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Se reconstruire après une fin du monde : analyse des sociétés post-apocalyptiques dans trois fictions anglo-saxonne récentes

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Academic year: 2021

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© Diana Maude Couture, 2019

Se reconstruire après une fin du monde: Analyse des

sociétés post-apocalyptiques dans trois fictions

anglo-saxonne récentes

Mémoire

Diana Maude Couture

Maîtrise en études littéraires - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Se reconstruire après une fin du monde

Analyse des sociétés post-apocalyptiques dans trois fictions

anglo-saxonnes récentes

Mémoire

Diana Maude Couture

Sous la direction de :

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Résumé

En nous appuyant sur un corpus composé de Silo de Hugh Howey, de la série

Divergent de Veronica Roth et finalement de la série The 100 de Morgan Kass, nous

analyserons la reconstruction d’une société après l’impact d’un cataclysme ayant de nombreuses conséquences : la chute d’un monde tel que connu jusqu’alors, l’isolation, la perte de structures et la décimation de la majorité de la population. Les œuvres choisies mettent en scène des sociétés déjà reconstruites, où l’apocalypse s’est produite il y a plusieurs générations. Les choix de sociétés mises en place devient alors significatif d’une volonté de mettre de l’avant un certain type de réorganisation postérieure au cataclysme. Nous nous intéresserons donc à cette reconstruction en observant d’abord les éléments qui indiquent ce qu’était la vie sur Terre avant l’apocalypse ; l’apparence et l’état de la Terre avant la catastrophe, mais aussi le type de sociétés établies dans ce monde futuriste. Nous analyserons également le choix des catastrophes en nous questionnant sur les causes et les impacts des cataclysmes choisis (attaque nucléaire, arme biologique, bombardements, etc.). Par la suite, nous nous attarderons à l’instauration et au fonctionnement des sociétés établies dans les différents domaines (politique, économique, judiciaire). Dans notre dernier chapitre, nous nous questionnerons sur les sources de conflits qui viennent troubler le statu quo traduit par l’immobilisme de la société, notamment en ce qui a trait aux événements entourant l’apocalypse (par exemple, les causes du cataclysme sont souvent gardées sous silence par les dirigeants). Finalement, nous interpréterons les thèmes récurrents que partagent les œuvres du corpus.

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Table des matières

RÉSUMÉ III

ABRÉVIATIONS VI

REMERCIEMENTS VII

INTRODUCTION 1

1. ÉTAT ANTÉRIEUR DES CHOSES 8

1.1APPARENCE PHYSIQUE DE LA TERRE AVANT L’APOCALYPSE 9

1.2SITUATION SOCIALE AVANT L’APOCALYPSE 12

1.3EXPLORATION DES DIFFÉRENTS TYPES DE CALAMITÉS DANS LE ROMAN DE SCIENCE

-FICTION 23

1.31TYPE DE CATASTROPHE DANS LES ROMANS DU CORPUS QUI SONT DES ŒUVRES RÉCENTES

(2011) 29

1.32CAUSES DES CATACLYSMES 31

1.33TEMPORALITÉ DE L’APOCALYPSE 33

1.4IMPACT PHYSIQUE DU CATACLYSME SUR LA TERRE ET LES SURVIVANTS 39

1.41CONSÉQUENCES SUR LA TERRE 39

1.42CONSÉQUENCES IMMÉDIATES DE L’APOCALYPSE SUR LES SURVIVANTS  43

1.43IMPACT SOCIAL DU CATACLYSME 47

1.44MOYENS ENTREPRIS POUR SURVIVRE 49

2. INSTAURATION ET FONCTIONNEMENT DES SOCIÉTÉS APRÈS LE CATACLYSME 54

2.1SCHÉMA SUR LEQUEL SE CONSTRUIT LA SOCIÉTÉ 56

2.11FONCTIONNEMENT DE LA STRUCTURE POLITIQUE 57

2.12MOTIVATIONS DERRIÈRE LE CHOIX DE LA STRUCTURE POLITIQUE EN PLACE  64

2.13L’ORGANISATION POLITIQUE REPRODUIT-ELLE UN MODÈLE PRÉ-APOCALYPTIQUE ? 67

2.2FORMES D’AUTORITÉS ET DE POUVOIRS EN PLACE 70

2.21CONSTITUTION DU GOUVERNEMENT  71

2.22APPLICATION DU POUVOIR 74

2.3LA NOTION DE SURVEILLANCE 78

2.31SURVEILLANCE DIRIGÉE 79

2.32LES MOTIFS DE LA SURVEILLANCE 82

2.4 ÉTAT SOCIAL APRÈS LA CATASTROPHE 84

2.41LE SYSTÈME DE JUSTICE 84

2.42L’ÉCONOMIE 88

2.43LES LIENS INTERPERSONNELS, FAMILIAUX ET COMMUNAUTAIRES 93

2.44LA CULTURE 95

3. SOURCES DE CONFLITS DANS LA SOCIÉTÉ RECONSTRUITE (VÉRITÉ ET PASSÉ

CAMOUFLÉS) 103

3.1TRAITEMENT DE L’HISTOIRE 103

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3.12DÉCOUVERTE D’AUTRES GROUPES D’HUMAINS 109

3.2POLITIQUE INSTABLE 112

3.21FORMATION DE GROUPES DE RÉVOLUTIONNAIRES  112

3.3ÉTAT SOCIAL APRÈS LA RÉVOLTE 115

3.31POLITIQUE ÉTABLIE APRÈS LES RÉVOLTES 116

3.32ÉCONOMIE ET JUSTICE APRÈS LES RÉVOLTES 118

3.33VIE SOCIALE APRÈS LES RÉVOLTES 120

3.4PERSPECTIVES D’AVENIR 122

3.41QUE LAISSENT ENTENDRE CES CHANGEMENTS ? 122

CONCLUSION 126

BIBLIOGRAPHIE 136

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Abréviations

• DIT : Département de l’information technologique • BBEG : Bureau du Bien-Être Génétique

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Remerciements

Je voudrais d'abord adresser toute ma gratitude au directeur de ce mémoire Richard Saint-Gelais, professeur au département de littérature, théâtre et cinéma de l’Université Laval, pour son orientation, son attention au détail, sa disponibilité et surtout ses conversations pertinentes autour d’un thé qui ont contribué à alimenter ma réflexion et qui m’ont poussée à aller plus loin dans mon cheminement scolaire.

Je désire aussi remercier mes sœurs, Sandrine qui, sans qu’elle le sache, m’a inspiré ce sujet et Alycia qui a su me supporter et me rassurer. Aussi, ma mère et Luc qui ont su m’encourager tout au long de mes études.

Je voudrais également exprimer ma reconnaissance à mes amis et collègues, particulièrement Karine, pour la correction, les conseils et les nombreuses séances de travail partagées.

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Introduction

Le succès considérable des adaptions cinématographiques de romans comme Hunger

Games de Suzanne Collins et, dans une moindre mesure Divergent de Veronica Roth a

contribué à remettre la fiction post-apocalyptique sur le devant de la scène culturelle. Les récits post-apocalyptiques dépeignent la vie après une catastrophe ayant en grande partie détruit une civilisation, par exemple, une guerre nucléaire, un impact de météorite, une épidémie, une crise économique, etc. Le post-apocalyptique repose en partie sur un équilibre entre une civilisation perdue et les prémisses (souvent incertaines et douloureuses) d’une nouvelle société émergeant du chaos. De ce fait, le post-apocalyptique déclenche, à la suite de la catastrophe, une confrontation entre la réalité sociale et une réalité physique. Les œuvres post-apocalyptiques se servent des thèmes reliés à la survie pour amener une réflexion sur la tension entre le désir de préservation et les transformations provoquées par l’effondrement de l’ancienne structure sociale. À la suite de l’effondrement des conventions et des structures sociales, les personnages se retrouvent face à eux-mêmes, mais aussi face à un monde nouveau qu’ils devront apprivoiser et façonner. Il en découle une sorte de laboratoire social où l’auteur expérimente sur les rapports humains tout en étant celui qui décide de la direction que prendra cette expérience et des conclusions qui s’en dégagent. D’autres romans post-apocalyptiques, qui se situent bien après la catastrophe, mettent en scène des sociétés déjà reconstruites où les autres versions possibles de la reconstruction ont été écartées ; la dynamique dans ce cas touche plutôt la façon dont cette société évolue (parfois dramatiquement) avec le temps, souvent sous l’impulsion de contradictions internes.

