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Une approche modulaire des stratégies discursives du journalisme politique - RERO DOC

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(1)

Département de linguistique juin 2004

Zrinka Simunic

Une approche modulaire des stratégies

discursives du journalisme politique

Thèse de Doctorat

sous la direction du Professeur Eddy Roulet

Membres du jury:

Eddy Roulet, Université de Genève Directeur de thèse

Emilio Manzotti, Université de Genève Président du jury

Jean-Michel Adam, Université de Lausanne Membre du jury

Corinne Rossari, Université de Fribourg Membre du jury

(2)

Une approche modulaire des stratégies discursives

du journalisme politique

(Analyse d’un corpus d’articles de presse

portant sur la signature du traité de paix pour la Bosnie-Herzégovine

publiés dans quatre quotidiens suisses romands)

(3)

Table des matières

Avant-propos ……… 7

Introduction ……… 9

Chapitre 1

1. Définition et caractérisation des stratégies discursives ………….. 15 1.1. La stratégie : science ou art de l’action humaine finalisée,

volontaire et difficile ………. 15 1.2. Panorama des principales définitions et classements

des stratégies discursives ………... 16

1.2.1. L’activité verbale et le contexte: les stratégies discursives dans l’approche interprétative

sociolinguistique de John J. Gumperz …………... 17 1.2.2. La hiérarchie des buts et des moyens: la notion

de stratégie dans le modèle d’analyse de l’action

proposé par Pierre Bange ……….. 21 1.2.3. Les potentialités argumentatives: la notion

de stratégie discursive dans la pragmatique « intégrée » de Oswald Ducrot

& Jean-Claude Anscombre ………... 28 1.2.4. La complexité des pratiques discursives:

la notion de stratégie discursive dans l’approche

textuelle et pragmatique de Jean-Michel Adam …... 32 1.2.5. L’espace d’indécidabilité dans la construction

du sens social: la notion de stratégie discursive dans l’approche sémio-discursive

de Patrick Charaudeau ………... 35 1.2.6. La lutte pour la définition de la situation : la notion

de stratégie discursive dans l’approche

communicationnelle de Uli Windisch …………... 41 1.2.7. A propos des divergences entre les définitions

proposées ………... 48

1.3. La notion de stratégie dans la première version

(4)

1.3.1. Un modèle de « l’articulation du discours » ………... 54

1.3.2. La conception intentionnelle des stratégies d’interaction ………... 56

1.3.3. La conception formelle des stratégies conversationnelles et interprétatives ……… 58

1.4. La notion de stratégie discursive dans un modèle d’analyse de l’organisation du discours de type modulaire 62 1.4.1. L’aspect difficile des activités discursives: la description de la dimension interactionnelle …. 65 1.4.2. L’aspect finalisé des activités discursives: la description de la dimension référentielle …………. 67

1.4.3. L’aspect volontaire des activités discursives: les interrelations entre les dimensions référentielle et hiérarchique textuelle ………….. 70

1.4.4. L’organisation opérationnelle: des actes discursifs aux opérations discursives …………... 71

1.4.5. L’organisation stratégique: des opérations discursives aux stratégies discursives …………... 72

Chapitre 2 2. Un inventaire d’informations d’origine modulaire préalable à la description des stratégies discursives du journalisme politique 75 2.1. Les informations relevant de la dimension interactionnelle 76 2.1.1. Les propriétés matérielles de l’interaction réunissant une source d’information, une instance médiatique et une instance de réception ………. 80

2.1.1.1. L’occupation du canal ………. 82

2.1.1.2. La situation matérielle des interactants ……… 82

2.1.1.3. Le nombre d’interactants ………. 83

2.1.1.4. La distance ou la co-présence spatiale et temporelle entre les interactants ……… 83

2.1.1.5. Le lien d’interaction ……….. 85

2.1.2. La complexité du cadre interactionnel dans le cas de la communication médiatique ……… 85

2.1.2.1. Le premier niveau d’interaction ………. 87

2.1.2.2. Le deuxième niveau d’interaction ………. 88

(5)

2.1.3. L’impact du cadre interactionnel sur le choix

des stratégies discursives ……….. 89 2.1.3.1. Contraintes externes à l’interaction entre

le journaliste et ses lecteurs ………. 89 2.1.3.2. Contraintes internes à l’interaction entre

le journaliste et ses lecteurs ………. 91 2.1.3.3. Les champs de liberté du journaliste

dans l’élaboration des stratégies discursives …... 93 2.1.3.4. Les liens entre le journalisme et la politique:

une définition fonctionnelle du journalisme politique 95

2.1.4. Une étude de cas ……….. 96

2.2. Les informations relevant de la dimension référentielle 102

2.2.1. Les deux univers du discours ……….. 102 2.2.1.1. L’univers dans lequel le discours s’inscrit:

le journalisme en tant qu’activité sociale

dans l’espace public ……….. 104 2.2.1.2. L’univers dont le discours parle: l’univers

politique en tant que domaine scénique

de l’instance médiatique ……….. 106 2.2.1.3. L’articulation des deux univers du discours

et la problématique des genres journalistiques …… 108 2.2.2. Le cadre actionnel ………... 110 2.2.3. Représentations et structures conceptuelles …………... 113 2.2.3.1. Représentations conceptuelles génériques …… 114 2.2.3.2. Représentations et structures conceptuelles

de l’univers dans lequel le discours s’inscrit …… 114 2.2.3.3. Représentations et structures conceptuelles

de l’univers dont le discours parle ………. 118 2.2.4. Représentations et structures praxéologiques …… 122

2.2.4.1. Représentations praxéologiques décontextualisées 122 2.2.4.2. Représentations et structures praxéologiques

de l’univers dans lequel le discours s’inscrit …... 124 2.2.4.3. Représentations et structures praxéologiques

de l’univers dont le discours parle ………. 130

2.3. Les informations relevant de la dimension

hiérarchique textuelle ………... 133

2.3.1. Les interrelations entre les structures hiérarchique,

référentielle et syntaxique ………... 133 2.3.1.1. Le caractère dialogique des structures textuelles 135

(6)

2.3.1.2. Le caractère dynamique des structures textuelles 141 2.3.1.3. L’acte textuel et la proposition maximale …… 144 2.3.2. L’établissement de la structure hiérarchique …… 146

2.3.2.1. La segmentation du texte en actes: un préalable

à l’analyse de sa structure hiérarchique …… 146 2.3.2.2. Le schéma de la macro-structure hiérarchique …… 149 2.3.2.3. La structure hiérarchique interne des interventions

constitutives d’un texte journalistique ………. 151

2.4. Les informations relevant de la dimension syntaxique 156

2.4.1. La discontinuité entre les structures syntaxique

et textuelle ………... 157

2.4.2. Les constructions syntaxiques caractéristiques

du discours journalistique ………... 160 2.4.3. Les marques syntaxiques des buts et des visées

communicationnelles ………... 163

2.4.3.1. L’emploi des formes verbales : « temps narratifs »

et « temps commentatifs » (Weinrich 1964) …… 164 2.4.3.2. Les constructions détachées ……….. 169 2.4.3.3. Le discours représenté ……….. 171

2.5. Les informations relevant de la dimension lexicale …... 175

2.5.1. Les marqueurs anaphoriques ………... 176 2.5.2. Connecteurs, opérateurs argumentatifs

et autres marqueurs de relations textuelles …………... 178

2.5.3. Les modalités ………... 179

2.5.4. Le vocabulaire axiologique marqué péjorant

ou méliorant ………... 181

Chapitre 3

3. Des actes discursifs aux opérations discursives ……… 183 3.1. Le couplage d’informations modulaires d’ordres

textuel et praxéologique relevant du niveau opérationnel …... 191

3.1.1. Les informations relatives à la définition

des unités textuelles minimales et intermédiaires …… 191 3.1.2. Les informations relatives à la définition des unités

praxéologiques minimales et intermédiaires …… 192 3.1.3. Les informations relevant du cadre actionnel …… 193

