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Constructions identitaires de jeunes musulmans de Bamako en périodes de crises nationales (1990-2012) : une jeunesse en quête de représentativité dans un paysage religieux pluriel

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© Meriem Lahouiou, 2018

Constructions identitaires de jeunes musulmans de

Bamako en périodes de crises nationales (1990-2012):

Une jeunesse en quête de représentativité dans un

paysage religieux pluriel

Mémoire

Meriem Lahouiou

Maîtrise en histoire - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Constructions identitaires de jeunes musulmans de

Bamako en périodes de crises identitaires

(1990-2012)

Une jeunesse en quête de représentativité dans un paysage

religieux pluriel

Mémoire

Meriem Lahouiou

Sous la direction de :

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Résumé

L’étude de l’implication de la jeunesse malienne dans la sphère religieuse en période de crises nationales dévoile l’ampleur de son champ d’intervention dans le projet de société dont se sont dotés les acteurs musulmans au cours des deux dernières décennies. Centrée sur l’action des associations musulmanes, cette approche permet de saisir les interactions entre les représentants religieux et l’État, les leaders religieux et leurs adhérents, et finalement les divergences idéologiques qui traversent la sphère religieuse. Bien qu’imprégnés de tensions et de querelles, les discours des leaders religieux, récupérés par la jeunesse musulmane, sont porteurs d’un projet commun de remoralisation de la société malienne.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... iv

Glossaire ... vi

Liste des acronymes ... vii

Remerciements ... viii

Introduction ... 1

A. Contexte historique de l’étude ... 1

B. Historiographie ... 3

C. Problématique et hypothèses ... 13

D. Plan ... 16

CHAPITRE I – Concepts, sources et méthodologie ... 17

A. «Espace public», «jeunesse», et «individualisation» : définition des concepts clés ... 17

B. Corpus des sources primaires ... 19

C. Méthodologie de traitement des sources ... 25

CHAPITRE II – Entre enracinement local et ouverture à la grande communauté musulmane : portrait des enjeux identitaires, idéologiques et financiers d’une sphère religieuse hétéroclite ... 29

A. Ançar Dine et l’Union des Jeunes Musulmans du Mali : Structures associatives ou confrériques ? Lecture des modèles associatifs et des figures de leader du Chérif Ousman Haïdara et de Macky Bah ... 31

B. Le Haut Conseil Islamique à l’épreuve de tensions interconfessionnelles et conflits doctrinaux : entre complexité et ambigüité des relations entre les acteurs religieux maliens ... 49

CHAPITRE III – Crises nationales et crise morale (2012) : intervention étrangère, stigmatisation des identités et quête morale. Le sinueux chemin vers la réconciliation nationale ... 68

A. Fracture territoriale et scission identitaire : faites entrer l’accusé. Les causes profondes d’une crise multidimensionnelle contemporaine ... 71

B. Le redressement de la bonne morale du Mali : entre réformisme et fondamentalisme. L’ambigüité d’un projet social total ... 91

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v

Conclusion ... 107

Sources ... 114

Bibliographie ... 121

Annexe I: Grille d’entretien ... 131

Annexe II: Exemple de page dédiée aux lecteurs dans les Échos, décembre 1990 ... 133

Annexe III: Rassemblement d’Ançar Dine à la grande mosquée de Bamako, 19 juillet 2014 ... 134

Annexe IV: Règlement intérieur et statuts de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali ... 136

Annexe V: Règlement intérieur de la Fédération Ançar Dine Internationale ... 144

Annexe VI: Article de presse – «Nord-Mali : le président du HCI fait la leçon au Mujao . 151 Annexe VII: Récit de vie d’Oumar, un militant de première génération d’Ançar Dine ... 153

Annexe VIII: Récit de vie d’Aïchata, prédicatrice et membre de l’Agence musulmane d’Afrique ... 156

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Glossaire

Ahl Sunna: Partisans de la tradition prophétique.

Da’wa : Prosélytisme religieux.

Grin : Réfère à un lieu de sociabilité improvisé dans lequel des jeunes se retrouvent.

Hadj: Cinquième pilier de l’islam, fait référence au pèlerinage vers la Mecque, lieu saint de l’islam.

‘Ilm : Sciences islamiques.

Kudra : Relecture de l’islam

Madrasa: Désigne un lieu d’enseignement islamique où sont enseignées les sciences islamiques.

Madâris : Pluriel de madrasa.

Maouloud : Commémoration de la naissance du Prophète Mahomet, survient le 12e jour du

troisième mois du calendrier hégirien.

Seere : En bambara, tâche pigmentaire qui apparaît sur le front du fidèle lorsqu’il pratique régulièrement la prière.

Sharia: Système juridique musulman.

Sunna: Code de conduite qui réfère à la tradition prophétique.

Tariqa : Signifie voie en arabe. Propre au soufisme, désigne une organisation confrérique.

Umma: Grande communauté de musulmans qui transcende les frontières.

Zakat: Troisième pilier de l’islam, aumône que tout musulman doit donner au plus démuni.

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Liste des acronymes

AMA : Agence Musulmane d’Afrique

AMCECI : Association Malienne pour la Concorde, la Culture et l’Éducation Islamique AMSODEC : Association Malienne pour la Solidarité, de la Culture et du Développement AMUPI : Association Malienne pour l’Unité de l’Islam

APEJ : Agence pour la Promotion et de l’Emploi des Jeunes AQMI : Al-Qaïda au Maghreb islamique

CFA : Communauté financière africaine FADI : Fédération Ançar Dine Internationale FMI : Fonds Monétaire International

GLSM : Groupement de leaders spirituels musulmans HCI : Haut Conseil Islamique

IMAMA : Ligue Malienne des Imams et des Érudits pour la solidarité au Mali MNLA : Mouvement National de Libération de l’Azawad

MPA : Mouvement Populaire de l’Azawad

MUJAO : Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest ONU : Organisation des Nations Unies

RDA : Rassemblement Démocratique Africain RFI : Radio France internationale

UJMMA : Union des Jeunes Musulmans du Mali

UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture URSS : Union des Républiques socialistes soviétiques

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Remerciements

Je voudrais remercier le Bureau international de l’Université Laval qui m’a décerné une bourse de terrain dans le cadre du programme de mobilité « Stage hors Québec ».

Je tiens à exprimer ma sincère reconnaissance à ma directrice, Muriel Gomez-Perez. Sa patience et sa confiance au cours de ces dernières années m’auront permis d’aller au bout de cette réalisation. Elle m’a poussée à me surpasser, tant sur le plan intellectuel que personnel, tout au long de mon parcours universitaire. De son soutien indéfectible, je tire une grande leçon de vie.

Un merci particulier à Issa, et à toute sa famille, qui m’ont accompagnée durant mon séjour à Bamako et qui ont fait en sorte que je m’y sente chez moi. La richesse de mon expérience au Mali leur revient en très grande partie. Merci à tous ceux qui ont participé de près ou de loin à l’enquête de terrain. Je tiens à remercier Marie Brossier et Cédric Jourde qui ont accepté d’évaluer ce mémoire.

Je ne pourrais faire l’économie de remercier mes sœurs qui n’ont jamais perdu confiance en moi malgré les aléas de cette gestation intellectuelle. Un mot également pour deux êtres chers, Mireille et Francis, qui m’ont épaulée et ont coloré cette aventure chacun à leur façon. Finalement, mes remerciements chaleureux aux membres de la famille Vaillancourt pour leur soutien inépuisable.