C’est avec ces questions à l’esprit que ce mémoire analyse quelques romans post-apocalyptiques anglo-saxons récents issus de la littérature populaire en s’intéressant particulièrement aux sociétés mises en place. Notre corpus primaire sera composé de deux séries et d’un roman publié récemment et qui témoignent du regain d’intérêt pour le genre

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post-apocalyptique depuis Hunger Games1. Ces œuvres de grande consommation sont

Divergent2 (2011) de Veronica Roth, Silo3 (2012) de Hugh Howey et, finalement,

The 1004 (2013) de Morgan Kass. L’engouement pour le post-apocalyptique est confirmé

par l’adaptation cinématographique rapide de ce genre de fictions : dans le sillage de

Hunger Games, Divergent et The 100 ont fait l’objet d’une adaptation à l’écran et ce n’est

qu’une question de temps pour Silo dont les droits ont déjà été achetés. Cette popularité suggère que les préoccupations sociales présentées par les mondes post-apocalyptiques rejoignent un grand public. Une autre hypothèse serait que le succès de ces fictions tient en fait au traitement des thèmes post-apocalyptiques qui atténue la négativité que l’on peut trouver du côté de la littérature légitime pour la même période, par exemple dans

The Road5. Cette atténuation dont le degré varie dans les trois fictions tient à des facteurs

comme le dénouement optimiste (ou qui du moins laisse prévoir une amélioration), une insistance sur l’action et parfois même sur des relations amoureuses assez stéréotypées. L’hypothèse à laquelle nous en sommes venue à la suite de l’examen de ces œuvres est que, à la différence des classiques post-apocalyptiques, l’élément structurant de chacune de ces sociétés reposerait moins sur l’idéologie, la politique ou l’économie que sur les relations intergénérationnelles (et à travers elles la transmission des valeurs, des règles ou de l’histoire de la commuauté) ou interpersonnelles (l’amitié, la rivalité, l’amour). Au terme de cette analyse, nous allons donc en mesure de déterminer les traits partagés par ces univers fictifs au-delà de ce qui les distingue. Pour ce faire, nous nous interrogerons quant aux types de sociétés explorés, mais aussi écartés. Quelle relation les sociétés reconstruites ont-elles avec leur passé ? Quel est leur rapport à l’histoire et comment ce point de vue influence-t-il l’intrigue ? Les sociétés subissent-elles des transformations

1 Suzanne Collins, Hunger Games, trad. Guillaume Fournier, Paris, Pocket, 2008, 374 p. 2 Veronica Roth, Divergence, trad. Anne Delcourt, Varennes, Ada Inc., 2014, 487 p.

3 Hugh Howey, Silo, trad. Yoann Gentric et Laure Manceau, Arles, Actes Sud (Coll.Babel), 2014, 469 p. 4 Morgan Kass, Les 100, trad. Fabien Le Roy et Frédérique Fraisse, Paris, Laffont, 2013, 378 p.

5 Notre corpus principal sera constitué de romans récents du genre post-apocalyptique. Pour illustrer certains propos,

nous nous référerons aux œuvres post-apocalyptiques consacrées par la critique spécialisée et le public (ces œuvres sont ce qu’on appelle des « long-sellers »). Il s’agit de : La guerre des mondes (1898) d’Herbert George Wells, qui met en scène une destruction d’origine extraterrestre, de Ravage (1943) de René Barjavel qui présente un schéma où la catastrophe est interne, c’est-à-dire qu’elle prend place au sein de la société, et toujours d’actualité (disparition de l’électricité), L’ultime fléau (1965) de Frederik Pohl qui présente un univers où un dispositif permet de contrôler à distance les faits et gestes d’une autre personne, ce qui modifie complètement les relations de pouvoir au sein de la société et The Road (2006) de Cormac McCarthy qui se détache du corpus primaire par son pessimiste, en plus d’insister beaucoup plus, et comme peu de romans ont osé le faire, sur les conséquences terriblement concrètes de la catastrophe. De ce fait, ce roman ne présente pas d’issue au monde ravagé par un cataclysme semblable à un hiver nucléaire.

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significatives ou reviennent-elles à ce qu’elles étaient avant la catastrophe ? Notre étude s’intéressera aussi aux thèmes abordés, à l’origine de la catastrophe (la nature de celle-ci influence-t-elle le type de déstructuration sociale ou constitue-t-elle un simple prétexte à un effet de table rase qui aurait pu être atteint par d’autres moyens ?), à la survie (à quel point les personnages doivent-ils s’adapter, que reste-il de la civilisation et comment s’organise cette survie ?), aux sociétés mises en place (de quel genre de société s’agit-il ? à quels besoins répondent-elles ? comment s’articulent-elles ?), ainsi qu’à la position de l’individu et son comportement dans ce monde encore marqué par la tension entre une fin et un nouveau départ.

Dans un premier temps, notre étude s’intéressera à ce qu’était la Terre et les sociétés qui y vivaient avant l’apocalypse. Pour ce faire, nous relèverons les données concernant la vie avant le cataclysme dans nos trois œuvres. Par la suite, nous ferons un éventail des types de calamités fréquentes en science-fiction avant de nous attarder à ceux que l’on retrouve dans le corpus. Ce détail est significatif, car il reflète les craintes de la société à l’époque où l’œuvre a été conçue. Par exemple : la crainte du nucléaire tend à dominer pendant la guerre froide, la peur des catastrophes écologiques ou industrielles dans les années 1980 et la crainte de la pandémie, comme le SIDA, dans les années 1990, alors que les années 2000 semblent craindre les catastrophes naturelles, les changements climatiques ou les actes de terrorisme à grande échelle, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001. L’hypothèse sous-jacente est que ces fictions, à travers les extrapolations qu’elles permettent, contribuent à la construction de cet imaginaire social. L’impact de ces catastrophes sera ensuite étudié afin de souligner les changements aussi bien matériels que sociaux.

Dans un deuxième temps, nous nous attarderons à l’instauration et au fonctionnement des sociétés mises en place à la suite de la catastrophe ; politique, formes d’autorité, économie, culture. Nous nous demanderons quel modèle de société est mis en place. Nous observerons également les comportements et les techniques de survie des différents groupes qui sont parfois amenés à se séparer de leur collectivité. Bien que les fictions ne reflètent pas forcément les craintes prévalant à leur époque, l’étude tentera d’établir des liens entre le rapport à l’avenir de la société réelle et la projection dans les sociétés fictives

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présentées par les œuvres du corpus. La pensée sociologique veut que les craintes fictives reflètent les craintes réelles, ce à quoi nous nous objectons puisque dans nos romans l’approche bien connue du nucléaire (ou encore les conséquences du nucléaire) est utilisée alors qu’elle ne constitue pas vraiment (par rapport à ce qu’elle a été à la suite de Tchernobyl par exemple) une crainte présente à l’instant dans la société.

Dans un troisième temps, nous étudierons le rapport avec le passé qu’entretiennent les nouvelles sociétés. En effet, le modèle de base de la fiction post-apocalyptique propose une tension entre la disparition matérielle de l’infrastructure sur laquelle s’appuyaient l’ordre ancien et le souvenir (plus ou moins douloureux) de cet ordre ; nous relèverons dans les œuvres ce qu’il est en de ce souvenir : est-il lacunaire, entier ou encore menacé ? En effet, bien que les sociétés soient érigées depuis quelque temps, les survivants doivent faire face non seulement aux réglementations de leur société, mais aussi, souvent, au passé qui dissimule les raisons de la reconstruction, par exemple, une terre irradiée. En effet, chacune des œuvres du corpus renferme un bouleversement majeur : révolte dans le silo, évacuation forcée de la station spatiale à la suite du manque d’oxygène, tentative de prise de pouvoir par les Érudits, etc. Se retrouvant en dehors des lois pour des raisons que nous étudierons, les personnages doivent agir rapidement en effectuant des choix qui résultent bien souvent de la dure réalité de leur situation. Il est à noter que dans les trois fictions que nous analysons, il se produit des rébellions, des conflits ou des bouleversements qui amènent les personnages à confronter l’autorité établie. Ces situations permettent d’observer à travers les choix effectués les valeurs et les idéaux transmis par la société, auxquels n’adhèrent pas toujours les personnages.

