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À la croisée des arts : autour du discours musical de Terry Riley dans les années 1960

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Academic year: 2021

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À la croisée des arts : autour du discours musical de

Terry Riley dans les années 1960

Marie Dernoncourt

To cite this version:

Marie Dernoncourt. À la croisée des arts : autour du discours musical de Terry Riley dans les années 1960 . Art et histoire de l’art. 2014. �dumas-01544433�

(2)

É

COLE DU

L

OUVRE

Marie DERNONCOURT

À la croisée des arts :

autour du discours musical de

Terry Riley dans les années 1960

Mémoire de recherche

(2

de

année de 2

e

cycle)

en histoire de l'art appliquée aux collections

présenté sous la direction

de M

me

Sophie DUPLAIX

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(4)

A

LA CROISEE DES ARTS

:

AUTOUR DU DISCOURS MUSICAL DE

T

ERRY

R

ILEY DANS LES ANNEES

1960

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(6)

« […] Terry Riley appartient aujourd’hui au monde de la contre-culture plutôt qu’à celui de la musique dite contemporaine1 ».

1 Daniel Caux, Le grand rendez-vous des « répétitifs » américains, Le Monde, 21 octobre 1976. Publié dans CAUX, Daniel, Le

(7)
(8)

7

R

EMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier Sophie Duplaix pour son écoute, ses conseils et sa disponibilité. Ses encouragements dans les périodes de doute m’ont permis de donner du sens à mes recherches et de croire davantage en mes idées. Je remercie également Jacqueline Caux, second membre de mon jury, à qui j’ai l’honneur de soumettre mon travail.

Merci à Terry Riley lui-même et à Anna Halprin, ainsi qu’au Professeur de musique Keith Potter de l’Université Goldsmiths de Londres et à l’Historienne d’art Solveig Nelson de l’Université de Chicago, qui, malgré des emplois du temps très chargés, ont tous pris le temps de répondre à mes e-mails.

Je suis par ailleurs extrêmement reconnaissante à l’ensemble des institutions françaises et américaines et à leurs personnels, sans qui je n’aurai pu mener à bien cette étude : la Bibliothèque Kandinsky du Centre Georges-Pompidou, la Bibliothèque Nationale de France et la Médiathèque de l’IRCAM, qui m’ont facilité l’accès aux sources et aux ouvrages critiques ; le Musée d’Art Contemporain de Lyon, l’Université de Californie à Berkeley et la Bibliothèque Publique de New-York pour leurs écoutes attentives et leurs réponses rapides ; et les départements d’art et musique et de magazines et journaux de la Bibliothèque Publique de San Francisco pour leur compréhension et leurs envois d’articles. Je tiens à remercier tout particulièrement Alexandra Brainbridge de la Bibliothèque de l’Université d’État de Pennsylvanie (State College, Pennsylvanie), pour le temps qu’elle a accordé à mes recherches, ainsi que Marilyn Carbonell, Noriko Ebersole et Holly Wright du Musée d’Art Nelson-Atkins (Kansas City, Missouri) pour leur précieuse aide dans mes recherches sur l’exposition The Magic Theatre (1968).

Je tiens enfin à remercier l’ensemble des personnes qui m’ont aidée dans la rédaction de ce travail : Bastien Corné, Antoine Rémond et Justine Lefèvre pour leurs relectures et leurs conseils avisés, ainsi que Claire Rougé pour ses idées, sa patience et ses encouragements.

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8

T

ABLE DES

M

ATIÈRES

AVANT-PROPOS ... 10

INTRODUCTION ... 12

CHAPITRE 1 / Contre-culture et avant-garde. À la recherche de voies nouvelles ... 16

1 / HAPPENINGS DES PREMIERS TEMPS ... 19

1.1. Avec La Monte Young : « Noon concerts » ou la méthode aléatoire ... 19

1.2. Le Dancer’s Workshop d’Anna Halprin, un lieu propice à la créativité ... 26

1.3. Terry Riley, un artiste du groupe Fluxus ? ... 32

2 / MUSIQUE ÉLECTRONIQUE ET FANTASMES RÉPÉTITIFS : VERS DE NOUVEAUX MODES EXPRESSIFS ... 37

2.1. « Tape-loop » et « acid trip » : Mescalin Mix (1960 – 1961) ... 39

2.2. Du studio de Potrero Hill au Conservatoire de San Francisco ... 44

2.3. Avec Ken Dewey : Paris et le théâtre du non-sens ... 47

3 / UNE APPROCHE DE L’UNIVERS SONORE D’IN C (1964) ... 55

3.1. De la machine à l’instrument : nouvelle esthétique répétitive ... 56

3.2. Vers une œuvre d’art totale et un monde vibratoire ... 61

3.3. Un succès immédiat : « Music Like None Other on Earth » ... 68

CHAPITRE 2 / Une immersion psychédélique : extase et synesthésie ... 72

1 / LES DÉBUTS DE TERRY RILEY SUR LA SCÈNE NEW-YORKAISE : BROUILLAGE SENSORIEL ET CONSCIENCE ÉLARGIE ... 74

1.1. Sames (1965), le spectacle d’un nouveau genre ... 75

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9

2 / DANS LE MONDE UTOPIQUE DU RÊVE : UN SUCCÈS POPULAIRE ... 84

2.1. L’expérience de toute une nuit : son hypnotique et forme extatique ... 84

2.2. Du savant au populaire : In C (1964 – 1968) et la culture psychédélique ... 88

2.3. Vers un art du divertissement : Terry Riley et le Mythe Synesthésique ... 95

3 / EXPOSER L’ART PSYCHIQUE : THE MAGIC THEATRE (1968) ... 105

3.1. Entre art et technologie : le dialogue d’une société nouvelle ... 106

3.2. Le « Théâtre Magique » : d’Hermann Hesse à Ralph Ted Coe ... 110

3.3. Vers un labyrinthe du soi : une étude historique des Chambres de Riley ... 116

ÉPILOGUE ... 121

CONCLUSION ... 124

(11)

10

A

VANT-

P

ROPOS

Par son rapport au discours interdisciplinaire des années 1960, la présente étude vient compléter celles qui, depuis quelques années, examinent les relations entre son et lumière, entre musique, danse et performance. Pour des raisons essentiellement économiques, techniques et pratiques, c’est à partir des années 2000 seulement que de telles propositions institutionnelles ont réellement commencé à s’épanouir. Avec des expositions telles que Sonic Boom (Hayward Gallery, Londres, 2000), Sonic Process (Centre Georges-Pompidou, Paris, 2002) et Live (Palais de Tokyo, Paris, 2004), qui s’intéressaient à une génération spontanée d’artistes-musiciens, ou Sons & Lumières (Centre Georges-Pompidou, Paris, 2004) et Danser sa vie (Centre Georges-Pompidou, Paris, 2012), plus historiques et diachroniques pour montrer les agencements musico-plastiques et transdisciplinaires qui ont traversé les avant-gardes, c’est tout un pan de l’histoire des arts qui s’est exposé pour se renouveler. À une époque où les recherches scientifiques sur le principe de synesthésie progressent – un phénomène qui conduit une stimulation unimodale à une perception dans une autre modalité2 –, ces expositions ont réactualisé ce qui, dès le début du XVIIIème siècle, a fasciné les poètes, les musiciens et les artistes. La question de la synesthésie, aussi complexe que passionnante, est en effet une préoccupation très importante dans la création artistique, dont l’expression culmine au XXème siècle avec une très forte tendance au croisement entre les disciplines.

