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Le maintien de l'engagement militant au sein du mouvement écologiste : le cas d'un groupe d'écologie sociale

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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MARC-ANTOINE BARRE

LE MAINTIEN DE L'ENGAGEMENT MILITANT AU

SEIN DU MOUVEMENT ÉCOLOGISTE

Le cas d'un groupe d'écologie sociale

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en service social

pour l'obtention du grade de maître en service social (M.Serv.Soc.)

ECOLE DE SERVICE SOCIAL

FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

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RESUME

Les problèmes écologiques sont au cœur des préoccupations de notre temps. Selon plusieurs auteurs, ils sont le reflet de la dérive de notre système économique, politique et social. À cet égard, les médias ne cessent de nous rappeler l'urgence d'agir afin d'apporter des solutions à la crise écologique. En ce sens, on pourrait s'attendre à ce que le mouvement écologiste fasse l'objet d'une mobilisation durable au sein de la société civile. Pourtant, en réalité, plusieurs chercheurs en sciences sociales ont démontré que cette mobilisation demeure fragile et incertaine. Comment expliquer ce paradoxe? Ce mémoire contribue à répondre à ce questionnement. Ainsi, notre question générale de recherche est la suivante : Comment expliquer le maintien de l'engagement militant écologiste? Afin de répondre à cette question, douze entretiens ont été réalisés auprès de militants engagés au sein d'un groupe d'écologie sociale. Notre analyse démontre comment l'identité, les cadres et les réseaux sociaux jouent un rôle fondamental dans le maintien de l'engagement militant écologiste.

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REMERCIEMENTS

Plusieurs l'ont écrit avant moi et je n'ai pu qu'en constater la véracité tout au long du parcours qui fut le mien; écrire un mémoire est une entreprise qui à certains moments peut être douloureuse et difficile, mais, au bout du compte, inéluctablement satisfaisante. Outre la détermination et la persévérance qu'une telle entreprise nécessite, je crois sincèrement que ce qui nous donne le courage de rendre le projet à terme, c'est le soutien moral et affectif de ceux qui nous entourent. En ce sens, écrire un mémoire est une entreprise collective, puisque, en réalité, celui qui paraît seul sur son chemin ne l'est jamais tout à fait, car les êtres qui lui sont chers, bien qu'ils n'y soient souvent qu'en pensées, lui donnent la force d'affronter les nombreuses difficultés et obstacles qu'il rencontre sur sa route.

Dans mon cas, ceux qui m'ont accompagné et soutenu à un moment ou un autre de ce périple s'appellent Betty, Angela, Eliana, Raquel, Deisy, Alvaro, Magaly, Frans, Sheila, Roberto, Adelma, Marco, Yima, Sandra, Yaneth et Tati, mes amis péruviens, Lila et France, mes amies coopérantes, Philippe et Isabelle, mes fidèles comparses de la maîtrise, Michel, Claude, Martin, David, Jean-Louis, Sylvain et Julien, le clan de la MLHQ, Diane, Marilène, David, Charlotte et Thomas, ma petite famille adorée et Valérie, pour les incalculables moments de réflexion, de rire et d'amour partagés ensemble. Merci à vous tous, il aurait été beaucoup plus difficile d'écrire ce mémoire sans le réconfort de votre présence. Sachez que je vous en suis tous très reconnaissant.

Je tiens aussi à remercier ma directrice, madame Martine Duperré, pour la qualité de son enseignement, sa rigueur intellectuelle et la pertinence de ses conseils. Merci Martine pour les questionnements et les doutes que tes judicieux commentaires ont fait naître en moi. Ceux-ci m'ont maintes fois permis de préciser mes idées et d'en améliorer la cohérence.

Finalement, merci aux personnes qui ont accepté de participer à cette étude. Merci de m'avoir dévoilé votre vécu avec tant de générosité.

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DEDICACE

À mon père, Georges.

Où que tu sois à présent, sache que nos conversations sur la société québécoise et le monde m'ont profondément marqué et inspiré. Merci d'avoir semé en moi les graines de l'intérêt pour la recherche.

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TABLE DES MATIERES

RÉSUMÉ II REMERCIEMENTS III

DÉDICACE IV TABLE DES MATIÈRES V

LISTE DES FIGURES VIII LISTE DES TABLEAUX VIII

INTRODUCTION 1 1. LA PROBLÉMATIQUE 4

1.1 Méthode de la recherche documentaire 4

1.2 Les mouvements sociaux 5 1.2.1 Le mouvement écologiste 7

1.2.1.1 L'écologie profonde 9 1.2.1.2 L'écoféminisme 10 1.2.1.3 L'écologie sociale 11 1.3 Le problème du maintien de l'engagement militant 12

1.4 Les facteurs du maintien de l'engagement militant 15

1.4.1 Les facteurs individuels 17 1.4.1.1 Les trajectoires biographiques 17

1.4.1.2 Se sentir utile 18 1.4.1.3 Donner un sens à sa vie 20

1.4.1.4 S'intégrer à un réseau social en cohérence avec ses valeurs 22

1.4.1.5 Les sphères de vie 23 1.4.1.6 La disponibilité biographique 25

1.4.2 Les facteurs contextuels 27 1.4.2.1 La perception de la conjoncture sociohistorique 27

1.4.2.2 L'adéquation entre l'organisation et les individus 30

1.5 Pertinence scientifique 32 1.6 Pertinence sociale 33

2. LE CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL 35

2.1 Les théories des mouvements sociaux 35 2.1.1 Les théories du comportement collectif 35

2.1.2 La théorie du choix rationnel 37 2.1.3 La théorie de la mobilisation des ressources 38

2.1.3.1 Le modèle des réseaux sociaux 39 2.1.3.2 Le modèle de l'analyse des cadres 40 2.1.4 La théorie des nouveaux mouvements sociaux 43

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2.2.1 Les dimensions et les indicateurs de l'engagement 49

2.2.1.1 L'identité 50 2.2.1.2 Les cadres 53 2.2.1.3 Les réseaux sociaux 56

2.2.2 Le schéma conceptuel 59 3. LA MÉTHODOLOGIE 62

3.1 Objectifs de la recherche 62 3.2 Questions de recherche 62 3.3 Proposition de recherche 62 3.4 Méthode de recherche qualitative 63

3.5 Technique de collecte des données 64 3.5.1 Principes méthodologiques des entretiens semi-dirigés 64

3.5.2 Biais liés aux entretiens semi-dirigés 65

3.5.3 Guide d'entretien 66 3.6 Technique d'échantillonnage des répondants 66

3.7 Méthode de constitution et d'analyse des données 67

3.8 Validité et fidélité de la recherche 69

3.9 Éthique de la recherche 70

4. L'ANALYSE DES RÉSULTATS 72

4.1 L'identité 73 4.1.1 Les trajectoires biographiques 73

4.1.1.1 L'enfance 73 4.1.1.2 L'adolescence 75 4.1.1.3 L'âge adulte 76

4.1.1.3.1 L'engagement pour d'autres causes 76 4.1.1.3.2 L'engagement au sein d'autres groupes 77 4.1.1.3.3 Les contacts avec d'autres écologistes 79

4.1.2 Se sentir utile 80 4.1.2.1 Les valeurs fondamentales 81

4.1.2.2 Sensibiliser et conscientiser 83 4.1.2.3 Contribuer à l'action collective 85 4.1.2.4 S'actualiser en aidant les autres 86

4.1.3 Donner un sens à sa vie 87 4.1.3.1 Un projet de société 87

4.1.3.1.1 Viser la décroissance 87 4.1.3.1.2 Vivre en communauté 88 4.1.3.1.3 Décentraliser l'État 89 4.1.3.1.4 Promouvoir la souveraineté alimentaire 90

4.1.4 La perception de la conjoncture sociohistorique 91 4.1.4.1 Le néolibéralisme et la technocratie 91 4.1.4.2 Le matérialisme et l'individualisme 93 4.1.4.3 L'éclatement idéologique du mouvement écologiste 95

4.1.4.4 Le militant des années soixante-dix 96 4.1.4.5 Le militant des années deux mille 98

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4.2.1 L'adéquation entre l'organisation et les individus 99

4.2.1.1 Les faiblesses du groupe écologiste 100 4.2.1.1.1 Le manque de structure 100 4.2.1.1.2 Le manque d'objectifs et d'actions à court terme 102