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INTRODUCTION

A. Contexte historique de l’étude

Depuis une vingtaine d’années, le paysage malien est témoin de fortes perturbations sociales et politiques. Dans la mouvance des transitions démocratiques ayant marqué le paysage africain et suite au renversement du président Moussa Traoré en 1991, le Mali s’est engagé dans un système multipartite qui a conduit notamment à la libéralisation de la presse et de la vie associative. L’on observe dès lors une prolifération de mosquées1, de madâris2, d’associations et de centres culturels musulmans dans le pays. Ces changements témoignent « d’un phénomène de réislamisation de masse »3 observé dans le paysage religieux malien au cours des dernières décennies. L’émergence du religieux dans l’espace public est portée à la fois par l’État et par des associations musulmanes telles qu’Ançar Dine et l’Union des Jeunes Musulmans du Mali (UJMMA)4. Par ailleurs, le rôle de l’association étatique, l’Association malienne pour l’unité de l’islam (AMUPI), créée en 1980 pour assurer le contrôle des activités religieuses, devint plus significatif dans les années 1990 devant l’important développement de mouvements religieux, fortement investis par la jeunesse urbaine5. La montée du piétisme, observée depuis, est telle que s’instaure une concurrence pour la maîtrise du champ religieux entre les acteurs sociaux. C’est ainsi que divers leaders religieux et figures associatives tels que les opposants6 Chérif Ousman Madani Haïdara

1 Gilles Holder, spécialiste du Mali, dénombre le nombre de mosquées à Bamako à 200 en 1988. Tandis qu’aujourd’hui on estime leur nombre à 1000, seulement dans la capitale du Mali. Voir Gilles Holder, « Chérif Ousmane Madani Haidara et l’association islamique Ançar Dine », Cahiers d’études africaines, no. 206-207, 2012, p. 1-31.

2 Pluriel de madrasa. Voir glossaire, p. v. 3 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 2. 4

Ançar Dine, à ne pas confondre avec le mouvement armé touareg fondé en 2011, est un mouvement sunnite prosélyte fondé en 1991 par Chérif Ousmane Madani Haidara. Signifiant « Compagnons de la religion », l’association Ançar Dine qui rassemble de nombreux jeunes depuis sa création est aujourd’hui la plus importante association musulmane au Mali. Quant à l’UJMMA, il s’agit d’une association de jeunes musulmans très active sur la scène politique malienne. La présente étude sera centrée sur les actions menées par ces deux associations et les discours de leurs leaders. De jurisprudence malékite, Ançar Dine prône un réformisme intelligible à la culture africaine, en opposition au courant wahhabia, qui se veut épuré de tout syncrétisme culturel. L’UJMMA, bien qu’elle soit proche d’Ançar Dine, se dit neutre car elle représente tous les jeunes musulmans du Mali. Voir Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 1-31.

5

Françoise Bourdarias, «Constructions religieuses du politique aux confins de Bamako (Mali)», Civilisations, «Intimités et inimités du religieux en politique en Afrique », vol. 58, no. 2,», 2009, p. 22.

6 Qualifiés « d’ennemis jurés » par la presse, les tensions entre ces deux hommes, qui représentent chacun un courant religieux, remontent aux années 1980. Nous exposerons les tenants et aboutissants de cette relation complexe en cours de démonstration. Bekaye Dembele, «Mahamoud Dicko président du HCI : Un dinosaure

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(chef spirituel de l’association Ançar Dine) et Mahamoud Dicko (président du Haut Conseil Islamique du Mali (HCI)7, participentà la vie politique en occupant une place considérable dans l’espace public8 et médiatique, et s’évertuent à diffuser le religieux sur l’espace public et privé. Plus récemment, la crise dans le nord du pays, l’intervention militaire française au printemps 2013 et les prises de position du HCI dans les affaires politiques, notamment lors du débat sur le Code de la famille, illustrent le dialogue complexe entre le religieux et le politique.

La sphère islamique malienne est caractérisée aujourd’hui par une concurrence religieuse animée en partie par les groupes religieux identifiés ci-dessus. Ces luttes doctrinales sont étroitement liées à une hypermédiatisation du fait religieux, véhiculée par la radio et des supports audio bon marché9. Les tensions religieuses qui se dessinent dans l’espace public sont portées d’une part par les leaders religieux qui tendent à gagner en influence, et d’autre part par les jeunes musulmans qui s’inscrivent dans une quête identitaire. Un questionnement se pose alors quant à l’impact social et politique de la visibilité de l’islam qui se fait grandissante dans l’espace public au Mali depuis une vingtaine d’années. C’est dans un tel contexte que deux cohortes de jeunes musulmans, celles de 1990 et de 2012, ont cherché en périodes de crises nationales à élever les principes de l’islam à un fait total cadrant la société, cela au sein d’associations musulmanes de quartiers et transnationales afin de s’affirmer socialement, d’une part, et rétablir l’ordre moral, d’autre part.

politique à visage musulman», Le Reporter, 29 mai 2013, [En ligne] : http://maliactu.net/mohamoud-dicko-president-du-hci-un-dinosaure-politique-a-visage-musulman/, page consultée le 16 novembre 2015.

7 Le HCI fut fondé en 2002, à l’initiative de leaders religieux et avec l’appui de l’État. Chérif Ousman Haïdara y a été élu en 2008.

8

Le concept d’espace public sera défini au chapitre I. 9

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B. Historiographie

Afin de cerner les tenants et aboutissants des constructions identitaires de ces deux cohortes de jeunes, nous proposons de survoler l’environnement social et religieux dans lequel ceux-ci ont su prendre possession de l’espace public par l’entremise d’associations musulmanes. Pour ce faire, il importe de dresser un portrait de la littérature scientifique sur le sujet. Afin de souligner la dimension religieuse dans son contexte historique et géographique, nous débuterons par dresser un bilan des travaux effectués sur l’islam en Afrique de l’Ouest et au Mali. Dans l’intention de mettre en exergue l’investissement de l’espace public par la jeunesse, nous exposerons l’état général des travaux réalisés autour des mutations de l’espace public religieux ouest-africain et malien, et de la jeunesse africaine.

Les islamologues occidentaux ont longtemps centré l’étude de l’islam du point de vue des marchands, du pouvoir et de l’élite intellectuelle et politique durant la période coloniale. Au regard du syncrétisme culturel et religieux opéré en Afrique subsaharienne10, l’islam fut dépeint comme une religion « importée » et « repensée »11. La conciliation des pratiques animistes et maraboutiques aux pratiques musulmanes a poussé l’ethnologue Vincent Monteil à qualifier « l’islam noir » de courant « archaïque » 12. De nombreux auteurs se sont interrogés, au fil des décennies, s’il a été question d’islamisation de l’Afrique ou d’africanisation de l’islam13. Cette question reste d’une grande pertinence dans la mesure où elle est encore débattue par les deux principaux mouvements réformistes14 maliens ; d’un côté, les défenseurs d’un islam littéraliste, dit wahhabisme15, prônant un

10 On parle de syncrétisme car l’islam s’est fondu aux pratiques culturelles africaines depuis le XIe siècle, dans une dynamique d’échanges commerciaux et culturels avec des marchands et des courants prosélytes. Voir David Robinson, Les sociétés musulmanes africaines, Paris, Karthala, 2010, 310p.

11

Jean-Claude Froelich, Les musulmans d’Afrique noire, Paris, Éditions de l’Orante, 1962, 406p. 12 Vincent Monteil, L’islam noir, Paris, Seuil, 1971, 418p.

13 Vincent Monteil, op. cit., 1971; Joseph Cuoq, L’Église d’Afrique du Nord du deuxième au douzième siècle, Paris, Le Centurion, 1984, 211p.; David Robinson, op. cit., 2010.

14

Prônant un retour à la forme originelle de l’islam, le réformisme islamique a connu un essor au XIXe siècle. Ses adhérents proposent de «rénover la vie religieuse et de régénérer la doctrine de l’islam». Le réformisme propose de s’en tenir aux préceptes du Texte saint en vue de retrouver une unicité autour de l’identité musulmane, ce qui peut également être identifié comme fondamentalisme en raison de la stricte lecture des textes. Il est à noter qu’il n’y a pas un réformisme, mais plusieurs réformismes dans l’islam. Voir Janine Sourdel et Dominique Sourdel, «Réformisme», in Dictionnaire historique de l’islam, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 704.

15

La doctrine wahhabite prône un retour aux traditions prophétiques. Fondée par le théoricien Muhammed ibn Abd Al Wahhab (1704-1792), le wahhabisme est une branche « fondamentaliste » qui prend racine et

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retour fondamental aux pratiques des ancêtres musulmans, et de l’autre, les partisans d’un islam populaire et de tradition africaine, incarné par Ousmane Madani Haidara, qui soutient la compatibilité du fait culturel et religieux16.

