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Avant de proposer leur modèle stratégique, les tenants de la deuxième conception (Antoine Auchlin et Jacques Moeschler) se distancient de l’approche qu’ils qualifient d’instrumentale. Envisagée d’une façon intuitive, une stratégie est, certes, conçue comme un ensemble de moyens, attribués à un responsable et mis en œuvre pour atteindre certains buts. Mais, affirment-ils, caractériser linguistiquement le responsable d’une stratégie imposerait un choix entre deux conceptions pragmatiques des stratégies, une conception polyphonique et une conception intentionnelle. Sans vouloir renoncer à l’utilisation des notions de polyphonie et d’intention dans leur description, ils leur associent un statut dérivé, plutôt que primitif. En outre, ils reprochent à la conception instrumentale « une certaine circularité dans la description de la relation moyen-but », l’accès à la caractérisation des buts et des motifs ne pouvant s’opérer que de façon spéculative, à partir des traces des buts dans les moyens.

stratégie est définie comme relation entre deux objets, appelés respectivement source et cible.

R<source, cible>

« Les notions de source et de cible dénotent respectivement un ensemble de départ et un ensemble d’arrivée associés par la relation stratégie. A ce titre, elles doivent être interprétées comme des variables, et non comme des constantes, ce que sont les notions de but et de moyen de la conception instrumentale. Cette définition implique que pour chaque type de stratégie (interactive, interactionnelle, interprétative) la valeur des variables source et cible soit donnée par des contraintes de nature différente » (Roulet et al. 1985: 199).

En postulant que la notion centrale dans l’analyse stratégique est celle de contrainte, Auchlin & Moeschler tiennent à préciser que « la notion de stratégie est non pas primitive, mais dérivée, en ce qu’elle repose sur les hypothèses, introduites indépendamment – concernant l’aspect nécessairement contraint de l’activité discursive ».

La distinction entre différents types de contraintes régissant les faits d’interprétation et d’enchaînement à des niveaux hiérarchiques divers est à l’origine du classement en stratégies conversationnelles et stratégies interprétatives. Les stratégies conversationnelles se subdivisent en stratégies interactives et stratégies interactionnelles. Les stratégies interprétatives président à l’interprétation des stratégies conversationnelles.

L’analyse stratégique proposée, en vertu du détour qu’elle impose par les stratégies interprétatives, est très différente de l’analyse hiérarchique élaborée dans la première conception. Ainsi, la notion de complétude (interactive et interactionnelle) est envisagée, en termes stratégiques, à travers l’opposition local/global, et surtout à travers l’aspect rempli/non rempli du format des stratégies.

La définition formelle des stratégies, dans la mesure où elle repose sur la mise en relation de deux entités, implique la délimitation d’un espace cognitif ou discursif dans lequel cette relation prend effet, c’est-à-dire la détermination de son format. Les tenants de la conception formelle posent par hypothèse l’existence d’une contrainte supplémentaire sur la formation des stratégies, contrainte spécifiant que la reconnaissance de l’existence d’une stratégie impose le remplissage de son format. Cette hypothèse sur la contrainte liée au format permet de définir deux modes d’accès aux stratégies: un mode d’accès inférentiel et un mode d’accès totalisant (1985: 200).

La conception formelle définit, de façon générale, la portée d’une stratégie (quelle qu’elle soit) comme l’ensemble du matériel nécessaire pour remplir son format. Cependant, la caractérisation de la portée d’une stratégie s’opère à partir de considérations hétérogènes: « les unes sont des hypothèses tirées de la taille discursive du format, les autres relèvent d’une loi régissant les rapports

d’inclusion entre stratégies, qui stipule de manière générale qu’une stratégie n’est dite locale que si elle est incluse dans une autre stratégie » (1985: 201).

Un des problèmes importants pour la description des stratégies auquel se trouve confrontée la conception formelle concerne l’identification des constituants susceptibles de remplir en termes de contraintes les variables source des stratégies. Ses auteurs postulent qu’à un constituant peut correspondre un ensemble de variables source, définies par les contraintes illocutoires et/ou interactives qu’il actualise, et non pas une seule variable source. Le constituant donnant une valeur à la variable cible doit satisfaire les contraintes imposées par la source de la stratégie; une telle satisfaction peut être évaluée à partir des critères suivants: l’existence d’un lien thématique, la nature des rapports entre contenus propositionnels, la compatibilité illocutoire et/ou interactive et l’homogénéité argumentative.