Méthodologie

L’approche utilisée pour ce mémoire s’inspirera de la sociocritique puisque le sujet central de notre recherche est la reconstruction des mondes après une catastrophe et donc, les décisions prises dans les sociétés mises en place par la suite. L’approche sociocritique nous sera utile puisqu’elle étudie la littérature comme un fait social et démontre que chaque expression littéraire relève, plus ou moins directement, du réel social de son époque. Nous nous baserons entre autres, sur la notion de société du texte de Claude

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Duchet6 qui insiste sur l’organisation interne de la société du texte, son côté microcosme

social. Ainsi, la société du texte constitue un univers fictif reflétant les réalités humaines. C’est pourquoi, dans les fictions choisies, les projets concernant la reconstruction seront étudiés en termes d’infrastructure. Nous pourrions présenter une grille avec toutes ces notions, mais à l’usage, le corpus laisse une grande partie de ces réponses dans l’ombre. Nos analyses seront attentives à l’importance plus ou moins grande que les récits accordent aux différentes composantes du tissu social : par exemple Silo fait preuve d’un souci assez remarquable de rendre compte de la production matérielle nécessaire à la survie et de l’organisation de l’économie alors que ces questions sont traitées de façon plus superficielle dans The 100. Elles ne sont pas entièrement négligées dans Divergent, mais occupent beaucoup moins de place que les questions politiques. Nous nous intéresserons à la cause de la catastrophe, qu’elle soit militaire, sociologique, technologique, biologique, écologique, physique ou extraterrestre, et à la position globale qui se dégage du récit : on se demandera si celui-ci est optimiste ou pessimiste (et dans un cas comme dans l’autre, de façon radicale ou nuancée), puis on s’interrogera sur l’issue du récit. Il sera également question des articulations du récit qui comprennent : la vie quotidienne avant la catastrophe, les prémisses de cette dernière, la catastrophe elle-même, le choc immédiat, la réaction (la tentative de reconstruction et son résultat). Cela nous permettra notamment de nous pencher sur les articulations entre le monde apocalyptique et le présent de l’écriture : le récit se relie-t-il aux préoccupations générales observables dans le discours social ? L’étude s’intéressera aussi à la structure du récit : est-elle linéaire (le cataclysme déclenche une transformation significative de la société) ou circulaire (la société aboutit à une situation antérieure à la catastrophe) ? Le dénouement, la fin du récit laisse-t-elle dans l’incertitude quant à la suite des choses ? Se donne-t-elle comme un dénouement au sens fort, un aboutissement ?

La fiction post-apocalyptique relève du genre plus vaste de la science-fiction et notre réflexion en tiendra compte, tout en mettant l’accent sur l’aspect social. Commençons par

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la notion d’altérité présente dans la science-fiction, soit : à quelle distance ce monde fictif se situe-t-il du nôtre ? Il s’agira d’évaluer le degré d’altérité respectif des mondes de notre corpus en tenant compte de paramètres comme les valeurs, la géographie ou encore une culture culinaire partagée. Ce degré d’altérité peut avoir un effet idéologique. Par exemple, un monde qui demeure familier a quelque chose de rassurant comme Michel Butor l’a montré dans « La crise de croissance de la science-fiction »7. Toutefois, lorsque le lecteur se sent étranger au texte, dans le sens où celui-ci lui semble herméneutique par le lexique, les descriptions, les personnages, les sociétés, les objets, etc., il place alors ce monde à une bonne distance du sien. Ce travail vise ainsi à mieux comprendre quel genre de monde ou de récit post-apocalyptique séduit le public.

Ainsi, nous observons que certains aspects du monde fictif sont totalement passés sous silence alors que d’autres sont quasiment surexploités. À ce sujet, Eco propose le terme de narcotisation8 pour décrire ce phénomène visant à privilégier certaines propriétés

alors que les autres restent dans l’ombre. Par exemple, dans les romans du corpus, l’économie des mondes fictifs est la plupart du temps, un sujet qui n’est pas explicitement abordé. Notre analyse tiendra donc compte de la représentation des sociétés dans les textes, tout en supposant que cette représentation n’est pas idéologiquement neutre, même si dans bien des cas les récits peuvent veiller à naturaliser (et donc à dissimuler) leurs choix. Comme l’explique Richard Saint-Gelais dans L’empire du pseudo :

Un récit qui expose de long en large les aspects juridiques du voyage temporel pourrait passer sous silences ses répercussions économiques, sans que le lecteur ne s’avise forcément qu’un pan non-négligeable du monde fictif est laissé dans l’ombre9.

Finalement, l’objectif général de ce mémoire est d’analyser la reconstruction des mondes fictifs après l’apocalypse, de voir comment les sociétés s’articulent, à quel point elles constituent un univers original et quelles en sont leurs particularités. Le but est de

7Michel Butor, « La crise de croissance de la science-fiction », dans Répertoire, Paris, Minuit (coll. « Critique »),

1960 [1953], p. 186-194.

8 Umberto Eco, Lector in fabula. La coopération interprétative dans les textes narratifs, trad. de l’italien par Myriem

Bouzaher, Paris, Grasset (coll. « Figures »), 1985 [1978].

9 Richard Saint-Gelais, L’empire du pseudo, modernités de la science-fiction, Québec, Nota bene (coll. littérature(s)),

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retracer le chemin qui a mené à cette structure en relevant les différentes composantes de la société en termes d’infrastructure et de superstructure. Par le fait même nous nous attarderons à l’origine de l’apocalypse et aux divers bouleversements qui participent à la construction d’une société souvent confinée et régie par des lois sévères.

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CHAPITRE 1

1. État antérieur des choses

Avant d’entrer en profondeur dans notre sujet qui traite du post-apocalyptique, nous nous attarderons sur ce qui précède le cataclysme, c’est-à-dire, l’existence de sociétés antérieures à la catastrophe, dont les membres devront par la suite s’adapter aux changements suivant la catastrophe. Soulignons d’abord que plus les rapprochements sont nombreux entre le monde d’avant l’apocalypse et le nôtre, plus les lecteurs voient celui-ci comme un prolongement de notre monde. Cette humanité mise en place par les différents auteurs de notre corpus présente dès lors des caractéristiques qui seront importantes dans le développement de ce mémoire. En effet, si nous nous intéressons aux mondes antérieurs, c’est entre autres pour relever les changements qui opèrent à la suite d’une catastrophe aux conséquences mondiale. D’abord, il nous faut rappeler que dans les trois œuvres choisies, la narration débute bien après les changements engendrés par l’apocalypse qui ont ensuite modifié profondément les sociétés. La thèse tacite des romans du corpus est que c’est chaque fois la catastrophe qui, quelle que soit sa nature, a déclenché les transformations significatives de l’écosystème (quand transformations il y a). Autrement dit, on exclut, sans y penser sans doute, l’hypothèse d’une série de transformations étalées dans le temps pour supposer plutôt une transformation liée à la catastrophe fondatrice. Toutefois, au long de ces romans se trouvent des indices relatifs à ce qu’était la terre avant le désastre, que ce soit dans la description des paysages, dans les discours des personnages qui découvrent des vérités jusque-là cachées ou qui se remémorent l’Histoire grâce à leurs aînés. Nous allons donc décrire ce qu’était la terre avant le cataclysme à partir d’indices relevés dans les deux trilogies The 100 et Divergent ainsi que dans le roman Silo. Nous procèderons de manière à d’abord situer les différentes sociétés de notre corpus. Ainsi nous entreprendrons de reconstituer ce à quoi ressemblaient ces mondes dans le but de situer ces univers (temporellement, géographiquement et culturellement) et de mettre en évidence leurs spécificités afin de constater si, dans les œuvres du corpus, des liens peuvent être faits entre les sociétés du futur. Ce premier chapitre, en plus de nous faire prendre conscience de l’état de l’humanité avant la catastrophe, nous aidera à comprendre comment se sont mises en place les sociétés après le bouleversement en relevant les changements significatifs entre

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l’avant et l’après dans trois œuvres. De plus, ces renseignements nous aideront à déterminer s’il y a un schéma qui se dessine, un modèle qui prévaut parmi ces sociétés futuristes d’avant apocalypse. Ainsi, si certaines caractéristiques significatives sont présentes dans plus d’un roman nous pourrons conclure qu’une structure semble se partager et que ces oeuvres possèdent une vision commune sur un même objet.

