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Lire Grégoire de Nazianze à l'époque byzantine : édition critique, traduction et analyse des Commentaires de Basile le Minime aux Discours 4 et 5 de Grégoire de Nazianze

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Texte intégral

(1)

Lire Grégoire de Nazianze à l’époque byzantine

Édition critique, traduction et analyse des Commentaires de

Basile le Minime aux Discours 4 et 5 de Grégoire de

Nazianze

Thèse en cotutelle

Études anciennes

Gaëlle Rioual

Université Laval

Québec, Canada

Philosophiæ Doctor (Ph. D.)

et

Université de Fribourg

Fribourg, Suisse

Philosophiæ Doctor (Dr. phil.)

(2)

Lire Grégoire de Nazianze à l’époque byzantine

Édition critique, traduction et analyse des Commentaires de

Basile le Minime aux Discours 4 et 5 de Grégoire de

Nazianze

Thèse en cotutelle

Études anciennes

Gaëlle Rioual

Sous la direction de :

Paul-Hubert Poirier, directeur de recherche

Thomas Schmidt, directeur de cotutelle

(3)

III

Résumé

Basile le Minime, évêque de Césarée en Cappadoce au milieu du Xe siècle, est principalement

connu pour avoir écrit un Commentaire à tous les Discours de Grégoire de Nazianze. En effet, bien qu’il ait eu un rôle à jouer à la cour de l’empereur Constantin VII Porphyrogénète, entre autres lors de la prise du pouvoir par ce dernier et lors de la nomination du patriarche Polyeucte, deux événements qui ont marqué sa carrière ecclésiastique, c’est d’abord grâce à son œuvre exégétique qu’il passa à la postérité. Ses Commentaires connurent dès leur publication un certain succès, comme le prouve le nombre de manuscrits qui transmettent son œuvre, plus de quatre-vingt. Cette bonne fortune n’est peut-être pas étrangère au soutien de l’empereur Constantin, à qui les Commentaires étaient dédiés, mais elle s’inscrit également au sein d’un mouvement de mise en valeur de la figure de Grégoire de Nazianze, qui prit de l’ampleur tout au long de l’époque byzantine. Par la suite, son œuvre fut légèrement éclipsée par les contributions des commentateurs postérieurs, qui réutilisèrent toutefois une partie de ses exégèses, avant de tomber finalement en oubli partiel à la fin de l’Empire byzantin. En 1827, Jean-François Boissonade trouva dans la bibliothèque du Roi les Commentaires de Basile le Minime et en publia trois avec la Lettre dédicatoire par laquelle Basile annonçait son œuvre et l’offrait à Constantin VII. Il fut suivi de peu par Louis de Sinner qui publia un autre des Commentaires. Réédités peu de temps après dans la Patrologie grecque, ces quatre Commentaires furent toutefois les seuls et derniers à être publiés en entier et l’œuvre de Basile retint très peu l’attention des chercheurs, jusqu’aux travaux récents de Thomas Schmidt, qui reprit l’édition critique de la Lettre dédicatoire et fit l’édition princeps du Commentaire au Discours 38.

Dans la lignée des travaux de ce chercheur, la présente thèse propose une nouvelle édition critique et une première traduction française des Commentaires aux Discours 4 et 5, qui avaient été autrefois publiés par Boissonade, mais seulement sur la base de deux manuscrits. Ces Discours, écrits par Grégoire de Nazianze au lendemain de la mort de l’empereur Julien pour fustiger l’Apostat, célébrer sa mort et montrer aux chrétiens les leçons à retenir de cette épreuve, connurent une certaine postérité à l’époque byzantine. En effet, dans les siècles suivants, les Invectives de Grégoire furent reprises par les auteurs ecclésiastiques et amplifiées, jusqu’à donner naissance à la légende noire de Julien, magicien et tyran par excellence. Ce n’est toutefois pas cet aspect du texte qui retint l’attention de Basile. Au contraire, Basile aborda ces Discours avec le sérieux d’un philologue qui cherche à rendre ces œuvres accessibles, comme il l’écrit lui-même dans l’épilogue qui suit le Commentaire au Discours 5, « pour ceux qui voient petit et qui ont besoin de lait au lieu d’une alimentation solide en discours » (Comm. 5, 66). À cette fin, il emploie une méthode pédagogique comparable à celle d’un grammairien chargé de faire découvrir à ses élèves une œuvre classique : il alterne ainsi les analyses textuelles, principalement axées sur des notions de grammaire et une paraphrase simplificatrice des passages compliqués, avec les exposés contextuels, qui expliquent les événements mis en scène dans l’œuvre ou les références culturelles et littéraires déployées par l’auteur. À cet ensemble s’ajoutent d’autres éléments d’informations sporadiques, en lien, le plus souvent, avec des matières scolaires, comme la rhétorique, la musique, l’astronomie ou la philosophie. En somme, les Commentaires de Basile ne sont pas seulement intéressants pour l’interprétation ou l’histoire exégétique du texte de Grégoire, mais également en tant que témoins de la culture scolaire du milieu de la période byzantine.