Au tournant des années 1980, une conception revisitée de l’islam donne un nouveau souffle à l’étude. Des auteurs tels que Jean-Louis Triaud et David Robinson démontrent « l’extrême diversité des attitudes adoptées par les acteurs musulmans »17, la pluralité de leurs échanges18 et la portée du dynamisme islamique en Afrique subsaharienne19. Quant à Christian Coulon, il met en exergue les nombreux processus d’innovation sociale et politique en islam20. Cette effervescence, observée dès les années 1980, est alors renforcée au tournant des années 1990. Les spécialistes de l’Afrique accordent dès lors un intérêt grandissant à l’islam dès la fin du XXe siècle. On pense notamment aux travaux dirigés par Christian Coulon et François Constantin, qui offrent une vision complète de la question religieuse dans un contexte de transitions démocratiques21. Ousmane Kane et Jean-Louis Triaud notent dans leurs travaux un engouement islamique « de l’Indonésie à Dakar », un courant disparate qui « prône le rejet des codes occidentaux et l’adoption de la loi islamique »22. La mutation du paysage politique, social et religieux ouest-africain a suscité l’intérêt des chercheurs quant à la vivacité des mouvements sociaux, la transformation des modes de communication, la multiplicité des mouvements religieux et la relation entre l’État et la sphère religieuse23. Dans le même ordre d’idées, les tendances de l’islam

essor en Péninsule arabique. Ce courant défend une application rigoureuse de la shari’a ou Loi islamique, fondée sur le Coran et a comme objectif de construire une unicité de la communauté sunnite et de faire reconnaitre l’existence d’un Dieu unique. L’histoire du courant et sa diffusion au Mali seront abordés au chapitre I. Voir Janine Sourdel et Dominique Sourdel, «Wahhabisme», loc. cit., 1996, p. 847.

16 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 391. 17

Frédérique Madore, « Islam, politique et sphère publique à Ouagadougou (Burkina Faso) », Mémoire de maîtrise, Université Laval, 2013, p. 3.

18 David Robinson & Jean-Louis Triaud, Le temps des marabouts : itinéraires et stratégies islamiques en

Afrique occidentale française. 1880-1960, Paris, Karthala, 1997, 583p.

19 Guy Nicolas, Dynamique de l’islam au Sud du Sahara, Paris, Publications orientalistes de France, 1981, 335p.

20 Christian Coulon, Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire : religion et contre-culture, Paris, Karthala, 1983, p. 6.

21 François Constantin & Christian Coulon, Religion et transition démocratique en Afrique, Paris, Karthala, 1997, 387p.

22 Ousmane Kane & Jean-Louis Triaud, « Introduction », Kane, Ousmane et Triaud, Jean-Louis (dir.), Islam

et islamismes au Sud du Sahara. Paris, Karthala, 1998, p. 28.

23

Ousmane Kane et Jean-Louis Triaud (dir.), Islam et islamismes au sud du Sahara, Paris, Karthala, 1998, 330p.

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politique portées par divers mouvements et associations islamiques sont également analysées24.

Le paysage africain connaît donc une multiplicité de courants prosélytes durablement implantés localement; signe de l’existence de connexions et d’influences de l’islam « global » sur l’islam « local » et inversement. Ces caractéristiques d’un islam dit « mondialisé » se conjuguent dans l’ensemble des pays musulmans d’Afrique subsaharienne. Partant de ce postulat, la problématique de l’intégration locale du religieux dans un contexte d’ouverture territoriale et de mondialisation fut un incontournable dans l’étude des sociétés musulmanes subsahariennes25. En ce sens, l’ouvrage Entreprises

religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest offre une nouvelle lecture sur les

dynamiques religieuses ouest-africaines inscrites dans une logique régionale et transnationale 26 . Le flux d’échanges culturels, idéologiques et médiatiques, les déplacements migratoires des populations musulmanes à travers le monde ont entraîné l’effacement des frontières tangibles ou plutôt leur refonte. Quant à Olivier Roy, il soutient, dans L’islam mondialisé, que « ce sont de nouvelles frontières qui s’établissent, dépourvues de tout territoire concret. Elles se fixent dans les esprits, les comportements et les discours »27. Cette lecture tend à faire valoir les communautés musulmanes subsahariennes comme un acteur à part entière dans la umma28. Le caractère transnational de l’islam, tel

que souligné plus haut, n’est pas chose nouvelle. On peut même considérer qu’il est inhérent à l’islam : Weber emploie la notion de « religion mondiale »29 pour désigner l’islam et le christianisme dans le sens où ils « sont par vocation transnationales »30. La « nouveauté » réside dans la facilité et l’immédiateté des échanges transnationaux qui

24 René Otayek, « Religion et globalisation : l’islam subsaharien à la conquête de nouveaux territoires »,

Revue internationale et stratégique, vol. 4, 2009, p. 51-65; Muriel Gomez-Perez (dir.), L’islam politique au sud du Sahara : identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, 643p; William F. S. Miles (dir.), Political Islam in West Africa : State-Society Relations Transformed, Boulder, Lynne Rienner, 2007, 221p.;

Benjamin Soares & René Otayek, Islam, État et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009, 521p. 25 Olivier Roy, L’islam mondialisé, Paris, Seuil, 2002, 209p.

26

Laurent Fouchard, André Mary et René Otayek, Entreprises religieuses transnationales en Afrique de

l’Ouest, Paris, Karthala, 2005, coll. « Hommes et sociétés », 537p.

27 Olivier Roy, op. cit., 2002, p. 9.

28 La umma renvoie une unité, imaginée et souhaitée, de la grande communauté de musulmans. Transcendant les frontières et les nations, cette identité est revendiquée par plusieurs dirigeants d’associations et musulmans à travers le monde. Voir le collectif publié par le Centre d’étude d’Afrique noire en 2003, L’Afrique politique

2002 : l’islam d’Afrique, entre le local et le global, Paris, Karthala, 2003, 358p.

29

Max Weber, Études de sociologie de la religion, Paris, Éditions Plon, 1964, 3 volumes. 30

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conduisent à parler d’une « cocalisation » du monde, soit une uniformisation du fait culturel et religieux31. Les auteurs Jean-Louis Triaud et Leonardo Villalon, abordent la question par le prisme de l’économie religieuse globale dont la conjoncture mondiale – libéralisation de l’économie de marché – a bénéficié aux marchands religieux, aux étudiants formés dans les universités islamiques du monde musulman, et plus largement à la umma32.

Au vu de ces dynamiques, certains auteurs comme Charlotte Quinn et Frederick Quinn rappellent que l’islam ne constitue pas un bloc monolithique, qu’il est plutôt animé par de nombreuses tendances et contradictions33. Considérant l’éclatement du champ musulman en Afrique subsaharienne, plusieurs chercheurs parleront d’islam au pluriel afin d’exposer la multiplicité des courants et acteurs religieux. Cette pluralité est perceptible dans les tensions existantes entre les confréries et les divers courants religieux musulmans qui laissent voir une quête de légitimité et « d’influence au sein de la communauté musulmane »34 par les acteurs actifs, mais également dans les débats politiques à connotation religieuse35.

Bien qu’elle ait été brièvement survolée, la littérature scientifique portant sur l’islam en Afrique subsaharienne est foisonnante. Cependant, les études qui se penchent spécifiquement sur le Mali sont beaucoup plus rares. Au tournant des années 1980, d’importantes études ont été consacrées à l’émergence du wahhabisme et l’islam traditionnel confrérique au Mali36. Provenant de la terre sainte de l’islam, et donc du centre spirituel musulman, le wahhabisme porte un discours et une légitimité qui provoquent, dans

31 Jocelyne Cesari, L’islam à l’épreuve de l’Occident, Paris, Éditions La Découverte, 2004, 291p. 32

Jean-Louis Triaud et Leonardo Villalon, « Introduction thématique. L’islam subsaharien entre économie morale et économie de marché : contraintes du local et ressources du global », Afrique contemporaine, vol. 3, no. 231, 2009, p. 23-42.

33

Charlotte A. Quinn et Frederick Quinn, Pride, Faith, and Fear: Islam in Sub-Saharan Africa, New York, Oxford University Press, 2003, 175p.

34 Muriel Gomez-Perez, « Autour de mosquées à Ouagadougou et à Dakar : lieux de sociabilité et reconfiguration des communautés musulmanes », in Fouchard, Laurent et al. (dir.), Lieux de sociabilité

urbaine en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 21.

35

Adrianna Piga, Islam et villes en Afrique du sud du Sahara : entre soufisme et fondamentalisme, Paris, Karthala, 2003, 422p.

