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CHAPITRE II – Entre enracinement local et ouverture à la grande communauté

B. Le Haut Conseil Islamique à l’épreuve de tensions interconfessionnelles et conflits

acteurs religieux maliens

Les leaders religieux se sont emparés de l’espace public au cours des deux dernières décennies, contrebalançant du fait même l’influence des politiques sur l’opinion publique. Désignés par la jeunesse actuelle comme étant des références de l’ordre moral et les représentants des musulmans, les leaders religieux font figure de médiateurs entre l’État et la population. Dans ce paysage religieux multiple, des affronts se dessinent et des alliances se forment entre les deux tendances dominantes dans la sphère religieuse, et ce, dans une volonté de canaliser l’opinion publique. Ce jeu compétitif est d'autant plus remarquable que la sphère religieuse malienne est plurielle, une pluralité qui se révèle dans les relations intergénérationnelles, sociales et interconfessionnelles189, les divers courants religieux et dans les associations islamiques.

L’incident du deuxième congrès du HCI illustre bien cette situation, car il dévoile une rude concurrence entre les leaders religieux du Mali, le HCI et l’État. En effet, le deuxième congrès du HCI devait se tenir, initialement, du 15 au 17 avril 2014, à Bamako190. Lors de ce congrès, les 45 membres du bureau exécutif national et leurs 300 délégués devaient procéder au renouvèlement du bureau exécutif et du mandat du président du HCI qui était échu depuis janvier 2013, jusqu’alors détenu par Mahamoud Dicko, d’obédience wahhabia191. Les candidats à la présidence étaient Mamadou Dicko et son adversaire d’obédience tijanya, Thiem Hady Oumar Thiam. Ce dernier était soutenu par le

189 Céline Thiriot, « Islam et espace public au Mali : une société civile religieuse très engagée », in Dominique Darbon, René Otayek et Pierre Sardan (dir.), Altérité et identité, itinéraires croisés. Mélanges offerts à

Christian Coulon, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 214.

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Abdrahmane Dicko, « Haut Conseil Islamique : 2e congrès ordinaire sous haute tension, reporté sin die »,

Les Échos, 16 avril 2014, [En ligne] : http://maliactu.net/haut-conseil-islamique-le-2e-congres-ordinaire-sous- haute-tension-reporte-sine-die/, page consultée le 2 novembre 2014. ; Papa Sow, « Haut Conseil Islamique du Mali : Un congrès sous haute tension», Maliweb, 19 avril 2014, [En ligne ] :

http://www.maliweb.net/societe/haut-conseil-islamique-du-mali-congres-haute-tension-252302.html, page consultée le 26 novembre 2014. ; A. Diakité, « Après le report du HCIM : Appel à la mise en place d’une commission ad hoc », L’indicateur du Renouveau, 17 avril 2014, [En ligne] :

http://www.maliweb.net/societe/apres-report-du-congres-du-hcim-appel-mise-en-place-dune-commission-ad- hoc-246922.html, page consultée le 16 novembre 2014.

191 Siaka Z. Traoré, « Du rififi au haut conseil islamique : l’Union des Jeunes Musulmans du Mali se révolte contre Mahmoud Dicko », Le Guido, 29 mai 2013, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/du-rififi-au- haut-conseil-islamique-lunion-des-jeunes-musulmans-du-mali-se-revolte-contre-mahmoud-dicko-

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Groupement de leaders spirituels musulmans (GLSM) 192 et par de nombreux délégués venus des régions éloignées du Mali, tandis que le président sortant avait le soutien d’une majorité de délégués wahhabia siégeant dans la région administrative de Bamako.

Un article du journal Le Prétoire, en date du 17 avril 2014, rapporte que le communiqué du 14 avril, soit la veille du congrès, lu par le ministre des Affaires religieuses et du Culte à la télévision nationale, annonçait le report du congrès pour une date encore indéterminée. On justifiait ce report par le séjour à Dakar, aux mêmes dates, du chef d’État qui devait alors présider la cérémonie d’ouverture du congrès193. Au lendemain de l’annonce, il a été demandé aux 300 délégués de regagner leur foyer jusqu’à nouvel ordre. Seulement, deux jours après leur départ, soit le 17 avril, il est annoncé que le chef d’État et Mahamoud Dicko ont convenu de tenir le congrès le 19 avril 2014. Dans l’impossibilité de revenir à la capitale, de nombreux délégués ont boudé la tenue du congrès qu’ils jugeaient sous l’emprise du président Ibrahim Boubacar Keïta et les membres wahhabia du HCI.

