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La conception intentionnelle des stratégies

Selon la première conception, la notion de stratégie est liée à l’exécution des interventions illocutoires. Les « stratégies d’interaction » sont définies en termes de visées, correspondant aux deux principales exigences des interactions en face à face, à savoir la clarté et le ménagement des faces des interlocuteurs.

Le locuteur voulant exécuter une intervention illocutoire qui pourrait menacer la face de l’interlocuteur se trouve ainsi, si on laisse de côté la stratégie d’évitement consistant à renoncer à intervenir, devant le choix entre deux grandes stratégies: assurer la compréhension de la fonction illocutoire, « être clair », au risque de porter atteinte à la face de l’interlocuteur, ou ménager celle-ci, « ne pas s’imposer », en étant ambigu, au risque de ne pas être compris. Mais le choix n’est pas aussi tranché, car ces deux stratégies fondamentales peuvent s’analyser en des sous-stratégies: on peut assurer la compréhension de la fonction illocutoire de deux manières: ouvertement ou non ouvertement; de même, on peut ménager la face de l’autre en étant ambigu, de deux

manières, selon qu’on oriente ou non l’interlocuteur vers l’interprétation illocutoire visée (Roulet 1981: 13).

Ce classement des stratégies d’interaction appelle plusieurs commentaires. Tout d’abord, il nous permet d’observer que, dans la conception qui le sous-tend, la place centrale est accordée à la volonté du locuteur de réaliser certains buts, en choisissant une manière d’agir qui serait le mieux à même de répondre à des contraintes et à des exigences extérieures et d’éloigner ainsi d’éventuels risques que comporte une situation d’interaction. Les concepts de buts, de risques et de choix permettent ainsi de définir l’activité du locuteur face à des contraintes communicationnelles. Assurer la compréhension et ménager la face de l’interlocuteur constituent deux principaux buts qui orientent le locuteur lors de son intervention. Celle-ci est soumise à un certain nombre de contraintes, de natures diverses, dont la satisfaction permet de prévenir des risques potentiels: porter atteinte à la face de l’interlocuteur ou ne pas être compris. Les concepts de buts et de contraintes communicationnelles sont étroitement liés: pour « assurer la compréhension », il faut « être clair », de même que pour « ménager la face de son interlocuteur », il est nécessaire de « ne pas s’imposer ». Cependant, ces deux concepts ne suffisent pas, à eux seuls, à définir la notion de stratégie. Celle-ci inclut également le concept de choix. Le locuteur a le choix de privilégier l’une des exigences de l’interaction au détriment de l’autre, mais il peut également essayer de les concilier. Cependant, le choix de telle ou telle stratégie ou sous- stratégie ne sera pas sans répercussions sur le type de rapports (de dominance, de soumission ou de recherche de rapports égalitaires) entre les interlocuteurs. D’où le constat que « les stratégies les plus intéressantes ne sont pas les deux extrêmes, qui privilégient exclusivement l’une des exigences (clarté ou ménagement) aux dépens de l’autre, mais les deux stratégies intermédiaires, qui permettent de concilier dans une certaine mesure ces deux exigences à première vue antagonistes » (1981: 14). Si nous reprenons ces concepts à la lumière de la définition générale des stratégies citée au début de ce chapitre, nous nous apercevons qu’ils peuvent être associés aux trois critères définitoires qui y sont mentionnés. Les concepts de buts, de risques (et de contraintes) et de choix correspondent respectivement aux aspects finalisé, difficile et volontaire de toute stratégie. Finalement, le classement proposé démontre que ces trois aspects sont indissociablement liés. Le choix d’une stratégie par le locuteur repose sur la détermination des buts communicatifs, dont la réalisation dépend du respect des contraintes, imposées par la présence de l’interlocuteur ayant des buts plus ou moins divergents. Il ne s’agit donc pas du libre choix, mais d’un choix limité par des contraintes.

Aux stratégies d’exécution des interventions illocutoires correspondent les différents modes de réalisation linguistique. Reprenant les observations de Goffman sur le rôle capital de l’implicite dans les processus de figuration à la lumière des réflexions de Grice (1979) sur l’implicitation, la conception intentionnelle de stratégies distingue, dans l’expression de la fonction illocutoire, ce qui est explicité de ce qui est implicité; dans ce qui est implicité, ce qui l’est conventionnellement de ce qui l’est conversationnellement; enfin, dans cette

dernière catégorie, ce qui est le fait d’une implicitation conversationnelle généralisée de ce qui est le fait d’une implicitation conversationnelle particulière.

Elle met ensuite en rapport les stratégies qui commandent l’interaction en face à face et ses différents modes de communication avec la problématique des marqueurs illocutoires, pour constater que le mode explicite est caractérisé par l’emploi de marqueurs dénominatifs de fonction illocutoire, tandis qu’à l’implicitation conventionnelle, conversationnelle généralisée et conversationnelle particulière correspondent respectivement les marqueurs indicatifs de fonction illocutoire, les marqueurs potentiels de fonction illocutoire et l’absence de marqueur de la fonction illocutoire implicite. Une distinction est établie entre ces marqueurs de fonction illocutoire et les marqueurs de fonction interactive. Ceux-ci « appartiennent à la catégorie des marqueurs indicatifs, ce qui n’est pas surprenant dans la mesure où les actes interactifs, de par leur caractère intrinsèquement subordonné à d’autres actes, ne présentent guère de menace potentielle pour la face de l’interlocuteur » (1981: 19). Quant aux structures syntaxiques fondamentales (déclarative, interrogative et impérative), considérées dans d’autres approches comme marqueurs de fonction illocutoire spécifique (assertion, demande d’information, ordre), elles font partie des marqueurs d’orientation illocutoire, « permettant d’établir, quoique à des niveaux différents, le même type de relations de droits et d’obligation entre les interlocuteurs » (ibid.).

La conception intentionnelle de stratégies élaborée dans le cadre de la première version du modèle genevois aboutit ainsi à l’établissement d’un parallélisme entre les stratégies d’interaction, les modes de communication correspondants et les différents types de marqueurs de fonction illocutoire.

1.3.3. La conception formelle des stratégies conversationnelles et

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