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Le modèle québécois d'intégration culturelle comme troisième voie entre l'intégration républicaine et le multiculturalisme bilingue : analyse et réformes possibles

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Le modèle québécois d'intégration culturelle comme troisième voie entre l'intégration républicaine et le multiculturalisme bilingue:

analyse et réformes possibles

Guillaume Rousseau

Institut de droit comparé Faculté de droit Université McGill, Montréal

Octobre 2005

Mémoire présenté à la Faculté de droit de l'Université McGill en conformité avec les exigences du programme de maîtrise en droit

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Bien que ces formulaires aient inclus dans la pagination, il n'y aura aucun contenu manquant.

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Abstract

It is sometimes said that the Québec model of cultural integration constitutes a third way between the French model (republican integration) and the Canadian model (bilingual multiculturalism) for addressing issues relating to immigration. The present thesis analyses that hypothesis by reviewing the history of laws related to language and religion, especially as they concern the integration of immigrants, in France, English Canada and Québec. In parallel to those legal histories, the thesis presents sorne statistical data, notably to better understand the motivations of legislators and to assess the degree of conformity between social change and the policies these legislators have sought to pursue.

After having demonstrated certain weakness of the Québec model of integration;' this thesis proposes three reforms to improve it. The first one, which concems language legislation, is of republican inspiration. The other two focus on laws concerning religion and are inspired by the Canadian mode1 of integration.

Sommaire

On entend parfois dire que le modèle québécois d'intégration culturelle constitue une troisième voie entre le modèle français (l'intégration républicaine) et le modèle canadien (le multiculturalisme bilingue) en matière d'immigration. La présente étude analyse cette hypothèse en exposant 1 'histoire du droit linguistique et du droit des religions, surtout ses aspects qui concernent l'intégration des immigrants, telle qu'elle s'est déroulée en France, au Canada anglais et au Québec. Parallèlement à ces historiques juridiques, certaines données statistiques sont exposées, notamment dans le but de comprendre les motivations des législateurs et d'évaluer le degré de conformité entre des évolutions sociologiques et des objectifs formulés par ces derniers.

Après avoir démontré certaines faiblesses du modèle québécois d'intégration, ce mémoire propose trois réformes visant à l'améliorer. Une première réforme, qui concerne le droit linguistique, est d'inspiration républicaine. Les deux autres réformes portent sur le droit

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Ftemerciements

Je tiens à témoigner ma reconnaissance aux nombreuses personnes qui m'ont épaulé au cours de l'élaboration de ce mémoire.' Plus particulièrement, je désire souligner la contribution des personnes suivantes:

Ftoderick Macdonald, mon directeur de recherche, pour sa disponibilité et ses précieux commentaires;

Chantale Ftobinson, bibliothécaire à l'Office québécois de la langue française, pour son indispensable aide à la recherche;

Sébastien Poirier, économiste et amI, pour ses commentaires et son aide en matière d'analyse économique du droit;

Line Chaloux et Lyne Bérubé, du Centre d'orientation et de formation pour favoriser les relations ethniques (COFFRET), pour m'avoir permis de voir à travers leurs yeux comment se vit l'intégration des immigrants au quotidien.

Plus important encore, j'aimerais remercier du fond du cœur mes parents, Françoise et Jean-Pierre, et ma conjointe, Geneviève, qui m'ont toujours soutenu et sans qui ces pages n'auraientjarnais été écrites.

Enfin, je dois mentionner que l'aide financière du Conseil de recherches en sciences humaines (CFtSH) a été aussi indispensable que grandement appréciée.

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TABLE DES MATIÈRES

Table des matières

Liste des tableaux et graphique

Introduction

PREMIÈRE PARTIE

Les modèles français et canadien d'intégration des immigrants

1. L'intégration républicaine

A. La langue française comme ciment national

1) Le droit de la langue avant l'intégration républicaine

2) Le droit de la langue dans le cadre de l'intégration républicaine

B. La laïcité comme fondement du vivre-ensemble 1) La laïcité avant l'intégration républicaine

2) L'évolution de la laïcité dans le cadre de l'intégration républicaine

II. Le multiculturalisme bilingue

A. Le bilinguisme relatif comme compromis

1) Le droit des langues avant le multiculturalisme bilingue

2) Le droit des langues dans le cadre du multiculturalisme bilingue

B. Le multiculturalisme comme mode de gestion de la diversité religieuse 1) Le droit des religions avant le multiculturalisme bilingue

2) Le droit des religions dans le cadre du multiculturalisme bilingue

1 3 4 8 9 12 12 17 24 24 30 38 41 41

47

56 57 62

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DEUXIÈME PARTIE

Le modèle québécois d'intégration des immigrants et ses réformes possibles 72

1. Le modèle québécois d'intégration culturelle 73

A. La langue française comme langue commune 75

1) Le droit des langues avant le modèle québécois d'intégration 76 2) Le droit de la langue dans le cadre du modèle québécois d'intégration 80

B. La laïcité et l'interculturalisme comme principes directeurs en matière religieuse 90 1) Le droit des religions avant le modèle québécois d;intégration 90 2) Le droit des religions dans le cadre du modèle québécois d'intégration 95

II. Les réformes proposées au modèle québécois d'intégration culturelle 105

A Faire du français la langue d'enseignement collégial 106

1) La pertinence de l'idée d'appliquer la loi 101 au cégep 106 2) L'analyse économique de l'idée d'appliquer la loi 101 au cégep 112

B. Faire de l'école publique un lieu d'intégration pour un plus grand nombre 121

1) La pertinence des réformes proposées 121

2) Le pluralisme normatif et la prise en compte de la normativité religieuse 127

Conclusion 135

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LISTE DES TABLEAUX ET GRAPHIQUE

TABLEAUX:

Tableau 1 : Tableau illustrant le dilemme du prisonnier 113 Tableau 2 : Tableau illustrant le dilemme des groupes linguistiques québécois 115

GRAPHIQUE:

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Introduction

Depuis le milieu du siècle dernier, l'immigration est un phénomène qui gagne en importance presque partout en Occident. Cette immigration est non seulement plus nombreuse que jadis, mais elle aussi plus diversifiée. En effet, alors qu'à l'époque de la colonisation de même qu'à celle de 1'industrialisation les immigrants! provenaient surtout de pays européens et donc culturellement semblables, ceux de l'après-guerre étaient souvent d'origines plus lointaines et donc plus différents. C'est ainsi que dans les années 1970 s'est posée avec plus d'acuité la question de l'intégration.

Évidemment, chaque société d'accueil ayant sa tradition et son propre rythme d'évolution, différents modèles d'intégration se sont développés, certains davantage axés sur la cohésion et d'autres plus ouverts. À cet égard, il semble que les deux approches les plus diamétralement opposées soient l'intégration républicaine française et le multiculturalisme bilingue canadien, d'où l'intérêt de les comparer. De plus, il est intéressant d'étudier le modèle québécois d'intégration culturelle car il est en tension entre ces deux approches, du fait de l'influence culturelle française et de 1'application des politiques canadiennes au Québec. Certains affirment qu'il constitue une troisième voie entre ces deux extrêmes2, alors que d'autres croient qu'il est pratiquement identique au

modèle canadien3. Le but premier du présent mémoire est donc de situer le modèle

québécois par rapport à l'intégration républicaine et au multiculturalisme bilingue à l'aide de données juridiques, historiques et sociologiques. Nous voyons donc, dans l'ordre, les modèles français, canadien puis québécois d'intégration des immigrants4• Enfin, une

1 Afin d'alléger le texte, tous les termes qui renvoient à des personnes sont pris au sens générique. Ils ont à la fois valeur d'un masculin et d'un féminin.