36 Louis Brenner, West African Sufi. The religious heritage and spiritual search of Cerno Bokar Saalif Taal, Londres, Hurst, 1984, 223p. ; Jean-Loup Amselle, « Le Wahhabisme à Bamako (1945-1985) », Canadian

Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, vol.19, no. 2,1985, p. 345-357.;

Jean-Louis Triaud, « Abd al-Rahman l’African (1908-1957). Pionnier et précurseur du Wahhabisme au Mali », in Odile Carré et Pierre Dumont (dir.), Les radicalismes islamiques, Paris, L’Harmattan, 1986, p.162-179; Louis Brenner, « Constructing Muslim identities in Mali », in Louis Brenner (dir.), Muslim Identity and Social

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le cas du Mali, une rupture entre ses adhérents et le reste de la communauté musulmane37. L’historien Lansiné Kaba soutient, dans le premier important ouvrage publié sur la question, que le réformisme proposé par les wahhabia, qui s’implanta dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest dès les années 1950, provoqua un débat si passionnel que chaque membre de la communauté musulmane dut prendre position38.

Les changements opérés aux plans politique et social dans les années 1990 – avènement de la démocratie, libéralisation de la vie associative, élections multipartistes – entrainent une nouvelle approche dans l’étude des dynamiques religieuses au Mali. Effectivement, l’analyse développementaliste prédomine en établissant un lien de cause à effet entre la faillite étatique et la prégnance de l’islam. La libération des restrictions des droits d’expression et d’association, subséquente au processus démocratique, a entraîné une profusion d’associations musulmanes39, et par là même l’élargissement de l’islam à l’espace public. L’effervescence du religieux amène des auteurs tels que Bintou Sanankoua, Rosa de Jorio et Louis Brenner à se pencher sur les mécanismes mis en place par les acteurs qui en sont porteurs. À cet effet, Bintou Sanankoua met l’accent sur l’impact des structures associatives féminines sur la vie des adhérentes en soulignant que « les associations féminines sont un instrument de libération entre les mains des femmes musulmanes. Elle leur permet de rompre le monopole de connaissance islamique des hommes et d’exiger leur dû en connaissance de cause »40. Un mouvement féminin, qui le rappellera Rosa de Jorio, reprend des idiomes religieux traditionnellement réservés aux hommes41.

L’émergence du religieux dans l’espace public n’est pas réduite par les auteurs à un effet réactionnaire isolé. En soutenant que le « Mali a servi de laboratoire de l’islam contemporain »42, certains chercheurs43 mettent en exergue le rôle qu’a joué l’Arabie

37 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 345-357.

38 Lansine Kaba, The Wahhabiyya : Islamic reform and politics in French West Africa, Evanston, Northwestern University Press, 1974, p. 254.

39

Bintou Sanankoua, « Les associations féminines musulmanes à Bamako », in Bintou Sanankoua, dir.,

L’enseignement islamique au Mali, Bamako, Éditions Jamana, 1991, p.105.

40 Bintou Sanankoua, loc. cit., 1991, p. 125.

41 Rosa de Jorio, « Between Dialogue and Contestation: Gender, Islam and the Challenges of a Malian public sphere», Journal of the Royal Anthropological institute, vol. 15, no. 1, 2009, p.103.

42 Ousmane Kane et Jean-Louis Triaud, loc. cit., 1998, p. 16.

43 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 345-357; Louis Brenner, « La culture arabo-islamique au Mali », in René Otayek (dir.), Le radicalisme islamique au sud du Sahara : Da'wa, arabisation et critique de l'Occident, Paris, Karthala, 1996, p. 161-186; Dorothea Schulz, « Remaking Society from within : Extraversion and the

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Saoudite dans la « montée » de l’islam dans la société malienne. Entre les années 1980 et 1990, ce pays a été un important pourvoyeur de la promotion islamique au Mali par le financement de madâris, la construction de mosquées, l’octroi de bourses à des étudiants maliens, etc. L’un des éminents spécialistes du Mali, Benjamin Soares, considère d’ailleurs que ce serait la doctrine conservatrice musulmane prônée par l’Arabie Saoudite, soit le wahhabisme, qui prédomine dans l’espace malien44. Cet auteur tout comme Stephen Harmon dresse un portrait du paysage religieux et de la relation entre l’État et le religieux qu’ils qualifient de poreuse à certains égards45. L’omniprésence de l’islam dans les us et coutumes, l’espace public et les pratiques quotidiennes est telle que selon Benjamin Soares, « être Malien équivaut à être musulman »46. Ce dernier soulève également la complexité de l’influence des groupes sociaux dans l’espace public et les affaires politiques, en soulignant non seulement la dynamique religieuse, alors animée par « l’éducation religieuse, les sermons, un visuel médiatique omniprésent et des organisations musulmanes influencées par les connexions transnationales et globales »47, mais aussi l’importante mobilisation de jeunes étudiants à l’origine du renversement du régime Traoré48. L’espace public musulman aurait ici nourri un double sentiment d’appartenance, à une communauté musulmane malienne et à une communauté supranationale.

Afin de rendre compte des changements observés au Mali, des auteurs se sont également intéressés aux dynamiques sociales, par le prisme des associations musulmanes, du parcours de leaders religieux émergents ou des prêcheurs de plus en plus présents dans l’espace public49. Françoise Bourdarias s’est penchée sur les parcours de militants qui

social Forms of Female Muslim Activism in Urban Mali », in Barbara Bompani et Maria Frahm-Arp (dir.),

Development and Politics from below: Exploring Religious spaces in the African States, Londres, Palgrave

Macmillan, 2008, p.74-96. 44

Benjamin Soares, « Islam and Public Piety in Mali », in Dale Eickelman et Armando Salvatore (dir.),

Public Islam and the Common Good, Boston, Brill, 2004, p. 205-226.

45 Benjamin Soares, « Islam in Mali in Neoliberal Era », African Affairs, vol. 105, no. 418, 2006, p.77-95; Stephen A. Harmon, « Religion and the Consolidation of Democracy in Mali : the dog doesn’t bark »,

Democracy and Development : Journal of West African Affairs, vol. 5, no. 1, 2005, p. 8-30.

46 Benjamin Soares, loc. cit., 2004, p. 217. 47 Ibidem.

48 Benjamin Soares, « Rasta Sufis and Muslim Youth Culture in Mali », in Linda Herrera et Asef Bayat (dir.),

Being Young and Muslim: New Cultural politics in the Global South and North, Oxford, Oxford University

Press, 2010, p. 241-257.

49 Naffet Keïta, « Mass médias et figures du religieux islamique au Mali : entre négociation et appropriation de l’espace public », Africa Development, no. 36, 2012, p. 97-118; Dorothea E. Schulz, « A Fractured Soundscape of the Divine. Female Preachers, Radio Sermons and Religious Place-making in Urban Mali », in

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s’inscrivent dans un courant réformateur et qui, par le fait même, s’éloignent de la figure du militant privé de moyens50. Quant à Robert Deliège, il soulève le poids des associations dans la construction identitaire et le sentiment d’appartenance des militants51. Par ailleurs, les deux auteurs, Gilles Holder et Maud Saint-Lary, considèrent que l’espace public malien est une illustration de l’interaction étroite entre le politique et le religieux, dans la mesure où il sert « de lieu de subjectivation politique autour d’une revendication identitaire et culturelle de l’islam en cohérence avec l’identité nationale »52.

L’investissement de l’espace public par une multitude d’acteurs religieux conduit des chercheurs à analyser la notion d’espace public religieux. À ce titre, Naffet Keïta s’est penché sur le regain de l’islam au Mali par l’entremise des prêcheurs dominant l’espace public. Keïta soutient qu’au regard du pouvoir de captation des prêcheurs, « une troisième voie à la religiosité est en train de se constituer [au Mali] en dehors des rivalités entre l’islam traditionnel et puriste »53. Quant à Dorothea Schulz, elle souligne l’apparition de nouveaux acteurs tels que des jeunes militants musulmans et des femmes prêcheuses. L'auteure révèle dans ses travaux une multitude de courants ne formant pas un bloc monolithique, mais qui se sont engagés dans un projet modernisateur symbolisé par un « renouveau islamique »54. Utilisant des outils de diffusion diversifiés, ces nouveaux acteurs ont gagné un statut de leaders religieux, participant du fait même à la « démocratisation de la connaissance religieuse »55. Celle-ci a approché les nouveaux courants moralisateurs par l’entremise des militants et s’est penchée sur les voies que ces derniers adoptent pour « se rapprocher de Dieu ». Elle soulève alors dans son ouvrage,

Patrick Desplat et Dorothea E. Schulz (dir.), Prayer in the City : The Making of Muslim Sacred Places and Urban Life, Bielefeld, Transcript, 2012a, p. 239-264; Ferdaous Bouhlel Hardy, « Les médersas du Mali : réforme, insertion et transnationalisation du savoir islamique », Politique étrangère, no. 4, 2010, p. 819-830. 50 Françoise Bourdarias, « L’imam, le soufi et Satan : religion et politique à Bamako (Mali) », in Hélène Bertheleu et Françoise Bourdarias (dir.), Les constructions locales du politique, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2008, p. 115-139; Françoise Bourdarias, loc. cit., 2009, p. 21-40.