(4)

IV

Abstract

Basilius Minimus, bishop of Caesarea of Cappadocia in the middle of 10th century, is mainly

known to have written a Commentary on every Oration of Gregory of Nazianzus. Although he had played in the court of the Emperor Constantine VII Porphyrogenetus, most notably when the latter recovered his throne and when Polyeuctus became the patriarch of Constantinople – two events very important in his ecclesiastical career –, he is mostly known for his exegetical work. His Commentaries soon experienced some success, as evidenced by the number of manuscripts, more than 80, that transmit his work. This success may have been a result of the support of the Emperor Constantine to which the Commentaries were dedicated, but it also corresponded to a larger movement valorizing the figure of Gregory of Nazianzus, a movement which gained momentum throughout the Byzantine period. His work has been somewhat overshadowed by the contributions of later commentators, which also borrowed from his exegesis, before falling partly into oblivion at the end of the Byzantine Empire. In 1827, Jean-François Boissonade found three of Basilius’ Commentaries in the Bibliothèque du Roi and published them, along with the dedicatory letter with which Basilius announced his work and offered it to Constantine VII. He was closely followed by Louis de Sinner who published another Commentary. Reedited shortly after in Patrologia graeca, these Commentaries however were the only and last Commentaries to be published in full. The exegesis of Basilius Minimus received very little attention from the researchers, until the recent works of Thomas Schmidt, who realized a new critical edition of the dedicatory letter and the editio princeps of the Commentary on the Oration 38.

Following the lead of this researcher, this thesis proposes a new critical edition and a French translation of the Commentaries on the Orations 4 and 5, which were formerly published by Boissonade, but only on the basis of two manuscripts. Written by Gregory of Nazianzus in the aftermath of the Emperor Julian’s death in order to castigate the Apostate, to celebrate his death and to show which lessons the Christians should learn from this event, these Orations experienced a certain posterity in the Byzantine era. In the following centuries, Gregory’s Invectives were effectively taken over by ecclesiastical authors and amplified to give birth to the black legend of Julian as a magician and a tyrant par excellence. This is, however, not the aspect of the text that caught the attention of Basilius. On the contrary, Basilius went into these Orations with the seriousness of a philologist who tries to make these works easy to understand, as he himself wrote in the epilogue following the Commentary on the Oration 5, “to those who see small and who need milk instead of a solid diet of discourses” (Comm. 5, 66). For this purpose, he uses a pedagogical method similar to that of a grammarian who introduces his students to a classical text: he alternates textual analysis, mainly focused on grammatical concepts and simplified paraphrases of complicated passages, with contextual explanations, which expound the events mentioned in the work or on the cultural and literary references used by the author. To this corpus, he adds some other sporadic information, usually related to academic subjects such as rhetoric, music, astronomy or philosophy. In sum, the Basilius’ Commentaries are not only useful for the interpretation or exegetical history of Gregory’s text, but also as witnesses of scholarly culture in the middle of the Byzantine period.

(5)

V

Table des matières

Résumé ... III Abstract ... IV Table des matières ...V Liste des tableaux ... VIII Liste des figures ... VIII Remerciements ...X Première partie : Présentation et analyse des Commentaires de Basile le Minime aux Discours

4 et 5 de Grégoire de Nazianze ... 1

Introduction ... 3

Chapitre I. Basile le Minime et son œuvre ... 9

La vie de Basile le Minime ... 9

Un lettré de Cappadoce ... 10

Un évêque au service de l’empereur ... 13

L’œuvre de Basile le Minime ... 19

Les Commentaires aux Discours de Grégoire de Nazianze ... 19

Les scholies de Basile le moine à Zosime ... 26

La lettre du protothrone à Constantin Porphyrogénète ... 27

La lettre de Basile le protothrone à Syméon ... 29

Chapitre II. Grégoire de Nazianze au Xe siècle ... 35

Offrir Grégoire de Nazianze... 35

Un cadeau personnalisé ... 36

Un acte politique ... 37

Glorifier Grégoire de Nazianze ... 40

Un modèle de pensée ... 40

Un modèle rhétorique ... 45

Commenter Grégoire de Nazianze ... 55

Avant Basile le Minime ... 55

Après Basile le Minime ... 58

Chapitre III. Les Commentaires aux Discours 4 et 5 ... 63

Les Invectives contre Julien ... 63

Le contenu des Discours ... 63

Un pamphlet passionné ... 65

Un plaidoyer pour le droit de parole des chrétiens ... 71

Un témoignage sur Julien ... 76

Une œuvre rhétorique ... 79

Les Commentaires de Basile ... 81

Les objectifs didactiques de Basile ... 81

(6)

VI

L’analyse des scholies ... 93

La voix de Basile ... 99

Chapitre IV. Basile et les anciens scholiastes de Grégoire ... 103

Les Histoires mythologiques du pseudo-Nonnos ... 104

Les références directes ... 104

Les silences évocateurs ... 105

Les corrections et ajouts ... 106

Les erreurs communes... 108

Les scholia vetera ... 109

L’état des éditions ... 109

Un contact restreint ... 111

Quelques similitudes ... 113

De profondes divergences ... 117

D’autres sources ... 119

Chapitre V. Les exégèses de Basile : sources et méthodes ... 125

Basile grammairien ... 129

La paraphrase ... 129

Les points de grammaire ... 136

Basile rhéteur ... 138

Dans le prologue ... 138

Dans les Commentaires ... 143

Basile historien ... 145

Les paraphrases historiques ... 146

Les gloses historiques ... 148

Basile littéraire ... 156

Un peu de théorie ... 157

Les écrits bibliques ... 159

Les auteurs patristiques ... 161

Les auteurs classiques ... 165

Basile scientifique ... 175

Aristote ... 175

Les scholies scientifiques ... 178

Basile lecteur de Grégoire ... 186

Les scholies ecdotiques ou philologiques ... 186

Les réflexions philosophiques ou théologiques ... 188

Les remarques appréciatives ... 190

Basile pédagogue ... 192

Conclusion... 193

Le projet de Basile ... 193

L’éducation dans l’Empire byzantin ... 193

Basile et le cycle du savoir ... 195

(7)

VII

La postérité de Basile ... 202

Un morceau choisi... 203

Les commentateurs postérieurs ... 206

Basile aujourd’hui ... 209

Deuxième partie : Édition critique et traduction des Commentaires de Basile le Minime aux Discours 4 et 5 de Grégoire de Nazianze ... 211