2 A.-G. Gagnon et M. Jézéquel, «Le modèle québécois d'intégration culturelle est à préserver », Le Devoir, (17 mai 2004) A7.

3 W. Kymlicka, La voie canadienne. Repenser le multiculturalisme, Montréal, Éditions Boréal, 2003, à la p.l09.

4 S'agissant du modèle français, nous nous attardons uniquement à la France métropolitaine, laissant de

côté les départements et territoires d'outre-mer. Et lorsqu'il est question du modèle canadien, nous voyons les politiques fédérales et certaines des provinces anglophones, mais pas celle du Québec qui sont analysées uniquement dans la partie sur le modèle québécois.

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dernière section est consacrée à des réformes qui pourraient être apportées au modèle québécois d'intégration culturelle; réformes qui s'inspirent de l'intégration républicaine ou du multiculturalisme bilingue.

Cela dit, avant d'aller plus loin, il convient de définir ce que nous entendons par «modèle d'intégration », car il s'agit d'une notion au cœur de la présente étude. La Commission de terminologie et de néologie du domaine social, un organisme français, définit ce concept comme étant « (un) ensemble de traditions historiques et de pratiques politiques et administratives caractéristiques d'une politique d'accueil et d'intégration des immigrés dans une société donnée »5. Deux choses au moins méritent d'être soulignées à propos de cette définition. Premièrement, l'importance de l'histoire d'une société d'accueil pour l'élaboration de son modèle d'intégration. En effet, il serait erroné de croire que les modèles d'intégration sont les créations d'ingénieurs sociaux, qui les auraient conçus ex nihilo afin de faire face aux défis engendrés par l'arrivée massive

d'immigrants culturellement plus différents durant la seconde moitié du XXe siècle. Nous verrons plutôt que les grands principes juridiques qui façonnent les modèles d'intégration sont généralement issus de l'histoire, constitutionnelle notamment, des sociétés d'accueil. Deuxièmement, il faut convenir que cette définition est très vaste et assez imprécise, du fait qu'elle réfère à la notion «d'intégration », qu'il importe dès lors de définir à son tour. Toujours selon la même commission, l'intégration est: «( ... ) (un) processus, inscrit dans la durée ( ... ) celui d'une participation effective de l'ensemble des personnes appelées à vivre en France à la construction d'une société rassemblée dans le respect de valeurs partagées (liberté des personnes, laïcité de la vie publique, solidarité) telles qu'elles s'expriment dans des droits égaux et des devoirs communs. »6 De même, selon Marie McAndrew: «Dans la foulée de l'Acte du Multiculturalisme de 1988, l'intégration doit être considérée comme un processus d'adaptation réciproque dont

5 France, Commission de terminologie et de néologie du domaine social, « Les mots de l'immigration et de l'intégration» (1998), en ligne: Ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement

<http://www.social.gouv.fr/htmlmodedernploilvocab.htm>(date d'accès: 20 mai 2005).

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l'objectif est la pleine et active participation de tous à la VIe sociale, culturelle, économique et politique du Canada. »7.

On voit donc que, tant dans la définition française que dans la définition canadienne, l'intégration est caractérisée par la participation des citoyens et plus particulièrement des immigrants, puisqu'il est question d'intégration des immigrants. Évidemment, toute participation effective suppose l'existence d'au moins une langue commune, que les nouveaux arrivants peuvent utiliser afin d'interagir avec la population de leur société d'accueil. En effet, que ce soit pour travailler, pour étudier ou même pour aller voter en toute connaissance de cause, il va de soi qu'une bonne maîtrise de la langue commune est plus que souhaitable. D'ailleurs, Will Kymlicka explicite ce lien entre langue et participation lorsqu'il affirme que le degré d'intégration des immigrants dépend de la mesure dans laquelle ils en viennent à «conclure que leurs perspectives de vie sont liées à leur participation à l'ensemble des institutions sociales fondées sur une langue commune ... »8. Voilà pourquoi, pour chacun des modèles d'intégration qui sont analysés, nous voyons la législation concernant les langues, en insistant sur ses aspects qui concernent plus directement les immigrants, que l'on pense à ceux touchant l'école, et ses effets possibles sur la composition socio-linguistique de la société d'accueil.

Cela dit, si l'intégration linguistique des immigrants est souhaitable VOIre nécessaire, il en va autrement en matière religieuse. En effet, il est généralement admis qu'une société libérale, comme la France, le Canada anglais9 ou le Québec, ne doit pas favoriser l'intégration religieuse, mais doit au contraire promouvoir la liberté de religionlO• Ceci ne signifie toutefois pas nécessairement que les immigrants peuvent

continuer de pratiquer intégralement leur religion, comme ils pouvaient le faire dans leur

7 M. McAndrew, « Quelles politiques et programmes sont nécessaires pour assurer l'intégration des jeunes d'origine immigrante? », (2001), en ligne: Metropolis Canada

<http://canada.metropolis.netlRenewal/academic%20reports/McAndrew%20Rapport%202%20FR.htm> (date d'accès: 21 mai 2005).

8 Supra, note 3, à la p. 47.

9 Notons que l'expression « Canada anglais» signifie simplement le Canada sans le Québec. Nous l'utilisons car elle est bien connue, sans vouloir sous entendre que cette partie du Canada est ethniquement homogène.

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pays d'origine. L'intégration supposant l'adhésion à des «valeurs partagées» ou encore une « adaptation réciproque », il arrive que l'observance de certains rites ou le respect de certaines normes soient restreints par l'État d'accueil, au nom de principes fondamentaux tels la laïcité ou la protection des enfants. Plus particulièrement, il y a parfois de telles restrictions dans les écoles, ces lieux d'intégration par excellence où, par ailleurs, la majorité religieuse doit parfois renoncer à ses privilèges entre autres à cause de l'arrivée d'immigrants adeptes de religions minoritaires. L'encadrement juridique des religions en général, mais surtout dans les écoles, est donc le deuxième grand élément des modèles d'intégration que nous abordons.

Évidemment, il existe d'autres enjeux liés à ce que l'on pourrait appeler le droit de l'intégration, tels la discrimination positive et l'accès à la citoyenneté, qui sont laissés de côté. De même, malgré leur importance, les liens qui existent entre les modèles d'intégration et les politiques d'immigration ne sont pas évalués. Néanmoins, nous croyons qu'en exposant l'état du droit concernant les langues ainsi que les religions nous couvrons l'essentiel du sujet, et que cela suffit pour fournir une réponse à la question: le modèle québécois d'intégration culturelle est-il une troisième voie entre l'intégration républicaine et le multiculturalisme bilingue, ou simplement une variante de ce dernier modèle? Enfin, mentionnons que les idées de réformes du droit québécois qui sont exposées concernent, bien sûr, la législation linguistique et le droit des religions.