4.2.1.1.3 Le manque de ressources humaines et financières 103

4.2.1.1.4 Les conflits idéologiques 104 4.2.1.1.5 La professionnalisation 105 4.2.1.2 Les forces du groupe écologiste 106

4.2.1.2.1 L'orientation idéologique 106 4.2.1.2.2 La participation aux processus de prise de décision 108

4.2.1.2.3 La diversité des implications possibles 109

4.2.1.2.4 L'autonomie et la liberté 110

4.3 Les réseaux sociaux 111 4.3.1 Intégrer un réseau social en cohérence avec ses valeurs 111

4.3.1.1 Cultiver de meilleures relations interpersonnelles 112 4.3.1.2 Développer un sentiment d'appartenance envers un groupe 113

4.3.1.3 Utiliser le réseau comme tremplin socioprofessionnel 113

4.3.2 Les sphères de vie 114 4.3.3 La disponibilité biographique 117

5. DISCUSSION 121 5.1 L'identité 121 5.2 Les cadres 123 5.3 Les réseaux sociaux 124

5.4 Un militantisme distancié 127 5.5 Portée de l'étude pour l'organisation communautaire 128

5.6 Limites de l'étude 129

CONCLUSION 131 BIBLIOGRAPHIE 135

ANNEXE 1 : ANNONCE DE RECRUTEMENT 140 ANNEXE 2 : COURRIEL DE RECRUTEMENT 141

ANNEXE 3 : GUIDE D'ENTRETIEN 142 ANNEXE 4 : FORMULAIRE DE CONSENTEMENT 144

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LISTE DES FIGURES

FIGURE 1: SCHEMA CONCEPTUEL 61

LISTE DES TABLEAUX

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INTRODUCTION

Depuis leur apparition comme champ de recherche en sciences sociales, la plupart des chercheurs se sont intéressés aux mouvements sociaux de façon marginale (Neveu, 1996). Les premiers théoriciens des mouvements sociaux concevaient généralement les militants comme des individus aux prises avec des défauts de personnalité (Goodwin et Jasper, 2003). Les théoriciens de la contagion, quant à eux, percevaient les militants comme des êtres irrationnels qui se comportent de façon anormale à cause d'insatisfactions éprouvées envers leur propre statut social. Pour plusieurs de ces théoriciens, les individus les plus aliénés et marginaux sont les plus susceptibles de s'engager et maintenir leur engagement au sein des groupes militants (Fillieule et Péchu, 2000).

Au cours des années soixante, les théories des mouvements sociaux se modifient. Avec l'avènement du courant de la mobilisation des ressources, les théoriciens conçoivent les individus engagés au sein des mouvements sociaux comme des êtres essentiellement rationnels motivés par le désir de répondre à leurs besoins économiques, politiques et légaux (Fillieule et Péchu, 2000). Partant de cette conception, ces théoriciens concentrent leur analyse sur les forces organisationnelles, institutionnelles et sociohistoriques qui pèsent sur les décisions rationnelles des individus (Neveu, 1996). De plus, ils ne s'intéressent pas directement au point de vue des militants mais plutôt aux déterminants externes qui peuvent expliquer leur engagement militant (Goodwin et Jasper, 2003).

Depuis quelques décennies, l'intérêt pour la compréhension de la subjectivité des militants prend son essor chez les chercheurs en sciences sociales. Ceux-ci tentent de mieux comprendre le maintien de l'engagement militant à partir du point de vue des sujets (Goodwin et Jasper, 2003). Comme le mentionne Neveu (1996) : « Le regard sociologique [...] vise un gain d'intelligibilité tant des déterminants objectifs de l'action collective, que de ses composantes subjectives, vécues. » (p.4). De plus, le renouvellement de l'intérêt des

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désenchantement de plus en plus important envers l'idéologie néolibérale et l'État-Providence (Stangherlin, 2005).

À l'époque actuelle, comme le mentionne Hirschman (2006), il existe une accumulation généralisée de déceptions envers l'individualisme, le matérialisme et la surconsommation comme mode de vie dominant. Cette déception mène une part importante de la population à rechercher des alternatives au système capitaliste. Ainsi, le sentiment de vacuité qui les habite pousse une quantité importante de gens à rechercher dans des engagements qui les transcendent des accomplissements plus riches, un autre bonheur (Hirschman, 2006). Or, si un tel engouement existe chez une proportion de plus en plus grande de la population des pays occidentaux, on peut se demander si les déceptions privées dont parle Hirschman mènent les individus à s'engager de façon durable au sein des mouvements sociaux. Cette question se pose d'autant plus fortement pour le mouvement écologiste qui, par ses valeurs et son orientation idéologique, critique le mode de vie consumériste et individualiste des sociétés occidentales.

L'idée de contribuer à répondre à ce questionnement est au cœur du présent mémoire. En effet, celui-ci s'inscrit au carrefour d'un intérêt envers le maintien de l'engagement militant, d'une part, et envers le mouvement écologiste, d'autre part. La question générale de recherche à laquelle nous voulons répondre est donc la suivante : Comment expliquer le maintien de l'engagement militant au sein du mouvement écologiste ?

Afin de répondre à cette question, ce mémoire est composé de cinq chapitres : la problématique, le cadre théorique et conceptuel, la méthodologie, l'analyse des résultats et la discussion. Le premier chapitre, celui de la problématique, est divisé en trois sections. La première section présente l'objet de recherche, soit le mouvement écologiste. La deuxième section traite du sujet de recherche, soit le problème du maintien de l'engagement militant. La troisième section présente les facteurs du maintien de l'engagement militant recensés dans les écrits scientifiques. Le deuxième chapitre, celui du cadre théorique et conceptuel, est divisé en deux sections. La première section présente quelques courants théoriques dans

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le champ de la sociologie des mouvements sociaux tandis que la deuxième section présente le concept, les dimensions et les indicateurs que nous avons utilisés pour construire notre cadre d'analyse. Le troisième chapitre, celui de la méthodologie, aborde successivement l'objectif de la recherche, la question de recherche, la proposition générale de recherche, la méthode de recherche qualitative, la méthode de la recherche documentaire, la technique de collecte de données, la technique d'échantillonnage, la méthode d'analyse des données, les critères de validité et de fidélité de même que l'éthique de la recherche. Enfin, les quatrième et cinquième chapitres abordent respectivement l'analyse et l'interprétation des résultats.

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Il faut noter ici une asymétrie entre vie privée et vie publique. Nos fins privées parviennent aisément à remplir presque entièrement notre vie, évinçant ainsi nos activités d'ordre public; c'est bien ce qui se produit très fréquemment dans les conditions de vie modernes, phénomène qu'on a sans grand bonheur désigné du terme de « privatisation » mais le processus inverse ne peut apparaître qu'exceptionnellement (Hirschman, 2006, p. 168).

1. LA PROBLEMATIQUE

Ce chapitre est divisé en six sections. La première section aborde la méthode de la recherche documentaire. La deuxième section traite brièvement des mouvements sociaux avant d'aborder l'objet de cette recherche, soit le mouvement écologiste. La troisième section présente le problème du maintien de l'engagement militant. La quatrième section est une recension des écrits scientifiques sur les facteurs du maintien de l'engagement militant. Enfin, nous abordons successivement la pertinence scientifique et la pertinence sociale d'une recherche portant sur le maintien de l'engagement militant au sein du mouvement écologiste.

1.1 Méthode de la recherche documentaire

Afin de réaliser la recension des écrits scientifiques, plusieurs mots clés ont été utilisés dans le catalogue ARIANE de la bibliothèque de l'Université Laval dont « mouvements sociaux », « mouvement écologiste », « écologisme », « écologistes », « groupes écologistes », « trajectoires individuelles », « récits de vie », « engagement », « engagement militant » et « militantisme ». Cette première opération nous a permis de circonscrire notre sujet de recherche, l'engagement militant, et notre objet de recherche, le mouvement écologiste. Ensuite, plusieurs banques de données ont été consultées dont sociological abstracts, social work abstracts et social services abstracts. Cette deuxième opération nous a permis de trouver des articles scientifiques en lien avec notre objet et notre sujet d'étude. Enfin, une lecture rigoureuse des références bibliographiques des livres et articles scientifiques précédemment sélectionnés nous a permis de trouver d'autres livres et articles scientifiques liés à notre objet et notre sujet de recherche.

