La comptabilité nationale, une
technologie discrète au service d’un
programme néolibéral de
gouvernement des finances publiques
Damien Piron
Aspirant du FRS-FNRS
Séminaire « Actualités de Michel Foucault »
Liège, le 18 décembre 2017
• Créer un « État radicalement économique » (NB, p. 87) Deux versants : - Limiter le champ d’action de l’État par/pour l’économie de marché ;
- Instaurer l’économie de marché comme principe de régulation interne de l’État
• Gouvernance budgétaire européenne comme manifestation contemporaine de
l’art de gouverner néolibéral :
- Limitation du périmètre d’intervention de l’État en tant qu’agent économique non-rentable et non-concurrentiel ;
- Diffusion de la dynamique concurrentielle propre au modèle du marché à l’ensemble de la société, y compris au sein du secteur public
• Volet monétaire : monnaie commune, BCE indépendante, stabilité des prix
• Volet budgétaire : critères de convergence (de stabilité) - Déficit public ≤ 3 % du PIB
- Dette publique ≤ 60 % du PIB
• Inflexion dans la conception du rôle de l’État dans l’économie : le régulateur est aussi un agent économique à surveiller, contrôler, discipliner Fabrication d’États « dociles » sur le plan des finances publiques
• Définition des agrégats à l’aide d’une norme statistique européenne : le système européen des comptes nationaux et régionaux (SEC) Rôle discret mais
central dans la procédure de surveillance budgétaire
• Une certaine représentation de l’État et de son action :
- Déficit public nominal : absence de distinction en fonction de la nature des dépenses (dépenses courantes vs. d’investissement) ;
- Dette publique brute consolidée : accent exclusif sur le passif de l’État
• Dynamique de « conduites/contre-conduites » Lecture « opportuniste » et renforcement des conditions ; « surfaces de friction » et « occasion de litiges » (NB, p. 180)
Le rôle de la comptabilité nationale dans
gouvernance budgétaire européenne
• Mission d’interprétation du SEC et de surveillance de sa mission en œuvre Construction d’une véritable architecture statistique européenne
• Statistique économique administrative (« interventionnisme juridique » [NB,
p. 172]) :
- Zones d’ombre et développement d’une « jurisprudence statistique » - Codification (MGDD)
- Statut réglementaire accordé au SEC 95
• Crises statistiques grecques (2004 & 2010) : - Visites biennales au sein des États membres ;
- Quasi-pouvoir d’audit (prérogatives, personnel et moyens financiers)
Eurostat, « gardien du temple » comptable
et budgétaire
• « L’État n’a pas d’essence » (NB, p. 79) Quel État surveiller, du point de vue de l’UEM ?
• Réponse sur la base du SEC : le secteur des administrations publiques (S.13) • Trois critères cumulatifs :
- Autonomie de décision ; - Contrôle public ;
- Production non-marchande
• NB : statut juridique pas pertinent (« substance over form »)
Une définition comptable de l’État
Secteur public
Secteur privé
Production non
marchande
publiques (S.13)
Administrations
ISBLSM
Production
marchande
publiques
Sociétés
Sociétés privées
• Jeu à la marge : les exigences budgétaires européennes ne s’appliquent qu’aux « administrations publiques » Possible d’améliorer les comptes publics en :
- Privatisant purement et simplement certains secteurs (exemple : secteur bancaire)
- Transformant certains organismes en « sociétés publiques »
Marchandisation
• Condition ? Assurer une production « marchande »
Produits vendus à des prix économiquement significatifs Critère quantitatif : ventes couvrent 50% des coûts de production Critère qualitatif (SEC 2010) : situation de concurrence
• L’UEM dote le SEC d’une orientation politique : mise sous surveillance d’un
groupe spécifique d’institutions publiques
• Secteur visé ? Le secteur public non-marchand, c.à.d. les organismes dont le comportement n’est pas aligné sur la logique de rentabilité et de compétition promue par le marché Marqueur d’une certaine « phobie de l’État »
• Catégories comptables comme technologie de conscientisation des unités du secteur public à l’esprit d’entreprise véhiculé par les politiques publiques néolibérales
• « Politique du cadre » (NB, p. 145) : gouverner la conduite des pouvoirs publics en modelant le cadre dans lequel ils agissent Intervention technique « massive » (NB, p. 147)
• Pour continuer à jouer un rôle significatif dans la sphère économique, les pouvoirs publics doivent se conformer au jeu du marché : recherche de profit et mise en concurrence
• Extension de la rationalité du marché dans des domaines qui en étaient jusqu’alors épargnés ; alignement (de certains pans) du secteur public sur les pratiques en vigueur dans le secteur privé
• L’instauration de cette logique concurrentielle n’est pas « une donnée de la nature à respecter » (NB, p. 124) mais le résultat d’une intervention gouvernementale constante