Notice ... 213

Les éditions antérieures ... 213

L’édition de Boissonade ... 213

La réédition de Migne ... 214

La sélection de Cantarella ... 215

La tradition manuscrite ... 216

La liste des manuscrits ... 218

Les manuscrits avec un extrait ... 221

Le manuscrit avec un commentaire mixte ... 223

Les manuscrits avec le texte complet ... 223

Le classement des manuscrits ... 224

Les principes appliqués à l’édition et la traduction ... 230

L’édition critique ... 230

La traduction ... 234

Conspectus siglorum ... 238

Édition critique et traduction du Commentaire au Discours 4 ... 239

Édition critique et traduction du Commentaire au Discours 5 ... 285

Bibliographie ... 321

Abréviations courantes ... 321

Sources principales ... 321

Littérature secondaire ... 329

Annexe I : Les scholies marginales du Paris Coisl. 236... 351

Annexe II : La descendance du Venise Marc. gr. Z 69 ... 355

Annexe III : Basile et les commentateurs anciens ... 359

Indices ... 385

Index nominum antiquorum et mediaevalium ... 385

Index locorum geographicorum ... 389

Index auctorum recentiorum ... 390

Index rerum ... 391

Index locorum Sacrae Scriptura ... 392

(8)

VIII

Liste des tableaux

Tableau 1. Acolouthie des manuscrits d’avant le XIIIe siècle contenant le texte de Basile stricto

sensu sous forme de commentaires suivis. ... 22

Tableau 2. Citations de Grégoire dans les scholies mineures au traité Sur l’invention du pseudo-Hermogène d’après l’édition de Walz ... 49

Tableau 3. Citations de Grégoire dans les scholies mineures au traité Sur la méthode de l’habileté du pseudo-Hermogène d’après l’édition de Walz ... 50

Tableau 4. Citations de Grégoire dans les scholies mineures au traité Sur les catégories stylistiques d’Hermogène d’après l’édition de Walz ... 51

Tableau 5. Dates de production des manuscrits de Basile selon l’inventaire de Schmidt ... 60

Tableau 6. Les citations des Discours 4 et 5 dans les Rhetores graeci de Walz selon l’ordre chronologique des commentateurs. ... 80

Tableau 7. Commentaires de Basile sans écho connu dans les scholia vetera. ... 111

Tableau 8. Typologie de l’emprunt selon Bouillaguet ... 157

Tableau 9. Contenu de l’extrait du Commentaire au Discours 4 selon les catalogues de manuscrits et d’après la pagination du tome 36 de la Patrologie grecque. ... 205

Tableau 10. Emprunts d’Élie de Crète aux Commentaires aux Discours 4 et 5 de Basile, d’après les notes de bas de page de la Patrologie grecque. ... 207

Tableau 11. L’abréviation ση dans les manuscrits de Basile. ... 232

Tableau 12. Les scholies marginales du Paris Coisl. 236. ... 343-353 Tableau 13. Liste des scholies de Basile le Minime et de ses prédecesseurs aux Discours 4 et 5 selon l'ordre des chapitres. ... 360-374

Liste des figures

Figure 1. Extrait du Paris Coisl. 236, f. 182r ... 90

Figure 2. Extrait du Paris gr. 573, f. 279r. ... 90

Figure 3. Extrait du Florence Laur. S. Marco gr. 688, f. 168r. ... 90

Figure 4. Extrait du Vienne theol. gr. 120, f. 96r ... 90

Figure 5. Extrait de l’Athos Pantel. gr. 7, f. 245v ... 91

Figure 6a-b. Extraits du Vienne theol. gr. 130, f. 122r-v ... 91

Figure 7. Types de commentaires ... 95

(9)

IX

[Basile] a écrit sur les discours de

S. Grégoire de Nazianze des commentaires

volumineux, qui sont jusqu’à présent restés

inédits ; et, comme le zèle pour la littérature

ecclésiastique est de nos jours extrêmement

refroidi, il est assez probable qu’ils ne seront

pas imprimées de long-temps. On néglige les

Pères ; à plus forte raison leurs scholiastes.

Toutefois ce seroit une noble et digne

entreprise que celle d’une édition des œuvres

de S. Grégoire de Nazianze, à laquelle

seroient joints tous les anciens commentaires

que l’abbé de Billy n’a donné qu’en latin,

ceux qui ont été publiés par Montaigu, et plus

récemment par M. Matthæi, ainsi que

plusieurs autres qui sont encore ensevelis

dans les bibliothèques. Ceux de Basile

occuperoient dans le nombre une place

distinguée.

Jean-FrançoisBOISSONADE, « Notices », p. 55

(10)

X

Remerciements

Au moment de clore ce projet, mes premières pensées vont au professeur Thomas Schmidt, mon directeur de thèse. Sans lui, je n’aurais jamais fait la connaissance de Basile le Minime, ni n’aurais exploré un univers de mondes qui m’étaient jusqu’alors inconnus : la littérature patristique, l’empire byzantin, la littérature exégétique, les techniques d’édition de textes anciens, pour ne nommer que ceux-là. Bien avant que naisse ce projet de thèse, il m’avait offert de m’intégrer à ses recherches sur Basile le Minime ; sa patience n’avait alors que d’égal mon inexpérience. Malgré son départ pour Fribourg au milieu de mon parcours, nos échanges sont restés enrichissants et stimulants, et je lui suis notamment reconnaissante d’avoir bien voulu relire tous mes brouillons imparfaits et de m’avoir encouragée à plus de rigueur.