Dans un entretien accordé au quotidien Le Prétoire, le 24 avril, Mohamed Macky Bah justifie sa décision de ne pas s’être présenté à la tenue du second congrès en ces termes:

J’avais demandé à nos partisans de ne pas participer à ce congrès, mais c’est le Chérif Ousmane Madani Haïdara qui a imploré les gens afin qu’ils participent pour sauvegarder la stabilité et la cohésion du pays. En tout cas, j’ai décidé de ne pas partir, car les informations que nous détenions n’auguraient pas la bonne tenue de cette assemblée. J’ai dit que si nous partons (sic), on allait regretter. Ils sont partis, ils ont regretté et ont par la

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Le GLSM, qui serait, selon les dires du fils du Cheikh d’Haïdara, composé exclusivement de soufis, a été fondé au début de l’année 2012. Le GLSM regroupe des associations et des structures religieuses à tendance soufie qui luttent contre la radicalisation de l’islam par la promotion d’un islam tolérant et pacifique. Dirigé par le guide spirituel d’Ançar Dine, Chérif Haïdara, le groupement cherche à faire contrepoids à l’influence

wahhabia dans la sphère religieuse. En ce sens, les leaders soufis, contrairement aux représentants religieux wahhabia, ont sévèrement condamné la destruction de lieux saints, héritage d’une longue tradition religieuse

malienne. Alassane Ciné, « Mali : Chérif Madani Haidara (Groupement des leaders spirituels du Mali) “Nous n’allons pas céder à la terreur, le Maouloud aura lieu avec les béndictions de Dieu” », Notre printemps, 8 décembre 2015, [En ligne] : http://maliactu.net/mali-cherif-madani-haidara-groupement-des-leaders- spirituels-musulmans-du-mali-nous-nallons-pas-ceder-a-la-terreur-le-maouloud-aura-lieu-avec-les-

benedictions-de-dieu/, consultée le 20 octobre 2016.

193Bakary Sogodogo, « Report du congrès ordinaire du HCI : les éclairages de Mahmoud Dicko », Le

Prétoire, 17 avril 2014, [En ligne] : http://malijet.com/la_societe_malienne_aujourdhui/99381-report-du- congres-ordinaire-du-hci-les-eclairages-de-mahmoud-dic.html, page consultée le 19 novembre 2014.

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suite boycotté le congrès, car il ne servait à rien de défendre une cause déjà perdue194.

Afin de témoigner leur désaccord, les membres du GLSM ont menacé de se retirer de l’organisation après ces évènements et de créer leur propre Haut Conseil Islamique195. Bien que ce projet n’ait certes jamais abouti, les activités du HCI ont été stoppées durant quelques mois.

Une autre interprétation est donnée par un grand commerçant siégeant au HCI, d’obédience wahhabia : « Plusieurs personnes prisaient la présidence, c’est toujours comme ça les élections. Haïdara voulait avoir le poste, mais les gens ne voulaient pas. Ça n’a pas plu à ses fans, à ses adhérents (sic). Dicko a été contraint à présider à nouveau, car il voulait se retirer, mais on l’a choisi. Thiam voulait aussi, mais il a été rejeté par les membres »196

. Aux menaces de l’UJMMA et plus largement du GLSM, celui-ci répond que « le Haut Conseil Islamique n’avait pas à réagir, c’était le travail de l’État. L’État a immédiatement réagi en disant qu’il ne reconnait qu’un seul et unique HCI au Mali. On n’a même pas eu à nous prononcer (membres du HCI). Des tiraillements du genre, il y en a toujours, ça fait partie des choses »197

.