(7)

3.1.4. Les interrelations entre les unités textuelles

et praxéologiques ………... 194

3.1.5. Quelques principes de couplage spécifiques

à la forme d’organisation opérationnelle …………... 208

3.2. Analyse des unités opérationnelles ………. 212

3.2.1. Acte discursif: unité minimale

de l’organisation opérationnelle ………... 214 3.2.2. Opération discursive de portée locale:

unité opérationnelle intermédiaire ………... 218 3.2.3. Opération discursive de portée globale:

unité opérationnelle maximale ………... 223

3.3. Analyse des relations entre les constituants

de la structure opérationnelle ……… 227

3.3.1. Les relations praxéologiques ………... 228 3.3.2. Les relations textuelles ………... 233 3.3.3. Les combinaisons des relations du discours

praxéologiques et textuelles: vers une analyse

dynamique des processus opérationnels …………... 241 3.4. L’apport de l’analyse des structures opérationnelles

à la description de l’organisation d’un texte ………….. 252

Chapitre 4

4. Des opérations discursives aux stratégies discursives ………….. 255 4.1. Une analyse descriptive des stratégies discursives

propres à un type discursif (journalisme politique) …... 257

4.1.1. Les formes d’organisation impliquées dans

une description enrichie des processus opérationnels 258 4.1.1.1. Les interrelations entre les buts

communicationnels des unités discursives

et les structures informationnelle et topicale …… 258 4.1.1.2. Les interrelations entre les buts

communicationnels des unités discursives

et les structures énonciative et polyphonique …… 267 4.1.1.3. Les interrelations entre les buts

communicationnels des unités discursives

(8)

des unités textuelles et praxéologiques maximales …… 285

4.1.3. Les formes d’organisation impliquées dans l’analyse de la visée communicationnelle globale du discours médiatico-politique …………... 292

4.1.3.1. Les interrelations entre les visées communicationnelles du discours du journalisme politique et sa structure topicale …... 293

4.1.3.2. Les interrelations entre les visées communicationnelles du discours du journalisme politique et sa structure polyphonique 298 4.1.3.3. Les interrelations entre les visées communicationnelles du discours du journalisme politique et sa structure compositionnelle …… 300

4.1.3.4. Les interrelations entre la visée communicationnelle et l’organisation stratégique 304 4.2. Une analyse comparative des stratégies discursives propres à un genre discursif (presse ordinaire) ………….. 307

4.2.1. Les stratégies d’information ………... 308

4.2.1.1. Le nombre et la diversité des informations sélectionnées ………... 308

4.2.1.2. La hiérarchisation des informations sélectionnées 312 4.2.1.3. Le traitement de l’information ……….. 316

4.2.2. Les stratégies explicatives ………... 327

4.2.3. Les stratégies de captation ………... 334

4.2.4. Les stratégies argumentatives ………... 339

Conclusion ………. 353 Références bibliographiques ………... 359 Annexes ………... 377 Annexe 1 ……….. 379 Annexe 2 ……….. 380 Annexe 3 ……….. 381 Annexe 4 ……….. 382 Annexe 5 ……….. 383 Annexe 6 ……….. 385 Annexe 7 ……….. 387 Annexe 8 ……….. 389

Annexe 9: Corpus étudié ……….. 391

(9)

Avant-propos

Toute ma reconnaissance va au professeur Eddy Roulet, directeur de ma thèse, dont les conseils, les encouragements et les observations stimulantes ont permis le bon déroulement de cette recherche. Sans son aide et sa patience, elle n’aurait pas pu aboutir.

J’adresse mes remerciements sincères au professeur Emilio Manzotti, président du jury, et aux professeurs qui ont accepté d’être les membres du jury, Jean-Michel Adam, de l’Université de Lausanne, Corinne Rossari, de l’Université de Fribourg, et Laurent Filliettaz, de l’Université de Genève.

J’exprime ma gratitude envers les personnes et institutions qui m’ont permis d’entreprendre cette recherche: l’Ambassade de Suisse en Bosnie-Herzégovine, le Département de Linguistique de la Faculté des Lettres de l’Université de Genève et à la Commission fédérale des bourses pour étudiants étrangers de la Confédération suisse. Grâce à leur soutien, j’ai pu suivre la formation souhaitée dans le cadre du DEA de Linguistique pendant l’année scolaire 1999/2000. Je tiens à remercier les professeurs et les enseignants dont les conceptions et modèles théoriques alimentent depuis mes réflexions, Eddy Roulet, Jacques Moeschler, Uli Windisch, Antoine Auchlin, Corinne Rossari et Laurent Perrin. Enfin, un grand merci à mes parents, à l’ensemble de mes amis et des membres de ma famille, sans le soutien desquels la rédaction de ce travail n’aurait pas été possible.

(10)

Introduction

Ce travail de recherche est issu d’un double questionnement. Il s’agit d’abord d’un questionnement sur l’apport de l’analyse du discours à l’étude d’un type de discours qui relève du champ interdisciplinaire des sciences de l’information et de la communication. En effet, l’analyse du discours médiatico-politique s’opère d’habitude dans le cadre d’approches sociologiques (Wolton 1989, Lazar 1991, Charron 1995, Champagne 1995), communicationnelles (Windisch 1987, 1999, Lorimer 1994, Bougnoux 1995, Breton 1995, 1996) ou encore éthiques (Béguin 1987, Cornu 1994, 1997, Hermann & Chomsky 2003), qui s’intéressent principalement au rôle des médias dans la société, à leur influence sur l’opinion publique ou à leurs responsabilités envers les autres acteurs de la communication et de l’argumentation politiques. Adopter une approche sociolinguistique ou discursive de la complexité de ce type de discours ou de l’un de ses genres (Van Dijk 1985, Véron 1988, Adam 1997, 1999, Charaudeau 1997, 2001, Fairclough 1998, Maingueneau 2002, Roulet 2002), permet en revanche de centrer l’analyse sur le produit discursif lui-même et sur les spécificités de son organisation. Si l’on compare les deux types d’approches, on peut constater, au-delà de leurs divergences, une certaine complémentarité, dans la mesure où les premières ne peuvent pas se passer de l’analyse des langages médiatiques, ne serait-ce que sous la forme rudimentaire de l’analyse du contenu et de l’analyse du discours « proprement dit », tandis que les secondes ne peuvent faire l’abstraction ni du contexte socio-politique dans lequel sont produits et circulent les textes de presse ni de la spécificité de la situation d’interaction reliant les « acteurs de la communication politique » (Wolton 1989) et, plus particulièrement, le journaliste et ses lecteurs, tant ces différentes dimensions sont constitutives du produit discursif lui-même et de ses multiples significations.

Le deuxième type de questionnement est relatif aux avantages que l’analyse du discours peut tirer de l’ouverture vers d’autres disciplines qu’implique une description approfondie de phénomènes discursifs complexes. La prise en considération systématique du contexte et de la spécificité de la situation d’interaction devrait lui permettre de rendre compte de la complexité des productions discursives et de la manière dont leurs différentes dimensions participent à « la construction du sens social » (Charaudeau 1997) d’un type et d’un genre de discours. Une telle ouverture n’est cependant envisageable que dans le cadre d’un modèle d’analyse global, qui permet d’intégrer ces différentes dimensions et de décrire leurs interrelations. Le modèle genevois d’analyse du discours de type modulaire, dont la récente version (Roulet 1999, 2000, 2001, 2002, Roulet, Filliettaz & Grobet 2001) constitue le cadre théorique de ce travail de recherche, répond entièrement à cette exigence. Il s’agit d’un modèle global, disposant d’un instrument d’analyse sophistiqué, qui « permet d’intégrer et d’articuler les dimensions linguistique, textuelle et situationnelle de l’organisation du discours » (Roulet 2001).