(12)

PREMIÈRE PARTIE

Les modèles français et canadien d'intégration des immigrants

Suite au déclin du socialisme, le débat sur les classes sociales qUI animait l'Occident depuis plus d'un siècle s'est transformé en un débat sur les identités. Plusieurs pays occidentaux touchés par le phénomène de l'immigration ont vu ce nouveau débat se concentrer autour de la question de la place des immigrants. C'est alors que des intellectuels et des chercheurs se sont mis plus intensément à la recherche de solutions pour favoriser l'intégration. Rapidement, un consensus a émergé à l'effet qu'il existe deux grandes approches en la matière: le républicanisme et le multiculturalisme. David Blatt résume ainsi l'opposition entre ces deux philosophies:

Le contraste principal entre le modèle républicain français et le modèle multiculturel attribué aux États-Unis et à la Grande-Bretagne tient dans le plus ou moins de reconnaissance que l'on accorde aux individus et aux groupes. Tandis que les systèmes multiculturels attribuent des droits et une reconnaissance à des groupes à base identitaire (définie par l' ethnicité, la religion, le sexe ou d'autres marqueurs culturels) et encouragent la participation au processus politique sur une base identitaire, les systèmes républicains traitent de manière indifférenciée tous les individus et rejettent l'identité en tant que base d'une reconnaissance par l'État ou d'une participation politique11•

Même si l'auteur associe ici le multiculturalisme aux États-Unis et à la Grande-Bretagne plutôt qu'au Canada, il n'en demeure pas moins que c'est ce dernier pays qui est le plus multiculturel, du moins au plan de la législation. En effet, le Canada a été en 1971 le premier pays à établir une politique officielle du multiculturalisme12 qui mena, en

II D. Blatt, «Une politique sans ethnicité ? Les immigrés en France, entre théorie et pratique» dans H.

Greven-Borde et J. Tournon, dir., Les identités en débat: intégration ou multiculturalisme?, Paris,

l'Harmattan, 2000, 136, à la p. 136.

12 J. E. Trent « La politique multiculturaliste au Canada: une cible mouvante », dans H. Greven-Borde et J. Tournon, dir., Les identités en débat: intégration ou multiculturalisme?, Paris, l'Harmattan, 2000,205,

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1988, à l'adoption d'une loi sur le multiculturalisme13. De plus, le Canada a constitutionalisé le multiculturalisme14, ce que les États-Unis et la Grande-Bretagne n'ont

pas fait. On comprend ainsi que le Canada est le pays multiculturel archétype qui constitue l'antithèse de la France, qui elle est le pays républicain archétype. D'ailleurs, c'est un peu ce qu'affirme Gil Courtemanche lorsqu'il écrit:

( ... ) le multiculturalisme ( ... ) (est) cette manière de proposer aux nouveaux arrivants de demeurer eux-mêmes dans le cadre légal canadien. ( ... ) Le modèle français est radicalement différent. Il propose l'intégration absolue, la transformation de l'immigrant en Français, en particulier à travers le système scolaire, instrument fondamental de la construction de la citoyenneté et de l'inclusion1s.

Il est donc intéressant de comparer les législations de ces deux pays en matière d'intégration, et plus précisément dans le domaine des langues et dans celui des religions en général mais surtout à l'école, afin de voir l'influence des philosophies multiculturelle et républicaine sur celles-ci.

J. L'intégration républicaine

Au cours des trente glorieuses, la France a accueilli un nombre important d'immigrants, dont une très grande partie était originaire d'Afrique, notamment du Maghreb 1 6. Le fait que la majorité d'entre eux avait pour langue maternelle une langue autre que le français, soit souvent l'arabe ou le berbère, et pour tradition spirituelle une religion autre que le christianisme, habituellement l'Islam, rendait plus difficile l'assimilation, qui s'était faite naturellement avec les vagues précédentes d'immigrants. De plus, il s'agissait essentiellement de travailleurs considérés comme temporaires. Dans cette optique où l'on envisageait le retour dans leur pays de ces étrangers, la politique du

13 Loi sur le multiculturalisme canadien, L.R.C. 1985 (4· supp.) c. 24.

14 Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-V.), 1982, c.ll, art. 27.

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gouvernement à leur égard fut marquée par une tentative de les exclure du jeu politiquel7 et un encouragement au maintien de leur culture. Par contre, lorsque le gouvernement de centre-droite décida de mettre un frein à l'immigration suite aux chocs pétroliers, il réalisa que ces étrangers avaient l'intention de rester de façon permanente et même de faire venir femmes et enfants. Dès lors, il y eut une politique répressive (refus de renouveler des permis de séjour, expulsions etc.) afin de les inciter à quitter, mais ce fut un échecl8. Ce n'est qu'avec l'arrivée au pouvoir en 1981 de la gauche et du président

François Mitterrand que fut appliqué un embryon de politique d'intégration, quoique à l'époque on parlait plutôt d'insertion. Plusieurs mesures furent alors prises pour favoriser la participation des immigrants. Par exemple, une loi fut adoptée pour permettre aux étrangers de s'associer librement19, des fonds furent consacrés à l'aide aux associations d'immigrants et des représentants des immigrants furent introduits au sein d'organismes voués à l'insertion2o•

Cette première politique d'insertion fut toutefois un échec, ou du moins elle fut perçue comme telle. En effet, dans le cadre d'une crise économique qui perdurait, les Français perçurent alors plus que jamais de façon négative l'immigration, ce qui permit à

l'extrême droite de connaître des succès électoraux en exploitant leur insécurité réelle, face au chômage, et symbolique, en matière d'identité nationale et d'héritage chrétien2l.

La réponse des grands partis politiques, de gauche comme de droite, et de la vaste majorité des intellectuels fut alors de se souder autour d'un nouveau modèle de gestion de l'immigration, qui rejetait tant le multiculturalisme d'une certaine extrême gauche que le racisme de l'extrême droite22• Ce nouveau modèle fut marqué par le passage de

16 J. Hollifield «Immigration and Republicanism in France: The Hidden Consensus» dans W. A. Cornelius, P. M. Martin et J. Hollifield, dir., Controlling immigration: a global perspective, Stanford (CA), Stanford University Press, 143, à la p. 152.

17 Supra note Il, à la p. 142. 18 Ibid, à la p. 143.

19Loi nO 81-909 du 9 octobre 1981, J.O. 10 octobre 1981, en ligne:

Lycos http://membres.lycos.fr/mgelbard/1981.htm(date d'accès: 14 juin 2005).

20 Supra note 11, à la p. 144. Au sujet de la représentation des immigrants, voir le décret du 18 janvier

1983.

21 Supra note Il, à la p. 155. 22 Supra note 11, à la p. 157.

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l'insertion à l'intégration (notamment avec la création en 1990 du Haut Conseil à l'intégration), le premier concept étant trop associé au maintien des particularités culturelles des immigrants2}. Ce changement fut enrobé dans une phraséologie

républicaine car il s'agissait là d'un retour aux sources; la tradition républicaine française ayant toujours été marquée d'une part par un refus d'accorder des droits collectifs aux minorités et, d'autre part, par une volonté de traiter les individus en toute égalité peu importe leurs caractéristiques identitaires24.

C'est dans le contexte de l'émergence de ce modèle républicain d'intégration, et de la politisation de l'immigration qui se poursuivit malgré tout, que fut réactualisé le combat pour la laïcité, bon vieux principe républicain considéré menacé par la montée de l'islamisme, notamment avec la première affaire du foulard en 1989. Puis, au cours des années 1990, marquées par le déclin du français dans le monde et l'augmentation du nombre d'arabophones en France, la question de la protection législative de la langue française refit surface à l'initiative du gouvernement de droite d'Édouard Balladur. Enfin, c'est en 2003 que le concept d'intégration républicaine, utilisé pour désigner le modèle français d'intégration des immigrants, fut officiellement introduit dans la législation. En effet, cette année là une loi sur l'immigration précisa à son article 8 que: «la délivrance d'une première carte de résident est subordonnée à l'intégration républicaine de l'étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de sa connaissance suffisante de la langue française et des principes qui régissent la République française. »25 On retrouve ces principes. qui régissent la République inter alia à l'article 1 de la Constitution française qui stipule que: «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »26 Évidemment, parmi ces principes un de ceux qui

23 Supra note Il, à la p. 156.

24 À ce sujet, on peut citer le duc de Clermont-Tonneterre qui déclara en 1791 : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ... ». J.-L. Amselle, Vers un multiculturalismefrançais, Mayenne (Fr.), Aubier, 1996, à la p. 154.