Je ne peux pas non plus passer sous silence la contribution du professeur Paul-Hubert Poirier, mon second directeur de thèse, qui a généreusement accepté de reprendre le flambeau de la direction de mes recherches doctorales. Son immense savoir, sa grande générosité intellectuelle et ses suggestions de lecture ont été pour moi d’un grand secours dans les périodes d’hésitation. Il était rassurant de savoir que sa porte était toujours ouverte aux discussions. Du même souffle, je voudrais souligner le support financier dont j’ai pu bénéficier au cours des dernières années de la part du Groupe de recherche sur le christianisme et l’Antiquité tardive (GRECAT).

Il me faut également exprimer toute ma reconnaissance aux membres du jury, en particulier madame Anne-France Morand, qui a pris le temps de réviser attentivement la difficile Lettre à Syméon de Basile et qui a consenti, lors d’un voyage à Rome, à faire un détour pour consulter le manuscrit original. De même, je tiens à remercier monsieur Dominique Côté et madame Brigitte Mondrain d’avoir accepté d’apporter leurs lumières à ma recherche.

J’ai une pensée spéciale pour deux personnes qui ont brièvement croisé ma route académique et dont l’aide me fut précieuse : monsieur Laurent Pernot, qui m’a donné des conseils avisés sur la théorie rhétorique du prologue de Basile, et monsieur Guillaume Bady, qui a eu la gracieuseté de partager avec moi un article encore inédit sur la figure de Grégoire de Nazianze dans la rhétorique byzantine.

Finalement, je serais bien ingrate si je ne glissais pas un mot sur mes plus fidèles partisans : ma famille et, surtout, mon conjoint, Stéphane ; je dois souligner leur présence réconfortante et leur support inconditionnel, sans lesquels, il faut l’avouer, ce beau rêve serait resté inaccessible. Une partie de cet ouvrage leur revient de plein droit.

Cette recherche a été rendue possible grâce au soutien financier d’une bourse du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada.

(11)

Première partie :

Présentation et analyse des Commentaires de Basile le

Minime aux Discours 4 et 5 de Grégoire de Nazianze

(12)
(13)

3

Introduction

Lorsqu’en 1910, dans son article-phare sur les Discours 4 et 5 de Grégoire de Nazianze, Rudolf Asmus proposa de considérer l’Épitaphe de Julien par Libanios comme une des sources d’inspiration des Invectives de Grégoire, il prenait appui, entre autres, sur les Commentaires de Basile le Minime au Discours 41. Cette thèse a été réfutée depuis longtemps, mais le fait demeure que les

érudits du XIXe siècle et du début du XXe siècle lisaient régulièrement les auteurs classiques en

compagnie de leurs commentateurs anciens ou médiévaux et que cet usage a eu une incidence sur leur interprétation des textes, dont certaines lectures font encore aujourd’hui autorité.

Par exemple, dans son Discours 4, Grégoire fait une remarque à propos des personnes qu’il aurait voulu voir se joindre à lui pour célébrer la mort de Julien :

Ah ! si je pouvais voir aussi participer à notre chœur ce groupe qui jusqu’à présent se joignait à nous pour adresser à Dieu un cantique qui ne manquait pas d’authenticité et qui n’était pas de mauvais aloi, ce groupe qui était même jugé digne de se tenir à notre droite et qui, j’en suis sûr, retrouvera bientôt sa place.2

Le style allusif de Grégoire ne permet pas de connaître exactement les personnes visées par cette doléance, mais l’édition mauriste du texte au XVIIIe siècle trancha la question en faveur des

moines de Nazianze, alors en désaccord avec leur évêque, le père de Grégoire, au sujet d’une profession de foi douteuse, plutôt qu’en faveur d’une adresse aux ariens en général3. Bien qu’aucune

référence ne soit donnée, il est très probable que la source de cette interprétation ait été Basile le Minime, le premier scholiaste connu de Grégoire à proposer cette explication4. Cette exégèse a dès

lors généralement prévalu auprès des commentateurs modernes, même si elle fut à l’occasion remise en question, comme, par exemple, lorsque Mario Regali, après un examen de l’histoire exégétique du texte de Grégoire, réaffirma l’idée d’une adresse générale aux ariens, afin d’appuyer son hypothèse d’une datation plus tardive du discours de Grégoire, sous Valens5.

1 « Mit der aufgezeigten Abhängigkeit Gregors von Libanius ist gleichzeitig für die „Säulenreden“ als terminus post quem

das Jahr 365 und nicht minder auch die Veranlassung zu ihrer Abfassung gegeben ». ASMUS, « Die Invektiven », p. 359 ; d’après BASILE LE MINIME, Comm. 4, 67 et 68 (au D. 4, 74 et 75).

2 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 4, 10, éd. et trad. Bernardi : « Εἴθε μοι τοῦ χοροῦ μέρος ἦν κἀκεῖνο τὸ σύστημα ὅ, σὺν ἡμῖν

τέως τῷ Θεῷ προσᾷδον οὐ κίβδηλον ᾠδὴν οὐδὲ ἀδόκιμον, ἀλλὰ καὶ τῆς δεξιᾶς ποτε στάσεως ἀξιούμενον – πιστεύω δὲ ὅτι καὶ μετ’ ὀλίγον ἀξιωθησόμενον […] ».

3 PG 35, col. 540, n. 9 : « Monachi Nazianzeni tum a Patre Gregorio divisi ; non vero Ariani, qui nulli erant Nazianzeni, uti

gloriatur Theologus, his sunt intellegendi ».

4 Alois Kurmann (Kommentar, p. 63) arrive à la même conclusion : Migne et d’autres après lui « nehmen aufgrund des

Scholions des Basilius Minimus (PG 36, 1084B) an, es handle sich um jene Gruppe von Mönchen aus Nazianz, die sich wegen christologischer Fragen vom Vater Gregors, ihrem Bischof, getrennt haben ».