1.1 Apparence physique de la Terre avant l’apocalypse

Dans cette partie, nous nous intéresserons à l’état de la Terre avant la catastrophe, notamment à son apparence physique, c’est-à-dire : son écosystème, ses villes, ses moyens de transport, etc. D’abord, il faudra nous demander si le texte fournit suffisamment d’indications permettant d’imaginer ce monde d’avant l’apocalypse. Par la suite, nous pourrons nous interroger quant aux informations données, mais aussi au non-dit ; ces indications permettent-elles de penser que ce monde pré-apocalyptique est conforme aux connaissances qu’a le lecteur de son propre environnement ?

D’abord, un constat négatif ou presque ; aucune des œuvres ne s’intéresse vraiment à la faune et à la flore, de sorte que les données concernant ce milieu sont très rares. Ce silence peut s’interpréter de différentes façons. Nous pouvons en déduire que la nature d’avant la catastrophe ne se distingue pas de celle que connaît le lecteur et ne nécessite donc pas d’être décrite, ou encore qu’il n’y a rien à décrire à part cette désolation. Dans les deux cas, on note que les auteurs n’ont pas cherché à créer un sentiment d’étrangeté en inventant de nouvelles espèces, ce qui est pourtant un procédé simple et éprouvé, ou encore qu’ils n’ont simplement pas jugé utile d’en faire mention et ont préféré se concentrer sur des éléments à leurs yeux plus importants comme la répartition des classes sociales.

Dans Silo, les détails sont rares, mais il existe malgré tout des indices de cette vie animale avant la catastrophe, notamment des livres servant à l’éducation des jeunes à l’intérieur du silo. Dans le silo lui-même, il y a présence d’animaux qui servent de nourriture, plus précisément de bétail. Il est possible de spéculer sur le fait que les

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animaux présents dans le silo, qui agit à la manière de l’arche de Noé, sont les mêmes que ceux que l’on retrouvait sur terre avant la construction de ces structures.

Dans The 100, on rencontre une situation semblable puisque les survivants de retour sur terre reconnaissent les animaux grâce à l’éducation reçue sur le vaisseau. Toutefois, ces animaux ne correspondent pas toujours à l’enseignement qui leur a été donné : « À mesure que Bellamy se rapproche, la tête du cerf ballotte de droite et de gauche, sans jamais effectuer un tour complet. Elle semble cogner dans quelque chose à chaque aller-retour. Une autre tête, qui se balance au bout d’un deuxième cou : « Le cerf à deux

têtes 10! » La surprise des personnages laisse supposer qu’ils ne s’attendaient pas à cette

mutation, mais qu’ils sont, malgré trois générations passées dans l’espace, capables de reconnaître les animaux terrestres.

La série de Veronica Roth partage sommairement les mêmes principes ; les animaux y sont rarement mentionnés. Le seul moment où les personnages rencontrent un animal se produit lorsque Béatrice est sur la route avec Nita : « Une créature haute sur pattes, au corps brun et nerveux qui atteint à peu près le niveau des phares, avance dans la rue devant nous. […] Je n’avais jamais vu de daims avant de vivre ici. »11 Comme dans The 100, le

premier animal à être décrit fait partie de la famille des cervidés. D’ailleurs, cet animal est présent dans plusieurs autres œuvres de science-fiction ; serait-ce parce qu’il incarne l’innocence et la pureté, ce qui le distingue d’une Terre désolée ?12 Ainsi, lorsqu’il est

transformé en monstre dans la série de Kass, le choc est encore plus grand.

En ce qui concerne l’apparence générale de la terre, les romans font mention de certaines particularités. L’apparence physique de la terre avant l’apocalypse est rarement

10 Morgan Kass, Les 100, trad. Fabien Le Roy et Frédérique Fraisse, Paris, Laffont, 2013, p.163. 11 Veronica Roth, Allégeance, trad. Anne Delcourt, Varennes, Ada Inc., 2014, p.234.

12 Le symbole du cerf ou de la biche est lourd de sens, tant dans la mythologie que dans la culture. Nous l’avons aperçu

notamment au cinéma où la rencontre de l’homme et du cerf a souvent un caractère mystérieux qui tient peut-être au symbole d’innocence que représente l’animal dans un monde dévasté. Pour une liste des apparitions de l’animal dans quelques films, on pourra consulter le site suivant : http://www.telerama.fr/cinema/dix-films-ou-soudain-c-est-le-brame,151940.php. Nous avons également noté la présence du cerf dans la télésérie Riverdale, dans le film Allegeant,

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discutée. Dans Silo, toutefois le lecteur peut déduire certaines données. Ce qui est le plus évident, du fait que les humains se trouvent enfermés dans le silo, c’est que la terre était viable par le passé et donc que l’air était non toxique à une certaine époque. De plus, à partir des paysages désolés (le paysage est monochrome, tout semble enveloppé dans une grisaille permanente) que les personnages observent à travers les fenêtres du silo, il est possible de conclure, notamment grâce à la sortie de Juliette, qu’il y avait des bâtiments, des villes, des routes, et même d’autres silos13.

La série Divergent ne donne pas non plus d’amples détails sur ce qui a trait à l’aspect physique de la terre avant le reconditionnement de la population en différentes factions et expérimentations. Nous pouvons ici voir l’effet du principe de narcotisation que nous avons énoncé dans notre introduction. Nous savons toutefois que la narration se déroule dans un Chicago futuriste. Il est également fait mention de certains vestiges, comme des chaussées pleines de nids de poules et du béton à perte de vue, qui évoquent la raréfaction de l’eau. Les ruines sont ici, comme dans The 100, une thématique récurrente qui témoigne d’une civilisation passée. Dans le dernier tome, Béatrice réalise finalement que le paysage qu’elle observait et croyait normal depuis toujours est en fait autre chose : « Plus je réfléchis à ce paysage, qui a toujours paru normal aux patrouilles des Audacieux, plus je distingue autour de moi les traces d’une ancienne ville, aux constructions plus basses que les nôtres, mais tout aussi nombreuses. Une ville qui aurait été transformée en désert, donné à cultiver aux Fraternels 14». Comme c’est le cas avec Silo, les vestiges de

l’ancien monde laissent paraître un univers qui partage plusieurs points avec le nôtre du point de vue physique.

Dans les œuvres du corpus, la description de l’apparence de la terre, de ce qu’elle devait être avant l’apocalypse, laisse voir une terre peuplée, vivante, où les maisons, les routes et les immeubles sont omniprésents à sa surface. Les personnages grâce à leurs

13 « Sur le côté, des immeubles supplémentaires et inconnus n’avaient pas du tout d’appuis, de fondations. Ce même

paysage de nuées grises et de collines sans vie s’étendait dans toute la partie inférieure de l’horizon ». Hugh Howey,

Silo, trad. Yoann Gentric et Laure Manceau, Arles, Actes Sud, (Coll.Babel), 2014, p.289. 14 Veronica Roth, Allégeance, trad. Anne Delcourt, Varennes, Ada Inc., 2014, 487 p.98.