25 Loi no 2003-119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en

France et à la nationalité, J.O. 27 novembre 2003, en ligne: Légifrance

<http://www.legifrance.gouv.fr/W Aspad/UnTexteDeJorf?numjo=INTX0300040L> (date d'accès: 14 juin 2005).

26

Constitution du 4 octobre 1958, en ligne: Légifrance

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affectait plus particulièrement les immigrants, qui étaient généralement musulmans ou chrétiens pratiquants, était celui de la laïcité. C'est pourquoi il fera l'objet d'une analyse dans le cadre du présent mémoire. Mais d'abord, il convient de nous attarder à la question de la langue française, de sa protection juridique et de son apport en matière d'intégration des immigrants en France.

A. La langue française comme ciment national

Puisque nous cherchons à démontrer l'importance de la législation linguistique pour l'intégration républicaine aujourd'hui, nous nous attardons surtout à l'évolution de celle-ci depuis les années 1990. Cela dit, il n'en demeure pas moins qu'il convient de reculer davantage dans le temps pour mieux l'évaluer.

1) Le droit de la langue avant l'intégration républicaine

Sous l'Ancien régime, alors que le français s'imposait comme la langue de la diplomatie internationale, une ordonnance qui fit du français la langue de la Justice fut suivie par quelques autres textes visant à assurer la prédominance du français en France27.

Cependant, ce n'est qu'avec la Révolution, période où l'on associa plus que jamais langue et nation, que l'intérêt pour la question de la langue devint vraiment considérable. De plus, la Révolution fut marquée certes par l'avancement des droits individuels, avec la

Déclaration des droits de l 'homme et du citoyen qui protège notamment la liberté de

pensée et d'expression, mais aussi par l'idée que les langues et dialectes autres que le français étaient associés à tous les maux de la France révolutionnaire. À ce propos, nous pouvons citer le Rapport du Comité de Salut public sur les idiomes, du 8 pluviôse de l'an II : «Le fédéralisme et la superstition parlent breton ; l'émigration et la haine de la

République parlent allemand ; la contre-révolution parle italien, et le fanatisme parle

basque. Cessons ces instruments de dommages et d'erreur. »28

27 M.-J. de Saint-Robert, La politique de la langue française, Paris, Presses Universitaires de France, 2000,

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C'est donc dans un esprit de méfiance envers les autres langues et suite à ce rapport que plusieurs lois favorisant le français furent votées. Mentionnons la loi du 2 thermidor de l'an II, datant de 1794, dont le premier article se lit comme suit: « À

compter du jour de la publication de la présente loi, nul acte public ne pourra, dans quelque partie que ce soit du territoire de la République, être écrit qu'en langue française29 ». Cette loi fit donc du français la langue de l'administration publique. Il semble donc que depuis cette époque, toute personne souhaitant s'établir en France doit apprendre le français afin de transiger avec l'État. Il s'agissait là d'un puissant incitatif à l'intégration linguistique.

Par ailleurs, ce qui est sûr hors de tout doute, c'est que l'unification linguistique en France fut réalisée surtout grâce à l'école. Il y a eu quelques textes de loi à ce sujet, tel ce décret non-abrogé du 27 Brumaire de l'an II, qui mentionne à son article 3 que: «l'enseignement sera fait en langue française: l'idiome du pays ne pourra être employé que comme un moyen auxiliaire »30. Cela dit, c'est vraiment à la fin du XIXe siècle, grâce aux lois dites de Jules Ferry qui portaient sur l'éducation et non directement sur la langue, que l'école commença à jouer pleinement son rôle d'intégration linguistique.

Grosso modo, la politique scolaire de l'époque visait à remplacer les écoles où l'on

utilisait notamment des patois locaux par des écoles où seul le français avait droit de citer31• En effet, l'arrêté ministériel du 7 juin 1880 fixant le règlement modèle des écoles

primaires énonçait que: « Le français sera seul en usage dans l'école ». Cette politique eut un effet prodigieux, car l'implantation de ce système d'éducation républicaine et

28 J.-.M. Pontier, Droit de la langue française, Paris, Éditions Dalloz, 1997, à la p. 6.

29 J. Leclerc, «La politique linguistique du français» (2005), en ligne: L'aménagement linguistique dans le monde

<http://www.tlfq.ulaval.ca/axIleurope/france--politik_francais.htm> (date d'accès: 9 juin 2005).

30J._C. Amboise, L'utilisation de la langue française face aux langues étrangères: les garanties juridiques, Paris, Presses universitaires du Septentrion, 1999, à la p. 27.

31 Supra note 28, à la p. 8. Rappelons que l'article 1 de la loi du 28 mars 1882 sur l'instruction publique obligatoire stipulait notamment que: « L'enseignement primaire comprend ... La langue et les éléments de la littérature française ... ». Par contre, cette loi ne comprenait aucune référence aux langues autres que le français. Elle fut abrogée par l'ordonnance 2000-549 du 15 juin 2000, J.O. 22 juin 2000, 9346, qui lui

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l'exode rural constituèrent les principales causes du déclin accéléré des langues régionales au cours du XXe siècle. Ce dit déclin a été décrit habilement ainsi:

avant 1930, une personne sur quatre parlait une langue régionale avec ses parents, le plus souvent de façon habituelle ( ... ) Cette proportion passe à une personne sur dix dans les années 1950, puis une sur vingt dans les années 1970. De plus, depuis le milieu des années 1950, les langues régionales sont deux fois plus souvent reçues comme langue occasionnelle que comme langue habituelle.32

Paradoxalement, c'est justement au moment où il devint quasi-hégémonique au niveau national, que le français amorça son déclin sur la scène internationale à cause de la montée en puissance de l'anglais, elle-même liée à l'influence grandissante des États-Unis. Ce paradoxe amena le législateur à s'intéresser consécutivement à la préservation des langues minoritaires et à la protection de la langue française. Le premier de ses soucis se traduisit entre autres par l'adoption en 1951 de la loi Deixonne33 concernant l'enseignement des langues régionales. En fait, cette loi prévoyait des exceptions au principe du français langue d'enseignement et ce, au profit des langues régionales. Toutefois, ces exceptions sont très limitées. L'article 3 de cette loi est révélateur à ce propos:

Tout instituteur qui en fera la demande pourra être autorisé à consacrer, chaque semaine, une heure d'activités dirigées à l'enseignement de notions élémentaires de lecture et d'écriture du parler local et à l'étude de morceaux choisis de la littérature correspondante.

Cet enseignement est facultatif pour les élèves.

En 1975, la loi Habl4 est venue renforcer l'enseignement de langues régionales à l'école en stipulant à son article 12 que: «Un enseignement des langues et des cultures

32 F. Clanché, « Langues régionales, langues étrangères: de l'héritage à la pratique », (2002) n° 830 Bulletin de l'INSEE, à la p. 3.

33 Loi no 51-146 du 11 janvier 1951 relative à l'enseignement des langues et dialectes locaux, J.O., 13 janvier 1951,483.