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1.2 Les mouvements sociaux

Au cours des années soixante, l'émergence de mouvements sociaux radicalement différents de ceux qui les ont précédés a mené plusieurs théoriciens à se questionner sur la nature de ceux-ci et à identifier ce qui les distinguait de leurs prédécesseurs. Cette émergence a donc donné droit à une effervescence de travaux d'analyse sur la nature, le rôle et les visées de ces nouveaux mouvements sociaux tout en soulignant leur importance sociale et politique (Dalton et al., 1990). Avant de se pencher sur les caractéristiques qui distinguent les nouveaux mouvements sociaux de leurs prédécesseurs nous explorons la notion de mouvement social de manière à clarifier la signification qu'on lui donne dans le cadre de ce mémoire.

Selon Neveu (1996), un mouvement social est composé d'un ensemble :

[d'] individus, ayant en commun d'appartenir à une même catégorie sociale [qui] ont une revendication à faire valoir. Ils expriment leurs demandes par des moyens familiers comme la grève, la manifestation, l'occupation d'un bâtiment public (p.5).

De plus, un mouvement social peut soit être spontané, c'est-à-dire émerger sans que des organisations préexistantes en soient les initiatrices, soit être organisé, c'est-à-dire inscrit dans la durée à l'intérieur de groupes plus ou moins structurés et formalisés par des normes et dispositifs de régulation (Neveu, 1996). Ce mémoire s'intéresse particulièrement à ce dernier type de mouvement social.

Selon Fillieule et Péchu (2000), un mouvement social est une forme particulière d'action collective concertée en faveur d'une cause qui se situe en dehors de la sphère politique institutionnalisée. En ce sens, il est le mode d'action de groupes opprimés, exclus et marginalisés qui expriment leurs revendications en dehors des milieux institutionnalisés, donc à l'extérieur des parlements, des ministères ou des tribunaux en puisant dans un répertoire d'actions collectives (manifestations, boycotts, grèves, etc.) dirigées, la plupart du temps, contre un adversaire identifiable. De plus, selon cette définition, les mouvements

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Selon Melucci (dans Fillieule et Péchu, 2000), un mouvement social se présente sous les aspects suivants:

1) Les «réseaux de mouvements» présentent tous les traits d'une structure segmentée, réticulaire, polycéphale;

2) Il s'agit d'une structure « diffuse » ou mieux de « latence ». Chaque cellule vit sa vie propre en complète autonomie par rapport au reste du mouvement même si elle maintient une série de liens à travers la circulation des informations et des personnes; ces liens deviennent explicites seulement à l'occasion des mobilisations collectives sur des enjeux à propos desquels le réseau latent remonte à la surface, pour ensuite s'immerger à nouveau dans le tissu du quotidien;

3) Le caractère du mouvement est contre-culturel, au sens littéral;

4) Il existe une imbrication croissante entre les problèmes de l'identité individuelle et l'action collective. L'action du groupe n'est pas separable de la recherche personnelle, des besoins affectifs de communication des membres, dans leur existence quotidienne (p.142-143).

De cette dernière définition, retenons particulièrement le quatrième aspect, lequel nous semble fondamental pour répondre à notre question de recherche. Selon cette définition, il n'est pas possible de séparer l'action d'un mouvement social de la recherche individuelle de rétributions identitaires par ses membres. Selon nous, cette caractéristique d'un mouvement social démontre qu'il est possible que le problème du maintien de l'engagement militant au sein du mouvement écologiste réside en partie dans la conjonction entre les caractéristiques d'une organisation militante et celles des individus qui le composent.

Pour sa part, Kriesi (dans Neveu, 1996) identifie deux vecteurs qui permettent de distinguer les différents types de regroupements à l'intérieur des mouvements sociaux. Le premier vecteur a trait au degré de participation des adhérents. Celui-ci s'échelonne du militantisme le plus activiste à une absence totale de participation dans les mouvements sociaux. Le deuxième renvoie à l'orientation principale de l'organisation dans laquelle évoluent les militants, selon qu'elle s'oriente vers les membres de l'organisation sous forme de

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autorités politiques. En utilisant ces deux vecteurs de compréhension des mouvements sociaux, nous affirmons que le sujet d'étude de ce mémoire est composé de militants actifs engagés au sein d'un groupe écologiste, lequel évolue à l'extérieur de la politique institutionnalisée et oriente ses actions majoritairement contre les autorités publiques et privées.

1.2.1 Le mouvement écologiste

Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, le mouvement écologiste reprend de l'ampleur. En effet, à notre époque, la cause écologique est dans l'air du temps. Elle est perçue comme légitime en regard du contexte historique dans lequel nous nous trouvons (Mercier, 1997). Ainsi, un nombre de plus en plus important d'individus sont sensibilisés et conscientisés par rapport aux problèmes écologiques. En fait, la prise de conscience des problèmes environnementaux a mené à un nombre important de points de vue idéologiques et de revendications en regard des causes à l'origine de la crise écologique et des solutions susceptibles d'y remédier (Mercier, 1997).

Tout d'abord, l'écologisme se distingue fortement de l'environnementalisme avec lequel il est souvent confondu. À l'instar des écologistes, les environnementalistes dénoncent les multiples problèmes environnementaux qui découlent du productivisme capitaliste. Cependant, contrairement aux écologistes, les environnementalistes ne remettent généralement pas en question les fondements de la société occidentale moderne, soit le libéralisme économique, la consommation et le productivisme. Selon eux, c'est en s'attaquant aux symptômes de la crise écologique (la pollution de l'air et de l'eau, la deforestation, le réchauffement climatique, etc.) que nous parviendrons à limiter la dégradation environnementale.

De plus, pour les environnementalistes, la crise écologique résulte d'une mauvaise gestion des ressources naturelles. Selon eux, c'est en créant de nouvelles technologies qui réduiront

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réside donc dans l'innovation technologique et les progrès scientifiques. Enfin, contrairement à l'écologisme, l'environnementalisme ne remet pas en cause les structures hiérarchiques présentes au sein des sociétés occidentales (Robitaille, 1992).

Selon Mercier (1997), quatre principes distinguent les écologistes des environnementalistes. En premier lieu, contrairement aux environnementalistes, les écologistes soulignent que nous devons garder une certaine humilité par rapport à notre capacité à intervenir de façon pertinente envers la nature puisque plusieurs phénomènes naturels sont irréversibles. Deuxièmement, les écologistes plaident en faveur d'institutions et de projets à échelle humaine puisque, selon eux, plusieurs problèmes environnementaux proviennent des dimensions démesurées de nos institutions : les multinationales, les autoroutes, les bureaucraties, les grands centres d'achats, etc. Ensuite, les écologistes défendent le principe de subsidiarité, lequel postule qu'une tâche administrative ou politique ne devrait pas être octroyée à une institution de niveau supérieur lorsqu'elle peut être réalisée par une entité locale. Enfin, les écologistes affirment que la spécialisation excessive devrait être évitée puisque, bien qu'elle puisse offrir des résultats intéressants à court terme, elle est rarement soutenable à long terme.

Outre la distinction importante qui doit être faite entre écologistes et environnementalistes, il existe de nombreux courants idéologiques au sein même du mouvement écologiste, lesquels mènent souvent à des conflits. Comme le mentionne Mercier (1997):

[...] the ecologist movement is now made up of a collage of different meanings and forms of action. In fact, there has been so much fragmentation of the movement that its different schools have an increasingly problematic relationship to each other (p.l).

Bien qu'il existe de nombreux courants idéologiques au sein du mouvement écologiste, nous avons choisi d'en présenter trois que nous jugeons particulièrement importants, soit l'écologie profonde, l'écoféminisme et l'écologie sociale. Dans les lignes qui suivent, nous

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cette présentation est de circonscrire le courant idéologique du groupe écologiste au sein duquel les répondants de ce mémoire ont été choisis, soit l'écologie sociale, en le comparant à deux autres écoles de pensée.

1.2.1.1 L'écologie profonde

L'écologie profonde est un courant de pensée essentiellement américain qui puise ses racines dans la pensée de théoriciens comme Peter Zapffe, Arnae Ness et Aldo Leopold (Robitaille, 1992). Ce courant idéologique rejette le dualisme moderne entre l'homme et la nature. En fait, pour les tenants de ce courant de pensée, les hommes font partie de la nature, et doivent respecter les éléments naturels qui les entourent. De plus, les tenants de l'écologie profonde croient que les causes de la crise écologique découlent de l'anthropocentrisme et du dualisme hiérarchique valorisés par la tradition philosophique occidentale et par les religions judéo-chrétiennes qui ont conduit les êtres humains à se croire supérieurs à la nature. À l'anthropocentrisme moderne, les tenants de l'écologie profonde opposent le biocentrisme, lequel cherche à replacer les droits des membres de la communauté naturelle au centre du paradigme dominant de notre époque. Contrairement à l'écologie sociale, l'écologie profonde milite donc contre toute intervention humaine dans l'environnement naturel (Devall et Sessions, 1985).