(11)

Le choix du cadre théorique, qui repose sur l’approche modulaire, implique une certaine méthodologie de travail. Les principes méthodologiques de la linguistique modulaire sont résumés de manière très concise par Nølke (1994): « Une approche modulaire est tout banalement une approche qui a recours à un modèle théorique contenant un certain nombre de sous-systèmes autonomes appelés modules, où chaque module est chargé du traitement d’une problématique restreinte. Un module peut être conçu comme constituant une théorie partielle – ou une mini-théorie – comportant un système de règles (locales) avec un domaine d’application spécifié. Les différents modules sont ensuite liés entre eux à l’aide d’un système de règles globales, appelons-les les métarègles du système. Pour faire partie du système, chaque module doit être lié à au moins un autre module par les métarègles » (1994: 11). Selon Nølke, l’idée centrale qui sous-tend toute approche modulaire est qu’il ne faut jamais perdre de vue la conception globale de ce qu’on fait. « Il s’agit d’une approche qui prend au sérieux le fait que toute démarche analytique, qui par définition progresse en décomposant son objet, doit être suivie d’une démarche synthétique. Ainsi, d’une part, le modèle théorique doit permettre l’élaboration de mini-théories se restreignant à des domaines limités. On aboutira de la sorte à une grande précision dans les analyses de détail. Mais d’autre part, le modèle doit fournir également un cadre général pour l’intégration de ces mini-théories, qui fonctionneront ainsi comme modules dans un système organique. De cette manière, on gardera la conception globale si importante pour la compréhension des faits étudiés » (id. 270).

La conception méthodologique de la modularité sur laquelle repose le modèle genevois vise à intégrer dans une approche unifiée de la complexité de l’organisation du discours les acquis, venant d’horizons différents, des recherches très approfondies, mais centrées sur des aspects isolés de cette organisation et menées dans des cadres théoriques souvent incompatibles. L’approche modulaire de l’organisation du discours, qui s’inspire de la théorie des systèmes complexes proposée par Simon (1962), consiste à décomposer le discours en des systèmes d’informations simples ou modules et à rendre compte du fonctionnement de celui-ci, en combinant des informations fournies par les différents modules. Partant de l’hypothèse, partagée avec Charaudeau (1989), selon laquelle « la construction et l’interprétation du discours sont soumises à trois types de contraintes: des contraintes situationnelles, liées à l’univers de référence et à la situation d’interaction; des contraintes linguistiques, liées à la syntaxe et au lexique de la (ou des) variété(s) de langue(s) utilisée(s); et des contraintes textuelles, liées à la structure hiérarchique du texte », le modèle genevois aboutit à un dispositif de cinq modules, définissant cinq types d’informations de base qui peuvent être décrites de manière indépendante: les modules interactionnel et référentiel (qui relèvent de la composante situationnelle), le module hiérarchique (qui relève de la composante textuelle) et les modules syntaxique et lexical (qui relèvent de la composante linguistique) (Roulet 2001b: 51). Le module textuel ou hiérarchique occupe, avec les modules syntaxique et référentiel, la place centrale dans une analyse du discours de type modulaire. « Le système proposé permet de

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formuler des combinaisons entre les informations issues de tous les modules, mais il attribue une place centrale aux modules syntaxique, hiérarchique et référentiel. Ce sont eux qui déterminent les structures portantes du discours et qui rendent compte de la possibilité de produire une infinité respectivement de phrases, de textes et de représentations du monde » (Roulet 1999: 31). Les structures portantes constituent une sorte de noyau ou de squelette autour duquel se combine et s’organise l’ensemble des formes d’organisation élémentaires (phono-prosodique, sémantique, opérationnelle, relationnelle, séquentielle, informationnelle, énonciative) et complexes (compositionnelle, périodique, topicale, polyphonique et stratégique). L’architecture du modèle est « hétérarchique, ce qui signifie qu’elle autorise des couplages entre tous les modules et formes d’organisation » (Roulet 2001a: 43).

Chaque type de discours représente une combinaison spécifique d’informations d’origines diverses (modulaires et/ou issues des formes d’organisation). Notre travail de recherche est centré sur les combinaisons d’informations propres au discours du journalisme politique.

Le choix de l’objet de recherche – les stratégies discursives du journalisme politique – est lié au cadre théorique adopté, et plus spécifiquement au caractère intégrateur du modèle genevois. Le modèle genevois constituant non seulement un instrument sophistiqué d’une analyse du discours très fine, mais également un cadre théorique qui s’appuie sur une approche cognitive interactionniste des productions discursives effectives, la description des combinaisons d’informations spécifiques au discours du journalisme politique n’est qu’un préalable à l’analyse des stratégies discursives, catégorie discursive complexe qui ne se réduit pas au seul produit discursif, mais permet de penser ensemble le texte de presse, l’instance de production et l’instance de réception.

Les stratégies discursives feront l’objet d’une analyse descriptive, centrée sur un type discursif, et d’une analyse comparative, centrée sur les « variations stratégiques » propres à un genre discursif (Véron 1988). « La notion de stratégie doit nous permettre de cerner dans un secteur donné du réseau des médias, les variations, dues à la concurrence, entre plusieurs représentants d’un même genre. La presse écrite fournit des exemples éclatants de ce type de situation et est par conséquent un domaine privilégié pour l’étude des variations stratégiques » (1988: 14-15).

Ce travail de recherche poursuit un double objectif. Il vise la description des stratégies discursives du journalisme politique dans une perspective modulariste, en insistant sur les interrelations entre les composantes situationnelle et textuelle des productions discursives effectives. Il essaie en même temps de « rentabiliser le caractère intégrateur du modèle » (Traverso 2002), en le mettant à l’épreuve d’une catégorie discursive complexe, qui mobilise un grand nombre d’informations de nature diverse, et de l’hétérogénéité profonde des configurations discursives des produits médiatiques, qui résultent de « multiples négociations » et sont « traversées par les stratégies des différents acteurs qui interviennent en production » (Véron 1995).

(13)

La réalisation de ces objectifs globaux, répondant à nos questionnements de départ, passe par la réalisation d’objectifs spécifiques, propres à chacune des étapes de cette recherche:

- définir et caractériser les stratégies discursives dans une perspective modulariste, en tenant compte des résultats des recherches actuelles en la matière;

- répertorier les informations modulaires pertinentes pour l’analyse des stratégies discursives caractéristiques du type discursif étudié;

- décrire les combinaisons d’informations qui interviennent dans l’analyse du niveau opérationnel de l’interaction médiatique et

- décrire les combinaisons d’informations qui interviennent dans l’analyse du niveau stratégique de l’interaction médiatique et des variations stratégiques au sein du genre discursif étudié.

En vue de la réalisation des objectifs fixés, nous avons constitué un corpus d’articles de presse publiés aux mois de novembre et de décembre 1995 par quatre quotidiens suisses romands (Tribune de Genève, Journal de Genève et Gazette de Lausanne, Le Nouveau Quotidien et Le Courrier). Les articles de presse sélectionnés portent sur le même événement politique – les négociations de paix sur la Bosnie-Herzégovine qui ont été couronnées par la conclusion, le 21 novembre à Dayton, et la signature, le 14 décembre à Paris, du traité de paix. Dans l’analyse de ce corpus qui réunit un nombre important de textes, nous nous sommes concentrée sur les articles de presse correspondant au sommet informatif dans la construction de l’événement (les articles publiés les 21, 22 et 23 novembre et les 14 et 15 décembre). Ce corpus présente les invariants: le moment de communication (les 21, 22, 23 novembre et les 14 et 15 décembre 1995), le thème (la signature des accords de Dayton-Paris) et le média (presse écrite), ainsi que les variables – les interactants (quatre quotidiens différents qui s’adressent à des publics différents) et le type d’articles (articles à visée informative et articles à visée explicative).