34 Loi n° 75-620 du Il juillet 1975 relative à l'éducation, J.O., 12 juillet 1975, en ligne: Fédération des

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régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité ». Enfin, la circulaire Savary de 198235 a étendu la possibilité d'un tel enseignement à toutes les langues régionales, alors qu'avant les dialectes allogènes tels l'alsacien et le corse étaient exclus. Malgré cette évolution sur le plan législatif, les cours de langues régionales, généralement d'une heure par semaine, demeurèrent marginaux. Par exemple, pour l'année 1983-1984, il Y avait au niveau élémentaire 9 classes expérimentales bilingues et 79 instituteurs affectés aux langues régionales36. En ce qui concerne le secondaire, nous disposons de davantage de

données pour l'année 1984-1985, au cours de laquelle il y avait 16401 élèves concernés pour 48 postes d'enseignants dans le domaine37• Même en ajoutant à cela quelques

milliers d'élèves du privé qui bénéficiaient aussi d'un enseignement des langues régionales, au total le phénomène restait marginal, moins de 1 % des effectifs étant touché. On comprend donc pourquoi il n'y eut pas de ralentissement de la chute des langues régionales, même après les lois Deixonne et Haby. Dans ce contexte, il est évident qu'aucun immigrant ne s'intégrait à une communauté linguistique régionale, le français demeurait donc la seule langue d'intégration.

Mais, plus important encore dans le cadre du présent mémoire est le programme d'enseignement des langues et cultures d'origine (ci-après ELCO), mis en place au début des années 197038• Le but de l'ELCO était d'offrir aux élèves étrangers fréquentant les

écoles françaises des cours leur permettant de maintenir des liens avec leurs racines et ce, afin de faciliter un retour possible dans leur pays d'origine39. D'ailleurs, ces cours étaient offerts seulement lorsqu'il existait un accord avec un pays étranger car, comme le précisait une circulaire sur ce sujet: « Les cours sont donnés par des enseignants étrangers, recrutés et rémunérés par leur gouvernement et agréés par l'inspecteur

35 Circulaire n082-261 du 21 juin 1982 sur l'enseignement des cultures et langues régionales dans le

service public de l'Éducation nationale, BO, n° 26, 1er juillet 1982,9.

36 G. Vennes et J. Boutet, dir., France, pays multilingue, Paris, L'Harmattan, 1987, à la p. 174.

37 Ibid.

38 M. Lazaridis « Apprentissage de la langue française et scolarisation des enfants migrants: l'exemple français}} dans V. Conti et J.-F. de Pietro, dir., L'intégration des migrants en terre francophone, Aspects linguistiques et sociaux, Actes du Séminaire de Neuchâtel, Suisse, 4-5 décembre 2001,

Neuchâtel, LEP, 2005, 95, à la p. 96.

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d'académie »40. Entre 1973 et 1981, huit pays d'émigration ont signé un accord bilatéral avec la France afin que leurs ressortissants vivant en France aient droit à l'ELCO. Il s'agissait, par ordre chronologique, du Portugal, de l'Italie, de la Tunisie, du Maroc, de l'Espagne, de la Yougoslavie, de la Turquie et de l'Algérie 41. Fait à souligner, à partir du

milieu des années 1980, soit au moment de l'émergence du modèle d'intégration républicaine, l'ELCO a été l'objet de vives critiques mettant en doute la cohérence de ce programme avec la politique d'intégration42. Il n'est donc pas surprenant de constater

que, depuis, aucun nouvel accord bilatéral à ce sujet n'a été conclu. Par contre, il faut dire que déjà à cette époque le programme ELCO avait pris une certaine ampleur, du moins au niveau de l'élémentaire. En effet, en 1985, il Y avait 137 532 élèves de ce niveau qui suivaient des cours de langues étrangères, intégrés ou non dans l'horaire43. Au niveau

secondaire, les données dont nous disposons datent de 1979-1980 et révèlent qu'il y avait 14 sections bilingues dans les écoles publiques pour les langues des pays d'immigration44. Combiné au phénomène de l'immigration galopante, le dispositif ELCO a probablement renforcé une tendance favorable aux langues étrangères. À ce suj et, un auteur affirme que :

( ... ) la proportion d'adultes élevés à l'étranger ou élevés en France par deux parents nés à l'étranger est passée, en un siècle, de 15% à 18%. La fréquence d'utilisation des langues étrangères en famille a suivi cette tendance, passant pour l'usage régulier de 8% dans les années trente à Il % dans les années soixante-dix, et pour les usages occasionnels de 2% à 4%.45

Ceci nous amène à notre prochain sujet: l'inquiétude quant à l'avenir de la langue française et la réaction du législateur. C'est en 1975 qu'une loi générale sur la langue française fut adoptée: la loi Bas-Lauriol qui s'appliquait entre autres aux employeurs,

40 Circulaire du 30 mars 1976 relative à l'utilisation des locaux scolaires en dehors des heures de classe,

pour l'ouverture de cours de leur langue maternelle à des élèves étrangers des écoles élémentaires, J.O., 30

avril 1976, 2609.

41 France, L'évolution des dispositift d'enseignement des langues et cultures d'origine, par J. Lang, (2001), en ligne: Ministère de l'Éducation nationale

<http://www.éducation.gouv.fr/discoursI2001levolangue.htm/> (date d'accèes : 14 juin 2005).

42 Supra note 38, à la p. 97. 43 Supra note 36, à la p. 175. 44 Ibid.

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aux commerçants et aux collectivités locales46. Cette loi avait deux objectifs principaux.

Premièrement, elle interdisait l'utilisation d'une langue étrangère et ce, afin de protéger les usagers de la langue française contre les incompréhensions qui pouvaient résultées de l'emploi de textes étrangers ou de mots étrangers dans un texte français47.

Deuxièmement, elle avait pour but de protéger la langue française en tant que telle, pour sa valeur intrinsèque, et non seulement ses utilisateurs. Autrement dit, c'est l'identité linguistique et donc nationale des Français qu'elle devait préserver48. D'ailleurs, la

jurisprudence a confirmé ce deuxième objectif, en précisant qu'il pouvait y aVOIr infraction à cette loi même si le consommateur avait bien compris 1'information49.

2) Le droit de la langue dans le cadre de l'intégration républicaine

Il convient à ce stade-ci de s'attarder à l'autre grande étape dans l'histoire du droit de la langue, soit la reconnaissance constitutionnelle du français, qui survint en 1992, soit au moment du développement de l'intégration républicaine. En effet, cette année là, un alinéa a été ajouté à l'article 2 de la Constitution française afin de préciser que: « La langue de la République est le français ». Plusieurs raisons expliquent que cette mention ait été jugée nécessaire en 1992. On peut penser à la constatation que la langue française poursuivait son déclin sur la scène internationale, mais aussi sur la scène nationale du fait de l'utilisation plus fréquente de l'anglais par les élites notamment. Cela dit, il Y aurait d'autres motifs moins officiels expliquant la constitutionnalisation du français. Par exemple, on remarque que cette référence à la langue de la République se trouve à l'article 2, soit en compagnie de la mention de l'hymne national, « La Marseillaise », de 1'emblème, le tricolore, et de la devise, « Liberté, Égalité, Fraternité ». Commentant cet article tel qu'amendé, un auteur affirme que:

45 Supra note 32, à la p. 2.

46 Loi no 75-1349 du 31 décembre 1975 relative à l'emploi de la langue française, J.O., 4 janvier 1976,

189.

47 Circulaire du 14 mars 1977 concernant la loi du 31 décembre 1975 relative à l'emploi de la langue

française, J.O., 19 mars 1977, 1483. 48 Supra note 30, à la p. 68.