De plus, les tenants de l'écologie profonde attribuent l'état actuel de l'environnement au mode de pensée fondé sur la mécanisation et la spécialisation, lesquelles sont liées à la progression de la raison instrumentale, de la pensée linéaire et de la séparation entre le corps et l'esprit. Selon eux, ce type de pensée a irrémédiablement mené vers une objectification de la nature et une séparation entre l'homme et la nature (Devall et Sessions,

1985). Par conséquent, les écologistes profonds proposent de changer la domination de cette vision du monde en changeant notre perception et nos habitudes cognitives. Ainsi, au lieu de rechercher la spécialisation, nous devrions chercher à diversifier nos occupations et au lieu de se séparer des éléments de la nature, nous devrions chercher à nous fusionner davantage à eux. Pour les écologistes profonds, le monde mécaniciste moderne est

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prochain et envers la nature. Par conséquent, la solution aux problèmes environnementaux réside dans une révolution spirituelle (Mercier, 1997).

1.2.1.2 L'écoféminisme

À l'instar de l'écologie sociale, l'écoféminisme constitue une critique à la fois de la hiérarchie sociale et de la domination de l'être humain sur la nature. Cependant, l'écoféminisme s'attarde de façon plus importante à la domination de l'homme sur la femme que l'écologie sociale (Robitaille, 1992). Ainsi, l'écoféminisme tente de rapprocher l'écologisme et le féminisme en faisant des liens entre l'oppression des femmes et celle de la nature. Les tenants de l'écoféminisme affirment donc que la première source d'oppression vient du patriarcat, c'est-à-dire du rapport hiérarchique entre l'homme et la femme. Du patriarcat découle un rapport hiérarchique entre les êtres humains et la nature (Mies et Shiva, 1993).

Les sources communes de l'oppression de la nature par les humains et de l'oppression des femmes par les hommes sont d'abord de nature historique mais les explications de ces deux formes d'oppression sont, en fait, nombreuses et variées. Certaines auteures écoféministes affirment que la femme a toujours été associée à l'environnement à cause des manifestations plus observables de la nature (menstruations, grossesse, accouchement) chez la femme que chez l'homme (Davies, 1987). Les femmes ont ainsi été associées à des lieux de fertilité comme la terre. Certaines écoféministes affirment aussi que les hommes ont été associés à la pensée rationnelle et ont historiquement été considérés supérieurs aux femmes, lesquelles sont jugées plus émotives et passionnelles :

Humankind's role in the natural order was perceived in terms of the superiority of the human intellect over emotion, with men being associated with the former and women with the latter. These associations were deemed to give men the right to control women and nature (Davies, 1987, p.4).

Enfin, comme les écologistes profonds, les écoféministes plaident contre toute intervention humaine dans la nature, estiment que l'origine des problèmes environnementaux est sociale

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et politique et refusent le dualisme entre la nature et l'être humain tel qu'il existe dans le monde moderne (Mies et Shiva, 1993).

1.2.1.3 L'écologie sociale

Le développement du courant de l'écologie sociale est fortement associé à la pensée du théoricien anarchiste américain Murray Bookchin. La pensée de Bookchin s'est développée suite à la prise de conscience des problèmes sociaux causés par le développement du système capitaliste (chômage, pauvreté, isolement, détresse psychologique, etc.) et puise ses fondements sur des concepts marxistes, socialistes et anarchistes (Robitaille, 1992). Selon Bookchin, les problèmes écologiques tirent leurs racines des rapports d'exploitation dominants-dominés qui sont apparus à la suite de l'apparition du système capitaliste en Occident. Ainsi, pour les tenants de l'écologie sociale, la crise écologique que l'humanité traverse depuis quelques décennies provient de la domination de l'homme par l'homme dans les sociétés capitalistes. Par conséquent, les causes de la crise écologique sont sociales et politiques et non technologiques ou démographiques. Pour Bookchin (1993), les problèmes sociaux et la crise écologique proviennent de la même source, soit celle du développement du mode de production capitaliste. Comme le mentionne Robitaille (1992) :

Les écologistes sociaux remettent donc en question l'économie de croissance, qui centre toute la société autour de la production, aliène le travail, rend les humains toujours plus voraces en énergie, redistribue mal les richesses qu'elle crée et, en bout de course, détruit l'environnement (p.40).

De plus, selon Bookchin (1993), ce sont par des moyens sociaux collectifs que les êtres humains parviendront à résoudre les problèmes sociaux et écologiques de notre temps. C'est pourquoi les tenants de l'écologie sociale proposent une solution sociale et politique à la crise écologique par la promotion d'un véritable projet révolutionnaire de reconstruction sociale en dehors de la politique institutionnalisée (Jurdant, 1984). Or, ce projet révolutionnaire passe nécessairement par l'autogestion et la démocratie directe. Comme le mentionne Robitaille (1992) :

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Sur le plan des idées politiques, l'écologie sociale s'articule autour des principes anarchistes, c'est-à-dire qu'il milite contre l'État et plaide en faveur d'une autogestion. [...] Par la mise sur pied d'une réelle démocratie et le respect des valeurs démocratiques comme l'égalité, la participation (sans représentation, la démocratie doit être directe) et la liberté réelle, on pourra limiter les besoins de la société, concevoir un rapport harmonieux avec la nature et mettre fin à son exploitation (p.41).

Au Québec, le courant de l'écologie sociale s'est entre autres développé à la suite de la parution du livre Le défi écologiste de Michel Jurdant en 1984, lequel a fortement contribué à faire connaître la pensée de Murray Bookchin. Or, plusieurs groupes écologistes québécois se sont fortement inspirés de l'écologie sociale pour créer leur mission et pour établir leur mode de fonctionnement. Dans le cadre de ce mémoire, nous avons choisi de nous concentrer sur des militants engagés au sein d'un de ces groupes.

La prochaine section présente le problème auquel cette étude propose d'apporter des éléments de réponse, soit celui du maintien de l'engagement militant.

1.3 Le problème du maintien de l'engagement militant

Selon Ion (1997), le modèle de militantisme dominant des années soixante et soixante-dix est lié à la fidélisation à une organisation. Les « bons militants » de cette époque inscrivent leurs actions dans la continuité, la durée et ce, au sein d'une même organisation et pour une même cause. Comme le soulignent Havard Duclos et Nicourd (2005), le militant des années soixante et soixante-dix est souvent engagé de façon stable et durable et « son dévouement aux finalités politiques ou religieuses qui l'animent passe par un dévouement à l'organisation qui les incarne.» (p. 151). Au cours de ces années, le maintien de l'engagement militant est valorisé car il est dans l'air du temps de limiter l'importance qu'on accorde à sa vie privée au profit d'une cause qui transcende son individualité (Piotte, 1987). De plus, l'ensemble du capital (culturel, social, économique, etc.) d'un militant dépend en grande partie du maintien de son engagement au sein des mêmes cadres organisationnels.

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Au début des années 1980, dans un contexte de progression de l'idéologie néolibérale et d'un désengagement de l'État social, on assiste à l'apparition d'une nouvelle génération d'associations dans l'espace public. Ces nouvelles associations cherchent à pallier au désengagement de l'État social en contribuant à régler concrètement des problèmes individuels quantifiables et mesurables. De plus, elles sont davantage fondées sur le modèle caritatif et philanthropique et axées vers l'efficacité gestionnaire. Pour être légitime aux yeux de l'opinion publique (le gouvernement, les donateurs publics et privés, les médias), elles doivent être capables de démontrer leur utilité sociale (Havard Duclos et Nicourd, 2005).