Il n'en demeure pas moins que de nombreux témoins appartenant aux deux associations à l’étude, Ançar Dine et UJMMA, ont fait part de leurs réserves quant à l’immixtion de l’État dans l’organisation du congrès :

Un fin observateur s’attendait à ce problème. C’est regrettable! […] Il y a une forte opposition entre les soufis, tijania, les spirituels [GLSM] qui sont opposés à l’idéologie wahhabite. Et si le HCI ne peut défendre tous les musulmans, on s’en occupe. Mais on ne s’est pas détaché du HCI, on n’était pas prêt à le faire. C’est l’État qui a créé le HCI, mais ça ne devrait pas une branche dirigée par l’État. Ça ne peut pas se faire sans le peuple. Il y a des

194Oumar Konaté et Bakary Sogodogo, « Mohamed Backi Ba : IBK a installé son Haut Conseil Islamique, nous allons installer le nôtre », Le Prétoire, 24 avril 2014, [En ligne] :

http://malijet.com/la_societe_malienne_aujourdhui/99929-mohamed-macki-ba-«ibk-a-installé-son-haut- conseil-islamique,-nou.html, page consultée le 19 novembre 2014.

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Ibidem.

196 Entretien avec Birama, entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014.

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Entretien avec Birama, entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014.

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négociations entre nous aujourd’hui, ça en prend avant qu’il y ait une rupture. Des efforts sont accomplis des deux bords198.

La lecture des évènements survenus lors du 2e congrès du HCI que fait Habib Kan, membre de l’UJMMA, reflète un certain malaise des membres de son association quant aux liens étroits entre le HCI et l’État. L’intervention du président dans l’organisation du congrès dévoile toute la complexité des rapports entre le politique et le religieux dans la sphère religieuse malienne.

En ce sens, un jeune membre de l’UJMMA a partagé son opinion concernant la relation ambigüe entre les autorités religieuses et publiques : « Les dirigeants de l’État devraient considérer les leaders religieux comme de véritables conseillers afin de faire avancer le pays. Cependant, je pense que [ces derniers] ne devraient que conseiller les hommes politiques. Ils sont un socle sur lequel l’État devrait se reposer. Le rôle des leaders (religieux) est aussi d’écouter la société civile, de transmettre son message et de collaborer avec l’État »199.

La relation entre les deux sphères, religieuse et politique, laisse de nombreux témoins ambivalents quant à la frontière à tracer entre l’État et les associations religieuses. Le trésorier d’Ançar Dine, Seidou, a tenu à défendre la position de son association quant à ses liens avec l’État et le HCI :

Avec ce qui est arrivé récemment, le HCI a pris en otage le congrès, tous les postes clés leur appartiennent (les wahhabias). Les autres, ils ont les petits postes comme adjoint ou 3e président. Si le président de la République a des problèmes au niveau du culte, les premiers qu’il va voir c’est les premiers responsables du HCI […] Mais on s’est réveillé, il ne faut pas les laisser. On n’a pas besoin de l’État […] C’est ici que les tendances ressortent réellement (dans les relations avec l’État). Le groupe des leaders religieux (GLSM), leur racine c’est l’islam authentique. Ils ont fait de l’islam une religion de stabilité et de paix200.

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Entretien avec Habib, l’un des membres fondateur de l’UJMMA et fonctionnaire au Ministère du Culte et des Affaires religieuses, dans les bureaux du ministère, 23 juin 2014.

199 Entretien avec Seck, secrétaire des communications et de la mobilisation de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 26 juin 2014.

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La presse malienne présente les évènements avec les mêmes lunettes d’analyse en soulignant ceci: « Deux clans se battent aujourd’hui à ce 2e congrès qui vient d’être reporté. Il s’agit du clan du président sortant, Mahmoud Dicko, et celui de Thierno Hady Oumar Thiam. Ce dernier est le candidat de ceux qui se réclament de l’islam traditionnel ou modéré »201. Pour faire front au « clan » de Mahmoud Dicko, des hommes religieux qui se réclament de l’islam traditionnel malien, pour reprendre les termes de nos témoins, ont rejoint le GLSM. À cet effet, la création du GLSM s’est faite sur fond de querelle au sein du HCI, certains leaders accusant les wahhabia de dominer le paysage religieux malien.