(14)

4

Un autre exemple notable de la survie des exégèses de Basile est l’identification des « nobles maîtres »6 de Julien comme étant les sophistes Porphyre et Libanios7. Cette interprétation, qui ne

figure pas dans les scholies plus anciennes, a été ensuite reprise par Élie de Crète8, puis dans l’édition

mauriste des Discours de Grégoire9 et, depuis, ne semble jamais avoir été réfutée10. L’exégèse de

Basile à propos de la « coupe du rafraîchissement »11, définie comme une coupe de vin pur et froid,

bue en fin de repas, semble aussi avoir eu une certaine postérité12. En définitive, ces échos modernes

du travail de Basile trahissent l’importance des commentaires anciens et byzantins, qui ont imprégné l’histoire exégétique des textes classiques, en tant qu’échelon intermédiaire entre la production ancienne et les interprétations modernes.

À cet égard, les Commentaires de Basile le Minime, considéré par les érudits des siècles passés comme un exégète digne de mention, voire même le plus important des scholiastes du Théologien13, méritent attention, à condition toutefois de les lire pour ce qu’ils sont : un produit

exégétique du Xe siècle, destiné à un public contemporain. En effet, trop souvent les exégètes anciens

ont été jugés à l’aune de la critique moderne et, de ce fait, la valeur de leur travail méconnue. Ils ont été lus dans l’espoir d’y trouver un point de vue original sur l’œuvre commentée ou des passages remarquables sur la littérature ou l’histoire14 ; ils ont été consultés pour y glaner des informations

ponctuelles concernant la forme du texte, le contexte historique de l’œuvre et, de façon plus générale, la rhétorique, la grammaire, l’histoire ou la mythologie. Il est vrai que les commentateurs anciens se trouvent chronologiquement plus proches du texte concerné et qu’ils avaient accès à des ressources

6 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 4, 43, éd. et trad. Bernardi : « […] οἱ γενναῖοι διδάσκαλοι […] ». 7 BASILE LE MINIME, Comm. 4, 39 (au D. 4, 43).

8 Les exégèses d’Élie de Crète ont été traduites en latin par Jacques de Billy et insérées en annexe de son édition des

Discours 4 et 5 (DE BILLY, Sancti Gregorii II, p. 143). Sur cet exégète de Grégoire, voir infra p. 58-61. La récupération de certaines scholies de Basile le Minime par les commentateurs plus tardifs, Élie de Crète et Nicétas d’Héraclée, est un facteur important de leur pérennité dans la critique moderne, non que l’avis de ces érudits ait plus de valeur, mais simplement parce que leur œuvre fut connue plus tôt des savants modernes grâce, entre autres, à la traduction due à de Billy, laquelle fut, à son tour, citée à plusieurs reprises dans l’édition mauriste des Discours de Grégoire.

9 PG 35, col. 568, n. 56.

10 Elle était encore dernièrement confirmée par Bernard Coulie (« Amplification par citation », p. 44). Voir aussi KURMANN,

Kommentar, p. 145-146.

11 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 4, 84, éd. et trad. Bernardi : « […] τῇ ψυχροφόρῳ κύλικι […] ».

12 BASILE LE MINIME, Comm. 4, 79 (au D. 4, 84). En fait, le terme ψυχροποσία utilisé par Grégoire semble plutôt désigner

l’absorption d’eau froide (voir PLUTARQUE, Propos de table, 6, 4 et 7, 690b et 692d ; ATHÉNÉE, Deipnosopohistes, 11, 468d ; Photios, Bibliothèque, cod. 221, 179b), mais l’interprétation de Basile est peut-être à l’origine de la confusion des exégètes modernes sur ce passage. Voir KURMANN, Kommentar, p. 282-283.

13 Par exemple, Gottlieb Christoph Harles (dans FABRICIUS - HARLES, Bibliotheca VIII, p. 431) jugeait ses commentaires

« praeclaras luceque dignissimas ». Plus modestement, Ignaz Hardt (Catalogus I, p. 415) les disait « luce digni ». Charles Benoît Hase (Leonis Diaconis, p. 458b) le qualifiait de « scholiasta ms. S. Gregorii Nazianzeni luce dignissimus ». Jean-François Boissonade (« Notices », p. 55) considérait que, parmi une édition des anciens commentaires de Grégoire, « ceux de Basile occuperoient une place distinguée ». Jan Sajdak (Historia critica, p. 37) affirmait que « praestantissimis Gregorii Nazianzeni scholiastis adnumerandus est rectissime Basilius ». Finalement, selon Hans-Georg Beck (Kirche, p. 596-597), il était « der wichtigste Scholiast des Nazianzeners ».

(15)

5

littéraires et exégétiques qui ont depuis disparu ou qui nous sont moins familières. Cependant, à ne les considérer que pour cet aspect, la majeure partie de leur œuvre s’en trouve négligée, car elle est essentiellement constituée de paraphrases ou d’explications lexicales. Comme le faisait valoir Michel Fartzoff à propos des scholies de Pindare – dans une réflexion qui pourrait facilement s’appliquer à l’ensemble de la littérature exégétique –, l’étude des scholies pour leur valeur intrinsèque n’est pourtant pas dépourvue d’intérêt :

Ces textes constituent en effet une abondante source documentaire pour l'histoire, la mythologie, la critique littéraire, la linguistique, mais aussi pour la connaissance de Pindare, et la compréhension de son œuvre, et ils ont souvent servi de base aux commentaires savants, notamment depuis celui de Boeckh. Mais leur intérêt ne tient pas seulement à la source biographique, historique ou mythographique qu'ils constituent : ils sont intéressants par les diverses techniques de l'interprétation ou du commentaire mises en œuvre, par les termes critiques qu'ils emploient, et par les multiples modalités de la reformulation dans le dialogue entre le texte de Pindare et les éléments de la paraphrase. Ils soulèvent également des questions d'interprétation de la poésie pindarique, de sa poétique propre et de ses conditions d'exécution, étonnamment proches parfois des interrogations des critiques modernes, et qui sont bien souvent à l'origine de leur propre réflexion.15