Or, la multiplication de ce type d'associations entraîne une forte concurrence entre elles et une forte dépendance envers le financement de l'État, lequel tente de limiter ses dépenses. C'est pourquoi une grande partie de leur temps de travail est consacrée à la recherche de subventions allouées sur la base de projets à court terme et non sur la base de la mission de l'organisation. Cet état de fait a comme conséquence de fragiliser les associations et de limiter l'effort consacré à la vie associative et à la fidélisation des militants. Par conséquent, un grand nombre d'entre elles deviennent principalement constituées de permanents dont une grande partie des efforts est consacrée à la recherche de financement. Cette situation modifie de façon importante la structure organisationnelle et la mission des associations (Fillieule, 2005).

Les nouvelles formes d'engagement militant de l'époque actuelle sont héritières de ces changements structurels. En effet, les formes d'engagement offertes par les organisations militantes d'aujourd'hui ont passablement changé depuis les années soixante. Le type d'engagement valorisé par les militants se transforme lui aussi. Ainsi, l'autonomie et la liberté sont davantage valorisées par les militants que la fidélité. En fait, plusieurs auteurs affirment que le désengagement militant est une des principales difficultés auxquelles doivent faire face les groupes militants d'aujourd'hui (Passy, 2005; Stangherlin, 2005; Hirschman, 2006; Filleule, 2005; Gottraux, 2002). Selon Ion (1997), une des

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désengagement fréquent des militants. Comme le mentionnent Havard Duclos et Nicourd (2005):

La certitude d'être du bon côté de l'histoire, de répondre à une norme commune du bon citoyen, est plus que jamais fragile, en tout cas éminemment plus problématique qu'elle ne l'a été à d'autres moments récents de notre histoire. [...] L'impression de versatilité des engagements nous indique que l'ancrage des individus est particulièrement difficile à réaliser aujourd'hui (p. 193-194).

Selon Fillieule (2005), ce changement historique explique en grande partie l'intérêt grandissant de la recherche envers le phénomène de l'engagement militant. Cependant, cet auteur souligne aussi que le problème du maintien de l'engagement militant fait peu partie des préoccupations des chercheurs en sciences sociales. Comme il le souligne:

En matière d'analyse du comportement militant, la sociologie des mouvements sociaux s'en est longtemps tenue à la question de l'enrôlement plutôt qu'à celle du maintien de l'engagement ou de son déclin (p.31).

Par ailleurs, selon Neveu (1996), la sociologie des mouvements sociaux s'est surtout intéressée au travail d'objectivation de certains facteurs du militantisme. De plus, elle s'est moins intéressée à l'engagement dans les associations que l'engagement dans les partis politiques. Enfin, elle a prêté peu attention à l'expérience vécue des militants et à leur subjectivité. C'est pourquoi ce mémoire se propose d'aborder le problème du maintien de l'engagement militant au sein du mouvement écologiste sous l'angle de la subjectivité des acteurs et du sens qu'il donne à leur action.

Enfin, nous avons choisi de nous intéresser à l'engagement sous un angle processuel, car comme le précise Passy (2005), « les trajectoires qu'empruntent les militants une fois engagés ont très faiblement suscité l'intérêt des chercheurs.» (p.l 11). Ainsi, en plus de privilégier un angle microsociologique et constructiviste sur le phénomène qui nous intéresse, nous nous attarderons aussi aux processus qui mènent au maintien de l'engagement. En résumé, il s'agit donc de contribuer à renouer avec l'impératif de la

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sociologie interprétative, soit celle de réintroduire la dimension subjective dans le champ du militantisme afin de reprendre du terrain sur son objectivation.

La prochaine section explore la manière dont différents chercheurs en sciences sociales ont tenté de comprendre les facteurs du maintien de l'engagement militant. On y présente donc huit facteurs du maintien de l'engagement militant tels que recensés dans les écrits scientifiques.

1.4 Les facteurs du maintien de l'engagement militant

Il existe plusieurs manières de classifier les différents facteurs qui interviennent dans le maintien de l'engagement militant. Pour sa part, McAdam (2005) répertorie quatre facteurs: le développement d'engagements qui entrent en concurrence avec l'implication dans le mouvement, l'hypothèse de la disponibilité biographique (l'individu est plus susceptible de se mobiliser durant les phases du cycle de vie où il est libre de toute autre forme d'engagements concurrents), la démobilisation collective (le groupe se convainc de la futilité de ses buts ou est parvenu à atteindre les objectifs qu'il visait, ce qui entraîne la dissolution du groupe) et enfin, l'épuisement des membres.

Passy et Giugni (2001), quant à eux, dénombrent trois grands facteurs : la détention d'un système de valeurs spécifiques cohérentes avec celles du groupe, l'appartenance à des réseaux sociaux permettant de solidifier les identités et de jeter des ponts entre les individus membres d'un groupe et enfin, une évaluation objective et subjective commune des barrières au passage des dispositions à l'action. Selon ces deux auteurs, le premier facteur est trop stable et le dernier est trop volatil pour pouvoir expliquer le phénomène du maintien de l'engagement. C'est pourquoi, selon eux, l'appartenance à des réseaux sociaux représente le facteur la plus susceptible d'éclairer notre compréhension du maintien de l'engagement militant.

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d'engagement : les facteurs biographiques, organisationnels et institutionnels. Les facteurs biographiques réfèrent à deux éléments principaux, soit les ressources personnelles des acteurs (culturelles, sociales, cognitives et de l'expérience vécue) et les raisons d'agir. Étudier les facteurs biographiques permet de mieux comprendre la durée, l'intensité et la forme de l'engagement. Les facteurs organisationnels réfèrent aux caractéristiques ou aux configurations organisationnelles ainsi qu'aux règles, normes et philosophies développées par les organisations. Enfin, les facteurs institutionnels seraient les plus importants pour comprendre le processus du maintien de l'engagement. Elles sont formées des différentes règles, normes et politiques publiques qui ont un impact sur les pratiques des organisations.

Havard Duclos et Nicourd (2005), quant à eux, identifient quatre facteurs du maintien de l'engagement militant: être utile aux autres, donner un sens à sa vie, agir ensemble et être de son époque. De toutes les façons d'expliquer le maintien de l'engagement recensées, cette dernière classification nous semble être la plus éclairante. C'est pourquoi nous avons choisi d'explorer ces quatre facteurs dans le cadre de cette recension des écrits. Pour ce faire, nous avons choisi de renommer ces quatre facteurs de la façon suivante : se sentir utile, donner un sens à sa vie, intégrer un réseau en cohérence avec ses valeurs et la perception de la conjoncture sociohistorique. Nous avons aussi ajouté quatre autres facteurs, lesquels sont aussi tirés de notre recension des écrits, soit les trajectoires biographiques, les sphères de vie, la disponibilité biographique, de même que l'adéquation entre les organisations et les individus.

Enfin, nous avons choisi de diviser les huit facteurs retenus en deux ensembles. Le premier ensemble comprend les facteurs individuels dans lesquels nous avons classé les trajectoires biographiques, donner un sens à sa vie, se sentir utile, intégrer un réseau en cohérence avec ses valeurs, les sphères de vie et la disponibilité biographique. Le deuxième ensemble comprend les facteurs contextuels, soit la perception de la conjoncture sociohistorique et l'adéquation entre l'organisation et les individus. Nous sommes conscients qu'il existe plusieurs autres facteurs susceptibles d'expliquer le phénomène qui nous intéresse mais comme le mentionne Stangherlin (2005), il ne s'agit pas de céder à la tentation de cerner

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éléments peuvent influencer le sujet de notre recherche, soit le problème du maintien de l'engagement militant.

1.4.1 Les facteurs individuels

Les facteurs individuels recensés dans cette section sont présentés sous un angle constructiviste. Il ne s'agit donc pas de décrire l'impact des facteurs individuels à partir d'un point de vue extérieur au sujet, mais bien de les aborder du point de vue de l'acteur lui-même. Les facteurs individuels qui sont présentés successivement sont les suivants : les trajectoires biographiques, se sentir utile, donner un sens à sa vie, intégrer un réseau en cohérence avec ses valeurs, les sphères de vie et la disponibilité biographique.

1.4.1.1 Les trajectoires biographiques

Selon Fillieule et Brocqua (2005), la reconstruction des trajectoires biographiques permet de comprendre le faisceau de circonstances et de choix qui ont mené les individus à choisir de maintenir leur engagement ou non. Tout au long de son parcours, l'individu est confronté à faire des choix, lesquels se révèlent être le produit complexe de facteurs individuels et contextuels. Suite à chaque choix, l'individu est confronté à d'autres choix qui, eux, résultent des choix effectués précédemment :

Autrement dit, à chaque étape de la biographie, les attitudes et comportements sont déterminés par les attitudes et comportements passés et conditionnent à leur tour le champ des possibles à venir, resituant ainsi les périodes d'engagement dans le cycle de vie (Fillieule et Broqua, 2005, p. 217).