Cette lecture binaire fut relayée par de nombreux témoins, notamment le fils du Chérif Haïdara qui nous a partagé sa lecture : « Beaucoup d’associations comme celle des

leaders religieux (GLSM), composées de soufis, se sont opposées au comportement du

HCI. Le problème vient des conflits, nous sommes tous sunnites, mais dans les sunnites, il y a des wahhabia, au Mali ils forment maximum 15 % de la population. Et au HCI, ils sont majoritaires, les soufis ne sont pas d’accord avec ça, ils ont donc suspendu le bureau »202

. En somme, le GLSM et Ançar Dine tendent à se détacher de l’influence idéologique et financière des wahhabias, qui selon nos témoins d’obédience tijania, sont dominants dans la sphère religieuse :

Le président du HCI est un wahhabia. Quand tu es président, il faut être impartial et être juste entre les deux tendances. Il a laissé le soufisme (sic). Nous, les femmes, nous ne voulons pas entrer dans ce combat, mais on demande la tolérance et la justice entre les deux tendances. C’est ma vision et celle de beaucoup de gens. […] De plus, les wahhabias sont minoritaires au Mali et ils nous dominent par notre tolérance et notre sens du pardon. Ils nous dominent parce qu’ils sont instruits, ce sont des intellectuels. […] Ils ont de l’argent et sont intelligents203.

Ces paroles, tenues par la fille du chérif Haïdara, renvoient à une pensée marquée de clichés et de préjugés envers les musulmans d’obédience wahhabia partagée par quelques membres de l’association : « Les wahhabites sont intelligents, ils sont beaucoup instruits.

201Abdrahamane Dicko, « Haut Conseil Islamique : le 2e congrès ordinaire sous haute tension, reporté sine die », Les Échos, 16 avril 2014, [En ligne] : https://maliweb-malijet.tumblr.com/post/82917273985/haut-conseil- islamique-le-2e-congr%C3%A8s-ordinaire, consultée le 22 novembre 2014.

202 Entretien avec Chérif Ahmed Tijan Haidara, fils du président d’Ançar dine, rencontré au siège de l’association, 14 juillet 2014.

203

Entretien avec Djenaba Haidara, fille du président d’Ançar Dine, rencontrée aux bureaux de l’agence de voyage de l’association, 20 juillet 2014.

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Sur 100 personnes, disons qu’il y a 50 personnes instruites, sur les 50, il doit y avoir 40 qui sont wahhabites. Ils ont tout lu, ils savent faire les choses »204. Les paroles rapportées par ces témoins sont symptomatiques de tensions qui perdurent entre deux clans distincts. Dans les années 1990, Louis Brenner dressait déjà un portrait binaire de la communauté musulmane malienne : « De profondes divergences les opposent les uns aux autres. La plus notoire est celle qui dresse face à face ceux qu’on appelle les sunnites ou wahhabites et les traditionalistes. […] La société malienne contemporaine est fortement segmentée »205. Les évènements du HCI évoquent, certes, des relations difficiles entre les diverses fractions, mais ils font par-dessus tout surgir des tensions jamais enterrées, qui s’inscrivent dans l’histoire contemporaine malienne.

Ce clivage a fait surface au Mali au cours des années 1950 et dans plusieurs pays musulmans de l’Afrique de l’Ouest tels que le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Les tensions qui en résultèrent, entre ce que l’on peut qualifier de deux groupes doctrinaux, sont encore perceptibles aujourd’hui. De nombreux témoins, des deux générations, se sont référés à cette période de l’histoire du pays pour expliquer les tensions actuelles en rappelant que la grande majorité des musulmans maliens s’identifient aux confréries soufies (Tijaniya et Qadriya). Or, ces confréries renvoient à un islam implanté depuis plus d’un millénaire au Mali. Au cours des siècles, le culturel et le religieux ont cohabité entrainant un profond syncrétisme. Un syncrétisme islamique auquel le fondateur du wahhabisme, Muhammad Abd al-Wahhab (1703-1793), s’opposait fermement. Ce dernier proposait plutôt de « restaurer l’islam dans sa pureté originelle en bannissant les innovations et superstitions et en pratiquant une politique d’expansion »206

.

Afin de mieux saisir les tenants et aboutissants de ces divisions auxquels les témoins font référence, il convient de survoler la diffusion du wahhabisme en Afrique de l’Ouest207, dont la capitale malienne a été l’un des principaux foyers de cette doctrine dans la sous- région208. Cette pensée originaire d’Arabie Saoudite fut partagée en Afrique de l’Ouest par des pèlerins de retour la Mecque, dès les années 1930, et plus largement instaurée après la Seconde Guerre mondiale par des diplômés de l’Université Al-Azhar (Caire, Égypte) de

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Entretien avec Seidou, trésorier d’Ançar Dine, dans les bureaux du témoin (quincaillerie), 15 juillet 2014. 205 Louis Brenner, loc. cit., 1996, p. 185.