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connaissances sur leur passé arrivent à décrire ce que devait être la surface de la Terre avant le cataclysme, qui est finalement semblable à l’état de la terre tel qu’on le connaît. De ce fait, nous pouvons conclure que la description du passé de ces fictions se limite à peu près à ce qui permet de créer des liens avec les connaissances du lecteur afin de construire un monde post-apocalyptique sur les souvenirs d’un monde semblable au nôtre. Effectivement, nous ne sommes pas dans un monde où tout est inconnu et où le sentiment d’étrangeté règnerait ; au contraire, les similitudes sont nombreuses et aident à asseoir ces mondes antérieurs à l’apocalypse sur des bases qui partagent des éléments communs.

1.2 Situation sociale avant l’apocalypse

Intéressons-nous maintenant à la politique, à l’économie, à la géopolitique, à la culture, à la technologie et aux interactions sociales, toujours dans le but d’établir un portrait de la situation existant avant la catastrophe de manière à évaluer l’évolution ultérieure, de relever, s’il y a lieu, les signes avant-coureurs de la catastrophe. Nous pourrons, par la suite, comprendre à quelles bases les sociétés post-apocalyptiques se réfèrent ; dans quelle mesure et comment se rattachent-elles à leur passé ? Il est important de noter que la description de l’état du monde avant l’apocalypse est faite rétrospectivement, et donc (en principe), du point de vue de ceux qui ont connu la catastrophe ou ses suites. Cette conception vaut pour toutes les dimensions du monde fictif, mais tout particulièrement pour ce qui est des questions socio-politiques. Cela pourrait donner lieu à une distorsion téléologique de l’Histoire : les humains du futur vivraient, peut-être (c’est ce que nous allons essayer de repérer) dans l’illusion que leur situation présente était inévitable et ne retiendrait du passé que ce qui pointe dans cette direction. Ainsi, nous tenterons de comprendre, grâce aux explications relatives au passé des sociétés, comment l’apocalypse en est venue à arriver, en gardant à l’esprit que la vision des personnages peut être biaisée par leur impression que leur situation est liée aux décisions prises par le passé, les rendant plus susceptibles de rejeter la faute sur leurs ancêtres.

Commençons par l’œuvre de Hugh Howey, où la situation sociale précédant l’apocalypse est décrite comme très violente. La grande majorité des indications à ce sujet

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proviennent du personnage de Lukas, un des principaux protagonistes qui est réquisitionné par Bernard, le chef du DIT (Département de l’information technologique)15, pour y travailler et veiller à ce que les membres du Département

appellent l’Héritage. Ce dernier rassemble les règlements établis par les premiers habitants du silo. Il s’agit d’un code très strict visant à garder le silo et ses habitants sous contrôle, à tenter de réduire, voire d’annuler totalement la possibilité de révoltes. Ce document comprend en outre une base de données relative à l’histoire antérieure à la construction et à l’occupation des silos. À travers Lukas, le lecteur a donc accès à certaines informations concernant le passé sociétal et donc, la vie sur terre avant l’apocalypse. La première information historique est celle-ci :

… fut l’année où la guerre civile fit rage dans les trente-trois États. Ce conflit coûta plus de vies américaines que tous ceux qui survivraient réunis, car chaque mort était à déplorer pour ainsi dire dans la même famille. Pendant quatre ans, le pays fut ravagé par le feu, et lorsque la fumée se dissipait des champs de bataille, on décomptait les cadavres entassés, frère après frère. Certaines estimations donnent un chiffre deux fois plus élevé. La maladie, la faim, le chagrin régnèrent16.

Plusieurs éléments de cette citation sont importants. D’abord, il y a eu une guerre civile qui fit d’importants ravages au sein de la population, ce qui implique des problèmes assez graves pour n’avoir pu être réglés autrement qu’à travers une guerre faisant énormément de dommages. Même à demi-mot, cela nous en apprend considérablement sur la politique de l’époque, notamment que les interactions entre individus étaient de nature plutôt violente. En ce qui concerne la géographie, il est mentionné qu’il y avait trente-trois États soit dix-sept de moins que ce que comportent les États-Unis aujourd’hui. On peut supposer des fusions ou encore l’indépendance de certains États. Il n’est pas interdit de penser que cette guerre civile par sa force de destruction pourrait avoir été le début de la fin.

Une autre des lectures de Lukas nous en apprend sur le type de société qui était

établi avant l’apocalypse : … des garçons de l’autre bout du parc. Ces résultats furent attentivement analysés

par les sociologues, qui se faisaient passer pour des animateurs. Lorsque la violence atteignit un point critique, ils mirent un terme à l’expérience pour éviter

15 Dorénavant DIT dans le texte.

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que la situation ne dégénère. Les deux groupes de garçons emmenés au parc de Robber Cave, partageant quasiment la même origine sociale et les mêmes valeurs, finirent par devenir ce qu’on appelle en psychologie un endogroupe et un exogroupe. D’infimes différences — la façon d’un Untel portait sa casquette, le léger accent de l’autre — étaient devenues des motifs impardonnables d’exclusion. Lorsque les pierres se mirent à voler, et que les attaques lancées sur le camp ennemi devinrent sanglantes, les expérimentateurs n’eurent d’autres choix que de mettre un terme à… 17

Ce qui est révélateur dans ce cas est l’escalade immédiate de la violence. L’autre aspect dérangeant est la présence de sociologues qui initient cette rencontre afin de recueillir des résultats qu’ils semblent déjà anticiper. La violence est donc ici un autre motif possible de la guerre civile qui semble en constituer la manifestation à l’échelle mondiale. Un peu plus loin, dans le roman, d’autres indications sur les interactions sociales sont données : « Des histoires de violence, de foules en proie à la folie, de dérèglements de la frise chronologique de la vie, de soleils qui s’éteindraient un jour, d’armes qui pourraient anéantir le monde, de maladies qui l’avaient presque fait18. » Il est possible de voir dans

cette folie collective un déclencheur, une peur commune provenant peut-être de l’impact de plusieurs éléments, la fin possible du soleil, la multiplication des armes de destruction massive et les maladies. Or, le soleil, bien que difficile à observer sous toute la poussière grisâtre, est encore présent, alors, qu’est-ce qui a amené les individus à penser qu’il s’éteindrait ? Et pourquoi s’agit-il de « soleils », au pluriel ? Ce qui ressort de ce passage est le dérèglement de la vie en général ; les gens vivaient à la fois dans la peur et la folie, craignaient les armes et les maladies graves qui se propageaient et menaçaient d’anéantir la population. Cela suggère que les survivants, comme nous les constaterons, ont été peu nombreux et ont cherché à préserver la vie humaine. Plus nous en apprenons sur la situation sociale précédant l’apocalypse, plus celle-ci nous apparaît tragique. Lors d’une discussion avec Bernard, Lukas s’interroge sur la façon dont les survivants en sont venus à vivre emmurés à l’intérieur d’un silo ; Bernard lui révèle alors qu’il n’y a que cinquante silos dans le monde entier, tous regroupés dans le même secteur. Lukas se fait alors cette réflexion : « Je dirais que nous étions les seuls… Il faillit dire qu’ils étaient les seuls à avoir des ressources, mais il [savait] que ce n’était pas le cas. […] Pour la première fois,

17Ibid, p.460. 18Ibid, p.461.