Ce qui a motivé notre choix, c’est l’importance du « moment discursif » (Moirand 1999) marqué par un nombre élevé de textes et par une variétés de « genres de la presse écrite » (Adam 1997), ainsi que l’intérêt de l’événement politique lui-même, qui restera inscrit non seulement dans l’histoire des peuples de l’ex-Yougoslavie mais aussi dans celle de la gestion internationale de la crise yougoslave. Dans la mesure où l’univers représenté dans le discours est indissociable des structures textuelles – dans une approche du discours intégrant les composantes situationnelle, textuelle et linguistique – il convient de rappeler brièvement l’événement historique qui fait l’objet des textes analysés. La présentation qui suit s’appuie sur les articles « Crise de Yougoslavie » (Stark 2000) et « Opérations de maintien et d’imposition de la paix » (Vœlckel 2000) du Dictionnaire de Stratégie (De Montbrial & Klein (éds) 2000).

Le démantèlement de l’ex-Yougoslavie, suite à l’effondrement du système communiste en Europe de l’Est, constitue l’événement historique majeur de la fin du vingtième siècle. Le bilan tragique du cycle de guerres meurtrier qui s’est déroulé entre 1991 et 1999 en plein cœur de l’Europe s’élève à plusieurs

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centaines de milliers de morts, des millions de réfugiés, des centaines de villes et de villages détruits. Les accords de Dayon-Paris ont marqué la fin de la guerre la plus longue et la plus violente des quatre guerres successives qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie tout au long des années 1990: en Slovénie (juin 1991), en Croatie (juillet-décembre 1991, puis mai-août 1995), en Bosnie-Herzégovine (avril 1992 – août 1995) et au Kosovo (à partir de mai 1998).

Toutes les organisations internationales de sécurité européenne se sont, à un moment ou à un autre, impliquées dans la gestion du conflit yougoslave, mais il a fallu attendre la formation du Groupe de contact (chargé de la gestion internationale du conflit en Bosnie-Herzégovine) pour voir aboutir les pourparlers.

Durant la première phase de la gestion internationale du conflit (juillet-décembre 1991), la Communauté européenne est entrée en scène en tant que médiateur. Son action était cependant vouée à l’échec en raison de l’absence du consensus sur la reconnaissance de l’indépendance des républiques slovène et croate, voulue et imposée par l’Allemagne contre l’avis de ses partenaires. Après l’échec des Douze à imposer la paix et à la demande expresse de Belgrade, la gestion du conflit a été confiée au Conseil de sécurité des Nations Unies.

Tentant en vain d’imposer une solution négociée, l’ONU s’est contentée, durant la deuxième phase de la guerre (janvier 1992-avril 1994), d’envoyer des « casques bleus » chargés de superviser une politique dite humanitaire. Celle-ci a permis de sauver plusieurs dizaines de milliers de vies humaines, mais n’a pas réussi à mettre un terme au conflit lui-même. Peu à peu, la FORPRONU, créée pour une opération de maintien de la paix a vu, au fil des résolutions du Conseil de sécurité, ses missions s’élargir et se compliquer et son action évoluer vers une opération d’imposition de la paix impliquant l’usage de la force. Cependant, les moyens de la Force de protection de l’ONU n’étaient pas adaptés à ses nouvelles missions.

L’échec des différents plans de paix et la poursuite des combats ont entraîné, en avril 1994, la constitution du Groupe de contact (composé de l’Allemagne, des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie), qui a élaboré un cessez-le-feu, signé en septembre 1995 à Genève. Celui-ci fut à l’origine des accords conclus à Dayton le 21 novembre, et signé à Paris, le 14 décembre 1995, qui ont mis un terme au conflit en Bosnie-Herzégovine. Avec les accords de Dayton, c’est la troisième phase de la gestion internationale du conflit qui prend fin. Après quatre années de présence en Bosnie-Herzégovine, la Force de protection des Nations Unies, commandée par un général français, a cédé la place à la Force de mise en application de l’accord de paix (IFOR) - puis la Force de stabilisation de la paix (SFOR) - sous le commandement de l’OTAN et dirigée par un général américain. La nouvelle force a obtenu un mandat beaucoup plus large, afin de pouvoir contrôler de manière plus efficace le respect du cessez-le-feu et la mise en œuvre du volet militaire de l’accord de paix.

L’accord conclu sur la base militaire américaine de l’Ohio, à Dayton, le 21 novembre, et signé à Paris, le 14 décembre 1995, a ainsi marqué un tournant dans la politique de la communauté internationale. La pax americana, qui a mis fin à

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une guerre sanglante, a suscité des réactions diverses et contradictoires de la part des journalistes, concernant les dispositions de l’accord signé et le rôle des principaux protagonistes des négociations de paix.

Compte tenu de l’approche que nous avons adoptée, cette recherche ne s’intéresse ni à construction d’un événement médiatico-politique particulier (Véron 1981), ni à la manière dont cet événement a été présenté par un certain nombre de médias dans le contexte politique suisse (Windisch 1996), ni aux « fonctions idéologiques » (Van Dijk 1995) du discours du journalisme politique, ni à ses mécanismes de propagande (Herman & Chomsky 2003), ni au décalage entre la réalité et le reflet plus ou moins déformant de cette réalité dans le miroir médiatique (Charaudeau 1997, 2001).

Nous pouvons, bien sûr, constater que chaque instance médiatique a éclairé l’événement sous un angle particulier, tandis que la juxtaposition de ces analyses partielles et nécessairement partiales et des stratégies discursives déployées par l’ensemble des quotidiens analysés ont fini par démasquer la mise en scène politique de la signature des accords de Dayton-Paris et par rendre transparentes les dimensions essentielles et la signification réelle de cet événement: les contradictions et les faiblesses dans la gestion internationale de la crise yougoslave (1), l’importance du traité de paix qui a mis fin à la guerre (2), mais qui représente en même temps une reconnaissance indirecte de l’acquisition du territoire par la force (3). Il convient toutefois de préciser que, pour nous, le discours du journalisme politique, tel qu’il est pratiqué dans la presse écrite quotidienne, et l’événement médiatico-politique en question, représentent avant tout des prétextes à une étude systématique des interrelations complexes entre les dimensions référentielle et textuelle du discours, et plus particulièrement des interrelations entre les structures textuelles et les structures conceptuelle et praxéologique de l’univers dans lequel le discours s’inscrit et de l’univers représenté dans le discours (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001).

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Chapitre 1

1. Définition et caractérisation des stratégies discursives

Le premier obstacle auquel on se heurte, si on essaie de définir la notion de stratégie discursive, c’est le concept même de stratégie. Autant ce concept nous paraît évident et familier, autant il est devenu – à force d’être utilisé dans différentes sphères de l’action humaine – quelque peu vague et imprécis.

Du point de vue de son étymologie, le mot « stratégie » est issu du grec stratêgos « chef d’armée ». Le verbe stratêgein, qui signifie « commander une armée » a donné stratâgêma « manœuvre de guerre », d’où le latin stratagema « ruse » et en particulier « ruse de guerre », dont dérive aussi le mot « stratagème ». Selon le Dictionnaire de stratégie, la ruse n’étant qu’un aspect de la stratégie, le terme de « stratégie » s’est substitué, en fait, à l’ancienne expression d’ « art de la guerre » (De Montbrial & Klein 2000: 531). Depuis les premiers écrits stratégiques, qui datent du Ve et IVe s. avant notre ère, jusqu’à nos jours, la pensée stratégique a privilégié l’art militaire et son lien avec la politique. Même si certains auteurs considèrent toujours qu’il n’y a de stratégie que militaire et donc dans le cadre de la guerre, nombreux sont ceux qui essaient de transposer les concepts stratégiques élaborés dans le cadre du politico-militaire à des domaines d’action différents.