51 Robert Deliège R., « Les associations comme supports identitaires », in Momar-Coumba Diop et Jean Benoist (dir.), L’Afrique des associations : entre culture et développement, Paris, Karthala, 2007, p. 103-107. 52 Gilles Holder et Maud Saint-Lary, « Enjeux démocratiques et (re)conquête du politique en Afrique »,

Cahiers sens public, vol. 1, no.15-16, 2013, p. 186.

53 Naffet Keïta, loc. cit., 2012, p.107.

54 Dorothea Schulz, « Evoking moral community, fragmenting Muslim discourse : Sermon audio-recordings and the reconfiguration of Public debate in Mali », Journal for Islamic Studies, vol. 27, no.1, 2007, p. 39-72. 55

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 Muslims and New Media in West Africa. Pathways to God 56

, l’ambiguïté du renouveau

moralisateur au Mali qui défie les mécanismes étatiques tout en cherchant à les intégrer, par le biais de partenariats ou de collaborations. Au regard de ces dispositions, l’islam devient un moyen d’accéder à un espace de négociation et d’expression.

Ceci nous amène à explorer un sujet sociologique largement étudié au cours des dernières années par les historiens spécialistes de l’Afrique de l’Ouest, soit la jeunesse. Dans la mouvance euphorique post-indépendance, certains auteurs soulignent les prémisses de rapports inégaux entre aînés et « cadets sociaux »57 et une récupération politique de la jeunesse58. En ce qui a trait aux jeunes, proprement dits, à l’exception de l’important ouvrage dirigé par Hélène d'Almeida-Topor et alii, Les jeunes en Afrique, XIXe et XXe

siècle, paru en 1992, qui offre une réflexion approfondie sur la question, peu d’historiens se

sont penchés sur le sujet avant les années 1990. La jeunesse a été en revanche abondamment étudiée par des anthropologues, sociologues et politicologues59. Parmi les différentes trajectoires, une vision plutôt défaitiste définit la jeunesse comme une génération « perdue »60. Cette vision renvoie à une jeunesse appartenant à une époque marquée par une morosité économique et politique qui persiste dès les années 1980, à la suite des ajustements structurels imposés aux États africains par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale. Dans l’ensemble, les ajustements structurels ont entraîné la diminution du pouvoir d’achat et le désinvestissement de l’État dans les affaires publiques, ce qui a eu pour effet d’accentuer les écarts de classes et le mécontentement social61. Comme l’ont souligné Mamadou Diouf et René Collignon, « la question des jeunes n’est visible que lorsqu’il s’agit de perturbations ou controverses de

56 Dorothea Schulz, Muslims and New Media in West Africa: Pathways to God, Bloomington, Indiana University Press, 2012c, 306p.

57 Karl Mannheim, Le problème des générations, Paris, Colin, 2011 [1928], 162p.

58 Achille Mbembe, Les jeunes et l’ordre politique en Afrique noire. Paris, L’Harmattan, 1985, 247p.

59 El-Kenz, « Les jeunes et la violence », in Stephen Ellis (dir.), L’Afrique maintenant, Paris, Karthala, 1995, p. 88-109; Tshikala Biaya, « Jeunes et culture de la rue en Afrique urbaine », Politique africaine, vol. 4, no. 80, 2000, p. 12-31; John Comaroff et Jean Comaroff, « Réflexions sur la jeunesse : du passé à la postcolonie », Politique africaine, no. 80, 2000, p. 90-110; René Collignon & Mamadou Diouf, « Les jeunes du Sud et le temps du monde : identités, conflits et adaptations », Autrepart, no. 18, 2001, p. 5-15; Filip De Boeck et Alcinda Honwana, Makers and Breakers : Children and Youth in Postcolonial Africa, Oxford, James Currey, 2005, 244p.

60 Donal Cruise O’Brien, « A lost generation? Youth identity and state decay in West Africa », in Richard Werbner, dir., Postcolonial identities in Africa, London, Zed Books, 1996, p. 55-74.

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l’ordre public »62. Les jeunes sont donc vus comme une source d’infortune63. En raison du contexte socioéconomique difficile, les jeunes sont présentés comme porteurs de violence et de dissidence64. De nombreux écrits soulignent la précarité, la marginalisation de la jeunesse ce qui conduit à des dysfonctionnements sociopolitiques65 et à une hybridité identitaire qui s’articule entre l'individualisation (ou quête individuelle) et la fidélité à la communauté, locale et élargie66.

Au tournant des années 2000, les auteurs ont défini la jeunesse africaine en la distinguant de la jeunesse occidentale en tant que catégorie transhistorique et transculturelle67. On dépeint alors une jeunesse qui s’organise soit en parallèle aux systèmes étatiques ou en partage, et qui s’inscrit dans les logiques de la modernité, soit par l’affirmation de son individualité et par l’intégration d’une dynamique culturelle et économique mondialisée68. La « débrouillardise » et la capacité « d’agency » de cette jeunesse désœuvrée69 témoignent de l’espace de création et d’expression qu'elle s’est approprié dans les sociétés ouest-africaines. C’est dans cette perspective que les travaux de Muriel Gomez-Perez et de Marie Nathalie LeBlanc mettent en exergue les dynamiques d’individualisation dans l’espace public et religieux70. Les auteures soulignent qu’en investissant l’espace urbain, les jeunes cherchent à divulguer leur islamité par l’adoption de nouveaux codes culturels, mode de vie et lieux de sociabilité. Cette démonstration publique de leur islamité s’illustre en concomitance avec des appartenances locales et nationales et

62 Mamadou Diouf et René Collignon, « Introduction. Les jeunes du Sud et le temps du monde : identités, conflits et adaptations », Autrepart, no. 18, 2001, p.10.

63 Filip De Boeck et Alcinda Honwana, op. cit., 2005. 64

Jennifer Cole et Deborah Durham, « Introduction : Age, Regeneration, and the Intimate Politics of Globalization », in Jennifer Cole et Deborah Durham (dir.), Generations and Globalization : Youth, Age, and

Family in the New World Economy, Bloomington, Indiana University Press, 2007, p. 1-28; Ali El-Kenz, loc. cit.,1995.

65

Jon Abbink et Ineke Van Kessel, Vanguard or Vandals : Youth, Politics, and Conflict in Africa, Leiden, Brill, 2005, 300p.

66 Muriel Gomez-Perez & Marie Nathalie LeBlanc, « Jeunes musulmans et citoyenneté culturelle : retour sur des expériences de recherche en Afrique de l’Ouest », Sociologie et sociétés, vol. 39, no. 2, 2007, p. 39-59; Benjamin Soares, loc. cit., 2010.

67 Mamadou Diouf et René Collignon, loc. cit., 2001, p. 5-15.

68 John Comaroff et Jean Comaroff, loc. cit., 2000; Tshikala Biaya, loc. cit., 2000.

69 Jennifer Cole et Deborah Durham, loc. cit., 2007, p. 1-28; Alcinda Honwana, « Innocents et coupables : Les enfants-soldats comme acteurs tactiques », Politique africaine, no. 80, 2000, p. 58-78.

70 Muriel Gomez-Perez & Marie Nathalie LeBlanc, loc. cit., 2007; Marie Nathalie LeBlanc, « Les trajectoires de conversion et l'identité sociale chez les jeunes dans le contexte postcolonial ouest-africain : les jeunes musulmans et les jeunes chrétiens en Côte-d'Ivoire », Anthropologie et société, vol. 27, no. 1, 2003, p. 85-110.

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avec un attachement à une « citoyenneté de type universel et contemporaine qui tient compte d’une certaine manière des relations mondialisées »71.