Dans les années 1960 en particulier, en lien avec l’esprit révolutionnaire de la contre-culture américaine, les « avant-gardes technognostiques3 » cherchent à réactiver tout le projet romantique d’un art total, cette mixité entre les arts et les sens qui produit « un sentiment extatique qui dépasserait l’état fragmentaire du monde4 ». Au carrefour de la danse post-moderne, du développement du happening, des nouvelles technologies et de l’expansion d’un art psychédélique entre son et lumière, la musique du compositeur américain Terry Riley semblait donc être un sujet

2 Voir des couleurs lorsque l’on écoute de la musique, ou entendre des sons lorsque l’on perçoit un mouvement.

3 Pascal Rousseau, « Concordances. Synesthésie et conscience cosmique dans la Color Music » dans DUPLAIX, Sophie et

LISTA, Marcella (dir.), [Exposition. Paris, Centre Georges-Pompidou. 22 sept. 2004 – 3 janv. 2005], Sons & Lumières. Une histoire

du son dans l’art du XXéme siècle, Catalogue d’exposition, Paris, Éditions du Centre Georges-Pompidou, 2004, p. 29.

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11

d’étude intéressant. Dans la perspective de libérer son histoire du son, trop cloisonnée, en la confrontant aux autres discours artistiques de son époque, j’ai donc mené une véritable enquête à la fois musicale et artistique, à la recherche du moindre détail sur ses collaborations avec les artistes, sur sa musique et son rapport aux idées des années 1960.

Après avoir pris connaissance des biographies et des études de musicologie de Wim Mertens (American minimalist music : La Monte Young, Terry Riley, Steve Reich, Philip Glass. Londres : Kahn & Averill, 1983), d’Edward Strickland (Minimalism : origins. Bloomington & Indianapolis : Indiana University Press, 1993), de Robert K. Schwarz (Minimalists. Londres : Phaidon Press, 1996) et de Keith Potter (Four musical minimalists : La Monte Young, Terry Riley, Steve Reich,

Philip Glass. Cambridge : Cambridge University Press, 2000) – seule littérature critique qui traite

directement de son parcours – et après une vérification systématique et des recherches complémentaires, j’ai pu dresser un corpus d’événements (concerts, happenings, spectacles, exposition, etc.) auxquels Terry Riley participe durant les années 19605.

À partir de cette première étape, accompagnée d’une analyse précise et détaillée des musiques, j’ai procédé à des recherches indirectes, à savoir une étude approfondie des ouvrages, des articles et des témoignages sources qui touchent à son époque, aux grands événements auxquels il participe et aux artistes avec qui il collabore. Car c’est ici que Terry Riley, lorsqu’il est explicitement nommé, n’apparaît plus seulement comme le précurseur d’une musique répétitive américaine, mais comme un « artiste pivot » dont les recherches sonores servent à nourrir un art de l’expression corporelle dans un premier temps (le happening et les nouvelles formes de théâtre), et les échappatoires d’un art psychédélique dans un second temps.

N’ayant pu partir aux États-Unis, certaines sources n’ont cependant pas été consultées. Il s’agit pour l’essentiel des fonds d’archives de la danseuse Anna Halprin et du dramaturge Ken Dewey – tous deux conservés à la Bibliothèque Publique de New-York –, des articles du critique musical Alfred Frankenstein publiés dans The San Francisco Chronicle pendant la première moitié des années 1960 – dont je ne connais que quelques extraits, cités ultérieurement par d’autres auteurs – et de l’ouvrage The Magic Theatre : art technology spectacular (1970) écrit par Ralph Ted Coe (commissaire de l’exposition The Magic Theatre à Kansas City en 1968), dont le tirage limité est désormais quasiment épuisé.

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12

I

NTRODUCTION

Rares sont les époques qui, comme les années 1960 aux États-Unis, marquent une révolte globale contre le système. En opposition vis-à-vis de la culture « mainstream » et de la politique, et face à une société de consommation en pleine expansion, la jeune génération conteste le modèle américain et propose une nouvelle culture, radicalement opposée à l’American Way of Life. À la fin des années 1950 déjà, la Beat Generation et les beatniks, directement issus des idées provocatrices des hipsters noirs des années 19306, incarnent l’anticonformisme et annoncent le changement dans la société américaine et la tradition radicale qui survient dans les années 1960. Souhaitant abolir les frontières entre l’art, la politique, la culture et la vie, la génération de baby-boomers s’exprime alors par un ensemble hétérogène de références culturelles, d’idées, de styles et de modes de vie. Ce que l’on appelle la « contre-culture7 » américaine des années 1960, modèle utopique de transformation sociale, est donc un mouvement contestataire global, un rejet massif de la société « technocratique8 » qui pense et régit l’univers social, politique et culturel. Elle englobe aussi bien la Nouvelle Gauche politique que les courants non-politiques bohèmes, hippies et communautaires, dont le but commun est d’éveiller les consciences pour tenter d’aller vers un monde meilleur. Dans cet esprit, la contre-culture est donc directement liée à la génération des drogues psychédéliques, jusque-là essentiellement réservées aux milieux scientifiques. Généralisées par le psychologue Timothy Leary – souvent appelé le « gourou du LSD » – les psychotropes mis à la portée de tous deviennent en effet le moyen nécessaire pour atteindre un univers mystique, sorte d’échappatoire qui exalte l’esprit et recrée un monde nouveau.

À cette effervescence des mouvements de contestation répond un bouillonnement artistique sans précédent. Car si la contre-culture s’oppose à la culture dominante de la tradition américaine pour réinventer la vie, son action passe nécessairement par une restructuration de l’art, une rupture avec les conceptions artistiques précédentes. Cherchant à rapprocher l’art de la vie, à abolir le principe de hiérarchie, les frontières entre les disciplines, et celles qui séparent les cultures savantes des

6 ROBERT, Frédéric, « Deuxième partie. Chapitre 1. De la Beat Generation à la Hippie Generation » dans Révoltes et utopies.

La contre-culture américaine dans les années 1960, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011, pp. 159 – 175.

7 Le terme « contre-culture » est généralisé en 1969 par le Professeur d’histoire et Sociologue Théodore Roszak, dans son

ouvrage The Making of Counter Culture. Reflections on the Technocratic Society and Its Youthful Opposition.

8 ROSZAK, Théodore, « Technocracy’s Children » dans The Making of Counter Culture. Reflections on the Technocratic

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cultures populaires, la production artistique des années 1960 aux États-Unis se nourrit des pensées révolutionnaires en recherche d’expériences nouvelles pour une culture unifiée. Elle marque un moment décisif dans l’histoire des arts du XXème siècle, où les diverses formes artistiques (théâtre, musique, arts plastiques, chorégraphie) résonnent ensemble dans un champ de création élargi.

C’est dans ce contexte culturel qu’il faut penser l’œuvre de Terry Riley. Compositeur et interprète né en 1935 à Colfax en Californie, sa production est à rapprocher des cercles avant-gardistes et du courant contre-culturel, où le son n’est plus seulement penser en tant qu’entité musicale, mais comme une expérience sensorielle à part entière, mise au service des nouvelles expressions artistiques. Pourtant, Terry Riley est essentiellement reconnu dans le domaine de la musique savante du XXème siècle. Souvent considéré par les historiens et les musicologues comme une des figures de proue du mouvement répétitif – fondé sur les principes minimalistes en partie développés par son ami La Monte Young – son nom résonne d’abord dans une histoire de la musique du XXème siècle, entre le sérialisme d’Arnold Schoenberg et l’indéterminisme de John Cage.

S’appliquant au matériau initial et aux techniques transformationnelles limitées pour Wim Mertens9, à l’usage de ressources limitées, au statisme et à l’impersonnalité pour Edward Strickland10, et à un art du vide sans accent pour Barbara Rose11, la musique minimaliste12 et sa répétition en tant que propriété essentielle est, aujourd’hui encore, la première caractéristique qui qualifie l’œuvre de Terry Riley. Souvent cloisonnés dans une histoire qui résonne encore peu avec le domaine des arts plastiques et visuels, les historiens et les critiques de la musique minimaliste et répétitive américaine – dont les ouvrages commencent à paraître dans les années 1980 – semblent oublier un pan fondamental dans le discours de Terry Riley : son interférence avec la danse, les nouvelles formes de théâtre et les arts plastiques. Très récemment encore, dans l’ouvrage collectif de Keith Potter, Kyle Gann et Pwyll Ap Siôn The Ashgate Research Companion to

Minimalist and Postminimalist Music (Farnham, Burlington : Ashgate Publishing Company,

2013), le nom de Terry Riley n’est pas cité lorsque les auteurs font le rapprochement entre la musique minimaliste, le théâtre et la danse contemporaine :

9 MERTENS, Wim, American minimalist music : La Monte Young, Terry Riley, Steve Reich, Philip Glass. Londres : Kahn &

Averill, 1983, p. 12.