1.1. La stratégie: science ou art de l’action humaine finalisée, volontaire et difficile

Ainsi, selon la définition proposée dans le même ouvrage, « la stratégie est la science (si l’on choisit de mettre l’accent sur le savoir ou sur la méthode) ou l’art (si l’on privilégie l’expérience) de l’action humaine finalisée, volontaire et difficile » (id. 527). La stratégie est au cœur de la praxéologie, ou science de l’action. Néanmoins, précisent ses auteurs, la majeure partie des actions humaines – dont beaucoup de celles qu’étudient les physiologistes ou les sociologues – ne ressortissent pas à la stratégie, car elles ne satisfont pas à l’un au moins des critères précédents. « La stratégie, insistent-ils, ne s’occupe que de l’action humaine finalisée, volontaire et difficile: finalisée, c’est-à-dire tendue vers des objectifs ou des buts identifiés avec précision; volontaire, c’est-à-dire que la volonté (qui est liée à la durée) de l’unité agissante représente une condition fondamentale pour la réalisation de l’objectif; difficile, c’est-à-dire que cette réalisation demande des efforts substantiels et donc prolongés pour surmonter des obstacles comprenant généralement des adversaires pourvus de stratégies antagonistes, obstacles assez élevés pour entretenir l’incertitude, au moins pendant un certain temps, sur l’issue de l’épreuve » (ibid.).

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La première question que nous nous posons à propos de cette définition concerne, bien sûr, la possibilité de son application dans le domaine de l’analyse du discours. Des activités discursives qui relèveraient de la stratégie devraient satisfaire à ces trois critères définitoires. Sinon, parler de « stratégie » ne représenterait, selon l’expression même de ses auteurs, qu’un « abus du langage » et un emploi « fantaisiste et approximatif » du terme.

Les activités discursives relèvent de la stratégie à différents titres: elles participent à la conception et à l’élaboration de stratégies diverses, contribuent à leur mise en œuvre ou permettent leur description et l’évaluation de leur efficacité. Ces raisons ne justifient pas pour autant l’analyse de ces activités en termes de stratégies discursives. Dans les deux premiers cas, les activités verbales sont au service de stratégies qui ne sont pas nécessairement discursives, dans le troisième, les stratégies déployées font l’objet de l’activité discursive. Le terme de stratégie discursive n’est justifié que si les activités discursives sont tendues vers la réalisation de leurs objectifs propres, qui acquièrent, dans certaines situations, une importance stratégique. A la différence des activités qui relèvent « automatiquement » de la stratégie, telles les activités militaires, politiques ou économiques, les activités verbales sont spécifiques dans la mesure où l’ensemble (ou la plus grande partie) des moyens déployés dans le cadre de la mise en œuvre d’une stratégie discursive sont des moyens linguistiques.

Avant de proposer une définition des stratégies discursives qui mettrait en évidence le caractère finalisé, volontaire et difficile de certaines activités langagières, dans une perspective modulariste, nous passerons en revue les principales définitions et classements élaborés dans des cadres théoriques proches du modèle genevois. Le panorama qui suit ne vise nullement l’exhaustivité, mais devrait permettre, d’une part, de saisir la complexité des stratégies discursives en général et des stratégies discursives du journalisme politique en particulier et, d’autre part, d’envisager la possibilité de leur réexamen dans le cadre d’une approche intégratrice de phénomènes discursifs. 1.2. Panorama des principales définitions et classements des stratégies discursives

Nous commencerons par la présentation des modèles d’analyse élaborés par John J. Gumperz (1982), qui examine les rapports entre l’activité verbale et le contexte ou la situation, et par Pierre Bange (1992), qui applique la conception hiérarchique de l’action à l’organisation de l’interaction verbale.

Nous présenterons ensuite deux approches linguistiques des stratégies discursives. Celle développée par Oswald Ducrot (1980, 1984) et Jean-Claude Anscombre (1995) met en lumière le caractère dynamique du processus de mobilisation des ressources langagières et d’élaboration du sens des énoncés. L’approche de Jean-Michel Adam (1985, 1992) insiste sur l’importance des rapports entre les structures textuelles, telles la séquence narrative ou argumentative, et les activités, comme la narration ou l’argumentation.

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Nous finirons par présenter deux modèles qui s’intéressent à des stratégies discursives spécifiques, le modèle de Patrick Charaudeau (1997, 2001), qui analyse le discours d’information médiatique, et celui de Uli Windisch (1987, 1999), centré sur la communication et l’argumentation politiques.

1.2.1. L’activité verbale et le contexte: les stratégies discursives dans l’approche interprétative sociolinguistique de John J. Gumperz

Pour John J. Gumperz (1982), la problématique des stratégies discursives relève des rapports entre la situation ou le contexte et l’activité verbale. A la conception classique de ces rapports, selon laquelle les comportements verbaux sont influencés par le contexte, ce sociolinguiste oppose une conception active: le contexte n’est pas une donnée matérielle, mais une production des acteurs eux-mêmes, une construction interprétative permettant à ceux-ci de définir la situation en vue de la réalisation de buts pratiques. L’idée que les activités et le contexte se conditionnent réciproquement constitue ainsi le point de départ de sa réflexion théorique. Il est influencé par les travaux des sociologues comme Harold Garfinkel, qui ont créé une nouvelle tradition dans l’analyse conversationnelle, s’intéressant principalement aux stratégies verbales de coordination entre le locuteur et le destinataire dans des interactions en face à face (1982: 4).

Dans l’introduction de son ouvrage intitulé Discourse strategies, Gumperz définit l’objet d’une théorie générale des stratégies discursives: « A general theory of discourse strategies must begin by specifying the linguistic and socio-cultural knowledge that needs to be shared if conversational involvement is to be maintained, and then go on to deal with what it is about the nature of conversational inference that makes for cultural, subcultural and situational specificity of interpretation » (1982: 3).

Selon l’approche interprétative sociolinguistique de Gumperz, une

stratégie discursive efficace comporte trois éléments : la compétence

communicative des interactants (communicative competence), le principe de cohérence stratégique (a principle of strategic consistency) et le processus d’interprétation reposant sur les inférences conversationnelles (conversational inference). La compétence communicative assure le choix de la bonne stratégie (meaningful strategy), c’est-à-dire de la stratégie « appropriée » dans une situation d’interaction spécifique :

The effectiveness of the strategies that speakers adopt in their efforts to create involvement and to cooperate in the joint development of specific themes depends on their control over a range of communicative options and on their knowledge of the signalling potential that these options have in alluding to shared history, values and mutual obligations. This means that the ability to use linguistic variables, to shift among locally current codes or styles, to select suitable phonetic variants, or prosodic or formulaic options, must form an integral part of a speaker’s

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Les activités verbales, souligne Gumperz, ne sont pas unilatérales, mais s’inscrivent dans des échanges coordonnés de signes verbaux et non-verbaux entre les participants à une interaction. Pour se faire comprendre, le locuteur doit réussir à attirer et à maintenir l’attention de son interlocuteur. Il y parvient grâce non seulement à sa compétence linguistique, mais aussi et surtout grâce à sa compétence communicative. La compétence linguistique n’est qu’un élément de la compétence communicative. « Communicative competence can be defined in interactional terms as "the knowledge of linguistic and related communicative conventions that speakers must have to create and sustain conversational cooperation", and thus involves both grammar and contextualization » (1982: 209).

De même que la compétence communicative permet au locuteur de se faire comprendre, l’expérience communicative et interactive, qui ne peut non plus être réduite à la seule compétence linguistique, guide l’interlocuteur dans l’interprétation de la stratégie adoptée. Mais, précise Gumperz, ce qui sera

interprété doit être d’abord créé au cours de l’interaction1. La tâche des

interactants est d’exécuter des actions verbales et en même temps de les rendre interprétables en construisant un contexte dans lequel elles s’insèrent. C’est par un travail de « contextualisation », dit Gumperz, que les interactants se rendent l’un à l’autre interprétables les actions qu’ils accomplissent. La notion de contextualisation, qui est étroitement liée à la compétence communicative,

occupe la place centrale dans la théorie de Gumperz2.