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Ces éléments ne sont devenus constitutionnels que parce qu'ils étaient déjà perçus comme constitutifs de l'identité nationale. C'est, en même temps, parce qu'il y avait acceptation populaire provenant d'une lente imprégnation et crainte, passée ou future, d'une possible remise en cause de ce qui est considéré désormais comme une composante de la nation, que le constituant a estimé indispensable d'inscrire dans le droit et la «norme fondamentale » ces caractéristiques. 50

De plus, une auteure écrit au sujet de la constitutionnalisation du français: « On ne peut non plus exclure des visées politiciennes pour expliquer le vote de cet amendement par les parlementaires français. »51 En interprétant ces commentaires l'un à la lumière de l'autre et le tout dans le contexte du début des années 1990, soit celui d'un vif débat sur l'immigration et l'identité française, on peut penser que cet amendement avait aussi pour but de rappeler aux populations immigrantes l'importance de l'intégration à la nation, qui passe notamment par l'intégration linguistique. Ce ne serait donc pas un hasard si cette modification constitutionnelle survint alors que la communauté arabo-musulmane devenait plus visible, notamment avec la multiplication des mosquées, et plus audible, le pourcentage d'arabophones passant de 1% à 3% entre les années 1960 et les années

199052.

Cela dit, au delà de l'intention du législateur, comme toute disposition constitutionnelle, celle sur le français langue de la République a un impact qui dépend de l'interprétation qu'en fait la jurisprudence. À cet égard, on doit· citer la décision du Conseil constitutionnel sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

(ci-après la Charte)53. Dans cette décision, ce Conseil affirma qu'il faut concilier le

50 Supra note 28, à la p. 37.

51 Supra note 27, à la p. 85.

52 F. Héran, A. Filhon et e. Deprez, « La dynamique des langues en France au fil du XXe siècle », (2002), n° 376, Population et Sociétés, à la p. 3.

53 Cons. constitutionnel, 15 juin 1999, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, 1.0.1999,8964,99-412 De. Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, Strasbourg, 5.X1.1992 en ligne: Conseil de l'Europe

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principe de la liberté de pensée et d'expression, contenu à l'article Il de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui se retrouve dans la Constitution, et le

principe du français langue de la République. Puis, à la lumière de cette considération, il poursuivit en énonçant que:

( ... ) en vertu de ces dispositions, l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public ; ( ... ) les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage ; ( ... ) l'article 2 de la Constitution n'interdit pas l'utilisation de traductions ( ... )

Le Conseil a donc conclu que la Charte contrevenait à la Constitution, car cette dernière ne reconnaissait pas le droit de pratiquèr une langue autre que le français dans la vie publique, ce qui comprend la Justice ainsi que les autorités administratives et les services publics. Mais, il y a plus, car le Conseil constitutionnel profita de cette décision pour rappeler les grands principes de la République et, du coup, la philosophie républicaine en ces termes : «ces principes fondamentaux (indivisibilité et unicité du peuple français notamment) s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance» (nos soulignements). Suite à cette décision, le Président français a refusé d'amender la Constitution pour permettre la ratification par la France de la Charte, car il souhaitait préserver les principes fondamentaux de la République. Bien que cette décision du Conseil constitutionnel portait sur les langues régionales, et non directement sur les langues issues de l'immigration qui ne sont pas visées par la Charte, elle a eu un impact sur les immigrants, puisque la non-reconnaissance d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français dans la vie publique valait également à l'égard des langues de l'immigration. Concrètement, cela signifiait qu'un immigrant qui cherchait à

communiquer avec l'État français, afin d'obtenir des prestations par exemple, devait le faire en français, sauf dans les cas exceptionnels où une traduction était possible. Il

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s'agissait là d'une incitation à apprendre la langue nationale qui n'est pas sans rappeler la loi du 2 thermidor de l'an II.

Par ailleurs, tous les motifs justifiant la constitutionnalisation de la langue de la République, de l'inquiétude causée par le déclin du français au souci pour l'identité nationale, étaient aussi valables pour justifier une nouvelle loi linguistique. Cela dit, sur le plan plus technique, c'est le champ d'application trop étroit et l'inefficacité de la loi Bas-Lauriol qui a poussé le législateur à adopter une version revue et améliorée de cette loi. En effet, la loi Bas-Lauriol était très peu appliquée. Par exemple, de 1990 à 1994, il n'y a eu que 44 condamnations par les tribunaux pour 5834 plaintes54. De plus, cette loi prévoyait peu de sanctions dissuasives.

À l'opposé, la loi Toubon de 199455, en plus de contenir des dispositions stipulant

des peines relativement sévères en cas d'infraction, avait un spectre plus large que celui de la loi Bas-Laurio!. Premièrement, en matière d'enseignement la loi Toubon prévoyait que les examens, concours, thèses et mémoires devaient se faire en français et ce, aussi bien dans les établissements publics que privés (art. Il). Par contre, elle mentionnait qu'il pouvait y avoir des exceptions pour les langues régionales ou étrangères. Deuxièmement, elle appliquait l'obligation d'employer le français notamment aux conventions collectives et à tout document nécessaire au travailleur pour l'exécution de ses tâches, alors que la loi Bas-Lauriol régissait seulement les contrats et offres de travail, tout en prévoyant des exceptions pour les travailleurs étrangers (art. 8 à 10). Troisièmement, reprenant en partie l'article 1 de la loi Bas-LaurioI, elle énonçait à son article 2 que: «Dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue française est obligatoire ». De plus, elle comprenait les mêmes exceptions pour les produits typiquement étrangers. Quatrièmement, la loi Toubon étendait les cas d'emploi obligatoire du français aux inscriptions sur la voie publique (art. 3), alors que la loi Bas-Lauriol se contentait du service public au sens strict.

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Fait surprenant, elle précisait qu'il pouvait y avoir une traduction de ces inscriptions, mais que lorsqu'elles étaient apposées par une personne morale de droit public ou une personne privée exerçant une mission de service public cette traduction, devait être faite en deux langues minimum (art. 4). Officiellement, cette clause avait pour but de favoriser le plurilinguisme56. Néanmoins, on peut penser que le législateur voulait surtout éviter qu'émerge une deuxième langue pouvant potentiellement concurrencer le français et ce, afin de favoriser l'intégration linguistique forcément facilitée dans un contexte où une seule langue prédomine nettement.

Ceci dit, il faut savoir que la loi Toubon a été invalidée en partie par les tribunaux. D'abord, une première clause de la loi Toubon a été jugée inconstitutionnelle car elle contrevenait, selon le Conseil constitutionnel, à la liberté de pensée et d'expression proclamée par l'article 11 de la Déclaration des droits de ['homme et du citoyen57• Plus

précisément, cette disposition qui a été invalidée subordonnait l'octroi d'une subvention à la promesse par les chercheurs de publier, de diffuser ou de traduire en français leurs publications en langue étrangère. De plus, cette décision a déclaré contraire à la Constitution, toujours en vertu du même article Il, les références à la terminologie officielle. Autrement dit, alors que la loi Toubon prévoyait à l'origine, comme la loi Bas-Lauriol, que des commissions de terminologie détermineraient quels mots sont français, l'invalidation de ces références fait en sorte que ce sont les tribunaux qui doivent maintenant effectuer cette détermination.

Bien que ces deux premières modifications étaient loin d'être mineures, celle qui a fait couler le plus d'encre découlait non pas d'une décision du Conseil constitutionnel français, mais d'un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes. En effet,

55 Loi no 94-665 du 4 août 1994, J.O., 5 août 1994, en ligne: Légifrance

<http://www.legifrance.gouv.fr/texteconsolideIPCEAW.htm> (date d'accès: 6 octobre 2005).