Comprendre les trajectoires biographiques permet de mieux cerner la façon dont les individus construisent leur identité. Cependant, il ne faut pas confondre deux univers de sens liés au concept d'identité. Selon Kaufmann (1994), les trajectoires biographiques subjectives constituent les différentes façons dont les personnes tentent de rendre compte de leurs parcours dans les multiples sphères de leur vie en racontant un récit destiné à

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individu à partir de son parcours de vie, y compris les catégories utilisées par un individu pour définir son identité du point de vue d'autrui. Dans le cadre de ce mémoire, nous nous intéressons davantage au premier de ces deux univers de sens.

Selon McAdam (1988), les trajectoires biographiques des militants qui demeurent engagés se démarquent clairement de ceux qui se sont désengagés. Ce serait principalement par l'entremise de moments forts du militantisme au cours du parcours de vie d'un individu, ceux qui créent une trace indélébile dans leur mémoire, que le remodelage identitaire aurait un impact ultérieur sur la volonté de demeurer engagé au sein d'un mouvement. Ces moments forts, émotionnellement chargés, qui s'inscrivent dans leur trajectoire biographique auraient donc un impact important sur la conversion militante et son maintien dans le temps, dans un mouvement que les individus n'ont souvent nullement programmé.

Enfin, selon Dubar (1998), les trajectoires biographiques individuelles peuvent être envisagées de deux façons :

[...] objectivement, comme une «suite de positions» dans un ou plusieurs champs de la pratique sociale, subjectivement, comme une « histoire personnelle » dont le récit actualise des visions du monde et de soi (p.73).

Ainsi, selon la définition et le sens que l'on donne au concept de trajectoires biographiques, on utilisera l'une ou l'autre des méthodes d'analyse. Dans notre cas, nous adoptons le sens subjectif tel que défini par Dubar, c'est-à-dire une trajectoire subjective exprimée dans des récits biographiques par l'acteur social lui-même. En outre, nous nous concentrons sur l'analyse qualitative des diverses trajectoires empruntées par les individus.

1.4.1.2 Se sentir utile

Selon Havard Duclos et Nicourd (2005), les individus maintiennent leur engagement dans les associations parce qu'ils sentent qu'ils sont utiles aux autres et qu'ils aident les personnes qui en ont besoin. Ces individus ont alors la conviction qu'ils ont un rôle à jouer

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valorisée. Cependant, tous ne perçoivent pas les solutions à apporter de la même manière. À cet égard, les personnes engagées socialement auraient trois façons d'être utile aux autres : les pratiques réparatrices, les pratiques visant l'émancipation individuelle et les pratiques visant l'émancipation collective.

Les pratiques réparatrices sont directement issues de l'héritage philanthropique du dix-neuvième siècle. Elles sont axées sur les résultats et l'efficacité. De plus, elles s'inscrivent dans le rapport inégal d'un individu qui demande de l'aide et qui entre en lien avec un individu aidant. Les personnes qui s'engagent dans de telles pratiques le font au nom de deux modalités : la charité philanthropique ou le service professionnalisé. L'objectif principal des bénévoles dont l'action s'inscrit à l'intérieur de pratiques réparatrices est de permettre aux exclus et aux marginaux de réintégrer le système tout en cadrant davantage à l'intérieur des normes sociales dominantes (payer son loyer, avoir un emploi stable, aller à l'école, etc.). De plus, les personnes engagées dans ce type de pratiques tirent la légitimité de leurs actions des réponses concrètes qu'ils apportent aux problèmes sociaux et à leur caractère quantifiable. En ce sens, les structures sociales qui contribuent à perpétuer l'exclusion des usagers ne sont pas remises en question et la formulation politique des problèmes sociaux se trouve disqualifiée (Havard Duclos et Nicourd, 2005).

Les pratiques visant l'émancipation individuelle sont fondées sur la réappropriation du pouvoir d'agir des individus. Elles sont directement issues des pratiques d'éducation populaire. Les individus engagés selon cette logique cherchent à redonner le pouvoir et l'autonomie aux usagers des services sociaux. Généralement, l'idéal qu'ils poursuivent est celui de « permettre aux personnes en souffrance d'exister comme des individus autonomes, maîtres de leurs choix et de leur destin » (Havard Duclos et Nicourd, 2005, p.39). Cependant, les structures sociales qui pèsent sur les parcours de certains groupes sociaux (les immigrants, les personnes défavorisées, les personnes âgées, etc.) ne sont pas nécessairement remises en question.

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Contrairement aux pratiques d'émancipation individuelle, les pratiques visant l'émancipation collective sont davantage axées sur la conquête et la défense de droits sociaux que sur l'éducation individuelle. Ces pratiques visent à mobiliser les individus dans des collectifs, pour leur faire prendre conscience de leurs intérêts communs. Les militants qui s'inscrivent dans ce type de pratique se sentent utiles par leur capacité à contribuer à la mobilisation des gens pour l'atteinte d'une cause commune. Ils acceptent que leur volonté individuelle soit diluée au nom du groupe et au nom du changement social. De plus, comme ils visent davantage la transformation des structures sociales et des normes existantes qu'une simple réforme, les militants dont les actions visent l'émancipation collective trouvent rarement leur place au sein des associations de charité. Enfin, les individus et groupes militants qui inscrivent leurs actions dans ce type de pratiques ont historiquement eu tendance à nier la liberté individuelle au profit des droits collectifs (Havard Duclos et Nicourd, 2005).

1.4.1.3 Donner un sens à sa vie

Selon Fillieule (2001), le maintien de l'engagement militant permet de donner un sens à sa vie. C'est pourquoi les différentes possibilités d'engagement offertes par une association doivent avoir une forte résonance biographique chez la personne qui décide de s'engager. Ainsi, le sujet décide de maintenir ou non son engagement tant et aussi longtemps que celui-ci s'inscrit en continuité avec son histoire personnelle tout en lui donnant un sens cohérent avec son passé. Toutefois, le maintien de l'engagement ne vient pas seulement du fait qu'une personne désire préserver ou rétablir une certaine continuité dans sa trajectoire biographique. Il doit aussi lui permettre d'être fidèle à ses origines, à son passé et aux valeurs qu'il a développées tout au long de sa vie. À cet égard, la sociologie des mouvements sociaux souligne que l'engagement est souvent en lien avec un souvenir du milieu d'où l'on vient et d'une fidélité à celui-ci. Le maintien de l'engagement permet alors de rester en contact avec des valeurs et un sens éthique inculqué par son milieu familial (Fillieule, 2005).

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scolaire, déménagement, perte d'un emploi, etc.) seraient particulièrement propices à favoriser le maintien de l'engagement. Par exemple, la mobilité sociale et la mobilité géographique peuvent entraîner des ruptures importantes dans les trajectoires de vie des personnes, ce qui les mène à rechercher des espaces d'engagement qui peuvent leur permettre de rétablir une certaine continuité dans leur trajectoire et de maintenir le sens qu'ils donnent à leur vie.

Selon Passy (2005), l'engagement se construit essentiellement en fonction des liens sociaux au sein desquels les individus sont imbriqués. Ainsi, l'individu construit son engagement sur la base des réseaux dont il dispose à la suite de son passage par une série d'institutions de socialisation (famille, école, etc.) et en fonction de la reconnaissance des compétences dont il dispose dans un champ d'action donné. Les réseaux sociaux développés avant et après l'enrôlement au sein d'un mouvement social auraient donc une influence primordiale sur la volonté de s'engager, mais aussi de maintenir son engagement à long terme au sein d'un mouvement social. Autrement dit, plus un individu possède des relations amicales significatives et affectives qui gravitent autour de l'univers militant, plus grande serait la possibilité qu'il s'engage à long terme au sein d'un mouvement social. Ce serait donc les liens sociaux significatifs que possède un individu qui donnerait véritablement un sens à sa vie et à son engagement (McAdam, 1988).