De ce point de vue, les Commentaires de Basile le Minime renseignent sur l’histoire exégétique du texte de Grégoire de Nazianze : sur les passages jugés problématiques, sur ceux considérés exceptionnels, sur les termes ou les tournures devenus obsolètes, sur les procédés de paraphrase et d’explication de texte ou, encore, sur les compléments d’informations sentis comme essentiels à la compréhension du propos du Nazianzène. Basile dénote et connote le texte de Grégoire, pour reprendre les mots de Pascale Hummel : il « dénote le texte-source en attestant son existence et la réalité de sa lecture ; [il] connote le texte-source en l’assortissant d’une interprétation requise par les besoins supposés de la compréhension »16. Le principal intérêt des Commentaires ne repose donc

pas sur l’originalité de leur interprétation, mais plutôt sur la variété des techniques interprétatives utilisées par Basile.

En outre, les Commentaires sont un document privilégié en ce qui concerne la réception des écrits du Théologien à l’époque byzantine. En effet, comme le soulignait Paul Lemerle, lorsque les scholies sont « étudiées du point de vue de Byzance et non point, comme on l’a trop fait, du seul point de vue des spécialistes de l’Antiquité, elles aident à mieux comprendre, à travers une personne, une mentalité sur laquelle nous avons peu de témoignages directs »17. À l’instar des éditeurs modernes de

15 FARTZOFF, « Avant-propos », p. 9-10.

16 HUMMEL, « Dénotation et connotation », p. 118.

17 La réflexion de Lemerle (Humanisme byzantin, p. 239) porte sur les scholies d’Aréthas, mais elle peut s’appliquer

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textes classiques, les commentateurs anciens écrivaient avec l’objectif de répondre aux besoins de leurs contemporains, de leur rendre accessible un texte, qui, par effet du temps ou différence de langage, pouvait leur paraître opaque. De ce fait, ils représentent une source précieuse d’informations sur l’histoire du texte commenté : sur les diverses interprétations qu’il a suscitées et les difficultés de lecture qu’il soulevait ; sur la nature et l’étendue de son lectorat ; sur les connaissances générales nécessaires et disponibles à sa compréhension ; en bref, sur la façon dont le texte était lu et apprécié à l'époque du commentateur. À cet égard, les Commentaires de Basile le Minime, puisqu’ils peuvent être précisément datés du milieu du Xe siècle, apportent un témoignage appréciable sur la lecture des

Discours de Grégoire de Nazianze à la cour de Constantin VII Porphyrogénète, l’empereur protecteur des belles-lettres, à qui Basile avait dédicacé son œuvre exégétique.

Il faut dire que Basile semble avoir côtoyé de près cet empereur, puisque tous les événements connus de sa vie se rattachent aux années de son règne effectif18. Il n’est dès lors pas surprenant que

Basile lui ait adressé sa seule œuvre connue, bien qu’on puisse se demander s’il lui avait offert en réalité l’ensemble de ses Commentaires ou seulement une partie. Le premier chapitre passera en revue ces sujets, concernant la vie de Basile le Minime, ses relations avec l’empereur Constantin VII et la date de rédaction des Commentaires. Il sera également question de la possibilité d’attribuer à Basile d’autres œuvres ou textes, et ce dans le but de mieux cerner la figure historique de cet évêque de Césarée, son implication politique et ses réalisations littéraires.

Si Basile était bel et bien un proche de l’empereur, il devait par conséquent connaître son attachement particulier à la figure du Théologien. En ces conditions, offrir à l’empereur des Commentaires aux Discours de Grégoire de Nazianze n’était pas un acte totalement dépourvu d’intérêts politiques. Cependant, comme nous le montrerons dans le deuxième chapitre, les motivations littéraires de Basile n’étaient pas uniquement opportunistes. De fait, son œuvre s’inscrit dans un mouvement beaucoup plus large de mise en valeur de la figure de Grégoire de Nazianze, qui s’amplifia tout au long de la période byzantine : c’est ainsi que Grégoire devint le Théologien par excellence et que son éloquence fut comparée à celle de Démosthène. À son époque, Basile donna à la recherche exégétique sur les Discours de Grégoire une nouvelle impulsion ; non qu’il fût le premier à commenter son œuvre oratoire, mais il fut le premier à le faire de façon systématique et dans un but ouvertement pédagogique, en produisant un des premiers commentaires suivis aux Discours de

18 Constantin VII, né en 905, fut officiellement nommé coempereur probablement dès 908, sous le règne de son père Léon VI

le Sage. Comme il était encore mineur à la mort de son père en 912, puis à celle de son oncle Alexandre III en 913, il ne put pas accéder au pouvoir qui lui revenait de droit, mais il demeura sous tutelle jusqu’à la fin de l’année 944, date à laquelle il expulsa finalement la famille Lécapène qui détenait dans les faits le trône. C’est également à cette époque que le nom de Basile apparaît dans les sources. Constantin conserva le pouvoir jusqu’à sa mort en 959.

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Grégoire de Nazianze. Parmi ceux-ci figurent les Invectives contre l’empereur Julien, qui obtinrent de Basile un commentaire assez substantiel.