56 Circulaire no 99-40 du 28 septembre 1998 concernant l'application, dans le domaine des transports, des

dispositions des articles 3 et 4 de la loi nO 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, B.O., nO 20, 10 novembre 1999, en ligne: Le site fédérateur du monde de l'auto-école, du

permis de conduire et de la sécurité routière <http://www.lepermis.comlcode/textes2.php?texte=76> (date d'accès: 6 octobre 2005), art. 2.1.

57 Cons. constitutionnel, 29 juillet 1994, Loi relative à l'emploi de la langue française, J.O. 1999, 11240, 94-345 DC.

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cette cour a jugé que l'article 30 du traité instituant la Communauté européenne et l'article 14 de la directive européenne 79/112, qui ont pour but de favoriser la libre circulation des biens,« s'opposent à ce qu'une réglementation nationale impose l'utilisation d'une langue déterminée pour l'étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la possibilité qu'une autre langue facilement comprise par les acheteurs soit utilisée ou que l'information de l'acheteur soit assurée par d'autres mesures. »58 Bien que cet arrêt visait le Code de la consommation, qui précisait que les mentions d'étiquetage devaient être rédigées en français, et non directement la loi Toubon, elle a incité le législateur français à adopter une circulaire restreignant la portée de cette loi afin de la rendre conforme au droit communautaire européen. En effet, la circulaire Tasca59 précisa que:

Faisant suite à la jurisprudence récente de la Cour (de Justice des Communautés européennes), la présente circulaire rappelle que l'article 2 de la loi (Toubon) ( ... ) ne fait pas obstacle à la possibilité d'utiliser d'autres moyens d'information du consommateur, tels que des dessins, symboles ou pictogrammes. Ceux-ci peuvent être accompagnés de mentions en langue étrangère non traduites en français, dès lors que les dessins, symboles ou pictogrammes et les mentions sont, soit équivalents, soit complémentaires sous réserve qu'ils ne soient pas de nature à induire en erreur le consommateur.

Que faut-il comprendre de cet arrêt et de cette circulaire? D'abord, il est clair que l'expression « autre langue facilement comprise par les acheteurs », utilisée par la Cour européerine, est un euphémisme pour dire que l'anglais peut figurer seul sur les produits circulant en Europe. En effet, en France, comme dans la plupart des pays européens, l'anglais est la langue étrangère comprise par le plus grand nombre de personnes. Donc, il semble que l'objectif du législateur français consistant à éviter l'émergence d'une deuxième langue commune et à protéger l'identité nationale puisse être mis en échec par

58 Yannick Geffroy c. Casino France SNC, C-366/98, [2000J, en ligne: Impératif Français

<http://imperatif-francais.org/dossiers/dossiers.php?id _ dossier=2043> (date d'accès: 14 juin 2005). 59 Circulaire du 20 septembre 2001 relative à l'application de l'article 2 de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, J.O. du 27 octobre 2001, en ligne: Défense de la langue française

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le droit communautaire européen. Plus généralement, cet arrêt révèle que la perte de souveraineté nationale inhérente à la construction européenne restreint le pouvoir de la France d'édicter la législation linguistique qui lui convient et donc, de déterminer seule son modèle d'intégration des immigrants.

Par ailleurs, un autre aspect de la politique linguistique française qu'on dit influencé par l'Europe, c'est celui qui concerne la francisation des immigrants. En effet, un peu à l'image de ce qui se faisait déjà au Pays-Bas60, en 2003 la France a mis en place des contrats d'accueil et d'intégration (ci-après «CAl ») à l'intention des nouveaux arrivants. En gros, en vertu de ce contrat: «L'État offrira des prestations linguistiques, une formation civique, un diagnostic des besoins et un accompagnement social si nécessaire ainsi qu'un suivi approprié. L'étranger signataire du contrat s'engagera en contrepartie à suivre les formations proposées. »61 Lors de sa période d'expérimentation du 1 juillet au 31 décembre 2003, le CAl a été proposé à 9 220 nouveaux arrivants et il a été signé par plus de 87 % d'entre eux, soit plus de 8 000 personnes62• Par la suite, ce

programme a été offert dans un nombre croissant de départements, de sorte que plus de 60 000 CAl ont été conclus en date du printemps 2005 et, en 2006, des CAl seront proposés à tous les nouveaux arrivants destinés à s'établir en permanence63. Évidemment,

ce qui nous importe dans le cadre de la présente section, c'est le volet linguistique du CAl. À ce sujet, mentionnons que parmi les signataires d'un CAl, le pourcentage de personnes ayant besoin de formations linguistiques était de 34,8 % au début de

60 A. Norbert, « Concours le contrat d'intégration» (2004), en ligne: Infrrrniers.com

<http://www.infrrrniers.com/conc/revisionicontratintegration.php> (date d'accès: 14 juin 2005).

61 France, Direction de la population et des migrations, Bureau de l'action sociale, culturelle et territoriale,

Note DPM/ACIl N°78 du 23 avril 2003 relative aux modalités de mise en œuvre de l'expérimentation du contrat d'accueil et d'intégration, Paris, 2003, en ligne: Ministère de l'emploi, de la cohésion sociale

et du logement

<http://www.social.gouv.fr/htrnlpointsur/accueil/cai_note230403.htm> (date d'accès: 14 juin 2005).

62 Ibid.

63 France, Présidence de la République, Communiqué du Conseil des ministres, (27 avril 2005), en ligne:

Présidence de la République

<http://www.elysee.fr/elysee/francais/salle _ de ---'presse/communiques_du _ conseil_des _ ministres/2005/av ril/communique _du _ conseil_des _ministres_du _ 27_04_ 2005.29624.htrnl> (date d'accès: 14 juin 2005).

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l'application de ce programme64. C'est donc à ce groupe qu'étaient offerts des cours de

français adaptés à leurs besoins, qui pouvaient s'étaler sur un maximum de 500 heures65.

Ce nouveau programme devait donc accentuer l'intégration linguistique qui était déjà un succès, si on considère par exemple le fait que seul 3% des adultes qui vivaient en France à la fin des années 1990 avaient été élevés uniquement dans une langue autre que le français66.

B. La laïcité comme fondement du vivre-ensemble

Nous verrons au cours de la prochaine section que le principe de laïcité a été réactualisé depuis la fin des années 1980, soit au moment de l'élaboration du modèle d'intégration républicaine. Néanmoins, ici aussi, un retour sur l'histoire plus lointaine est nécessaire afin de comprendre pourquoi ce principe a une si grande valeur.

1) La laïcité avant l'intégration républicaine

C'est vraiment avec la Révolution que la laïcité devint un principe fondamental. D'abord, il y a eu la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui énonça à son article lOque: «Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » Puis, dans la foulée de cet acte fondateur, la Constituante émancipa les protestants et les juifs. Plus particulièrement, elle fit des juifs des citoyens à part entière, tout en éliminant les exceptions à leur égard qui protégeait leur façon de vivre particulière67• L'objectif de la

Constituante fut habilement résumée par le duc de Clermont-Tonnerre qui déclara en

64 « Immigration, Le contrat d'accueil et d'intégration dans son contexte », en ligne: Office des migrations internationales

<http://www.ifs.lu/GrundtviglHerzogemath/integration-contract-france.pd!> (date d'accès: 14 juin 2005). 65 « La refondation de la politique française d'accueil et d'intégration: un point d'étape, un an après le

comité interministériel à l'intégration (CIl) du 10 avril 2003 » (2004), en ligne: portail du premier ministre

<http://www.premierministre.gouv.fr/acteurs/connnuniques _ 4/refondation -'politique_francaise _ matiere _44 217.htrnl> (date d'accès: 14 juin 2005).