10 STRICKLAND, Edward, Minimalism : origins, Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press, 1993, p. 7. 11 ROSE, Barbara, « ABC Art » dans GINTZ, Claude (éd.), Regards sur l’art américain des années soixante, trad. Claude

Gintz, Paris, Territoires, 1979, p. 74.

12 Le terme artistique « minimaliste », d’abord appliqué aux œuvres des artistes Frank Stella, Robert Serra et Donald Judd, a

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« Les collaborations ont […] été une caractéristique significative de la communauté minimaliste dans son développement autour des années 1960. Beaucoup d’œuvres ont été créées conjointement avec les premiers compositeurs minimalistes, ou du moins à partir de leur musique. Rainer et Warhol ont utilisé la musique de La Monte Young, Dean a collaboré avec Steve Reich, Childs a collaboré avec les compositeurs John Adams, Gibson et, de façon plus connue, avec Philip Glass, sans mentionner Robert Wilson dans le théâtre, et l’artiste conceptuel Sol LeWitt, parmi d’autres. Ainsi, plusieurs de ces artistes ont croisé les disciplines […]13 ».

Seule la collaboration de Terry Riley avec la danseuse Anna Halprin pour sa chorégraphie The

Four-Legged Stool (1961) est ensuite succinctement soulignée, ainsi que son rapport au cinéma

avec une liste exhaustive des films expérimentaux et des blockbusters pour lesquels il compose ou réutilise ses premières pièces sonores, de la fin des années 1960 jusqu’aux années 2000. Pourtant, son œuvre croise de nombreux artistes et participe à l’expérimentation des nouveaux genres, tel que le happening – avec la Monte Young, le Dancer’s Workshop d’Anna Halprin, le groupe Fluxus et le dramaturge Ken Dewey – et les environnements intermedia cinétiques, en pleine expansion durant la seconde moitié des années 1960. À l’époque considéré comme un musicien « élargi » et présenté en tant que tel en 1966 dans le numéro spécial Expanded Arts de la revue Film Culture14, son nom résonnait avec celui des plus grand artistes de son temps : John Cage, Walter de Maria, George Maciunas, Jonas Mekas, Robert Whitman, Stanley Landsman et bien d’autres.

Désormais essentiellement reconnu en tant que pionner et figure principale de la musique minimaliste américaine, Terry Riley semble donc avoir perdu une partie de son histoire. Faisant lui-même remonter les caractéristiques musicales du minimalisme à la musique du compositeur italien Carlo Gesualdo au XVIème siècle15, et ne se sentant d’aucune affiliation fondée avec les musiques de Steve Reich et de Philip Glass16 – qui, dans le groupe des quatre minimalistes américains avec La Monte Young, succèdent à sa musique –, il apparaît d’autant plus être très loin des idées théoriques développées par les historiens et les critiques sur sa musique.

13 Dean Suzuki, « Deuxième partie. Chapitre 5. Minimalism in the Time-Based Arts : dance, film and video » dans POTTER,

Keith, GANN, Kyle et AP SIÔN, Pwyll, The Ashgate Research Companion to Minimalist and Postminimalist Music, Farnham, Burlington, Ashgate Publishing Company, 2013, pp. 109 – 110. Traduction de l’auteure : « Collaboration had […] been a

significant feature of the minimalist community as it developed from the 1960s onwards. Many works were created jointly with the pioneering minimalist composers, or at least included their music. Rainer and Warhol used music by La Monte Young, Dean collaborated with Steve Reich, Childs has collaborated with composers John Adams, Gibson and, perhaps most significantly, Philip Glass, not to mention Robert Wilson in the theatre, as well as the conceptual artist Sol LeWitt, among others. Indeed, some of these artists have crossed disciplines […] ».

14 MEKAS, Jonas (dir.), Film Culture. Expanded arts, numéro spécial, n° 43, hiver 1966.

15 RILEY, Terry, entretien avec William Duckworth, dans DUCKWORTH, William, Talking Music : Conversations with John

Cage, Philip Glass, Laurie Anderson, and Five Generations of American Experimental Composers, New-York, Schirmer Books,

1995, p. 282.

16 Id., entretien avec Edward Strickland, dans STRICKLAND, Edward, American Composers : Dialogues on Contemporary

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Cette lacune s’explique en partie par le vide que certains noms d’artistes avec qui il collabore représentent. Car si les collaborations du compositeur Philip Glass avec le metteur en scène Robert Wilson et la chorégraphe Lucinda Childs sont aujourd’hui largement reconnues, les happenings et les spectacles que Terry Riley réalise avec le dramaturge Ken Dewey le sont beaucoup moins. Pourtant considéré comme le pendant d’Allan Kaprow sur la Côte Ouest des États-Unis et l’une des figures les plus importantes du « cinéma élargi » à son époque, le nom de Ken Dewey n’est désormais que rarement cité, voire souvent oublié. Et celui d’Anna Halprin, avec qui Terry Riley collabore au début des années 1960, ne s’est fait connaître que très récemment. Sans doute trop effacé par le rayonnement de son contemporain Merce Cunningham, ce n’est qu’à partir du début des années 2000 que l’art de la danseuse atteint les cimaises des institutions françaises, en partie grâce à la critique Jacqueline Caux qui l’expose en 2006 au Musée d’Art Contemporain de Lyon. L’autre raison qui semble prévaloir à l’infidèle représentation que l’on se fait de l’œuvre de Terry Riley dépend du désintérêt porté par les historiens à l’art psychédélique, auquel il se rattache incontestablement à la fin des années 1960. Longtemps négligé pour l’essence même de son expérience qui cherche à modifier la conscience, en réponse à une société technocratique trop oppressante, l’art psychédélique a été recalé au rang du mauvais goût, de l’aberration stylistique et du kitsch17. Il faut attendre l’année 2005 pour voir la Tate de Liverpool lui consacrer une exposition, près de quarante ans après son succès populaire.

Souhaitant combler ce vide et dresser un nouveau portrait du compositeur américain dans les années 1960, loin du label médiatique « minimaliste » et des préjugés esthétiques des historiens de l’art, les événements majeurs qui ont rythmé l’œuvre et la pensée de Terry Riley seront ici analysés en lien avec la production artistique et les idées de son temps, de sa rencontre avec La Monte Young à la fin des années 1950 jusqu’à ses all-night concerts sur la Côte Est des États-Unis et sa participation à l’exposition d’art psychique The Magic Theatre en 1968. L’étude de cette époque artistiquement effervescente et de la mise en place d’une société empreinte des nouvelles technologies – qui résonnent aussi bien dans le domaine musical avec l’expansion d’une musique électroacoustique, que dans les idées communes d’une jeune génération en recherche de nouvelles expériences –, permettra d’illustrer le discours artistique de Terry Riley, pour qui la musique n’est plus seulement un son mais une vibration qui participe à une expérience sensorielle.

17 GRUNENBERG, Christoph, « The Politics of Ecstasy : Art for the Mind and Body. Art with No History » dans

GRUNENBERG, Christophe (éd.), [Exposition. Liverpool, Tate Liverpool. 27 mai – 25 septembre 2005], Summer of love, Art of

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16

C

HAPITRE 1.

Contre-culture et avant-garde.

À la recherche de voies nouvelles

« Pour aborder la musique américaine, il importe de laisser de côté nos préjugés européens. Il est vrai que les frontières y sont moins étanches que chez nous entre le majeur et le mineur, le sérieux et le non-sérieux, l’élitaire et le populaire. Il est vrai aussi que cette musique participe plus largement que chez nous à une interpénétration des arts : le théâtre, la danse, le cinéma … C’est sans a priori qu’il faut se laisser emporter par ce tourbillon kaléidoscopique18 ».