Quant aux spécialistes du Mali, ils observent un élan de la jeunesse musulmane dans l’espace public religieux. Benjamin Soares et Dorothea Schulz ont rendu compte du dynamisme des associations religieuses au sein desquelles de jeunes activistes appellent à un retour au fondamentalisme islamique et dénoncent toute dérive culturelle non conforme aux pratiques religieuses, autrement qualifiées d’« unlawful innovations »72. Ces derniers s’inscrivent dans un mouvement de revendications qui se fait par le biais d’actions politiques dites non traditionnelles où les jeunes « invoquent couramment la religion au sein des associations »73

. Les capacités d’influence de la jeunesse malienne ne s’illustrent pas seulement par la prépondérance des organisations sur des questions politiques, mais également dans la mise en visibilité de son islamité dans l’espace public. Des chercheurs avancent que des codes vestimentaires et langagiers sont adoptés par les disciples afin de distinguer les courants musulmans, mais aussi, désigner le « bon musulman » du musulman de naissance74. Benjamin Soares rapporte que les jeunes s’engagent dans la publicisation de l’islam lorsque ceux-ci exposent ouvertement l’assiduité à laquelle ils fréquentent la mosquée et en divulguant fièrement le seere75. Ces pratiques témoignent, certes d’un engagement croissant du fidèle dans sa foi, mais également d’une montée du piétisme au Mali. On observe, dans les espaces musulmans de sociabilité, un intérêt grandissant pour la question sur la piété du musulman et les codes à adopter pour faire figure de « bon musulman »76.

À la lecture du bilan historiographique, nous constatons que la littérature relève la pluralité islamique et diverses figures de la jeunesse africaine. Les auteurs ont aussi centré

71

Muriel Gomez-Perez (dir.), L’islam politique au sud du Sahara : identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, coll. « Hommes et sociétés », p. 21.

72 Dorothea E. Schulz, op. cit., 2012c. 73 Benjamin Soares, loc. cit., 2010, p. 242. 74

Gilles Holder, «Vers un espace public religieux : Pour une lecture contemporaine des enjeux politiques de l’islam au Mali», in Gilles Holder (dir.), Islam, nouvel espace public en Afrique, Paris, Karthala, 2009; Françoise Bourdarias, loc. cit., 2008.

75 Le seere (en bambara, langue courante au Mali) est une tâche pigmentaire qui apparaît sur le front du fidèle lorsqu’il pratique régulièrement la prière. L’un des mouvements du rituel de prière consiste à se prosterner et mettre la tête au sol, ainsi une tâche peut apparaître à force de répéter le mouvement. Elle témoigne aux yeux de tous de la foi du croyant, voir Benjamin Soares, loc. cit., 2004.

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les études, au cours des vingt dernières années, sur les effets et les impacts locaux de la globalisation de l’islam. Parallèlement, on remarque de nouvelles approches dans l’analyse de la jeunesse qui mettent en exergue la « débrouillardise » et les multiples capacités d’affirmation dont elle fait preuve. Le présent mémoire s’inscrit dans cette tendance en centrant l’analyse autour du croisement du religieux, du politique, de l’individu et de l'appartenance à une communauté afin de rendre compte de l'aspect ambivalent des dynamiques identitaires de jeunes maliens dans des contextes de profondes crises politiques.

C. Problématique et hypothèses

Au regard de l’importante montée du piétisme, de l’apparition de nouvelles figures religieuses et de la proximité entre le fait religieux et politique, nous sommes amenés à nous pencher sur les dynamiques d’une effervescence islamique au Mali fortement investie par des jeunes urbains. Par l’entremise d’associations musulmanes, des jeunes activistes bamakois appellent à une « remoralisation » de la société et dénoncent toute dérive culturelle non conforme aux pratiques religieuses. Les actions de cette jeunesse77 ne s’illustrent pas seulement par leur investissement dans l’espace public et dans les affaires politiques, mais également par la visibilité de leur « islamité » qui passe par l’adoption d’un code de comportement ou d’un discours moralisateur78. Au-delà du cadre associatif, ces actions trouvent écho dans des espaces à caractère laïque, tels que des grins de quartier, des stades ou bien même des commerces.

Alors que l’on observe une montée du piétisme depuis les années 1990 et un investissement croissant de la jeunesse musulmane dans la sphère islamique malienne, la présente recherche se penchera sur la pluralité des systèmes d’appartenance et des constructions identitaires qui en résultent. Cette pluralité est alimentée par des facteurs

77 Ce groupe à l’étude est constitué de jeunes musulmans bamakois. Ceux-ci sont définis par leur parcours de vie et par les différentes étapes d’insertion sociale qu’ils affrontent et qui les maintiennent dans un statut de «jeune social». L’emploi de cette notion justifie le fait que cette jeunesse n’est pas catégorisée par l’âge biologique mais plutôt par son insertion sociale. Or, les jeunes à l’étude se présente comme suit : jeunes musulmans scolarisés ou non, sans emploi, célibataire (civilement) et dépendant financièrement. Ainsi, un homme âgé d’une trentaine d’années correspondant à ce profil est encore considéré, aux yeux de sa famille et de la société, comme étant un jeune.

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internes, tels que les tensions idéologiques entre les différents courants musulmans présents au Mali, et par des facteurs externes, tels que les flux financiers provenant des pays du Moyen-Orient, ainsi que par les conflits à caractère religieux qui traversent la région sahélienne. On se penchera ainsi sur les mécanismes de quêtes identitaires qui s’inscrivent dans un islam tant local que globalisé et dans des contextes politiques difficiles, soit la crise nationale de 1990 et celle de 2012. Nous avançons donc l’idée que les jeunes s’insèrent dans plusieurs systèmes d’appartenances religieuses selon les circonstances propres à leurs époques. À l’image d’une sphère religieuse plurielle, les divers parcours des jeunes musulmans illustrent de multiples voies d’être et d’affirmer son islamité. Nous pensons donc que «l’étude des identifications diverses opérées au moyen du concept d’islam offre […] une clé importante pour la compréhension des rapports entre islam, conscience nationale […] et processus d’internationalisation »79.

Il importe également de mentionner que ces identités, d’une jeunesse en quête d’affirmation, s’inscrivent dans une société où le fait religieux s’illustre comme un fait social total. Or, l’engagement de la jeunesse malienne dans la sphère islamique vivifie véritablement le fait religieux, entraînant son intégration dans toutes les sphères de la société. L’intrusion des affaires privées et religieuses dans l’espace public, dit indépendant, entraînerait finalement sa refonte. Autrement dit, l’identité musulmane malienne serait influencée par une dynamique quasi fusionnelle entre le public et le privé, le politique et le religieux, le local et global80.

Cette pluralité d’appartenances met en exergue un processus d’individualisation81 qui répond à une recherche d’équilibre entre une quête personnelle d’affirmation et un souci de s’intégrer à l’ensemble de la communauté musulmane82. Autrement dit, l’accomplissement d’un projet de société serait réalisable avec la participation quotidienne de chaque individu et le respect des valeurs islamiques. En effet, les jeunes, motivés à la fois par une quête personnelle et par la volonté d’intégrer une communauté religieuse

79 Jacques Waarbenburg, « L’islam et l’articulation d’identités musulmanes », Social Compass, vol. 41, no. 1, 1994, p. 22

80

Lors de la célébration de la journée d’Al-Qods, tenue à la mosquée de Missira II, les représentants religieux présents ont fait appel « à l’unité de la Umma islamique » et à sa mobilisation pour la libération de la Palestine. Amadou N’Fa Diallo, « Journée d’Al-Qods : Musulmans, unissez-vous! », L’Aube, 8 octobre 2007. 81

Le concept d’individualisation sera défini au chapitre I, p. 18. 82

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élargie, s’évertuent à divulguer leur islamité par l’adoption de nouveaux codes culturels, d’un nouveau mode de vie, par l’investissement d’associations islamiques et de lieux de sociabilité à caractère religieux. Cet engagement dans divers ces réseaux renferme des aspirations tant personnelles que collectives. Dans cette perspective, l’articulation des deux quêtes de la jeunesse maliennne, l’une identitaire et l’autre sociale est mise en exergue. Le désir de « remoraliser » la société est porté par les Maliens musulmans de toutes tendances, profils et générations confondus. Ce projet social est attesté par une surenchère de l’identité musulmane au quotidien.