206 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 345. 207

Au milieu du XXe siècle. 208

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retour au pays au milieu du XXème siècle. Bénéficiant d’une grande notoriété et d’un important financement des fonds pétroliers, les hadjs et les diplômés de l’université islamique ont ouvert de nombreuses écoles coraniques afin de transmettre aux plus jeunes ce qu’ils considéraient être l’islam « vrai » et « pur »209. En « proclamant la supériorité de leur orthodoxie sur les autres mouvances de l’islam et notamment les grands soufis »,210

les adeptes du wahhabisme ont provoqué une véritable onde de choc dans une région où les consultations maraboutiques et le culte des saints sont des pratiques largement répandues. Effectivement, ce foyer religieux adresse de fortes critiques à l’égard des marabouts, des pratiques mystiques, des confréries et de l’islam populaire. Cette lecture élitiste, car longtemps réservée aux grands commerçants et intellectuels, a entrainé des conflits dans tous les foyers du wahhabisme, dont Ouagadougou et Bamako211.

Dès les années 1950, au Burkina Faso et au Mali, des pogromes anti-wahhabia furent mis en place par les pouvoirs coloniaux. Les désaccords furent tels que d’importants conflits éclatèrent dans les deux capitales. À ce titre, Birama, un témoin appartenant au courant littéraliste, et dont le père fut un acteur central dans la diffusion du mouvement à Bamako, atteste de cette tension dans la capitale malienne :

Il (son père) est allé en Arabie Saoudite, a aimé la pratique et l’islam là-bas, il a cherché à comprendre et il a commencé à pratiquer la Sunna. Ça n’a pas été facile pour lui. Vous savez, la Sunna c’est la meilleure pratique, c’est la tradition issue du Prophète. Les gens s’y opposaient, ils n’aimaient pas parce que ce n’était pas leur pratique, ils voyaient ça comme une importation, ils l’appelaient le wahhabia. Il y a même eu une bagarre en 1957. Ils lui ont cassé sa boutique, il a dû aller à Dakar. [Le témoin ne précise pas qui sont les « ils »] Il est allé à Dakar pour avoir l’autorisation du gouverneur à pratiquer sa religion. Vous savez, ce n’était pas encore une République, mais c’était laïc, donc il avait le droit de pratiquer sa religion, il a dû se battre et avoir une autorisation. Et puis, il n’obligeait personne. Il pratiquait pour lui-même et les gens venaient vers lui parce qu’ils aimaient ça. Mais ça dérangeait beaucoup les imams bien installés. Eux ils avaient des pratiques de Marabouts, c’est contre l’islam […] C’est (le wahhabisme) un héritage familial, mais aussi au

209 Le courant propose une lecture littéraliste totalement épurée des emprunts culturels locaux, il en appelle à la plus pure tradition prophétique.

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Maud Saint-Lary, « Du wahhabisme aux réformismes génériques. Réveil islamique et brouillage des identités musulmanes à Ouagadougou», Cahiers d’études africaines, no.206-207, « L’islam au-delà des catégories », 2012, p. 457.

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Voir l’incontournable ouvrage de Lansiné Kaba, The Wahhabiyya : Islamic reform and politics in French

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Mali. Le Président, en 1960 était contre lui. Tout le monde allait à une seule et la même mosquée de Bamako, la Grande mosquée aujourd’hui […] Mon père devait se cacher pour prier. La milice était impliquée aussi, il n’avait pas le droit, car il dérangeait. Finalement, après le coup d’État, lui et trois de ses fidèles amis sont allés voir Moussa Traoré. Leur principal problème et revendication étaient la religion. Ils voulaient une mosquée et pouvoir prier en paix. Moussa Traoré leur a donné l’autorisation. Et c’est de là que les mosquées sunnites ont proliféré. Par contre, Traoré ne voulait pas financer, ils ont donc construit la première mosquée sunnite Mazjt nour début des années 1970212.

Ce témoignage renvoie à un épisode de l’histoire malienne qui, à la lumière des témoignages recueillis, a marqué les mémoires. Tel que l’explique Jean-Loup Amselle213,