Bien que ses premières émotions musicales soient celles des standards de jazz et des musiques traditionnelles populaires, écoutés à la radio lorsqu’il a seulement deux ans, Terry Riley reçoit un enseignement classique dès l’âge de cinq ans. Après avoir essentiellement étudié et pratiqué un répertoire Classique et Romantique au violon et au piano, il découvre au lycée de Redding la musique de Bartók, Stravinsky et d’autres compositeurs modernes. Et c’est avec le directeur des chœurs Ralph Wadsworth qu’il entraîne son oreille et développe un rythme de travail intense.

18 Daniel Caux, « Amérique », programme de l’exposition Amérique (Cité de la Musique, Paris, septembre 1997 – juillet 1998).

Publié dans CAUX, Daniel, Le silence, les couleurs du prisme et la mécanique du temps qui passe, Paris, Éditions de l’Éclat, 2009, p. 67.

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17

Encouragé par son professeur de piano Duane Hampton, il entre ainsi au Conservatoire de San Francisco en 1955, où il suit les cours de piano du professeur Adolf Baller. Parallèlement, il intègre la classe de composition de Wendall Otey à l’Université de San Francisco, où il étudie pendant deux ans. Le succès que ses premières compositions rencontrent auprès de ses camarades de classe Ken Benshoof, Pauline Oliveros et Loren Rush l’encourage à écrire davantage :

« La classe de composition [de l’Université de San Francisco] était tout à fait remarquable. Il y avait beaucoup de compositeurs, mes pairs, qui avaient beaucoup plus d’expérience que moi. Cela m’a énormément stimulé, car ils avaient grandi dans la baie de San Francisco et avaient beaucoup d’avantages que je n’avais pas. C’est à ce moment que j’ai réellement commencé à composer, parce que je sentais que j’appréciais vraiment écrire et jouer ma propre musique19 ».

Influencées par la musique sérielle20 d’Arnold Schoenberg et d’Anton von Webern, que Pauline Oliveros et Loren Rush lui font découvrir en dehors des cours, ses premières compositions lui servent d’exercice pour apprendre à tout contrôler : les dynamiques, les mesures, les hauteurs et les rythmes. À la suite de son Trio pour violon, clarinette et piano de 1957, que lui-même caractérise de « néo-classique », il compose ainsi deux pièces pour piano en 1958 – 1959, à la manière des pièces pour piano de Schoenberg composées au début du XXème siècle21.

Cet intérêt pour la musique sérielle s’accompagne de la découverte du jazz et de l’improvisation, qu’il expérimente lui-même au piano dès 1958 avec Pauline Oliveros (au cor) et Loren Rush (aux percussions). Ils se retrouvent régulièrement et enregistrent leurs improvisations pour la KPFA, la station de radio libre qui émet sur toute la baie de San Francisco. Et durant l’été 1958, après avoir été abordés par la sculptrice et professeur à l’Institut d’Art de San Francisco Claire Falkenstein, ils enregistrent ensemble la musique pour son film Polyester Moon, réalisé l’année précédente. Pauline Oliveros se souvient : « Nous cherchions à travailler sur le mixage des timbres ; il fallait apprendre à ajuster ses dynamiques. Ce que nous jouions n’était pas tellement important, mais la manière dont nous le faisions l’était plus22 ».

19 Terry Riley cité dans SCHWARZ, Robert K., « Terry Riley and La Monte Young », Minimalists, Londres, Phaidon Press,

1996, p. 27. Traduction de l’auteure : « The composition class was quite wonderful ; there were a lot of composers, my peers, who

had much more experience and were really stimulating to me, because they had grown up in the Bay Area and had a lot of advantages I didn’t have. I started composing a lot then because I felt that I really enjoyed writing and playing my own music ».

20 Le sérialisme est une technique de composition qui « consiste à utiliser les règles de structuration qui régissent les hauteurs

d’une série dodécaphonique et à les appliquer systématiquement aux autres paramètres du son (durées, intensités, modes d’attaque, timbres, etc.) » (GINER, Bruno, Aide-mémoire de la musique contemporaine, Paris, Durand, 1995).

21 Arnold Schoenberg, Trois pièces pour piano, opus 11 (1909) et Six petites pièces pour piano, opus 19 (1911).

22 Pauline Oliveros, entretien avec Robert Carl du 19 janvier 2007, cité dans CARL, Robert, Terry Riley’s In C, Oxford,

New-York, Oxford University Press, 2009, p. 17. Traduction de l’auteure : « [The sort of insights we had were] about the mixing of

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Terry Riley s’expérimente ainsi à différents styles de musique, et ce dès la fin des années 1950. La musique sérielle et l’improvisation, qui lui apportent rigueur et liberté d’expression, l’amènent à découvrir plusieurs manières de jouer et de penser la musique. Et c’est à partir de ces pratiques qu’il développe son propre style durant la première moitié des années 1960, creusant ainsi une nouvelle voie dans le paysage musical de l’époque, différente de celle imposée par la musique sérielle. Car contrairement à d’autres compositeurs, Terry Riley ne s’interroge pas sur son droit à trahir les règles strictes du sérialisme, bien que Schoenberg, Webern puis Stockhausen par la suite restent pour lui des maîtres à penser. Avec le compositeur La Monte Young, la chorégraphe Anna Halprin et le dramaturge Ken Dewey, et par son intérêt pour la musique orientale qu’il découvre par la suite, il expérimente de nouvelles formes d’écoute et installe son propre discours artistique parmi les nouvelles formes d’expression de l’époque. Son œuvre ne peut donc être comprise sans être resituée dans son contexte, où plusieurs libertés sont prises quant à la pensée et aux normes culturelles. Car Terry Riley se trouve en effet dans une génération intermédiaire, entre les révoltes de la Beat Generation et la culture hippie. Durant la première moitié des années 1960, il est ainsi influencé à la fois par les artistes et poètes Beat, qu’il rencontre d’abord par le biais de son ami La Monte Young et de l’artiste Walter de Maria lorsqu’il est à l’Université de Berkeley, et par les premiers signes de la mouvance psychédélique, dont San Francisco devient rapidement un lieu d’effervescence. Dans ce contexte, il tente de dépasser les frontières artistiques pour les faire résonner ensemble, confrontant ainsi la musique aux autres formes d’expression pour n’en faire qu’une seule.

Il est possible d’identifier trois temps dans ce premier parcours de création. Le premier correspond à sa rencontre avec La Monte Young, avec qui il expérimente le son à l’Université de Berkeley et au Dancer’s Workshop d’Anna Halprin à Kentfield jusqu’en 1960, pour continuer en Europe en 1962 avec le groupe Fluxus. Le deuxième correspond à sa découverte des nouveaux moyens d’expression qu’offre la bande magnétique, qu’il expérimente à San Francisco en 1961 puis à Paris en 1963. Et le troisième correspond à la création d’In C (1964), œuvre qui résume ses premières découvertes et annonce sa production de la seconde moitié des années 1960. Tous illustrent un besoin de changement radical, pour aller vers un renouveau du champ musical.

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1 / Happenings des premiers temps

À la fin des années 1950 et au début des années 1960, les amis et camarades de classe de Terry Riley ont un impact important sur sa musique et sa pensée artistique. Grâce à La Monte Young en particulier, un « aimant » auquel les gens se dévouent23, il explore les sons purs et découvre les débuts de la musique électronique. Ensemble, ils « [prennent] littéralement, physiquement, la musique à bras le corps24 », qu’ils font résonner jusque sur la Côte Ouest des États-Unis, puis en Europe quelques années après. Leurs performances à l’Université de Berkeley et au Dancer’s Workshop d’Anna Halprin à Kentfield, deux cadres aux libertés d’expression différentes, annoncent en effet les futurs events du groupe Fluxus, auxquels ils participent ensuite tous les deux. Et pour comprendre le travail mené par Terry Riley durant ces premières années, il est nécessaire de revenir en détail sur la pensée de son ami La Monte Young, qui l’influence énormément et lui permet de découvrir une nouvelle forme de temps, fondé sur l’écoute de sons longs et continus.

