion des femmes propres à ces différents espaces est divisée en quatre chapitres. Les deux premiers portent sur les femmes non diplômées qui apparaissent dans le champ des sciences sociales entre 1890 et 1914. Le chapitre 4 analyse plus spécifiquement le travail des femmes les mieux intégrées dans les groupes leplaysiens et au Musée social, dont les discours sont conformes aux attentes de genre différentialistes. Nous les appelons les figures féminines légitimes, car leur présence ne suscite pas de polémiques, leurs analyses et leurs travaux, qui défendent la définition traditionnelle de la famille et l'assignation prioritaire des femmes à

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l'espace domestique, rencontrent une grande approbation parmi les intellectuels leplaysiens et réformistes. Une majorité d'entre elles est active dans le mouvement de réforme sociale qui mobilise alors une partie des élites sociales françaises et leurs travaux d'enquête empiriques et d'analyses descriptives mettent surtout en évidence l'existence du travail féminin, des œuvres sociales féminines, du féminisme chrétien ainsi que l'émergence de l'enseignement ménager comme espace spécifique d'investissement « intellectuel » féminin. Nous verrons que les compétences attribuées à ces femmes renvoient d'abord à une définition de genre et ne concernent que très peu le travail intellectuel, ce qui contribue à les positionner dans les secteurs les plus hétéronomes du champ des sciences sociales, à la frontière de l'action sociale . De nombreuses pionnières du travail social font d'ailleurs partie de ce groupe de femmes dont la visibilité décroît progressivement, à mesure de l'organisation du champ spécifique du travail social et de l'exclusion des formes les plus réformistes de sciences sociales des discours disciplinaires légitimes.

Durant cette période, de nombreuses femmes non diplômées se positionnent en porte-à-faux avec les prescriptions de genre, manifestant une grande ambition intellectuelle et contestant les inégalités de genre. Le travail intellectuel de ces figures de la transgression est l'objet du chapitre 5. La plupart d'entre elles se définissent comme féministes et s'approprient les théories évolutionnistes dominantes à des fins militantes et savantes. Tant Clémence Royer que Céline Renooz – opposées par ailleurs à plus d'un titre – ne limitent pas leur ambition intellectuelle aux sciences sociales; elles publient de nombreux ouvrages de synthèse et de vulgarisation scientifique qui sont à la fois des critiques épistémologiques du savoir androcentrique et des formulations originales de leurs propres perspectives sociologiques. Toutes les féministes qui viennent critiquer les inégalités de genre à travers leurs analyses spécifiques soulèvent de vives polémiques. Les idées originales proposées par ces femmes ne sont pas l'objet de discussions approfondies, car le caractère subversif de leurs discours autorise leurs interlocuteurs à les rejeter sans examen vers le champ politique. Elles occupent donc les positions les plus hétérodoxes du champ des sciences sociales avant 1914. Comme les figures féminines légitimes, elles disparaissent presque complètement des périodiques de sciences sociales après la Première Guerre mondiale.

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La seconde partie de la thèse s'interroge sur le positionnement des femmes diplômées dans le champ des sciences sociales entre 1900 et 1940. Même si les femmes visibles dans les périodiques de sciences sociales français après 1914 sont presque toutes des diplômées, elles ne participent plus autant que leurs prédécesseures non diplômées à la vie des institutions étudiées. Nous ne disposons donc pas du même type de données pour réfléchir à leur positionnement et nous perdons aussi toute la richesse des échanges mixtes dans les institutions pour évaluer la construction des compétences féminines. De plus, la trajectoire biographique de ces femmes est très peu connue, car elles sont passées complètement inaperçues des études sur les féminismes français très utiles à cet égard pour la première partie de la thèse. Les analyses de cette seconde partie sont ainsi le reflet de la perte de visibilité générale des femmes dans le champ des sciences sociales durant l'entre-deux-guerres, alors que le critère du diplôme universitaire et l'insertion dans les institutions de recherche universitaires deviennent incontournables pour participer activement à la construction du champ.

Le chapitre 6 se penche sur les effets paradoxaux de l'accès des femmes aux diplômes et de leur professionnalisation. La majorité des nouvelles diplômées qui s'intéressent aux questions sociales sont orientées massivement vers les nouvelles professions sociales féminines, particulièrement vers le champ du travail social qui se met en place, et vers l'enseignement secondaire féminin séparé de l'enseignement supérieur jusqu'en 1938. Toujours structurées autour d'attributs de genre qui les éloignent du travail intellectuel, les compétences spécifiques reconnues aux professionnelles dont les travaux sont analysés dans les périodiques de sciences sociales les situent toujours aux positions les plus marginales du champ en redéfinition, lorsqu'elles n'en sont pas tout simplement exclues. Plusieurs militantes féministes diplômées et pionnières des professions libérales se retrouvent dans la Section d'études féminines du Musée social fondée en 1916 où elles réalisent des enquêtes et des analyses dont le premier objectif est de contribuer à modifier la législation française, discriminatoire envers les femmes.

Toutes les femmes diplômées ne subordonnent pas leur travail intellectuel aux impératifs d'action sociale ou d'action politique immédiate. Une partie d'entre elles mènent des recherches et des réflexions qui s'inscrivent d'abord dans un projet intellectuel

Figure

Tableau 1 : Thèmes des contributions féminines dans La Réforme sociale, 1890-1930.
Tableau 2 : Distribution chronologique des contributions féminines dans La Réforme  sociale, 1890-1930.
Tableau 3: Liste des femmes membres de la Société internationale de science sociale,  1892-1914.
Tableau  5 :  Distribution  chronologique des contributions féminines dans  La Science  sociale, 1890-1926.
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Références

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