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la vérité le frappa […] C’est parce que c’est nous qui l’avons fait19. » Cette révélation

nous permet de constater que plusieurs pays, du moins certaines régions possédaient assez de ressources pour se protéger en cas d’attaques éventuelles, ce qui prouve qu’il y avait une certaine stabilité économique. Toutefois, nous comprenons surtout qu’une nation, à elle seule, a pris la décision d’abolir le reste de la Terre. L’hypothèse que la destruction de l’écosystème ait été déclenchée par le camp ennemi est alors rejetée. On comprend aussi que l’établissement des silos n’a pas été la conséquence de la dévastation, mais une mesure préalable au déclenchement d’une destruction massive. Deux options se dressent alors, la première, c’est qu’il n’y avait pas d’autres choix viables, pour une raison ou une autre, le danger était suffisamment immédiat pour n’alarmer personne, uniquement certains membres de la nation. La deuxième option est plus égoïste ; c’est-à-dire que la nation, du fait de sa préparation était prête au pire et qu’elle a pris la décision délibérée de causer la perte, ou presque, de l’humanité pour préserver une poignée de ses citoyens (ce qui, comme on l’apprendra plus tard, aura été le cas). Cela en dit beaucoup sur la politique d’alors ainsi que sur les relations entre pays, soit, que les dirigeants privilégiaient l’armement et l’annihilation de plusieurs peuples à une tentative de réconciliation, ce qui suggère que la situation était assez désespérée. Cela confère également une image machiavélique des dirigeants des États-Unis, ce qui est tout de

même remarquable dans un roman américain…

De ces faits, nous déduisons que la situation politique d’avant la destruction était semblable à la nôtre en ce qu’il y avait des dirigeants à la tête des nations ; toutefois, ce qui ressort surtout est la radicalité de cette époque où il était envisageable de rayer une population de la carte, un peu comme la situation qui prévaut depuis la guerre froide et l’invention de la bombe atomique. Plusieurs nations possédaient ce pouvoir ; mais est-ce que cette décision fut prise en considérant l’avis du peuple ? Impossible de le savoir véritablement, mais il est plausible que non, ne serait-ce que parce qu’une consultation publique aurait empêché l’effet de surprise.

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Nous nous pencherons maintenant sur la série de Veronica Roth afin de dresser un portrait de la vie sociale d’avant l’apocalypse. Au tout début du premier tome, la mention de la Sears Tower nous permet de comprendre que l’histoire se situe à Chicago : « La Ruche, cette tour qu’on appelait autrefois la Sears Tower, émerge du brouillard […]. Le bus passe sous les rails surélevés du train […] la ville est sillonnée de voies ferrées. »20

Le récit se déroule donc dans un Chicago post-apocalyptique où certains éléments du passé permettent de reconnaître la ville. Nous nous atterderons maintenant sur les éléments culturels qui proviennent d’avant l’apocalypse. Lors de l’entraînement des Audacieux, les novices sont amenés dans un parc où une inscription ancienne est encore apparente : « Paintball »21. De ce fait, nous observons que certaines pratiques culturelles

perdurent même après l’apocalypse à travers une réappropriation des lieux. Un autre mot, gravé sur un mur, fait écho à leur passé américano-catholique : « Seul Dieu est à craindre »22. Cette référence à un passé religieux est la première chose que Béatrice voit

lorsqu’elle se réveille après avoir été victime d’une tentative de meurtre par d’autres novices Audacieux. Simple écriture, elle renvoie néanmoins à un passé catholique, religieux. Pourtant, la religion est rarement mentionnée dans la série ; quand elle l’est, c’est toujours en lien avec les Altruistes qui semblent être les seuls à avoir foi en un dieu ou encore en lien avec les Fraternels, dont le comportement s’apparente à celui d’une secte. Les indices relatifs au passé de la société sont plus nombreux dans le deuxième volume. Encore une fois des mots à moitié illisibles révèlent à la fois l’endroit et certains éléments du passé de ce lieu. Il y a là une dimension symbolique ; le passé est réduit à du texte, à des signes ; et ces signes sont fragiles, menacés de disparition : « C’est un énorme cube en ciment qui donne sur ce qui fut jadis un fleuve. Le panneau annonce « ME---DIS-A-T» -- initialement Merchandise Mart23. Le fait que Béatrice sache ce que

représentait ce bâtiment indique que les personnages ont reçu un minimum d’éducation sur le passé de leur ville. Une autre référence culturelle se manifeste lors d’une discussion entre amies : « Tu peux bien parler […] tu fais toujours la gueule, on devrait t’appeler

20 Veronica Roth, Divergence, trad. Anne Delcourt, Varennes, Ada Inc., 2011, p.9. 21Ibid, p.130.

22Ibid, p.263.

23 Michael Paul Wakeford, « Merchandise Mart », dans The Electronic Encyclopedia of Chicago, Chicago, 2005,

encyclopedia.chicagostory.org. Le Merchandise Mart ouvert en 1930 était à l’époque le plus large bâtiment construit au monde.

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Lady Béatrice Macbeth ».24 Cette référence à Shakespeare est surprenante, puisque les

personnages n’avaient jusque-là donné aucun signe d’intérêt envers la culture au sens restreint du terme. Les lecteurs, à la suite de ce genre de surprises, pourraient se demander si d’autres aspects du savoir partagé des personnages sont passés sous silence par le récit. Il faut savoir que les habitants de Chicago vont à l’école jusqu’à l’âge de seize ans, c’est donc le lieu où il est probable qu’ils aient acquis des connaissances sur la littérature, puisqu’après ce passage obligatoire, ils se séparent en factions où, si l’on se fie à la formulation de Béatrice, ils apprennent « tout autre chose ». Quoi qu’il en soit, il est évident que certains savoirs ont réussi à traverser le temps malgré la destruction opérée par l’apocalypse. Quelques chapitres plus loin, Béatrice se souvient avoir lu une allusion à une machine IRM dans « […] son livre d’histoire des factions, dans le chapitre sur la médecine des Érudits »25. Ce souvenir est étonnant puisque dit de cette manière on dirait

que les Érudits n’ont pas conservé la technologie que nous connaissons, mais auraient plutôt créé la machine IRM. Quoi qu’il en soit, la technologie n’est pas perdue ; les voitures, les trains, les ordinateurs et les IRM sont toujours présents dans cet univers futuriste où la technologie ne semble pas avoir progressé, sauf en ce qui concerne les sérums. Ceux-ci sont des indices d’un progrès dans le domaine de la chimie et de la neuroscience. Les trains dans cette série, constituent d’ailleurs un aspect assez étrange, voire narcotisé pour reprendre le terme de Eco. En effet, ces trains sont partout, mais il n’est jamais dit à quoi ils servent, à part pour le transport des jeunes Audacieux qui les utilisent illégalement. On se demande par qui et pour les transports de quoi ils sont opérés. On peut supposer qu’ils servent à acheminer la nourriture et les biens aux différentes factions, mais à chaque fois qu’un Audacieux se glisse à l’intérieur d’un wagon, celui-ci est vide. Est-ce un oubli de l’auteur, ou encore un sujet narcotisé ? En ce qui concerne les autres types de technologies, ceux-ci semblent avoir sombré dans un oubli collectif.

Passons maintenant à l’aspect politique de la société que forme les habitants de la ville. À la fin de ce deuxième tome, Tobias dévoile le secret bien gardé par les dirigeants

24 Veronica Roth, Insurgés, trad. Anne Delcourt, Varennes, Ada Inc., 2012, p.162. 25 Ibid, p.317.

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érudits et altruistes ; soit une vidéo qui explique pourquoi leur population est maintenue à l’intérieur d’une immense clôture :

Je m’appelle Amanda Ritter. Je vais vous apprendre dans cette vidéo que ce que vous avez besoin de savoir. Je suis à la tête d’une organisation qui se bat pour la paix et la justice. Cette lutte est devenue impossible.

Des images crépitent sur le mur […] Un homme à genoux, le canon d’un pistolet sur la tempe […] une petite silhouette pendue à un poteau téléphonique […] un trou gros comme une maison dans la terre, rempli de corps […] sang, os, mort, cruauté, regards sans âme, gens terrifiés […]

La moitié de ceux que vous avez vus sur ces photos, en train de commettre des atrocités, étaient vos voisins […] votre famille […] nous nous battons contre la nature humaine elle-même26.