Le travail de contextualisation consiste dans la mise en place et l’interprétation de procédures à l’aide desquelles les participants construisent un contexte pour les énonciations. La construction du contexte consiste dans l’actualisation de schémas appartenant au savoir partagé, qui vont permettre

d’interpréter les données situationnelles grâce à des « indices de

contextualisation » (contextualization cues). Au cours de cette interprétation, nous utilisons, selon Gumperz, notre connaissance de la grammaire, du lexique et des conventions de contextualisation, aussi bien que toutes les informations que nous pouvons avoir sur la situation et les participants pour établir des buts de communications vraisemblables. A partir de là, nous construisons des prédictions pour identifier l’intention de communication que nous pensons sous-tendre les énonciations particulières. Tout énoncé pris en lui-même peut être compris de nombreuses manières et on interprète une énonciation donnée sur la base d’une

1 « What is to be interpreted must first be created through interaction, before interpretation can begin, and to that end speakers must enlist others’ cooperation and actively seek to create conversational involvement » (1982 : 206).

2 Il en propose la definition suivante : « The identification of specific conversational exchanges as representative of socio-culturally familiar activities is the process I have called « contextualization ». It is the process by which we evaluate message meaning and sequencing patterns in relation to aspects of the surface structure of the message, called « contextualization cues ». The linguistic basis for this matching procedure resides in « co-occurrence expectations », which are learned in the course of previous interactive experience and form part of our habitual and instinctive linguistic knowledge. Co-occurrence expectations enable us to

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définition de ce qui se passe au moment de l’interaction, à partir d’une interprétation globale de la situation et de l’épisode social en cours, dans lequel l’énonciation en question prend place et sens. L’énonciation s’insère dans un

type d’activité, « activity type » (Levinson 1978)3, et le sens d’un énoncé est

évalué dans une procédure descendante à partir de ce qui l’englobe.

Les constellations de traits de surface dans la forme du message sont le moyen par lequel les locuteurs signalent et les récepteurs interprètent ce qu’est l’activité, comment le contenu sémantique doit être compris et comment chaque phase est en relation avec ce qui précède et ce qui suit. Pour Gumperz, l’interprétation des actions verbales repose toujours sur des présuppositions extralinguistiques en liaison avec le savoir linguistique (grammatical et lexical). Les aspects pertinents de la connaissance extralinguistique (reflétée dans les structures cognitives ou sociales qui existent indépendamment de la communication) peuvent être, dit Gumperz, signalés par des « indices de contextualisation » (id. 157) parmi lesquels la prosodie joue un rôle essentiel. Un indice de contextualisation est n’importe quel trait de la forme linguistique qui contribue à signaler les présuppositions contextuelles. Par exemple, un changement de code ou un changement dans la prosodie (hauteur de ton, vitesse, etc.) peuvent marquer un changement d’activité. Ces traits de surface que sont les indices de contextualisation n’ont pas une signification inhérente, ils sont au contraire utilisables pour une multitude de fonctions. Pour la plupart, ils sont utilisés et perçus de manière inconsciente.

C’est sur leur repérage que repose l’identification des stratégies discursives mises en œuvre, ainsi que leur évaluation comme appropriées ou non à la situation. Ceci est notamment visible dans le cas des interactions réunissant les membres de différentes communautés culturelles. En effet, les indices de contextualisation sont étroitement liés à chaque culture, donc très différents, sans qu’il soit possible (en tout cas facile) de repérer ces différences. C’est de là que découlent, en partie au moins, les difficultés de la communication interculturelle et l’interprétation de certaines stratégies discursives, caractéristiques d’une communauté, comme inappropriées (« inappropriate strategy ») par les membres d’une autre communauté culturelle.

Les échanges coordonnés entre les participants à une interaction reposent sur le principe de cohérence stratégique, qui est le deuxième élément constitutif d’une stratégie discursive. « A successful interaction begins with each speaker talking in a certain mode, using certain contextualization cues. (…) Speakers continue in the same mode, assigning negotiated meanings to contextualization cues, until there is a perceptible break in rhythm, a shift of content and cues, or until a mismatch between content and cues suggests that something has gone wrong » (id. 167).

Finalement, la communication se réalise au moyen d’ « inférences conversationnelles », processus d’interprétation que Gumperz définit de manière

3 « The term is used to emphasize that, although we are dealing with a structured ordering of message elements that represents the speakers’ expectations about what will happen next, yet it is not a static structure, but rather it reflects a dynamic process which develops and changes as

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suivante: « Conversational inference, as I use the term, is the situated or contextbound process of interpretation, by means of which participants in an exchange assess others’ intentions, and on which they base their responses » (id. 153). L’inférence conversationnelle est anticipée par le locuteur qui formule son énonciation en fonction de ce qu’il attend que le récepteur infère. Et le résultat de l’inférence est manifesté dans la réponse du récepteur au locuteur. Pour désigner l’utilisation par les interactants des signes verbaux et non-verbaux à des fins communicatives, Gumperz utilise le terme de « speech activities ». « A speech activity is a set of schemata in relation to some communicative goal. Speech activity can be characterized through descriptive phrases such as "discussing politics", "chatting about the weather", "telling a story to someone", and "lecturing about linguistics". Note that the descriptive phrases we use for speech activities contain both a verb and a noun which suggests constraints on content » (id. 166).

Gumperz établit une hiérarchisation entre le type d’activité, les activités spécifiques, les mécanismes sémantiques qui permettent de signaler l’information qui fait l’objet de l’interaction et les phénomènes linguistiques qui, à première vue, semblent être isolés des autres niveaux. « We can visualize this process as consisting of a series of stages which are hierarchically ordered in such a way that more general higher level relational assessments serve as part of the input to more specific ones. Knowledge of the basic contextualization conventions and perceptions of contextualization cues play a role at every stage in the process » (id. 207).

Gumperz précise que le type d’activité ne détermine pas le sens, mais exerce des contraintes sur les interprétations en canalisant les inférences pour mettre en avant certains aspects de la connaissance d’arrière-plan. Le type d’activité assure un rôle de guidage: il ne prescrit pas comment interpréter, mais exclut des interprétations comme incompatibles; il canalise les inférences qui vont guider la compréhension. Donc, il canalise par anticipation les énonciations qui seront faites par le locuteur en fonction d’attentes d’interprétation qu’il prête au récepteur. Et en même temps, le type d’activité est constitué pour une part non négligeable par ces énonciations elles-mêmes qui contribuent à donner un sens à la situation. Tel est, selon Gumperz, le jeu de la construction sociale de la réalité. Les décisions concernant les activités discursives (discourse tasks) plus immédiates, telles la narration, la description, l’explication, la demande, qui constituent des activités spécifiques, seront prises au niveau inférieur. Gumperz tient à préciser qu’à la différence des types d’activités qui possèdent des spécificités culturelles, les tâches discursives sont universelles, communes à toutes les interactions humaines.

Les participants à une interaction doivent également négocier d’éventuelles ambiguïtés liées à l’emploi des unités lexicales susceptibles de plusieurs interprétations. La notion de convention de contextualisation permet, enfin, d’intégrer à ce processus le traitement de phénomènes linguistiques: changement de code et de style, prosodie, variations phonétique et morphologiques, choix lexicaux et syntaxiques.

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Les connaissances grammaticales et lexicales ne sont que deux parmi plusieurs facteurs qui interviennent dans le processus d’interprétation. Jouent également un rôle, à côté du cadre physique, les connaissances d’arrière-plan des participants, leurs attitudes les uns envers les autres, les hypothèses sur les rôles et les statuts, les valeurs sociales associées aux messages. C’est tout cela que Gumperz dénomme « l’input social de la conversation » (the social input to conversation), et qui s’ajoute à l’input verbal4.