1.1. Avec La Monte Young : « Noon concerts » ou la méthode aléatoire

Après l’obtention de son premier diplôme de l’Université de San Francisco en 1957, et à la suite de deux années où il enchaîne les emplois pour subvenir aux besoins de sa famille, Terry Riley décide de s’inscrire à l’Université de Berkeley au printemps 1959, à l’âge de vingt-trois ans. Ayant échoué aux concours d’entrée des classes d’harmonie et de contrepoint, il intègre la classe de composition du professeur Seymour Shifrin puis celle de William Denny, qui incarnent tous deux les valeurs académiques de l’époque – celles de la musique sérielle. Pour pourvoir obtenir son diplôme à l’été 1961, il se plie alors à l’exercice et poursuit ses recherches développées à l’Université de San Francisco. Et tandis qu’il travaille sur sa pièce Spectra en décembre 1959, un sextet influencé par les Zeitmasse (1956) de Karlheinz Stockhausen25, il s’engage à côté dans des recherches sonores expérimentales qu’il n’aurait jamais osé montrer au corps enseignant.

C’est sa rencontre avec La Monte Young, dans la classe de composition de Seymour Shifrin, qui l’amène à découvrir de nouvelles formes d’écoute. Étudiant à l’Université de Berkeley dès

23 John Cage, entretien avec Daniel Caux, Les Chroniques de l’art vivant, n° 30, mai 1972, p. 26. 24 Daniel Caux, « La Monte Young », ibid., p. 24.

25 Spectra est interprété le 30 avril 1961 au Palais de la Légion d’Honneur de Californie à San Francisco en même temps que

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1957, il est lui aussi d’abord influencé par la musique sérielle, dont il tente d’appliquer les principes dans ses premières compositions. Mais très rapidement, il cherche à pousser à l’extrême les règles strictes du dodécaphonisme et du sérialisme. Bien qu’il s’inscrive directement sous l’influence d’Anton von Webern, son Trio for Strings (1958) pour violon, alto et violoncelle [fig.

1, éc. 1], que l’on identifie souvent comme étant à l’origine de la musique minimaliste, marque

ainsi l’introduction d’un style nouveau. Les notes tenues sur une très longue durée et l’utilisation des silences suspendent le temps qui passe, obligeant celui qui écoute à devoir rester patient pour apprécier l’ensemble. Par exemple, l’ouverture du Trio ne contient pas plus de trois notes, respectivement émises par chacun des instruments. Pour que l’accord résonne et s’éteigne progressivement, jusqu’à ce que le suivant prenne forme, il faut attendre plus de cinq minutes. Le

Trio entier dure ainsi presque une heure.

C’est la première fois qu’une pièce est écrite à partir de sons longs, sans qu’il s’agisse d’un drone26 sur lequel est jouée une mélodie. Pour La Monte Young, c’est une des étapes les plus importantes dans sa musique. Déjà dans son enfance, il écoutait les fréquences continues du bourdonnement des fils métalliques dans les poteaux électriques, dont il tente ici de retrouver l’effet sonore. Mais lorsqu’il présente sa pièce devant la classe de composition en septembre 1958, celle-ci est très mal accueillie. Son professeur Seymour Shifrin ne comprend pas ce qu’il recherche. « Il pensait qu’une pièce devait aller quelque part, et il m’a dit mot pour mot : "Tu écris comme un vieil homme de quatre-vingt ans. Tu devrais plutôt être en train d’écrire une pièce avec des lignes musicales et des climax […]"27 », se souvient-il. Terry Riley est l’un des seuls à apprécier son travail. Lorsque La Monte Young lui joue un extrait de son Trio à son arrivée à Berkeley en 1959, il est immédiatement bouleversé par cet étirement du temps : « C’était comme être dans une "time capsule" et flotter quelque part dans l’espace, en attendant que le prochain événement arrive28 ». « Le temps s’arrêtait, et je n’avais jamais eu cette sensation auparavant. C’est comme une initiation. Vous n’êtes jamais tout à fait le même après29 ».

Rapidement, Terry Riley est fasciné par ce personnage excentrique dont beaucoup se moque. Sa manière avant-gardiste de s’habiller, ses idées et sa musique l’attirent bien plus que les enseignements de ses professeurs, avec qui il est difficile de sortir des sentiers battus. Avec les

26 Un drone est un ton continu qui sert de base à la mélodie. Il est souvent utilisé dans la musique indienne.

27 La Monte Young cité dans SCHWARZ, Robert K., « Terry Riley and La Monte Young », Minimalists, Londres, Phaidon

Press, 1996, p. 24. Traduction de l’auteure : « He thought a piece should be going somewhere, and he literally said to me "You’re

writing like an eighty-year-old man, and you should be writing a piece that’s got lines, that’s got climaxes […]" ».

28 Terry Riley, ibid., p. 28. Traduction de l’auteure : « It was like being in a time capsule and floating out in space somewhere

and waiting for the next event to happen ».

29 Id., entretien avec Edward Strickland, dans STRICKLAND, Edward, American Composers : Dialogues on Contemporary

Music [1987], Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press, 1991, p. 111. Traduction de l’auteure : « Time stopped, and I’d never had that experience. It’s like an initiation. You’re never quite the same afterwards ».

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sons tenus de La Monte Young, qu’il expérimente lui-même dans ses pièces String Quartet et

String Trio de mai 1960 et mai 1961, il découvre ainsi une nouvelle manière de concevoir la

musique et de l’écouter.

Pendant l’été 1959, La Monte Young se rend à Darmstadt en Allemagne et assiste au séminaire de Karlheinz Stockhausen. C’est ici qu’il découvre la méthode aléatoire de John Cage, qu’il ignorait alors totalement. Les quelques pièces qu’il a pu écouter auparavant, telles que Sonates et

interludes pour piano préparé (1946 – 1948) et Quatuor à cordes en quatre parties (1950), que

ses amis Dennis Johnson et Terry Jennings lui font découvrir, sont antérieures à l’utilisation du « Yi-King »30 dans sa musique. À Darmstadt, il écoute des compositions jouées par David Tudor, et un enregistrement de son Concert pour piano et orchestre (1957 – 1958), où l’essentiel des choix de jeu sont reportés sur les interprètes. La Monte Young est alors fasciné par ces compositions soumises à l’indétermination. Lorsqu’il rentre à Berkeley, il adopte immédiatement ce nouveau principe, que Terry Riley admire et encourage. Il dit alors à son ami : « S’ils pensaient que j’étais fou avant, attend de voir ce que je vais faire maintenant !31 ».

Ses pièces Vision (1959) et Poem for Chairs, Tables, Benches, etc. (1960) intègrent toutes deux des éléments empruntés au hasard. Dans la première, il s’intéresse aux sons peu communs que peuvent produire les instruments conventionnels. Sur une période de treize minutes, onze musiciens émettent chacun un son, dont la durée et l’espacement sont déterminés à l’aide d’un livre de nombres aléatoires ou d’un annuaire téléphonique [fig. 2]. Et pour Poem, qu’il réalise en janvier 1960, il met en place une méthode similaire permettant de déterminer le temps pendant lequel des chaises, des tables, des bancs et n’importe quels autres meubles doivent être traînés, poussés et raclés sur le sol [fig. 3, éc. 2]. Les bruits sont d’abord agressifs et insupportables, mais « une étrange et euphorique acceptation commence à se mettre en place32 » après quelques minutes d’écoute. Surgissent ainsi des harmoniques à très haut niveau sonore et pendant de très longues durées.

30 Le Yi-King ou Livre des mutations est le premier des cinq classiques de la culture chinoise, dont l’origine remonte au premier

millénaire avant l’ère chrétienne. Associé à un jeu de huit trigrammes, dont le tirage au sort de deux d’entre eux constitue l’une des possibilités de combinaison pour consulter les oracles, son interprétation est ainsi soumise à l’aléatoire. John Cage utilise cette même technique à partir de 1951, laissant ainsi l’indétermination décider de la durée, de la musique et de l’organisation de ses représentations.