66 Supra note 32, à la p. 1.

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1791: «Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme . d··d ( ) 68

ln IVI us ... » .

Cependant, ce qui marqua encore davantage la Révolution, c'est la lutte entre le pouvoir politique et l'Église catholique. Dans un premier temps, la Constituante tenta de nationaliser l'Église catholique entre autres en étatisant ses biens ainsi qu'en prévoyant l'élection de ses dirigeants par la nation69 et ce, afin de libérer le peuple de la tutelle de Rome et de l'amener vers les lumières de la Raison. Comme le Pape refusa cette réforme, il s'en suivit un schisme: certains prêtres restèrent fidèles à Rome alors que d'autres prêtèrent serment à la Révolution. Ce n'est qu'en 1802 avec le Concordat, élaboré sous les hospices de Napoléon, que la situation se stabilisa. L'article 1 de ce concordat indiquait, d'une part, que la République reconnaissait le catholicisme comme étant la religion de la grande majorité des Français et, d'autre p·art, que l'Église acceptait de se soumettre aux règlements du gouvernemeneo. Le Vatican accepta la nationalisation de ses biens, contre quoi l'État français s'engagea à assurer une rémunération convenable aux évêques et curés 71. Par ailleurs, des Articles organiques furent ajoutés au Concordat

afin de réorganiser les cultes protestants (luthérien et réformé) qui purent alors jouirent des mêmes droits que le catholicisme, notamment en matière de rémunération des pasteurs 72. Enfin, mentionnons que ces droits furent aussi conférés au judaïsme suite à un

décret de 1808, qui faisait suite à la convocation par Napoléon d'un Grand Sanhédrin et d'une Assemblée de notables juifs, quoique la rémunération des rabbins par l'État ne commença qu'en 183e3• Cela dit, si l'égalité proclamée entre les différents cultes

reconnus était bien réelle au plan juridique, elle l'était moins dans les faits, puisque des statistiques de 1814 révèlent que 2% des Français étaient protestants et 0,2% étaient juifs74, alors que les 97,8% restant était en quasi-totalité catholique. D'ailleurs, les immigrants qui s'installèrent en France au XIXe siècle ne changèrent guère ces données,

68 J.-L. Amselle, Vers un multiculturalismefrançais, Mayenne (Fr.), Aubier, 1996, à la p. 154. 69 A. Boyer, Le droit des religions en France, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, à la p. 29. 70 G. Bedouelle et J.-P. Costa, Les laïcités à la française, Presses Universitaires de France, 1998, à la p. 26. 71 Ibid.

72 Supra note 67, à la p.23.

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car ils étaient en grande majorité catholiques, notamment en provenance d'Italie, de Pologne et de Belgique75.

Après le Concordat, la lutte au sujet de la place de la religion dans la vie publique se poursuivit sur plusieurs fronts, dont celui de l'école. La première loi importante concernant la religion à l'école fut la loi Guizot de 1833 sur l'instruction primaire76•

D'une part, les articles 3 et suivants de cette loi légalisaient l'enseignement privé et, d'autre part, son article 2 stipulait que: «Le vœu des pères de famille sera toujours consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse ». Toutefois, avec la loi Falloux de 185077, il Y eut un retour en force de la

religion à l'école. Premièrement, cette loi prévoyait à son article 44 que: «Les autorités locales préposées à la surveillance et à la direction morale de l'enseignement primaire sont, pour chaque école, le maire, le curé. » C'est donc dire que l'enseignement religieux redevint obligatoire. Deuxièmement, l'article 69 de cette loi favorisa le développement d'écoles privées en permettant les subventions publiques à ces dernières.

Deux ans après l'adoption de la loi Falloux, Napoléon III, qui avait été élu au suffrage universel masculin, fit un Coup d'État pour abolir la République et restaurer l'Empire. Il fit ensuite approuver ce changement de régime par plébiscite. Son règne dura jusqu'en 1870 grâce à l'appui du peuple. Par la suite, les républicains désignèrent l'Église catholique comme responsable de cet épisode car, selon eux, elle maintenait le peuple loin des lumières. C'est pourquoi dès leur retour au pouvoir, ils entreprirent de réduire son influence qui s'exerçait notamment grâce à l'école, en faisant de cette dernière un lieu où l'individu peut accéder à la Raison, et donc se libérer de l'oppression religieuse, grâce notamment à l'enseignement d'une morale laïque. Ainsi, en 1882 fut

74 Ibid, à la p. 29.

75 Supra note 70, aux p. 225 et 227.

76 Loi du 28 JUin 1833 sur l'instruction primaire, en ligne: Anovi

<http://www.19e.org/documents/enseignementJIoiguizot1833/loi.htm> (date d'accès: 6 octobre 2005), aux art. 9 et Il.

77 Loi du 15 mars 1850 sur l'enseignement, en ligne: Università degli Stdi Roma Tre

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adoptée la plus importante des lois dites de Jules Ferry78. D'abord, cette loi abrogea l'article 44 de la loi Falloux et, par son article 2, elle précisa que: «Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants, l'instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires. L'enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées. » Cette loi a été suivie d'une autre qui, en 1886, énonça que: «Dans les écoles publiques de tout ordre, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque. »79 Cela dit, cette laïcisation de l'école publique se fit très lentement dans les faits, entre autres afin de ne pas heurter les sensibilités. Dans plusieurs régions, les symboles religieux ornant les écoles furent retirés longtemps après l'adoption de ces lois et, partout, le remplacement du personnel religieux par un personnel laïc fut graduel80.

Par ailleurs, il faut garder à l'esprit que la laïcisation opérée à la fin du XIXe siècle était bien relative, considérant la place importante occupée par les écoles privées, très majoritairement catholiques, les établissements protestants, juifs ou laïcs privées étant rares81. Par exemple, en 1899 les écoles privées catholiques regroupaient 49% des garçons au niveau secondaire82. C'est ce qui explique que lorsque fut adoptée une loi sur les associations en 190183 celle-ci prévoyait, en plus d'une interdiction à l'égard des associations formées par des étrangers, que les congrégations devaient obtenir une autorisation parlementaire et une autre autorisation, du Conseil d'État cette fois, pour leurs établissements84. Puis, ces autorisations furent refusées aux congrégations de telle sorte que plus de 10 000 écoles privées catholiques durent fermer, malgré la résistance farouche de plusieurs fidèles85.

78 Loi n° 11 696 du 8 Mars 1882, J.O., 29 mars 1882, en ligne: Assemblée nationale <http://www.assemblee-nationale.frlhistoire/loiferry/sommaire.asp> (date d'accès: 6 octobre 2005).

79 Loi du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire, en ligne: Daniel Calin <http://

daniel.calin.free.fr/textofflloi_1886.html> (date d'accès: 6 octobre 2005). 80 Supra note 69, à la p. 41.

81 Supra note 70, à la p. 94. 82 Supra note 67, auxp. 77-78.

83 Loi du 1 juillet 1901, J.O., 2 juillet 1901, en ligne: Infosport <http://www.infosport.org/droit-du-sport/texte/L1901-07-01.htm.> (date d'accès: 6 octobre 2005).

84 Supra note 67, à la p. 78.

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