Enfin, une autre modalité du maintien de l'engagement en lien avec la construction d'un sens à la vie a trait à la restauration d'une identité blessée. C'est pourquoi on retrouverait souvent au sein des groupes militants des individus qui ont éprouvé des difficultés aux niveaux social, économique et politique. Certaines personnes auront vécu des difficultés dans leur famille, dans leur parcours scolaire ou des carences affectives durant leur enfance. Le maintien de l'engagement dans un groupe militant leur permettrait donc de guérir leurs blessures et de donner un sens à leurs souffrances (Havard Duclos et Nicourd, 2005).

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1.4.1.4 S'intégrer à un réseau social en cohérence avec ses valeurs

Selon Havard Duclos et Nicourd (2005), les individus qui s'engagent dans des associations le font pour l'espace de convivialité que celles-ci leur offrent et donc, pour la possibilité de rencontrer des gens chaleureux et intéressants. De plus, la proximité des trajectoires de vie des militants d'une association particulière fait en sorte de développer un certain sentiment d'appartenance qui incite les gens à maintenir leur engagement. En ce sens, le maintien de l'engagement permet d'élargir considérablement son capital social tout en ayant accès à des biens matériels ou symboliques (un stage pour son enfant, une salle pour fêter son mariage, etc.). Les personnes les moins dotées en ressources sociales peuvent ainsi y trouver une niche leur permettant d'élargir leur réseau. À la suite de leur engagement, l'élargissement du réseau de relations de base provoquerait une forme de cristallisation identitaire chez les militants, laquelle faciliterait le maintien de leur engagement.

Passy (2005), pour sa part, souligne que les chercheurs ont eu tendance à trop insister sur le rôle instrumental des réseaux sociaux au détriment de leur rôle identitaire. Selon elle, l'individu ne conçoit pas son réseau à partir d'un point de vue exclusivement utilitaire, mais il l'interprète et tente d'établir une structure de sens à partir de ses interactions avec ceux qui le composent. Selon elle :

Les réseaux en tant que « réalités phénoménologiques », pour reprendre les propos de Harrison, sont donc des îlots de sens qui non seulement façonnent les identités individuelles et leur donnent leur contenu symbolique, mais influencent aussi la définition et redéfinition perpétuelle des perceptions des acteurs (Passy, 2005, p. 114).

Passy (2005) en arrive donc à deux constats principaux. D'abord, les réseaux sociaux sont des îlots de sens, des réalités phénoménologiques qui rendent l'action possible. En ce sens, ils sont imprégnés de schémas narratifs, de symboles et de rituels qui structurent des constructions de sens. Ensuite, l'acteur a une marge de liberté dans ces constructions de sens. Cette conception phénoménologique et interprétative des réseaux permet de faire le lien entre le poids des structures et le rôle de l'acteur. Selon cette conception, on devrait

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militant (soutien émotionnel, agrandir son réseau, source d'informations, etc.) mais aussi son rôle symbolique et identitaire qui façonne le sens de l'action humaine.

Enfin, il semblerait que le maintien de l'engagement militant puisse aussi permettre de s'intégrer à un réseau permettant de se préparer à un emploi ultérieur dans une autre association ou même dans celle dans laquelle milite l'individu. Plusieurs militants voient les expériences associatives comme une des premières étapes de leur socialisation professionnelle. En fait, maintenir une activité militante permettrait de garder des avantages similaires à ceux obtenus par l'entremise d'un emploi rémunéré. Ces avantages incluent la structuration et l'organisation de son temps, la préservation d'un équilibre entre les sphères familiale, professionnelle et amicale, l'acquisition de compétences dans un cadre moins menaçant que celui du marché du travail et l'acquisition d'un rôle et d'un statut social. Dans ces circonstances, il arrive fréquemment que l'engagement se maintienne parce que les pratiques militantes viennent se confondre avec l'investissement dans un emploi potentiel. L'engagement associatif est alors perçu comme un tremplin vers le marché du travail à cause des compétences qu'il permet de développer (Havard Duclos et Nicourd, 2005).

1.4.1.5 Les sphères de vie

Selon Passy (2005), les individus possèdent une pluralité plus ou moins diversifiée de sphères de vie. Dans le monde moderne, la vie d'un individu comprend plusieurs sphères : la sphère du travail, la sphère familiale, la sphère des études, la sphère des engagements militants et bénévoles, etc. Les sphères de vie ont à la fois une dimension subjective et une dimension objective. La dimension objective se traduit par l'appartenance d'un individu à différentes structures (travail, famille, études, etc.) desquelles émerge un système d'interactions sociales à l'intérieur duquel l'individu doit assumer un rôle. Ces sphères de vie sont en constante interaction entre elles. La dimension subjective est liée à la structure de sens que donne l'acteur à chacune des sphères de sa vie.

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La variété et l'interdépendance entre les différentes sphères de vie sont tributaires des positions occupées par les individus dans la structure sociale. De plus, pour chacune de leurs sphères de vie, les individus sont amenés à accomplir des rôles spécifiques dans lesquels ils sont plus ou moins « coincés ». Or, leur identité est le produit d'ajustements à ces rôles. Il en découle que les sorties de rôle peuvent entraîner des renégociations identitaires plus ou moins déchirantes. Selon cette conception, les rétributions symboliques et identitaires que les individus perçoivent par rapport au maintien de leur engagement varient selon la variété et le degré d'interdépendance entre leurs différentes sphères de vie. Ainsi, plus la sphère de l'engagement militant serait intimement connectée aux autres sphères de vie (famille, travail, études), plus l'engagement militant serait stable et durable. Inversement, moins les sphères de vie seraient imbriquées et intimement connectées les unes avec les autres, moins l'individu aurait tendance à maintenir son engagement sur une longue durée (Passy, 2005).

Pour cette raison, selon Passy (2005) il est particulièrement fréquent que le choix professionnel d'un individu soit lié à ses choix d'engagement. Souvent, le travail et les engagements militants d'un individu font partie d'un tout cohérent. De plus, sa vie affective est souvent liée à son engagement. En ce sens, les gens engagés marient des personnes qui ont les mêmes préoccupations qu'eux. Cette imbrication entre les sphères de vie d'un individu contribue ainsi au renforcement du maintien du sens de son action militante :

Cette imbrication des sphères leur permet d'être symboliquement en constante interaction avec la problématique de leur engagement. Cette interaction perpétuelle entre leurs sphères de vie, c'est-à-dire avec eux-mêmes, permet à la fois de définir et de redéfinir leurs intérêts et identités politiques, leurs perceptions à l'égard de leur engagement et leur insertion dans les réseaux sociaux. Ce processus d'interactions symboliques renforce leur engagement et rend plus difficile l'option du désengagement (Passy, 2005, p.122).

Enfin, les sphères de vie n'occupent pas toutes la même place dans la vie de chacun. Leur place dépend du degré d'investissement qu'y consacrera un individu. Ainsi, plus un individu investit du temps et de l'énergie dans une sphère en particulier, plus celle-ci

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particulièrement vrai pour les trois sphères de vie qui sont généralement les plus importantes dans nos sociétés occidentales, soit les sphères de la famille, du travail et des études. Ces trois sphères de vie ont un impact direct sur celle de l'engagement militant. Plus ces trois sphères de vie sont intimement connectées avec celle de l'engagement militant, plus l'individu a des chances de stabiliser son engagement. Inversement, un individu dont la sphère de l'engagement militant est faiblement liée à celles de la famille, des études et du travail aura plus de chances de ne pas poursuivre son engagement (Passy, 2005).

1.4.1.6 La disponibilité biographique

Selon Gottraux (2002), les analyses du militantisme devraient davantage inclure les stades de vie dans les micro-histoires singulières des individus. Pour bien comprendre et expliquer le maintien de l'engagement militant, il faudrait donc se pencher sur les forces sociologiques qui façonnent la vie des individus aux différents stades de leur vie. Ainsi, le défi est entre autres de comprendre comment chacune des sphères de la vie d'un individu (professionnelle, scolaire, affective, etc.) interagissent entre elles et influence la sphère militante selon le stade de vie auquel est rendu un individu :

De manière générale, ces diverses insertions, dont la militante, constituent ainsi un système de relations et toute transformation dans l'une d'elles se répercute sur les autres. La tension n'est donc pas statique, mais plutôt dynamique et susceptible de varier au gré des circonstances et des transformations des insertions particulières (Gottraux, 2005, p.81).