Les tenants de la conception formelle posent d’une façon générale qu’à la variable source d’une stratégie interactive est par convention associée l’imposition des contraintes d’enchaînement portant sur la bonne formation interactive des interventions. Et de façon symétrique, qu’à la variable cible d’une telle stratégie correspond, également par convention, la satisfaction des contraintes imposées par la source.

La description des stratégies interprétatives permet de présenter d’une façon plus complète les différentes hypothèses sur les relations entre faits d’interprétation, faits de progression et faits d’articulation du discours. La variable source d’une stratégie interprétative ne peut être remplie que par le format d’une stratégie interactive, que ce format soit effectivement rempli ou postulé projectivement. Les variables source et cible d’une stratégie interprétative consistent respectivement en contraintes d’interprétation associées au format d’une stratégie interactive et interprétation.

A la source d’une stratégie interprétative sont associées des contraintes que la cible doit satisfaire. Il existe deux grands types de contraintes interprétatives, d’une part, les instructions argumentatives et/ou fonctionnelles données par les connecteurs pragmatiques, les marqueurs de fonction illocutoire ou interactive, les opérateurs argumentatifs, les marqueurs de structuration et, d’autre part, les lois de discours. Envisagée comme cible d’un processus stratégique, l’interprétation doit être conçue comme une représentation hypothétique du sens à attribuer aux divers constituants du discours. Cet aspect hypothétique des interprétations peut être examiné à travers les procédés d’infirmation et de confirmation auxquels elles sont soumises. Le fait d’envisager les interprétations dans leur aspect hypothétique « ne vise pas le caractère indécidable du sens intentionné par un énonciateur, mais plutôt les divers mouvements et déplacements auxquels sont soumises, en regard de la progression du discours, les interprétations ». Ils distinguent deux mouvements principaux, ou modes d’accès, modifiant les interprétations: les mouvements projectifs et les mouvements rétroactifs qui interviennent dans le développement des stratégies interprétatives (1985: 223).

Finalement, la valeur de la source, de même que celle de la cible, d’une stratégie interactionnelle ne peuvent être données que par le format rempli d’une stratégie interprétative.

L’analyse proposée permet ensuite d’identifier deux types de relations qui s’établissent entre ces stratégies, à savoir les relations d’inclusion et de blocage, ainsi que l’ordre suivant des relations entre stratégies conversationnelles (interactive et interactionnelle) et stratégie interprétative, stratégies qui doivent être attribuées à des énonciateurs distincts:

stratégie interactive → stratégie interprétative → stratégie interactionnelle et en termes de source et de cible

stratégie interactive: (s, c)

stratégie interprétative: (s, c)

stratégie interactionnelle: (s, c) (1985: 234)

L’insertion des stratégies interprétatives dans les stratégies conversationnelles permet de distinguer deux phases des processus stratégiques, qui peuvent être qualifiées schématiquement d’active et de réactive, correspondant en fait à l’attribution de fonctions illocutoires initiative et réactive aux constituants de l’échange.

En mettant en avant le caractère contraint du déroulement des processus stratégiques, phase par phase, ainsi que l’interdépendance des processus de production et d’interprétation des constituants du discours à différents niveaux, la conception formelle vise à réinscrire dans une perspective dynamique les descriptions statiques fournies par les analyses argumentative et hiérarchique des constituants du discours. Cependant, l’analyse stratégique qu’elle propose reste rudimentaire, car des notions-clés, telles que la polyphonie et diaphonie, ne sont pas susceptibles d’y être intégrées. Ceci s’explique par un degré de précision du modèle insuffisant pour la définition des contraintes et pour la caractérisation de la valeur des variables stratégiques. En outre, la première version du modèle genevois privilégie les propriétés argumentatives des constituants du discours aux dépens de leurs propriétés thématiques.

Parmi les propriétés plus fines susceptibles d’entrer dans la caractérisation de la valeur des variables stratégiques, les auteurs de la conception formelle mentionnent l’attribution des actes à des auteurs particuliers et distincts, c’est-à- dire les faits de diaphonie et de polyphonie.

La description des différentes « phases » dans le déroulement des processus stratégiques et la prise de conscience des différences entre l’analyse hiérarchique et l’analyse stratégique constituent, à notre avis, les principaux apports de la conception formelle des stratégies élaborée dans le cadre de la première version du modèle genevois.

En outre, la mise en évidence de la nécessité d’intégrer dans l’analyse stratégique d’autres dimensions constitutives du discours, représente, sans aucun doute, la piste à suivre si l’on se pose comme objectif de redéfinir la notion de stratégie dans un modèle d’analyse du discours de type modulaire.

1.4. La notion de stratégie discursive dans un modèle d’analyse de

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