Il est à noter que les stratégies discursives répertoriées par Gumperz sont très variées et correspondent à tous les niveaux hiérarchiques relevés dans le cadre de son analyse. Certaines d’entre elles sont liées aux activités déployées au cours de l’interaction et à leurs objectifs (conversational strategies, communicative stratégies, persuasive stratégies), d’autres à l’identité socio-culturelle du locuteur (Standard English, American, Afro-American ou Indian rhetorical strategies), à celle du destinataire (telle in-group strategy), aux moyens linguistiques utilisés (rhetorical strategies, switching strategies, prosodic strategies), ou bien au processus d’interprétation (telles contextualization strategies, meaningful strategies, inappropriate strategies). Une telle variété ne représente qu’une illustration supplémentaire de la complexité de la notion de stratégie discursive, de son caractère dynamique et de sa nature interactionnelle.

Nous retiendrons de ce bref parcours que la théorie des stratégies discursives de Gumperz accorde une grande importance aux rapports dialectiques entre les activités et le contexte. Il nous semble également que la distinction entre le type d’activités, s’inscrivant dans un contexte socio-culturel déterminé, et les activités discursives spécifiques, universelles et indépendantes de la situation d’interaction, est un point qui pourrait d’être approfondi dans une perspective modulaire.

1.2.2. La hiérarchie des buts et des moyens: la notion de stratégie dans le modèle d’analyse de l’action proposé par Pierre Bange

Prenant appui sur certains travaux récents en psychologie de l’action et psychologie cognitive, Pierre Bange (1992) introduit le concept d’action en analyse conversationnelle. Il souhaite proposer une conceptualisation de l’ensemble de la communication dans laquelle les notions de « négociation », d’ « interaction » et de « contexte » trouveront toute leur place (1992: 24).

Selon Bange, un modèle de l’action adéquat aux besoins de l’analyse des interactions verbales doit avoir, d’une part, une dimension sociologique, pour tenir compte du fait que les actions sociales et les actions de communication ne sont possibles que sur la base d’un savoir partagé sur le monde et de conventions de comportement, et, d’autre part, une dimension psychologique, car il s’agit d’analyser des comportements individuels coordonnés. Il doit aussi tenir compte

4 « The social input to conversation is itself communicated through a system of verbal and nonverbal signs that both channel the progress of an encounter and affect the interpretation of

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du fait que toute action est comprise et interprétée, qu’un sens lui est attribué en contexte et que c’est cette attribution de sens qui lui donne son efficience.

Partant de l’hypothèse que le modèle de l’action compatible avec les exigences de l’analyse des comportements verbaux doit être hiérarchique et séquentiel, il reprend certaines propositions de Cranach (1982), qui lui-même s’inspire du modèle TOTE (pour Test-Operation-Test-Exit), élaboré par Miller/Galanter/Pribram (1960). Ce modèle insiste sur la place et la fonction de l’élément cognitif et sur la conception hiérarchique-séquentielle de l’action. Une action complexe peut être découpée en une séquence coordonnée de tests et d’opérations, alors que la structure sous-jacente qui organise le comportement est une structure hiérarchique. Bange applique le modèle séquentiel-hiérarchique de l’action à la description du ou des niveau(x) fonctionnel(s) de l’organisation conversationnelle. Ce niveau est spécifique, d’une part, parce qu’on y manipule des significations et, d’autre part, parce qu’on est en présence d’actions de caractère social, c’est-à-dire d’actions dont le but est réalisé par la réaction du partenaire qui est elle-même une action au plein sens du terme. Il s’intéresse en particulier à tout ce qui est lié aux notions de but et d’intention, à leur rôle dans une action de communication et à leur relation avec la signification. S’inspirant de certaines propositions de Cranach, qui établit la distinction entre deux niveaux d’analyse correspondant aux deux aspects corrélés du « but » et du « projet d’action », à savoir « le niveau de la détermination des buts » et « le niveau de la stratégie », Bange introduit dans l’analyse l’idée d’une hiérarchie des niveaux, ainsi que le terme de stratégie. Pour lui, la notion de stratégie permet d’associer l’élément intentionnel et l’élément cognitif de l’action. Une stratégie est en effet quelque chose de complexe: c’est un ensemble d’actions sélectionnées et agencées en vue de concourir à la réalisation du but final, c’est-à-dire que la stratégie comporte elle-même des buts subalternes et des moyens.

Une stratégie consiste dans le choix d’un certain nombre de buts intermédiaires et subordonnés dont on croit que la réalisation dans des actions partielles conduit de manière adéquate à la réalisation du but final. Chaque action partielle pouvant à son tour se subdiviser en actions-moyens pour arriver à la réalisation de son propre but. L’idée de « stratégie » inclut donc l’idée de hiérarchie de buts et de moyens et l’idée de l’action qui lui est liée est complexe (1992: 76).

Dans le modèle hiérarchique qu’il propose, une action d’un niveau inférieur ne trouvera place que si la réalisation du but suivant exige la réalisation d’une condition préalable qui n’est pas actuellement réunie. Il n’est pas possible, ajoute Bange, de fixer a priori le nombre de niveaux de l’action (les niveaux sont dans cette perspective des niveaux d’analyse correspondant au déroulement particulier de chaque intervention et non des niveaux objectifs préalablement déterminés de réalisation de l’action), ni de prévoir l’ordre de succession des séquences: ce sont les besoins de l’épisode social en cours qui déterminent les choix des interactants dans le cadre de buts plus ou moins clairement définis et plus ou moins contraignants (1992: 69). Reprenant l’hypothèse formulée par

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Aebli (1980), selon laquelle chaque action partielle est subordonnée à celle qui fait suite en ce sens qu’elle crée les conditions de celle-ci, au bout du compte se trouvant l’action-but, Bange affirme que toute action complexe apparaît à la fois comme séquentielle et hiérarchisée. Séquentialité et hiérarchie sont deux aspects de la même réalité. Après chaque tour de parole, l’acteur doit choisir la prochaine étape qu’il effectuera pour se rapprocher de son but final dans les circonstances données.

Après avoir souligné l’importance de l’élément intentionnel de l’action, il insiste sur la nécessité de prendre en compte la situation et l’interprétation de la situation par l’acteur. « Il faut faire entrer dans la définition de l’action des opérations cognitives qui la constituent en partie: une représentation et une évaluation du contexte extérieur, d’une part, et, d’autre part, du savoir pratique disponible dans ces circonstances, c’est-à-dire une évaluation de ce qui peut effectivement être fait pour modifier la situation » (1992: 73).

Bange vise à poser les linéaments d’une analyse de la conversation comme action. Mais cette action, précise-t-il, est sociale et réciproque: elle est interaction. Dans l’intention et dans le projet d’action d’un acteur, la réaction de son partenaire est inscrite comme le moyen de réaliser son but. Cette réaction est toujours, elle aussi, une action au plein sens du terme, avec ses raisons et ses buts, une action comportant normalement ses deux phases: une phase cognitive et une phase opérationnelle. Ce fait a pour implication que l’acteur est dans l’obligation d’inclure dans son projet des prévisions, des attentes concernant le comportement de son partenaire, dont il sait aussi que les actions s’orientent elles-mêmes selon les attentes relatives à son comportement à lui. L’action sociale devient par le fait même de cette réciprocité une interaction.