Il importe ici de faire la distinction entre les sphères de vie, les trajectoires biographiques et la disponibilité biographique tout en précisant le lien qui unit ces trois facteurs. Les sphères de vie réfèrent à l'ensemble des rôles sociaux (étudiant, mari, père de famille, militant, etc.) joués par un individu à un moment précis de sa vie. Les trajectoires biographiques

représentent les différentes façons dont les individus tentent de rendre compte de leurs parcours en racontant un récit destiné à justifier la position où ils sont rendus à un moment

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adulte, retraité, etc.) auquel il est rendu. Par exemple, un étudiant peut posséder des sphères scolaire, sociale et affective plus souples et donc, plus facilement compatibles avec la sphère militante qu'un professionnel à temps plein qui doit concilier les sphères professionnelle et familiale avec celle du militantisme. L'étudiant et le professionnel père de famille doivent donc composer avec des sphères de vie agencés de manière différente parce qu'ils ne sont pas rendus au même stade de vie. Us n'ont donc pas la même disponibilité biographique par rapport au militantisme dû au fait que leurs sphères de vie ne sont pas configurées de la même manière.

De plus, il importe de comprendre le changement de perception par rapport au militantisme qui survient selon le stade de vie d'un individu, c'est-à-dire la partie subjective de la disponibilité biographique. Gottraux (2005) souligne que le maintien de l'engagement est intimement lié à la perception des rétributions symboliques et identitaires (intégration, formation, sociabilité, gratification narcissique, etc.) qu'un militant obtient grâce à son implication dans un organisme. Selon lui, la perception de ces rétributions varie selon le stade de vie auquel se situe un individu. Ainsi, ce qui peut être perçu comme gratifiant à un moment donné sera plus tard perçu de façon moins positive en vertu d'un changement dans les rôles sociaux dominants qu'une personne doit jouer selon le stade de vie auquel elle se trouve. Comme le mentionne Stangherlin (2005) :

Selon le moment du parcours de vie, l'individu est tout simplement plus disponible pour des raisons professionnelles ou privées. Cette disponibilité peut se traduire par des éléments objectifs indépendamment de la volonté de la personne, c'est-à-dire les heures prestées, mais peut aussi être un choix en termes de priorités personnelles et de valeurs OP-50).

Selon Gottraux (2005): « Ce qui peut à une certaine période de la vie répondre à des attentes peut devenir, à un autre moment, obsolète et ne plus rétribuer à la hauteur des attentes antérieures. » (p.84). Les conflits de rôles guettent alors le militant à cause de la tension qui survient dans le bricolage des identités reliées à ces rôles. En d'autres termes, cette approche repose sur l'idée que les rôles offerts aux individus aux différents âges de

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donc en accord avec l'idée que les individus, à mesure qu'ils vieillissent trouvent leur place dans la société et abandonnent graduellement leurs idéaux, ce qui les mène souvent à se désengager progressivement des mouvements auxquels ils étaient attachés lorsqu'ils étaient plus jeunes (Hirschman, 2006).

Fillieule (2001), pour sa part, souligne que le facteur le plus important pour comprendre le désengagement au sein des associations de lutte contre le sida est lié à l'évolution de la disponibilité biographique pour des raisons familiales ou professionnelles. L'analyse des facteurs contribuant au maintien de l'engagement militant devrait donc intégrer le changement longitudinal dans l'histoire individuelle des acteurs avec ses étapes, ses continuités et ses ruptures, ses éventuelles parenthèses de disponibilités temporelles et motivationnelles pour l'activité militante. Il faudrait aussi tenir compte du vieillissement à la fois biologique et social de l'individu de même que des changements de disponibilité objective et subjective à militer (Fillieule, 2001).

1.4.2 Les facteurs contextuels

Les facteurs contextuels recensés dans cette section sont présentés sous un angle constructiviste. Il ne s'agit donc pas de décrire l'impact de facteurs contextuels à partir d'un point de vue extérieur au sujet mais bien de les aborder du point de vue de l'acteur lui-même. Les facteurs contextuels qui seront présentés sont les suivants : la perception de la conjoncture sociohistorique de même que l'adéquation entre l'organisation et les individus.

1.4.2.1 La perception de la conjoncture sociohistorique

La manière dont les individus définissent l'époque dans laquelle ils vivent a un impact important sur leur volonté de maintenir leur engagement militant. Selon plusieurs auteurs (Ollitrault, 2001; Ion, 1997; Fillieule, 2005; Havard Duclos et Nicourd, 2005), il est possible de diviser les conjonctures sociohistoriques du militantisme en deux époques distinctes, soit le « militantisme total » issu des années soixante et soixante-dix et « le

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Selon Havard Duclos et Nicourd (2005), chaque génération possède ses héros, chaque contexte sociohistorique crée des références légitimes et possède ses repères normatifs. Ainsi, à la figure du « militant total », totalement engagé pour la cause défendue par les grandes institutions (partis, syndicats) au sein desquelles il milite, a succédé la figure du « militant distancié », lequel préfère diversifier ses engagements au sein de petites associations de la société civile tout en les articulant autour des autres sphères de sa vie personnelle (familiale, scolaire, professionnelle). Le « militant distancié » gère ses différents engagements de manière à s'assurer un équilibre personnel et une bonne qualité de vie tandis que le « militant total » choisit plutôt de se dévouer entièrement à une cause par l'entremise d'une organisation à laquelle il demeure entièrement fidèle. Ainsi, les nouveaux modèles d'engagement issus des années quatre-vingt-dix et deux mille valorisent « l'engagement de proximité, pragmatique, circonscrit et affranchi à l'égard des organisations faisant preuve d'une solidarité immédiate » (Havard Duclos et Nicourd, 2005, p. 145) et dévalorisent l'engagement intellectuel, politique et religieux global qui caractérisait bon nombre de militants issus des années soixante et soixante-dix.

Lorsque Gaxie (1977) souligne « l'effet surgénérateur » de l'engagement, il fait référence à l'engagement pour un type particulier d'organisations qui s'apparente à la notion d'institution totale introduite par Goffman (1968), c'est-à-dire une forme d'institution demandant à ses membres une orientation globale à l'intérieur de laquelle il n'existe plus de distinction entre la sphère privée et la sphère publique. Un tel type de militantisme prend souvent racine à l'intérieur d'organisations inscrites dans un processus de changement sociopolitique en profondeur, lequel exige une implication profonde de la part des militants qui y adhèrent.

L'étude de Piotte (1987) démontre clairement que cet effet surgénérateur peut rarement se perpétuer sans avoir un impact important sur la vie des militants. En effet, son étude démontre qu'un grand nombre de militants totaux se sont investis pour une cause (la libération nationale, la fin de la guerre du Vietnam, etc.) de façon démesurée au cours des années soixante et soixante-dix. Bon nombre d'entre eux en ont sacrifié les autres sphères

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prix fort élevé pour leur qualité de vie (désaffiliation, pauvreté, problèmes de santé mentale, etc.). Piotte (1987) souligne aussi qu'un nombre important de ces militants totaux sont passés par une phase de désillusion au tournant des années 1980 lorsqu'une récession économique et un retour en force du courant néolibéral sont survenus dans l'ensemble des pays occidentaux.

À l'instar de Havard Duclos et Nicourd (2005), Ion (1997), affirme qu'il existe deux types d'engagements distincts, soit « l'engagement total » et « l'engagement distancié ». Pour lui, le caractère permanent de l'engagement que l'on retrouvait encore au sein de l'époque où l'engagement total était davantage valorisé fait place à celui de la mobilité issue de l'engagement distancié :

À l'engagement symbolisé par le timbre renouvelable et collé sur la carte, succéderait l'engagement symbolisé par le post-it, détachable et mobile : mise de soi à disposition, résiliable à tout moment (Ion, 1997, p.81).

Deux éléments principaux distingueraient le militantisme distancié du militantisme total. D'abord, sur le plan des finalités de l'engagement, la nécessité de résoudre des problèmes individuels quantifiables et mesurables est priorisée sur le changement des structures sociales qui perpétuent ces mêmes problèmes. Ensuite, au niveau des modalités de relation entre collectifs et individus, on valorise une plus grande distanciation des individus par rapport aux institutions et à leurs prescriptions (Havard Duclos et Nicourd, 2005).

Maffesoli (1988) poursuit dans la même veine lorsqu'il souligne la mobilité de l'engagement et la multiplicité des groupes d'appartenance possibles qui caractérisent les militants de l'époque post-moderne. Cette mobilité peut mener à un pluralisme idéologique chez un même individu :

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Figure 1: SCHEMA CONCEPTUEL

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