Ces deux Discours, qui seront présentés au troisième chapitre, ont été écrits peu après la mort de Julien, en réaction aux chamboulements que le règne de Julien avait occasionnés dans la vie de Grégoire. Au cours de l’époque byzantine, ces diatribes connurent une certaine postérité : le tableau de l’empereur apostat brossé par Grégoire s’assombrit ainsi jusqu’à former la légende noire de Julien. Néanmoins, comme il sera démontré dans la suite du chapitre, Basile le Minime ne se laissa pas facilement ébranler par ces aspects plus virulents des Invectives ; il aborda plutôt ces Discours avec l’intention de rendre accessible ce monument de la culture oratoire byzantine à un plus large public possible, c’est-à-dire essentiellement à des lecteurs que Guglielmo Cavallo qualifie de moyens19, qui

n’avaient pas atteint les hautes sphères de l’éducation et qui, de ce fait, manquaient d’outils pour apprécier la lecture des Discours de Grégoire. Cette motivation se reflète clairement dans l’écriture des Commentaires : non seulement les exégèses proposées par Basile sont-elles le plus souvent de nature élémentaire, mais elles restent aussi généralement très près du texte qu’elles cherchent à expliquer. La voix de l’exégète s’efface derrière celle du Père de l’Église.

Dans sa modestie, Basile avouait également avoir fait en partie œuvre de compilateur20. Si

cette déclaration est confirmée pour le Commentaire au Discours 3821, elle est toutefois moins

probante pour les Commentaires aux Discours 4 et 5. En effet, la comparaison, effectuée au quatrième chapitre, entre le texte de Basile et celui des deux principaux corpus exégétiques antérieurs, c’est-à-dire les Histoires mythologiques du pseudo-Nonnos et les scholia vetera, montre peu de redites. Il s’ensuit que Basile, du moins dans les Commentaires aux Discours 4 et 5, peut être tenu pour l’auteur original des scholies mises sous son nom, même s’il lui arrive à l’occasion d’emprunter de vastes passages à d’autres auteurs ou de répéter la matière des lexiques ou compilations.

Ces emprunts doivent en fait être imputés à sa méthode pédagogique, qui est tout à fait comparable à celle d’un grammairien ou d’un professeur de niveau secondaire, comme nous le verrons au cinquième chapitre. La majorité de ses scholies sont ainsi consacrées à des explications textuelles dont le but premier est de rendre le texte plus facile d’accès pour un public moins lettré. Paraphrases simplificatrices, explications grammaticales, définitions de termes rares, mises en valeur de procédés rhétoriques, Basile offre à ses lecteurs une lecture expliquée du texte de Grégoire, telle que pourrait la dispenser un grammairien à ses élèves, agrémentée de points d’information sur le

19 CAVALLO, Lire à Byzance, p. 94-95

20 BASILE LE MINIME, Lettre dédicatoire, éd. Schmidt, p. 7. 21 SCHMIDT, Basilii Minimi, p. XXV-XXVI.

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contexte historique de l’œuvre, les récits mythologiques évoqués et les références littéraires complémentaires. À cet ensemble s’ajoutent quelques digressions sur des sujets plus scientifiques, dont le contenu fait étonnamment écho aux matières vues dans le quadrivium : arithmétique, géométrie, musique et astronomie.

En somme, en refusant de lire Basile pour ce qu’il n’est pas, un penseur original, un écrivain raffiné ou un collectionneur de curiosités antiques, mais en écoutant simplement ce qu’il a à dire, il est possible de découvrir, à la lecture des Commentaires, un pédagogue de qualité, capable de faire revivre dans ses écrits l’ambiance des écoles secondaires de Byzance ; un philologue consciencieux, prêt à mettre son savoir-faire au service du texte de Grégoire, afin de faire connaître cet auteur fondamental à un large public byzantin ; et un évêque modeste, enchanté de contribuer à la mise en valeur de l’œuvre du Théologien, figure fondatrice de la culture byzantine.

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Chapitre I. Basile le Minime et son œuvre

La vie de Basile le Minime

L’identité de l’auteur des Commentaires aux Discours de Grégoire de Nazianze n’a pas toujours fait consensus1, mais il est maintenant unanimement admis que Basile le Minime, appelé

parfois Basile le Petit, est à identifier avec l’évêque du même nom qui occupait le siège de Césarée de Cappadoce sous le règne de Constantin VII Porphyrogénète. Son titre d’évêque est d’ailleurs confirmé par une note de Basile lui-même, qui, dans son Commentaire au Discours 42, en introduisant une citation de Basile le Grand, prit la peine de préciser : « Basile le Grand, dont je partage, moi qui écris ces mots, à la fois le nom et le siège »2. Il est par conséquent fort probable qu’il

se soit donné lui-même le surnom d’ἐλάχιστος « le minime », qui figure sur l’en-tête de la Lettre dédicatoire de son œuvre3, afin de se distinguer de son illustre prédécesseur, suivant une

démonstration de modestie typique de cette époque4.

Les rares renseignements que nous possédons sur sa vie concernent exclusivement son activité en tant que protothrone de l’Église de Constantinople, c’est-à-dire en tant qu’évêque de Césarée de Cappadoce5. Sa date de naissance peut seulement être approximativement déterminée et

sa vie avant l’épiscopat très sommairement esquissée. Puisqu’il est devenu évêque au plus tard en janvier 945, il faut ainsi supposer une naissance durant les premières années du Xe siècle ou, plus

certainement, les dernières décennies du IXe siècle, d’autant que Théodore de Nicée le dit assez âgé

en 956-9596.

1 Basile le Minime fut parfois confondu avec Basile le Jeune (ὁ Νέος), de peu son contemporain. Cette association est en

réalité impossible, puisque Basile le Jeune serait mort en 944 ou, au plus tard, en 952. Voir SULLIVAN - TALBOT - MCGRATH,

Basil the Younger, p. 7. L’erreur se trouve, entre autres, chez Albert Ehrhard (« Theologie », p. 137-138) et Jan Sajdak

(Historia critica, p. 59-61).