31 La Monte Young cité dans SCHWARZ, Robert K., op. cit., p. 29. Traduction de l’auteure : « If they thought I was wild

before, wait ‘til they see what I’m going to do now ! ».

32 Dick Higgins, Boredom and Danger, Source n°5, janvier 1969, p. 15. Cité dans SMITH, Dave, Following a Straight Line :

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« Dans mes deux pièces Vision et Poème pour chaises, tables et bancs, etc., j’ai utilisé des éléments empruntés au hasard, mais d’une manière tellement différente de celle de John Cage qu’elles finissaient par apparaître comme appartenant à ma propre musique. Il est bien probable que je n’aurais pas utilisé jusqu’à ce point une technique due au hasard si je n’avais pas été influencé par ses travaux […]. Il est […] certain que c’est après avoir entendu John Cage que j’ai composé deux pièces faisant appel à la technique du hasard […]33 ».

Pour présenter son travail, celui qui l’a influencé et celui de ses camarades, et ne pouvant le faire en classe de composition où ses recherches ne sont que peu appréciées, La Monte Young décide alors d’organiser des concerts du midi dans l’auditorium de l’Université. Avec l’aide de Terry Riley, il bouleverse ainsi le département de musique de Berkeley qu’il transforme en véritable lieu d’expérimentation. Le concert le plus ancien dont nous avons connaissance est celui du 2 décembre 195934, où La Monte Young programme The Second Machine (1959) de Dennis Johnson,

Imaginary Landscape No 4 ou March No 2 for Twelve Radios (1951) de John Cage, Cough Music

(1959) de Richard Maxfield, et sa propre pièce Vision (1959). Son choix reflète ses influences, qu’il décide volontairement d’associer à la représentation de sa pièce. Pour Landscape No 4 de John Cage [éc. 3], les interprètes ne possèdent pas d’instruments mais des postes de radio, qu’ils manipulent à partir d’une partition où les temps d’actionnement sont précisément indiqués. Ce qui est aléatoire, en revanche, ce sont les sons qu’émettent ces douze postes de radio, faisant ainsi de ces objets des instruments d’indétermination par excellence. La Monte Young présente aussi le travail de Richard Maxfield, un pionner de la musique électronique qu’il rencontre à New-York quelques mois auparavant, à son retour du séminaire d’été de Darmstadt en Europe. Sa pièce

Cough Music est composée à partir de bruits de toux – enregistrés dans le public lors d’une

représentation du compositeur américain Christian Wolff – qu’il a ensuite manipulés pour créer de nouvelles sonorités [éc. 4]. Terry Riley, qui fait partie du groupe d’interprètes de ce concert, restera fortement marqué par cette découverte. Enfin, La Monte Young programme la dernière pièce de son ami Dennis Johnson, The Second Machine, avec qui il a longuement discuté du principe d’indétermination lorsqu’ils vivaient ensemble chez Richard Maxfield à New-York. Dans un texte introductif qu’il donne à La Monte Young pour qu’il puisse présenter sa pièce avant qu’elle ne soit exécutée, Dennis Johnson écrit sur un ton humoristique :

33 La Monte Young, « La Monte Young : " … créer des états psychologiques précis" », entretien avec Daniel Caux, Les

Chroniques de l’art vivant, n° 30, mai 1972, p. 27.

34 D’après la chronologie établie par Thomas M. Welsh dans BERNSTEIN, David W., The San Francisco Tape Music Center :

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« Faites tourner l’aiguille trois fois. Si elle vient à tomber, ne vous en faites pas. Tricher est permis, et autant de fois qu’il y a lieu. Je ne sais pas le nombre de possibilités et voyez si je m’en soucie. Les partitions résistent à l’eau et au feu. Jouez une face ou l’autre, ou le bord si vous êtes fatigué, et ne m’appelez pas pour me demander des informations pendant que je brûle de vieilles partitions. Peut être joué sous l’eau35 ».

Pour la fin du concert, lorsque La Monte Young et ses camarades interprètent Vision, le public d’étudiants ne comprend pas ce qu’il est en train de se passer et crée une véritable émeute. Pendant ces treize minutes de musique aléatoire, La Monte Young plonge la salle dans le noir complet. Terry Riley se souvient : « Pour Vision (1959), Young a tourné les lumières dans l’auditorium et a créé la panique dans l’audience, comme s’il les bombardait avec des sons non-conventionnelles36 ». Là où l’on joue en principe de la musique classique dans une atmosphère formelle « et très coincée37 », La Monte Young bouleverse donc les codes de bonne conduite et renouvelle la forme même du concert.

C’est dans cette ambiance peu conventionnelle que Terry Riley écrit sa pièce Concert for Two

Pianists and Tape Recorders en mars ou avril 1960. D’après la partition publiée par La Monte

Young dans An Anthology en 196338 [fig. 4, éc. 5], l’organisation de la pièce est essentiellement laissée au choix des performeurs. Sur des pianos préalablement préparés avec des objets quelconques posés sur ou entre les cordes, tels qu’un cendrier et un dessin de La Monte Young, ils doivent jouer une mélodie fragmentée. Si l’on en suit la partition, où la notion de temps semble être absente, son exécution dépend des musiciens. À ces sons viennent s’ajouter ceux émis par les magnétophones, que Terry Riley a enregistrés puis transformés à l’aide de l’électronique. Comme il l’explique dans un des enregistrements39, il s’agit de sons naturels réalisés à partir d’objets du quotidien, qu’il a ensuite accélérés ou ralentis. Son travail rejoint ainsi celui réalisé l’année précédente par Richard Maxfield pour Cough Music. En plus de ces sons, Terry Riley indique grâce à des notations graphiques plusieurs actions à réaliser autour de l’instrument. Pour la publication de sa partition en 1963, il écrit en introduction [fig. 5] :

35 Dennis Johnson cité dans YOUNG, La Monte, Conférence 1960 : été 1960 [1960], trad. Marc Darcy, Paris, Éolienne, 1998,

p. 38.

36 Terry Riley cité dans SCHWARZ, Robert K., « Terry Riley and La Monte Young », Minimalists, Londres, Phaidon Press,

1996, p. 30. Traduction de l’auteure : « In Vision (1959), Young turned out the lights in the auditorium, and created panic among

audience members as he bombarded them with unconventional sounds ».

37 Id., entretien avec Daniel Caux [1979], dans CAUX, Daniel, Le silence, les couleurs du prisme et la mécanique du temps qui

passe, Paris, Éditions de l’Éclat, 2009, pp. 105 – 106.

38 Nous reviendrons sur An Anthology (1963) de La Monte Young dans la partie intitulée « Terry Riley, un artiste du groupe

Fluxus ? », pp. 32 – 37.

39 Il s’agit d’un enregistrement retrouvé plusieurs années après la performance. Cf. Piste No 12, Music for the Gift – Album

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24 « La Monte …

______ Ce signe, que tu n’as pas vu en concert auparavant, signifie qu’il faut ramper dans le piano, se rouler et donner un coup de pied au couvercle ou sur les côtés de choses moins violentes, ou tout simplement rester allongé ou faire ce que tu veux, peu importe. Je pensais que ce serait bien pour toi, car tu es petit et tu peux facilement rentrer dans le piano … Pour une autre version, ce serait bien si tu pouvais simplement ramper et rester allongé là pendant la pièce. J’imagine que tu ferais ça très bien. À propos, il n’y a pas plus d’indications sur la partition. Si tu ne peux pas te souvenir de leur signification (cela n’a pas d’importance, mais si tu veux savoir), demande-moi et je les écrirai. Mais je suis en train de penser que les indications enlèvent de la magie.

… Terry40 ».

La partition n’a en réalité que peu d’importance. Elle est uniquement écrite pour le concert du 30 avril 1960 à l’Université Brighman Young de Provo dans l’Utah, où la pièce est présentée parmi d’autres compositions d’étudiants, dont le Poem for Chairs, Tables and Benches, etc. de La Monte Young. Terry Riley lui-même, qui dessine alors rapidement des signes sur papier pour que sa pièce puisse être programmée, admet plus tard que cette partition n’avait aucun sens.