Nous pouvons conclure que les gouvernements et la situation politique en général n’étaient plus d’un grand secours dans ce monde secoué par des violences et des atrocités qui semblent être devenues omniprésentes. Les interactions entre citoyens étaient devenues barbares, au point, peut-être, de déclencher une fin du monde. Ainsi, il apparaît évident que la violence, comme dans Silo, a joué un rôle important dans la reconfiguration radicale de la société. C’est d’ailleurs ce que nous observerons dans le troisième tome de cette série. En arrivant au Bureau du Bien-Être Génétique (BBEG)27, les personnages

apprennent que cet organisme dépend du gouvernement des États-Unis qui a donc survécu à l’apocalypse alors que rien ne signalait jusque-là l’existence de cet état. Il semblerait que la décision de modifier l’ADN des individus provienne du gouvernement lui-même. Après ces modifications génétiques qui avaient pour but de réduire les comportements à problèmes, le gouvernement s’est aperçu que ces transformations influaient sur d’autres comportements, renforçants ainsi involontairement les comportements problématiques au point de mener, apparemment, à l’effondrement d’une bonne partie de la structure sociale. Le gouvernement a donc dû mettre sur pied des villes expérimentales, comme Chicago, pour aider à rétablir un ADN « normal »28. Les personnes aux gènes restaurés sont

nommées divergents. Ainsi, en ce qui concerne la politique avant l’apocalypse, dès le

26Ibid, p.494.

27 Dorénavant BBEG dans le texte.

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constat d’abus de violence un programme d’intervention visant à diminuer l’agressivité des communautés a été appliqué pour modifier leur code génétique. Le code d’éthique devait donc être très tolérant ou la situation trop dramatique, ce qui explique ces décisions plutôt radicales. Ce processus est expliqué par David, le chef du BBEDg: « Malgré la paix et la prospérité qu’a connues ce pays pendant près d’un siècle, il a paru judicieux à nos ancêtres de réduire le risque que ces comportements indésirables se perpétuent dans les populations […] en retouchant la nature humaine »29. Ainsi, en offrant à certaines

personnes la possibilité d’améliorer progressivement le profil comportemental de leurs descendants, les États-Unis ont commencé des expériences de manipulations génétiques. Nous savons donc que le passé de cette fiction est, comme dans Silo violent, les interactions sociales sont si mauvaises que dans les deux cas le gouvernement des États-Unis a décidé d’agir, en envoyant dans l’air un virus destructeur dans Silo, et en faisant des expériences génétiques dans la série Divergent. Toutefois, contrairement à Silo, ici, le passé des autres pays demeure des plus incertains puisqu’ils ne sont pas mentionnés ; la crise sociale se serait-elle limitée aux États-Unis ? À travers les explications de David, l’on apprend que les modifications génétiques entreprises par le gouvernement n’ont fait qu’empirer les choses : « Cela s’est manifesté dans ce qu’on a appelé la guerre de Pureté, une guerre civile menée par ceux qui souffraient de gènes déficients contre le gouvernement et les autres individus. La Guerre de Pureté [a] décimé presque la moitié de la population du pays 30» Ce serait cette guerre déclenchée par les conséquences

sociales des modifications génétiques qui serait à proprement parler le cataclysme, l’apocalypse. Ainsi, le passé social s’inscrit comme une tentative de contrer la violence — mais une tentative qui n’aboutit qu’à accroître la violence. Plus tard dans le roman, d’autres images sont montrées à Béatrice, des images qui prouvent que même avant la manipulation des gènes, il y avait de la violence et des guerres, ainsi les gènes supposément purs des divergents ne sont pas si éloignés des gènes non divergents.

Les informations concernant les sociétés du passé sont plus rares et nettement moins développées dans The 100. Les indices relatifs au passé sont d’abord surtout d’ordre

29 Veronica Roth, Allégeance, trad. Anne Delcourt, Varennes, Ada Inc., 2014, p. 120. 30Ibid, p.121.

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culturel. Par exemple, Wells et sa mère lisent ensemble l’Histoire du déclin de la chute de l’Empire romain, ce qui montre que les résidents du vaisseau connaissent vraisemblablement le passé terrestre et la littérature même lointaine31. Plus tard, Clarke

comparera Bellamy à Robin des bois lors d’une balade en forêt : « C’est exactement comme ça que je me suis toujours imaginé la forêt de Sherwood […] je m’attends presque à voir Robin des bois sortir derrière un arbre32. » La musique est également un aspect

culturel valorisé, puisqu’elle évoque également le passé terrestre : « Sculptés et polis par des mains retombées depuis longtemps en poussière, les seuls instruments, les seuls instruments encore existants dans l’univers produisent les mêmes mélopées envoûtantes qui emplissaient jadis les salles de concert d’une civilisation aujourd’hui disparue33. »

Ainsi, il apparaît que les habitants du vaisseau n’ont ni les compétences ni les matériaux pour fabriquer d’autres instruments. Ils vénèrent alors ceux qui restent et les préservent pour de rares occasions. Il faut souligner le fait que le milieu-refuge (la station orbitale) occupe un espace à ce point réduit que l’on imagine, parfois même avant que ce ne soit indiqué explicitement, les contraintes sévères que cela a imposées lorsqu’il s’est agi de choisir ce que l’on emporterait à son bord. De là une impression de claustrophobie et de déchirement face aux décisions concernant la préservation du passé. Curieusement, le retour sur Terre ne permettra pas de renouer avec les traces de ce passé (contrairement à

Divergent), mais insistera plutôt sur le recommencement à zéro34. Au début du tome trois,

des informations concernant l’apocalypse sont enfin dévoilées :

De nombreuses années avant le cataclysme, le gouvernement des États-Unis d’Amérique construit un énorme bunker souterrain [le Mount Wheater] où se réfugier en cas de guerre nucléaire. Le scénario semblait peu probable à l’époque, mais il leur fallait un endroit où mettre le « président » en sécurité en cas de problème. […] Mais lorsque les bombes se sont mises à pleuvoir, tout s’est passé trop vite35.

Passons rapidement sur le fait que l’apocalypse a lieu à cause du déploiement de plusieurs de ces bombes nucléaires. Sur le plan politique, d’abord, les États-Unis existaient en tant

31 Morgan Kass, Les 100, trad. Fabien Le Roy et Frédérique Fraisse, Paris, Laffont, 2013, p.23. 32 Ibid, p.180.

33 Ibid, p.79.

34 Exception : Wells décide d’installer des croix de bois sur les tombes que les jeunes ont dû creuser. Sous cet acte se

cache une volonté et une envie de se rattacher à une tradition ou plus exactement de réinstaurer une tradition abandonnée depuis plusieurs générations. Cette action symbolise aussi l’importance accordée à cette coutume, dont on a conservé la mémoire dans l’espace, même si l’on n’y inhume évidemment pas les morts. Ainsi, cette manière de rendre hommage aux défunts laisse supposer que christianisme constitue une religion importante des sociétés d’où provenaient les premiers habitants de la station spatiale — ou simplement un américano-centrisme du roman.

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que pays, ce qui laisse supposer encore une fois que, puisque ce pays conserve la forme qu’on lui connaît aujourd’hui, les autres pays qu’on connaît devaient également exister dans à l’époque. Rien n’interdit non plus de supposer que le régime se soit alors distingué de celui que l’on connaît aujourd’hui, soit une démocratie. La géopolitique du monde pré-apocalyptique se révèle toutefois différente de la nôtre lorsqu’on lit que « lorsque le Cataclysme a frappé, il existait cent quatre-vingt-quinze nations souveraines, bien qu’une grande majorité d’entre elles aient rejoint l’une des quatre grandes alliances36. » Ce

nombre d’états souverains est resté très proche des cent quatre-vingt-dix-sept états aujourd’hui reconnus par l’ONU. On peut toutefois se demander quelles sont ces « quatre grandes alliances ». Mentionnons aussi une référence culturelle qui survient alors que Glass et Luke, toujours sur le vaisseau, décident de se faire un souper romantique de ration protéinée. Ayant revêtu ses plus beaux habits pour un repas qui nous apparaît fort ordinaire, Glass se remémore une de ses lectures à propos d’un énorme bateau qui coule. Cela fait évidemment référence au Titanic, autre indice que la culture terrienne antérieure à l’apocalypse (cest-à-dire les personnes qui ont amené un ouvrage concernant le Titanic à l’intérieur du vaisseau) partage des éléments communs à notre culture. Plus ces rapprochements seront nombreux, et moins les lecteurs auront tendance à voir le monde d’avant l’apocalypse comme un monde à part entière ; il apparaîtra plutôt comme un simple prolongement du nôtre ; cela vaut a fortiori pour le monde post-apocalyptique. Cela mérite d’autant plus l’attention que ce monde, après tout, est censé déboucher sur une destruction massive. Il est vrai cependant que la plupart des rapprochements concernent des aspects « anodins » de l’espace social, comme les relations amoureuses. La musique, notamment le jazz et le classique occupent une place importante, Bellamy trouve un vieux lecteur MP3 (il sait à quoi cet objet sert et réussit à le faire fonctionner !). De la même façon, le violon est le seul instrument qui semble avoir été conservé à bord du vaisseau, ce qui peut s’expliquer par sa petite taille qui le rend facile à emporter en cas d’urgence. D’ailleurs, dans le bureau du chancelier, il existe des reliques d’un autre temps : « [un] aigle empaillé, [un] tableau figurant une femme brune au sourire énigmatique, […] un encrier où est gravée une citation de Cicéron37. » On reconnaît

facilement l’emblème des États-Unis, le pygargue à tête blanche, et la Mona Lisa, encore

36Ibid, p.92. 37 Ibid, p.137.