Dès qu’on se pose le problème de l’explication des phénomènes locaux, c’est-à-dire le problème de leur insertion dans des espaces fonctionnels plus vastes, on est amené à prendre en compte l’existence de buts qui guident l’organisation conversationnelle locale vers l’accomplissement d’actions plus vastes et on est renvoyé à une hiérarchisation de la structure de l’interaction. Selon Bange, un aspect essentiel de la théorie de l’action, le caractère hiérarchique-séquentiel du modèle, doit permettre de poser le problème des niveaux d’organisation de la communication et des macrostructures des interactions verbales (id. 75). Il développe l’idée que l’interaction doit être conçue comme une structure définie par des buts hiérarchisés communs (au moins partiellement) aux interactants, dont la réalisation exige que ceux-ci coopèrent sur la base d’un savoir réciproque et dont chaque étape sert à la réalisation de l’étape suivante. C’est donc à la recherche par les interactants de l’adéquation des moyens aux buts (c’est-à-dire à leur façon de concevoir la rationalité de l’interaction en cours) que doit être laissé le soin de déterminer quelles actions subordonnées à quel niveau sont nécessaires.

Bange applique ensuite à l’organisation de l’interaction la conception hiérarchique de l’action. Il considère l’interaction comme une hiérarchie de niveaux isomorphes qui s’organisent dans le cadre de la réciprocité des perspectives, de la réciprocité des motivations et de la réciprocité des images, depuis le niveau stratégique élémentaire: la « paire adjacente », jusqu’au niveau

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le plus élevé où le « type d’activité » (Levinson 1979) se structure. L’accord des partenaires de l’interaction sur les buts se traduit par une répartition de leurs activités en rôles sociaux complémentaires, c’est-à-dire en des ensembles réciproquement connus d’attentes de comportements typiques qui constituent les moyens (aux niveaux stratégiques les plus élevés) de réalisation des buts des interactions.

A partir de l’hypothèse de Cranach selon laquelle les actions sont organisées et contrôlées sur différents niveaux corrélés les uns aux autres – les niveaux d’organisation supérieurs structurés par le choix des buts, les plans et les stratégies, et dans une mesure relativement importante, guidés cognitivement et volontairement, et les niveaux d’organisation inférieurs organisés par des mécanismes particuliers, soumis à l’autorégulation subconsciente, Bange établit la distinction entre les niveaux stratégiques et les niveaux opérationnels dans les conversations. En appliquant à l’interaction verbale l’idée que les étapes sont les plus petits éléments de déroulement de l’action au niveau de l’organisation stratégique, il fait l’hypothèse que le tour de parole représente une étape d’action, conforme à la définition du tour de parole en analyse conversationnelle comme unité orientée vers le/les tour(s) précédent(s) et suivant(s). Les niveaux supérieurs sont alors représentés par l’agencement des tours de parole en séquences conversationnelles. Bange tient à préciser qu’il faut éviter de concevoir l’opposition fonctionnelle entre niveau stratégique et niveau opérationnel comme catégorique. Selon lui, il s’agit plutôt d’un passage graduel par une succession de niveaux dont les niveaux inférieurs ont pour tâche de réaliser effectivement les buts des niveaux supérieurs et dont les niveaux supérieurs assurent le guidage des niveaux inférieurs. Il ajoute que l’on peut opposer les niveaux opérationnels et les niveaux stratégiques d’organisation de l’action d’après leur contribution fonctionnelle à l’organisation d’ensemble des épisodes sociaux. Les niveaux supérieurs de l’action, les activités de projet, sont orientés vers une efficacité externe, vers l’adaptation aux exigences de l’environnement (en tenant compte des besoins internes). Les niveaux inférieurs, opérationnels, de l’action sont orientés, quant à eux, vers la consistance interne, basée sur la conformité à des règles. L’action (l’interaction) verbale paraît ainsi soumise à deux grands types de règles: les unes sont des règles sociales d’adaptation à la solution de problèmes extérieurs; les autres sont des règles de bonne organisation interne. On peut appeler intercompréhension le but global visé par les activités des niveaux opérationnels, interaction (en un sens restreint) le but visé par les activités stratégiques. Bange estime qu’il n’y a pas de raison de retomber dans une dichotomisation entre structures linguistiques (où s’effectue la compréhension) et structures pragmatiques (où l’on agit). Selon le modèle hiérarchique de l’action, c’est toujours au niveau supérieur qu’est contrôlé le résultat d’une activité et c’est seulement au niveau stratégique que le sens d’une énonciation est interprété.

Chaque énonciation modifie le contexte dans lequel l’énonciation suivante doit être interprétée; la place d’une énonciation est donc un élément déterminant pour l’interprétation de sa fonction et une telle conception ne peut trouver place que dans le cadre d’une conception intentionnelle de la signification où l’on

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admet que chaque interlocuteur cherche constamment à comprendre (interpréter, reconstruire) ce que son partenaire a voulu dire en disant cela dans une situation en constante modification. Une telle conception, souligne-t-il, est la seule dont puisse se réclamer l’analyse conversationnelle (1992: 42).Mais c’est une fois interprétées en contexte, après avoir fait l’objet d’une attribution coordonnée de signification pragmatique que ces séquences prendront valeur de telle ou telle action sociale et seront désignées comme des actions ou des séquences de conseil, de menace, de conciliation, de récit etc. (id. 56).

Pour Bange, l’action se présente sous deux faces, l’une externe, l’autre interne. D’un côté, elle est un ensemble observable de gestes, de modifications physiques dans un ensemble physique. De l’autre, elle consiste en processus cognitifs: perceptions, buts, décisions, valeurs, savoir social, etc. C’est cette face interne, dont tous les aspects sont liés entre eux, qui compose la signification de l’action. L’articulation du flot continu du comportement en action par des buts (Cranach) est le résultat de l’interprétation par laquelle l’acteur construit le sens de son action et/ou un co-acteur attribue un sens à l’action d’un acteur. Une action n’est jamais directement perçue. Ce sont les gestes qui la composent qui sont perçus. L’action en tant que telle est l’objet d’un processus de compréhension. Les actions sociales (donc aussi les actions verbales) ne peuvent se concevoir sans la présence d’un acteur et d’un co-acteur. Un problème majeur que doivent résoudre acteur et co-acteur est de coordonner les attributions de sens qu’ils font et de rendre possible la compréhension réciproque sur une base intersubjective. L’action de chacun repose sur la compréhension de l’action de l’autre.

L’hypothèse de l’adéquation des moyens aux buts est ce qui rend une action compréhensible. La notion d’appropriation ou d’adéquation des moyens aux buts recoupe celle de rationalité de l’action. L’adéquation (la rationalité) est toujours supposée comme une hypothèse nécessaire pour comprendre une action. Bange tient à rappeler que l’idée de rationalité est au principe du mécanisme de l’implicature conversationnelle de Grice et de la théorie inférentielle de la communication, qui trouvent leur application dans l’analyse conversationnelle. La rationalité se confond pour les interactions avec coopération. Le système de Grice concerne les règles qui, dans le cadre de la convention de coopération/coordination, doivent permettre au récepteur de faire le calcul inférentiel d’adéquation entre les moyens conversationnels et le but de l’énonciation, un calcul que Grice dénomme « implicature » et qui va permettre de faire une interprétation satisfaisante de l’intention de l’acteur dans la situation actuelle. Bange précise que la thèse intentionnelle s’accompagne chez Grice de l’idée d’une antériorité logique de la signification en situation (puisque celle-ci est jugée « fondamentale ») sur la signification conventionnelle du code linguistique; que cela revient à postuler une antériorité de la communication sur le code linguistique, du langage sur la langue et qu’inverser cette relation conduirait à des contradictions et à l’impossibilité d’insérer la théorie de l’acte de communication dans une théorie générale de l’action.

Bange essaie d’indiquer comment le travail de compréhension peut être

Figure

Figure 1 : La composante situationnelle de l ’interaction médiatique
Figure 2 : Interaction médiatique : la mise en scène d’un événement politique
Figure 3 : Exemple d’un cadre interactionnel comportant trois niveaux représentés
Figure 4 : La modification du cadre interactionnel au cours du processus d’interprétation rétrograde
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