Dans les mois qui suivent sa création, Concert for Two Pianists and Tape Recorders est souvent associé au Poem for Chairs, Tables, Benches, etc. de la Monte Young, probablement pour leurs recherches communes autour de la méthode aléatoire et des sons naturels tirés d’objets du quotidien. C’est au concert du midi du 11 mai 196041 que les deux pièces sont jouées à Berkeley pour la première fois. Le programme, intitulé « Musique du Séminaire de Composition », comprend également Trio for Flute, Horn and Piano de Douglas Leedy, True and False Unicorn (1960) de Paul Epstein, et Three Movements from Serenade for Violin and Viola de Loren Rush. On remarque ici que les pièces semblent être plus conventionnelles que celles présentées lors du concert du 2 décembre 1959. Et en effet, La Monte Young décide de programmer les compositions de ses camarades de classe, qui cherchent tous à se surpasser pour créer la musique la plus

40 Terry Riley, « Music », dans YOUNG, La Monte (éd.), An Anthology [1963], sec. éd, New-York, Jackson Mac Low, 1970,

non paginé. Traduction de l’auteure : « La Monte … This sign in concert you have not seen before, and it means to crawl into the

piano, and roll around, and kick the lid or the sides of less violent things, or just lie there or whatever you want, anyway. I thought it would be good for you because you are small and can probably easily get in the piano … One version would be nice if you just crawled in and layed there during the piece. I can imagine you would do that very well. Incidentally, there is no longer writing on the score. So if you can’t remember the things mean (it doesn’t make any difference, but if you just want to know), ask me and I will write up instructions. But I am getting to think instructions take some of the magic out of the place … Terry ».

41 D’après la chronologie établie par Thomas M. Welsh dans BERNSTEIN, David W., The San Francisco Tape Music Center :

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nouvelle42. Elles n’ont cependant rien à voir avec les pièces à l’esprit provocateur de La Monte Young et de Terry Riley. Pour cette présentation en particulier, La Monte Young adapte Poem pour un opéra de chambre. Poem : A Chamber Opera in One Act, auquel Terry Riley participe avec Loren Rush, Marvin Tartak et Walter de Maria, fait intervenir plusieurs actions sur scène et dans la salle, en plus des bruits assourdissants des meubles raclés sur le sol. La Monte Young se souvient :

« […] C’était assez déroutant. Il y avait quelqu’un qui faisait frire des œufs sur la scène, une fille qui dormait dans un sac de couchage dans une allée de la salle, une partie de jeu de billes dans un autre endroit, Phyllis Jones jouait Beethoven au piano, et la version pour bande magnétique de Two Sounds était diffusée sur les haut-parleurs. Les étudiants de ma classe et de celle de Garner Rust déambulaient au milieu de la salle parmi le public et lisaient des livres d’analyse de musique. De mon côté, je marchais au milieu du public en criant "vert" dans un seau43 ».

De la même manière que pour Concert for Two Pianists and Tape Recorders de Terry Riley, l’action théâtrale, provocatrice et humoristique devient partie intégrante de la nouvelle version de

Poem. Et lorsque le compositeur Cornelius Cardew assiste à l’une des premières représentations

de la pièce, probablement l’une de celles données par John Cage et David Tudor qui l’interprètent à plusieurs reprises à Cologne en 1960, il dit : « À vrai dire, il apparut rapidement que tout, puisque tout existe et arrive depuis que le monde est monde, était une unique et gigantesque exécution de

Poem44 ».

En dehors des « Noon Concerts », La Monte Young et Terry Riley poursuivent leurs recherches avec Walter de Maria, étudiant en art à Berkeley depuis 1957. Ensemble, ils travaillent sur des opérations aléatoires et des collages de sons électroniques et concrets. Ils réalisent deux improvisations, quelques jours avant le concert du midi du 11 mai. La première, intitulée

Collaboration Event To (Compositions and Improvisations), se déroule à Berkeley le 2 mai, et la

seconde à la California School of Fine Arts de San Francisco le 5 ou 6 mai suivant. Au mois de

42 Terry Riley, notes, Music for the Gift – Album CD, Organ of Corti, 1998. Cité dans HOLMES, Thom, Electronic and

Experimental Music : Technology, Music and Culture [1985], 4e éd. rev. et aug, New-York, Routledge, 2012, pp. 382 – 383.

43 La Monte Young, entretien avec William Duckworth, dans DUCKWORTH, William, Talking Music : Conversations with

John Cage, Philip Glass, Laurie Anderson, and Five Generations of American Experimental Composers, New-York, Schirmer

Books, 1995, p. 235. Traduction de l’auteure : « […] that was absolutely wild. I had somebody on stage frying eggs, and a girl in

the aisle was sleeping in a sleeping bag, and a game of marbles was going on somewhere, and Phyllis Jones was playing Beethoven at the piano, and my Two Sounds was being played electronically on speakers, and my entire music appreciation class and Garner Rust's entire music appreciation class were walking though the audience reading from their music appreciation textbooks, and I was walking through the audience shouting "Green" into a bucket ».

44 Cornelius Cardew, One Sound : La Monte Young, The Musical Times, vol. 107, n° 1485, novembre 1966, p. 959. Cité dans

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juillet de la même année, ils se produisent avec Dick Higgins à la Old Spaghetti Factory et à l’Excelsior Coffee Shop sur Green Street à San Francisco, dans un concert intitulé Simultaneous

Performance of Four Compositions By : La Monte Young, Terry Riley, Walter de Maria, Dick Higgins. Les lieux sont bien connus des artistes et poètes Beat, qu’ils fréquentent régulièrement

dès la fin des années 1950. À la Old Spaghetti Factory, ils viennent souvent danser le flamenco et assister à des concerts de musique de chambre45. Pour celui-ci, Terry Riley se souvient de la performance de Walter de Maria qui présente sa pièce Bats pour la toute première fois : « Walter a soulevé une table et une batte de baseball, et il a annoncé au public : "La première mondiale de

Bats". Il a alors commencé à frapper, rompant la table. Le bois volait dans toute la pièce, et les

gens couraient vers la sortie46 ».

Ainsi, la provocation, et parfois même la violence, que Terry Riley et ses amis La Monte Young et Walter de Maria expérimentent à cette époque reflète le bouleversement social et culturel du début des années 1960. En effet, en même temps que l’esprit de contestation qui commence à se faire entendre, notamment avec la formation de la Nouvelle Gauche (1960) qui souhaite construire une société idéale à partir de la société existante corrompue47, les artistes se libèrent des conventions académiques pour exprimer un renouveau. Dans cette idée, La Monte Young et Terry Riley, dont la réputation se fait rapidement connaître dans la baie de San Francisco, poursuivent et complètent leurs recherches expérimentales au Dancer’s Workshop d’Anna Halprin, où les artistes présents stimulent et encouragent leurs productions.

1.2. Le Dancer’s Workshop d’Anna Halprin, un lieu propice à la créativité

Cette collaboration avec Anna Halprin se déroule en même temps que leurs études, à Kentfield, à quelques kilomètres de Berkeley. Cette chorégraphe, âgée de quinze ans de plus qu’eux, quitte New-York pour s’installer sur la Côte Ouest en 1945 avec son mari, l’architecte paysagiste Lawrence Halprin. Deux rencontres semblent l’avoir amené à s’éloigner des préceptes de la danse moderne. La première a lieu à l’Université du Wisconsin à Madison en 1938, où elle étudie la

45 MORGAN, Bill, « Tour 3. North Beach » dans The Beat Generation in San Francisco : a literary tour, San Francisco, City

Light Books, 2003, pp. 52 – 53.

46 Terry Riley, entretien avec David W. Bernstein et Maggy Payne, dans BERNSTEIN, David W., The San Francisco Tape

Music Center : 1960s Counterculture and the Avant-Garde, Berkeley, University of California Press, 2008, p. 213. Traduction de

l’auteure : « Walter brought a table up and a baseball bat and he announced to the audience, "The world premiere of Bats" and he

started hitting, breaking the table up. Wood was flying all over the audience, and people were running for the exits ».