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des données culturelles partagées. Il faut souligner qu’il est quand même étrange que les premiers habitants du vaisseau aient réussi à mettre ces objets de valeur en sécurité à bord de la Colonie, alors que selon ce qui est raconté à Clarke, le bombardement était inattendu… Serait-ce là une tentative de l’auteur d’effectuer un rapprochement de ce monde avec le nôtre ? En ce qui a trait aux relations sociales, nous savons que lors de la catastrophe, ce ne sont pas tous les individus qui ont pu être sauvés ; de ce fait, les natifs réfèrent à cet événement comme étant « le Grand Abandon »38. Cela signifie que les

interactions humaines par le passé étaient sûrement difficiles, puisqu’il y a eu des décisions à prendre et que ces choix ont fait souffrir (voire mourir dans la plupart des cas) les personnes qui n’ont pas pu être mises en sécurité. Ceux qui n’ont pas eu la chance de prendre place lors du départ du vaisseau et qui ont malgré tout survécu ont entretenu un ressentiment qu’ils ont passé de génération en génération et donc, éprouvent encore une amertume à l’égard de ceux qui ont pu s’enfuir. À l’inverse lorsque les jeunes apprennent cette vérité (qu’ils devraient de toute façon avoir devinée bien avant) en discutant avec le chef des natifs, ils ne semblent éprouver aucun remords, aucune culpabilité, comme si cet abandon résonnait simplement trop loin d’eux.

Finalement, nous observerons ce moment, vers le milieu de troisième tome, où Glass imite une ancienne terrienne. Il est important de souligner la déformation de la mémoire culturelle, due à plusieurs années de retrait dans l’espace. Glass se positionne sur le parcours d’apesanteur qui est une sorte de gymnase où l’on peut sélectionner la force de la gravité voulue. Elle fait alors semblant de nager en gonflant les joues et s’écrie : « Voilà comment les enfants terriens vont à l’école quand il pleut 39! » Puis, en faisant semblant

de skier elle raconte comment elle se rend à l’épicerie en skis pour ensuite conduire jusqu’à la plage où elle a organisé un pique-nique avec ses six enfants et son ours domestique Fido. On s’aperçoit alors que plusieurs éléments terrestres sont incorporés à son discours, mais que ceux-ci ne font pas vraiment de sens. L’histoire et les coutumes terrestres, bien qu’apprises et enseignées à bord du vaisseau, ne s’appliquent pas à leur réalité, ce qui explique que les jeunes aient de la difficulté à concevoir, par exemple,

38 Ibid, p.111.

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comment marcher lorsqu’il pleut. Cette représentation humoristique de la vie sur Terre est symptomatique de l’oblitération des souvenirs et de la mémoire terrienne étant donné le retrait dans l’espace depuis plusieurs générations. Enfermés dans ce vaisseau, ils ne peuvent qu’imaginer ce que pouvait être la vie sur terre et bien qu’ils aient plusieurs données concernant la technologie, la faune et la flore, l’histoire, la politique et la littérature, ils ont de la difficulté à se représenter de manière juste les activités de la vie d’avant.

Sur les plans dont nous parlons dans ce chapitre, mais cela vaut aussi pour le reste de notre mémoire, il y a des aspects du monde post-apocalyptique où nous observons une évolution, alors que pour d’autres aspects (par exemple l’écosystème) la situation demeure essentiellement inchangée après la catastrophe. La vie sociale avant l’apocalypse ressemble, au final, à celle présentée dans les autres romans du corpus ; la géographie terrestre semble être la même, ainsi que la politique, le gouvernement serait même à l’origine des catastrophes survenues dans la plupart des cas. La technologie semble parfois être plus avancée, surtout lorsqu’il est question de la construction des silos et du vaisseau spatial autosuffisant et de sérums capables de contrôler une civilisation entière. Pour ce qui est des interactions sociales, celles-ci sont majoritairement décrites comme étant belliqueuses, difficiles, voire dans la plupart des cas violentes. Cette violence a d’ailleurs souvent mené à une escalade des décisions et des réactions qui sont alors devenues de plus en plus extrêmes, au point d’annihiler une grande partie de la civilisation.

1.3 Exploration des différents types de calamités dans le roman de science-fiction

Le récit post-apocalyptique a pour caractéristique principale de mettre en scène un événement catastrophique décimant la majeure partie de la civilisation. Les cataclysmes matériels sont souvent utilisés dans les mondes post-apocalyptiques, car ils représentent de manière tangible un changement radical et physique dans la société. Une catastrophe dont la source est extérieure à l’humanité (extraterrestres, phénomènes purement naturels) a pour conséquence que l’humanité (réelle ou fictive) est à l’abri du blâme. Il en va bien

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autrement des catastrophes d’origine humaine, mais cela ne veut pas forcément dire que les récits insisteront sur cette responsabilité, que diverses stratégies narratives pourront occulter. Par exemple, le fait d’amorcer le récit longtemps après le cataclysme peut avoir cet effet. Cela n’empêche pas les textes de dénoncer des personnes, des systèmes politiques, etc., ultérieurs ; mais leurs méfaits sont différents de ceux qui ont mené à la catastrophe. Les catastrophes encourues doivent être assez radicales et assez subites pour qu’on puisse voir, quasi-immédiatement, un impact négatif de grande ampleur. Les motifs les plus susceptibles de créer un tel bouleversement sont les catastrophes d’origine nucléaire, militaire, climatique et biologique. Les catastrophes nucléaires sont souvent grandement inspirées de cas réels comme ceux de Tchernobyl ou de Fukushima. Le nucléaire produit un message qui dépend moins du nucléaire comme tel que du traitement qui est en fait dans le récit, tout en permettant un effet de table rase étant donné sa portée et ses conséquences importantes. Comme le mentionne Wallenstein à propos des désastres nucléaire dans les films de science-fiction :

Le message est divisé en six parties : premièrement, la violence constitue une dimension de la nature humaine, deuxièmement, l’homme produit une technologie qui aboutira à la destruction de l’humanité, troisièmement, cette technologie dangereuse tombera en de mauvaises mains, quatrièmement, le désastre nucléaire est inévitable, cinquièmement, la guerre de destruction totale est inévitable. Enfin, des cendres de cette dévastation naîtront l’horreur, et le renouveau purificateur […] Si des désastres se produisent, il y a cependant toujours des survivants. La catastrophe nucléaire a une portée purificatrice (catharsis) ; elle inaugure un recommencement40.

Le cataclysme peut aussi revêtir la forme d’un accident. Dans les deux cas, il engendre bien souvent une dévastation totale, comme dans Mad Max 2. Les guerres, quant à elles, ont la possibilité d’être particulièrement massives et de prendre des proportions énormes, par exemple dans la série Hunger Games. Les motifs menant à une guerre ou encore à une résistance sont multiples, qu’il s’agisse de défendre des idéologies ou de se défendre contre des extraterrestres comme dans les films Aliens. Les catastrophes climatiques

40 Martin Wallenstein, « La rhétorique du désastre nucléaire dans les films de science-fiction à effets spéciaux », Les

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