Par ailleurs, ces appartenances révèlent des dichotomies identitaires. Les diverses crises sociales et politiques, qui gagnent également un caractère moral, invitent les acteurs de la communauté musulmane à participer aux débats sociaux qui concernent les valeurs islamiques83. Dans certains cas, les jeunes mettent de l’avant leur identité confessionnelle (islamité) au détriment de leur identité nationale (le fait d’être Malien avant tout) ou l’inverse, tandis que d’autres sont en quête d’entre-deux. Dans un contexte de crise, où l’unité et l’identité nationale sont mises à mal, on en vient à s’interroger sur l’impact du fait global sur le local84. Un double discours surgit en réaction à l’influence des divers courants et mouvements musulmans et transnationaux : certains jeunes rejettent vigoureusement les pratiques religieuses considérées comme étrangères au Mali, tandis que d'autres appellent à leur intégration voire à leur mise en exergue. On en vient à parler d’une scission identitaire et confessionnelle.

83

Christian Coulon, op. cit., 1983, p. 26. 84

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D. Plan du mémoire

Avant d’entamer la démonstration de la problématique, il sera question, dans un premier temps, de la constitution du corpus et de la méthodologie adoptée. Les concepts clés, les sources employées et l’approche méthodologique seront clarifiées dans un premier chapitre. Le deuxième chapitre sera consacré aux stratégies des deux associations musulmanes à l’étude, l’UJMMA et Ançar Dine, ainsi qu’aux tensions profondes qui colorent les relations entre les représentants religieux. Ceci permettra de mettre en perspective la complexité et le pluralisme de la sphère religieuse malienne. Le troisième chapitre offrira une réflexion sur l’impact de la crise nationale, identitaire et morale malienne sur les constructions identitaires et la représentation de l’Autre. Nous mettrons en perspective la lecture qu’en font les membres associatifs et les leaders religieux, ainsi que les solutions proposées pour une sortie de crise.

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Chapitre I

CONCEPTS, SOURCES et MÉTHODOLOGIE

Avant d’en arriver à la démonstration, il importe dans un premier temps, de définir les concepts phares et utiles à la compréhension de la problématique, à savoir «espace public», «jeunes» et «individualisation». Dans un deuxième temps, nous présenterons le corpus de sources utilisées et la méthode employée. Dans un troisième temps, nous nous attarderons sur le traitement des sources orales, une méthode largement exploitée dans les travaux effectués en Afrique de l’Ouest, tant en anthropologie, en sociologie qu’en histoire contemporaine. Pour terminer, nous effectuerons un retour sur le terrain de recherche afin d’aborder ses limites et ses avantages.

A. « Espace public », « jeunesse » et « individualisation » : définition des concepts clés

Il est incontournable, voire inévitable, d’élaborer une historiographie de l’espace public sans souligner l’œuvre d’Habermas Jürgen85. Le philosophe et théoricien situe l’espace public entre la sphère privée (de l’ordre du domestique) et la sphère du pouvoir public (domaine de l’État). Bien que l’ouvrage de Calhoun propose une lecture critique de son œuvre en regard notamment de l’absence du religieux86, l’étude du concept en Afrique devient d’autant plus importante depuis l’affirmation de la société civile dans l’espace public et religieux. Pour faire état des réalités ouest-africaines, il est essentiel de dépasser le caractère normatif du concept habermassien d’espace public qui s’inscrit essentiellement dans l’histoire européenne87. En ce sens, le collectif dirigé par Gilles Holder est pertinent; l’auteur y analyse l’étroite relation entre l’espace public et religieux et l’organisation des acteurs sociaux, notamment au Mali, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. On fait part dans l’ouvrage d’une « densification du religieux dans l’espace public », alimentée

85

Voir Jügen Habermas, L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la

société bourgeoise, Paris, Payot, 1978, 324p.

86 Voir l’ouvrage de Craig Calhoun, Habermas and the Public Sphere, Cambridge, MIT Press, 1992, 498p. 87

Michèle Leclerc-Olive, « Sphère publique religieuse : enquête sur quelques voisinages conceptuels », in Gilles Holder (dir.), Islam, nouvel espace public en Afrique, Paris, Karthala, 2009, p. 38.

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par l’émergence de nouveaux acteurs politiques88. L’espace public, entendu comme une sphère indépendante de l’espace privé et politique, ne s’applique pas de la même manière au Mali. L’intrusion du religieux dans les affaires publiques et privées reconfigure les limites théoriques du concept. Gilles Holder rejoint la notion du « fait social total » soutenu par Marcel Mauss, en soulevant l’étroite articulation observée au Mali entre le public et le privé, le politique et le religieux, et finalement l’individu et Dieu89. Dans le présent travail, nous tenterons d’évaluer le poids des acteurs religieux dans les débats publics, la relation entre ceux-ci et l’État et la dynamique religieuse dans l’espace public. L’usage du concept d’espace public nous éclairera sur l’influence des associations musulmanes et des confréries qui se substituent dans une certaine mesure à l’État90.

Par ailleurs, un autre concept, indispensable à la compréhension des interactions sociopolitiques en Afrique de l’Ouest, est à prendre en compte, celui de jeunesse. Il ne se définit pas uniquement selon des critères biologiques, mais également selon des critères sociaux. L’anthropologue Meyer Fortes souligne dans ses travaux que les stades de la vie sont déterminés par des signes biologiques, mais aussi par la structure sociale et culturelle encadrant l’individu91. Dans la même lignée, l’anthropologue Deborah Durham souligne que le concept de jeunesse ne peut être basé que sur un âge biologique. Elle suggère de prendre en considération le contexte social et culturel et d’autres variables telles que le genre, la religion, la classe sociale, les responsabilités et l’ethnie92. Autrement dit, dans les sociétés africaines, un adulte peut être considéré comme tel s’il respecte plusieurs critères, à savoir celui d’être indépendant financièrement, marié et en mesure de subvenir aux besoins de sa famille93. Cette étape particulière de la vie, appelée « life-stage » par l'anthropologue Karl Mannheim, située entre l’enfance et l’âge adulte est élastique. Cet auteur souligne que le concept de la jeunesse, en tant que catégorie sociale, est à situer selon le contexte auquel

88 Gilles Holder, loc. cit., 2009, p. 12. 89 Ibidem.

90 Aminata Diaw, « Nouveaux contours de l’espace public en Afrique », Diogène, vol. 2, no. 206, 2004, p. 39. 91

Meyer Fortes, « Age, Generation, and Social Structure », in David I. Kertzer et Jennie Keith (dir.), Age and

Anthropological Theory, Ithaca, Cornell University Press, 1984, p. 99-122.

92 Deborah Durham, «Youth and the Social Imagination in Africa : Introduction », Anthropological Quarterly, vol. 73, no. 3, 2000, p.116.

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il appartient, suivant le partage d'un destin commun et au regard des relations et influences mutuelles qu’il entretient avec les autres groupes d’âge94.

Enfin, considérant l’approche adoptée dans cette recherche, l’on ne pourrait faire l’économie de définir un troisième et dernier concept, celui d’individualisation. L’on ne saurait ignorer l’ouvrage d’Alain Marie, L’Afrique des individus, dans lequel il fait poindre le concept « d’individuation » et « d’individualisation »95

. Afin de saisir les dynamiques sociales africaines, Alain Marie s’est penché, dans ses travaux, sur l’individu en tant que sujet d’étude en avançant une thèse qui « exclut l’alternative entre individualisme et communautarisme »96. Les nuances et les distinctions sont à établir afin de mieux saisir les mécanismes d’émergence des jeunes musulmans. L’individuation définit l’individu en tant que personnalité nécessaire au fonctionnement du système social, ses actions répondent au bien commun. Autrement dit, on parle ici d’un « procès banal de la reconnaissance quotidienne de l’individualité des individus […], sous conditions, quand il s’agit de gens ordinaires, qu’ils sachent rester à la place qui leur est assignée »97. Tandis que l’individualisation renvoie à l’émancipation de l’individu, soit un processus d’affranchissement et de distanciation de la communauté. Une distanciation du groupe qui, toutefois, peut s’effectuer de manière partielle ou relative, « en ce sens qu’elle implique non pas de ruptures, mais des réaménagements sélectifs »98. Cette dernière définition rejoint notre lecture de parcours des témoins rencontrés au Mali.