47 ROBERT, Frédéric, « Première partie. Chapitre 5. 1960 – 1965 : une Nouvelle Gauche américaine contestataire et

réformatrice » dans Révoltes et utopies. La contre-culture américaine dans les années 1960, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011, pp. 101 – 112.

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kinésiologie et l’anatomie avec Margaret H’Doubler, l’une des premières professeures de danse du département d’éducation physique. « Sous son impulsion, elle se défie du "beau mouvement" et s’intéresse essentiellement au mouvement généré par la sensation interne du danseur, quelle qu’elle soit, et commence très vite à mener des recherches en ce sens à partir d’incessantes improvisations48 ». La seconde a lieu au début des années 1940 à Harvard, lorsqu’elle rejoint son mari qui étudie l’architecture. Elle y découvre les idées du Bauhaus et rencontre Walter Gropius, émigré aux États-Unis depuis 1937.

« Pour moi, le Bauhaus a représenté beaucoup de choses. Lorsque j’ai rencontré les artistes du Bauhaus, j’ai été soudainement introduite dans un art fonctionnel, un art que les gens pouvaient utiliser. Cela m’a également conforté dans mon désir de collaboration […]. J’avais été intéressée par le livre The New Vision dans lequel était exprimée l’idée selon laquelle il fallait abolir la pensée du génie créateur solitaire pour lui substituer la notion de création collective […]49 ».

Anna Halprin fonde ainsi la Dance Cooperative en 1949, qui prend le nom de San Francisco Dancer’s Workshop en 1955. À cette date, le groupe quitte le studio de danse qu’elle louait à San Francisco pour s’installer en plein air, sur un plateau de danse que Lawrence Halprin construit avec le scénographe Arch Lauterer, en contrebas de leur maison [fig. 6]. Dès 1956, John Graham, A.A. Leath, Simone Forti et son mari Robert Morris viennent la rejoindre. Arrivent ensuite Trisha Brown, Meredith Monk, Josephine Landor, Soto Hoffman, puis Yvonne Rainer en 1959. Avec eux, Anna Halprin se détache des « codes choréotypiques50 » et introduit la notion de « tâches » à partir de 1957, faisant ainsi entrer les gestes du quotidien dans le champ de la danse. « Grâce à cette nouvelle approche, elle s’arroge le droit de s’intéresser à des activités ordinaires, tels que se laver, s’alimenter, se vêtir, se dévêtir …51 ». Elle s’écarte également des modes de représentation traditionnels en quittant la scène pour se produire dans les rues, les chantiers et les parkings. Ses performances, qu’elle qualifie alors d’instant theater et d’event52, forment ainsi un pendant aux happenings développés sur la Côte Est par John Cage et Allan Kaprow.

48 Jacqueline Caux, Danse / Anna Haprin : Exploratrice de la danse, Mouvement, n° 30, septembre – octobre 2004, p. 68. 49 Anna Halprin, entretien inédit avec Jacqueline Caux, ibid., p. 72.

50 Laurent Goumarre, Anna Halprin, à l’origine de la performance, Art Press, n° 321, mars 2006, p. 12. 51 Jacqueline Caux, op. cit., p. 68.

52 Anna Halprin, « Chapitre 3. Rencontre avec John Cage, Merce Cunningham, Robert Rauschenberg, avec La Monte Young

et Terry Riley, avec le mouvement Fluxus », entretien avec Jacqueline Caux, dans CAUX, Jacqueline (commissaire), [Exposition. Lyon, Musée d’art contemporain. 8 mars – 14 mai 2006], Anna Halprin à l’origine de la performance, Catalogue d’exposition, Lyon, Musée d’art contemporain, 2006, p. 51.

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La rencontre entre La Monte Young, Terry Riley et Anna Halprin semble se dérouler au début de l’année 1960, quelques mois après le retour de La Monte Young du séminaire d’été de Stockhausen à Darmstadt. Là-bas, David Tudor le met en contact avec John Cage, à qui il envoie une partition de son Trio for Strings. Cage lui répond de New-York au début du mois de janvier et écrit dans la marge : « J’espère que vous pourrez rentrer en contact avec la danseuse Ann Halprin53, dont les coordonnées sont inclus dans la lettre54 ». Et dans sa réponse du 7 février 1960, La Monte Young écrit : « Je suis rentré en contact avec Ann Halprin, comme vous me l’aviez suggéré, et je pense la rencontrer prochainement. On me dit qu’elle réalise de très belles danses55 ». C’est donc probablement au mois de février que La Monte Young, accompagné de Terry Riley, rencontre Anna Halprin lors d’une de ses répétitions56. Il lui présente plusieurs pièces récentes, dont le Trio

for Strings que Dennis Johnson a enregistré lors d’un concert intitulé « Avalanche No. 1 » à

l’Université de Californie à Los Angeles. « Je ne me souviens pas exactement des détails », explique La Monte Young, « mais elle était très intéressée par mon travail et mes idées, et m’a demandé d’être Directeur Musical57 ». Dès lors, une véritable complicité se met en place entre les trois artistes. La Monte Young et Terry Riley se rendent à Kentfield deux à trois fois par semaine, où ils expérimentent des nouveaux sons et de nouvelles manières de les produire. « Ce qui m’intéressait beaucoup avec Terry Riley et La Monte Young, c’était qu’étrangement, nous en étions au même stade de recherche. Ils refusaient de créer une musique qui ressemble à quelque chose de déjà entendu58 », se souvient Anna Halprin. Le cadre naturel et l’esprit avant-gardiste des danseurs leur donnent ainsi la possibilité de s’exprimer en toute liberté, et d’approfondir leurs recherches menées à Berkeley. À la lisière de la musique et du théâtre, ils s’amusent à gratter les fenêtres du studio de danse, à frapper les portes, à les faire grincer, et ce pendant plusieurs heures. En avril 1960, peu de temps après leur arrivée, ils réalisent ainsi la pièce Two Sounds [éc. 6], sorte d’épilogue du Poem for Chairs, Tables, Benches, etc. écrit quelques mois auparavant. Le premier

53 John Cage connaît la danseuse depuis le Festival de Danse de New-York de 1944, où elle présente sa pièce The Lonely One

dans la section réservée aux jeunes créateurs. Impressionné par son travail singulier, il l’invite chez lui et lui présente de nombreux artistes d’avant-garde. Par la suite, lui et Merce Cunningham lui rendent régulièrement visite lorsqu’ils sont en tournée en Californie.

54 John Cage dans une lettre à La Monte Young de janvier 1960. Cité dans ROSS, Janice, Atomizing Cause and Effect : Ann

Halprin’s 1960s Summer Dance Workshops, Art Journal, vol. 28, n° 2, été 2009, p. 70. Traduction de l’auteure : « Hope you can

get in touch with dancer Ann Halprin, including her contact information in the letter ».

55 La Monte Young dans la lettre à John Cage du 7 février 1960. Cité dans ROSS, Janice, ibid., p. 70. La lettre a été retrouvée

par Jeremy Grimshaw, étudiant à la Eastman School of Music à Rochester. Traduction de l’auteure : « I did get in touch with Ann

Halprin, at your suggestion, and plan to meet her soon. I am told she does beautiful dances ».

56 Dans l’entretien avec Jacqueline Caux publié dans le catalogue de l’exposition Anna Halprin à l’origine de la performance,

La Monte Young explique pourtant que c’est chez elle qu’il a composé Poem for Chairs, Tables and Benches, etc. en janvier 1960 (Cf. CAUX, Jacqueline (commissaire), op. cit., p. 130). Mais son échange épistolaire avec John Cage semble prouver le contraire.

57 La Monte Young cité dans ROSS, Janice, op. cit., p. 70. Traduction de l’auteure : « I don’t exactly recall the details, but she

became interested in my work and my ideas and invited me to become the Musical Director ».

58 Anna Halprin, dans CAUX, Jacqueline (réal.), Anna Halprin : Out of Boundaries, Paris, Centre Georges-Pompidou, 2004

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