B. Corpus des sources primaires

Ce mémoire s’appuie sur un corpus de sources variées. Afin de mener à terme notre démonstration, nous avons employé à la fois des sources orales issues d’entretiens menés auprès de militants musulmans, de responsables d’associations religieuses et de leaders religieux, dans le cadre d'un travail de terrain qui a duré deux mois, ainsi que de sources

94 Karl Mannheim, op. cit., 2011 [1928], p. 50. 95

Alain Marie, L’Afrique des individus, Paris, Karthala, 1997, 438p.

96 Alain Marie, « Communauté, individualisme, communautarisme: hypothèses anthropologiques sur quelques paradoxes africains », Sociologie et société, vol. 39, no. 2, 2007, p.177.

97

Alain Marie, op. cit., 1997, p.73. 98

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écrites, tels que des articles de journaux locaux et de documents légaux d’associations à l’étude.

a) Les sources orales

Dans l’objectif de poursuivre des études de cas, la collecte des sources la plus importante s’est effectuée à Bamako. En plus d’être la capitale du Mali, Bamako est le centre administratif, politique et culturel du pays. La croissance démographique et économique ainsi que le renouveau politique font de cette ville le lieu où siègent les principales associations islamiques et où s’observe la plus importante mobilisation sociale. Par ailleurs, notre choix s’est arrêté sur le quartier Bankoni, situé en périphérie de la capitale, en raison de l’effervescence religieuse qui s’observe à la suite de l’implantation des quartiers généraux d’Ançar Dine en 1991. On y retrouve aujourd’hui une mosquée appartenant au mouvement, pouvant accueillir des milliers de fidèles et une école coranique d’une capacité de 2000 élèves99. Le travail de terrain nous a menés dans d’autres quartiers de Bamako, notamment dans la Dravéla et l’ACI-2000, le premier est un quartier populaire situé au centre-ville et le deuxième, plus aisé, est occupé par les grandes organisations religieuses internationales et les corps d’armée étrangers. On retrouve, par ailleurs, au cœur de l’ACI-2000, le siège de l’UJMMA et la résidence de son leader, Macky Bah.

Notre objectif sur le terrain était d’abord de rejoindre deux générations de jeunes – une première génération qui a connu une crise nationale et une transition démocratique en 1990 (13 personnes) et la génération de jeunes d’aujourd’hui (15 personnes). Questionner ces deux générations, qui ont vécu des perturbations politiques et sociales à des époques différentes, offre une lecture pertinente des constructions identitaires en période de crises nationales. Cette approche est également une fenêtre sur les transformations socioreligieuses qui se sont opérées au Mali au cours des deux dernières décennies. Parmi les individus interviewés, nous avons ciblé des membres actifs au sein d’associations musulmanes nationales à l’étude (six militants d’Ançar Dine et le fils aîné du guide d’Ançar Dine, Ahmed Haïdara, trois membres du HCI et cinq membres de l’UJMMA, dont

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Philippe Leymarie, «Irruption des religieux en politique», Monde diplomatique, janvier 2013, [En ligne] :

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le président, Macky Bah). Les contacts que nous avons effectués sur le terrain nous ont également permis de diversifier les profils de militants et, de ce fait, rencontrer un militant de l’Association malienne pour la solidarité, de la culture et du développement (AMSODEC) et une militante de l’Agence Musulmane d’Afrique (AMA). Dans une volonté d’atteindre un équilibre hommes-femmes, nous avons approché la branche féminine de l’UJMMA qui nous a menés à une association de femmes de quartier, l’Association des femmes musulmanes des logements sociaux pour le rayonnement de l’islam, au sein de laquelle trois femmes ont été rencontrées. Cette association œuvre dans un quartier construit par l’État appelé les 1008 logements et situé au sud du fleuve Niger. Toujours dans un souci de diversifier les profils, nous avons eu la chance de rencontrer des jeunes étudiants (4), des jeunes non scolarisés (3), des personnes sans-emplois qui ne militent auprès d’aucune association (5) et des membres du HCI (3). Somme toute, les entretiens ont été conduits auprès de 28 personnes, dont six femmes, huit arabophones et vingt francophones. Étant donné que nous nous sommes concentrés sur les membres des deux associations à l’étude, une majorité de nos témoins sont francophones.

Les entretiens ont duré entre une heure et une heure trente, dans le lieu choisi par le témoin. La plupart des militants, de toutes associations confondues, ont été rencontrés au siège de leur association. D’autres entretiens ont été menés chez l’interviewé, dans les « grins », les bureaux prêtés par notre contact, les commerces ou bureaux des témoins, et exceptionnellement chez la chercheure. La très grande majorité des entretiens, anonymes, se sont déroulés en privé, ce qui a eu pour effet de mettre en confiance les interviewés. Nous avons choisi de ne pas enregistrer les échanges afin d’assurer une liberté de la parole. Effectivement, en raison du contexte politique (crise au nord du Mali) et religieux sensible (tensions entre les divers courants religieux) l’enregistrement audio nous paraissait peu judicieux, car il pouvait susciter la méfiance auprès de nos informateurs. Nous avons alors choisi d'opter pour une prise de notes active puis de retranscrire les entretiens, en prenant bien soin de noter les réactions non verbales et les silences suite à une question.

Précisons que nous étions en contact avec deux individus avant de commencer le terrain au Mali : un jeune malien d’obédience wahhabia vivant à Bamako, Issa, et l’imam montréalais d’origine malienne, Omar Koné. L’apport de ces deux contacts fut précieux. Le premier fut présent tout au long du séjour, nous ouvrant grand la porte de sa résidence

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familiale, notamment chaque soir durant le mois de carême, et ce, jusqu’à la fin du séjour. Cette immersion a considérablement renforcé notre compréhension de la société malienne dans la mesure où nous avons pu observer les rites religieux, de surcroît durant le ramadan, les pratiques quotidiennes des membres de cette famille trigénérationnelle, les activités ludiques, la structure familiale polygame et les dynamiques de cohabitation. Les relations tissées avec cette famille nous ont également permis d’élargir notre réseau de témoins. Bien qu’aucun membre du noyau familial n’ait été interviewé, de nombreux témoins ont été rencontrés par leur entreprise, tel qu’un membre du HCI. En ce qui concerne l’imam Koné, il nous a permis de rentrer en contact avec l’UJMMA par l’entremise d’un des membres fondateurs. Après une première rencontre dans chaque lieu ciblé, tel que les sièges d’associations, les informateurs ont été contactés principalement grâce à la méthode boule de neige qui consiste à rejoindre le réseau des premiers interlocuteurs. Cette approche s’est avérée très efficace sur le terrain. Nous avons rejoint des militants ou des jeunes non scolarisés et des personnes sans-emploi soit au sein de leurs associations respectives ou lors des rencontres de « grins »100. La plupart des entretiens ont été individuels et chaque personne a été vue une fois au cours d'un terrain qui a duré deux mois, du 11 juin au 7 aout 2014. Seuls deux individus ont été rencontrés à deux reprises en raison d’un contretemps. Par ailleurs, une séance a été menée auprès d’un groupe de quatre militants d’Ançar Dine détenant des postes administratifs pour être ensuite rencontré de manière individuelle. L'anonymat a été respecté lors des entretiens conformément à la politique du Comité d'éthique de l'Université Laval, excepté pour Macky Ba et Ahmed Haïdara étant donné que ce sont des personnes connues par le grand public. Mentionnons également que nous avons eu recours à des services de traduction dans le cadre d’entretien, à deux reprises ; soit avec un jeune wahhabia et un imam appartenant à la première génération. Maitrisant parfaitement le français et le bambara, Issa, précédemment cité, a assuré la traduction.

Quant au travail d’observations, nous prévoyions initialement les mener de façon concomitante dans les espaces de sociabilité de Bamako fréquentés par les jeunes

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Banégas, Brisset-Foucault et Cutolo rapportent que ces espaces d’expression reflètent une division classique des rôles sociaux. La prise de parole publique (lors des grins) est attribuée aux hommes uniquement, et d’expériences, selon leur âge ou leur éducation. Voir Richard Banégas, Florence Brisset-Foucault et Armando Cutolo, « Introduction au thème : Espaces publics de la parole et pratiques de la citoyenneté en Afrique », Politique africaine, vol. 3, no. 127, 2012, p. 5-20.

Références

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