2 BASILE LE MINIME, Comm. 42, PG 36, col. 1075, n. 2 (au D. 42, 9) : « […] Βασίλειος δὲ ὁ μέγας, οὗ κοινωνὸς καὶ ὀνόματος

καὶ θρόνου ὁ ταῦτα γράφων ἐγώ […] ». Jean -François Boissonade cite cette scholie en note de son édition de la Lettre

dédicatoire de Basile le Minime.

3 BASILE LE MINIME, Lettre dédicatoire, éd. Schmidt, p. 2.

4 L’homonymie n’était visiblement pas non plus passée inaperçue de ses contemporains : les deux seules lettres adressées

personnellement à Basile le Minime que la tradition nous ait conservées font ainsi appel à l’autorité de Basile le Grand pour tenter de convaincre leur destinataire. ALEXANDRE DE NICÉE, Lettres, 11, 8-9, éd. Darrouzès et THÉODORE DE NICÉE, Lettres, 32, 17, éd. Darrouzès.

5 L’évêque de Césarée était le protothrone par excellence, car il occupait le premier rang dans la hiérarchie ecclésiastique,

après le patriarche de Constantinople. Sur l’ordre de préséance des évêques de l’Église byzantine, voir les Noticiae

episcopatuum, éd. Darrouzès.

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Un lettré de Cappadoce

a. La patrie de Basile

Sa patrie n’est pas connue7, mais il semble faire montre dans ses Commentaires d’une certaine

familiarité avec la Cappadoce8, qui dépasse la stricte exigence d’un évêque de Césarée, lequel, par sa

fonction de protothrone, résidait très régulièrement à la capitale où il occupait une place influente au sein du synode permanent de l’Église9. C’est ainsi que, dans son Commentaire au Discours 4, il parle

de « cette grande Césarée qui est la nôtre »10. Cette annotation, à première vue anodine, gagne en

signification lorsqu’on considère la rareté des remarques personnelles dans ses Commentaires : en effet, dans l’ensemble des exégèses aux Discours 4 et 5, seuls quatre commentaires, à l’exception de l’épilogue, utilisent la première personne pour désigner Basile en tant qu’auteur ou un groupe dans lequel il s’inclut11. Il n’est donc pas indifférent que Basile prenne le temps de signifier son

attachement à cette cité qu’il qualifie de « grande ».

En outre, il arrive à Basile, en d’autres occasions, de révéler une connaissance particulière du paysage de la Cappadoce, ce qui est d’autant plus significatif qu’il était peu intéressé aux questions géographiques. Dans les Commentaires aux Discours 4 et 5, à titre d’exemple, seulement quatre indications géographiques peuvent être relevées. On y apprend que « l’Etna est une montagne de Sicile »12, que l’Oronte est « le fleuve d’Antioche »13, que les cataractes se trouvent « en haut de

l’Éthiopie » au lieu-dit des Catadoupes14 ou que les colonnes d’Hercule « se dressent à Gadès »15. Il

s’agit, somme toute, d’informations assez brèves et génériques. En revanche, quand il s’agit de la Cappadoce, Basile est un peu plus prolixe. Par exemple, dans son Commentaire au Discours 43, lorsqu’il évoque la Basiliade, l’hôpital fondé par Basile le Grand un peu à l’extérieur de la ville, il

7 Raffaele Cantarella (« Basilio Minimo I », p. 293) affirme qu’il serait né à Séleucie, en quoi il est suivi par Hans-Georg

Beck (Kirche, p. 597) et par Francesco Trisoglio (« Mentalità », p. 225). Aucun ne donne de justification à cette information, mais il est probable que Cantarella ait été induit en erreur par l’éditeur de la Patrologie grecque, qui, dans le titre du

Commentaire au Discours 25, surnomme Basile Seleuciensis (PG 36, col. 1160a). Cette indication ne figure pas dans

l’édition originale de Boissonade et doit provenir d’une confusion avec Basile de Séleucie : il n’y a donc pas lieu de retenir cette information.

8 Justin Mossay (« Comment les Grecs », p. 14) l’appelle le « moine cappadocien », mais il n’explique pas l’origine de cette

appellation. Guglielmo Cavallo (Lire à Byzance, p. 49) rapporte la même information et ajoute que Basile aurait écrit en 918 ; il cite seulement Cantarella, mais l’information ne lui vient pas de cet auteur.

9 Il n’est pas certain, par exemple, que son prédécesseur Aréthas ait passé beaucoup de temps dans sa métropole. Voir

LEMERLE, Humanisme byzantin, p. 207-208.

10 BASILE LE MINIME, Comm. 4, 88 (au D. 4, 92) : « Ἐν τῇ καθ’ ἡμᾶς Καισαρείᾳ τῇ μεγάλῃ ταύτῃ […] ».

11 BASILE LE MINIME, Comm. 4, 86 (au D. 4, 92) ; Comm. 5, 40 (au D. 5, 29) ; 51 (au D. 5, 33) ; et 54 (au D. 5, 35). La très

grande majorité des passages à la première personne proviennent de paraphrases du texte de Grégoire et font alors écho, soit à Grégoire lui-même, soit aux chrétiens, au nom desquels celui-ci parle. Sur cet usage général chez les scholiastes, voir DAVID,« La démarche des scholiastes », p. 65-66 ; MUCKENSTURM-POULLE, « L’énonciation dans les scholies », p. 78.

12 BASILE LE MINIME, Comm. 4, 80 (au D. 4, 85) : « Αἴτνη ὄρος ἐστὶ Σικελικὸν […] ». 13 BASILE LE MINIME, Comm. 4, 87 (au D. 4, 92) : « Ποταμὸς οὗτός ἐστιν Ἀντιοχείας […] ». 14 BASILE LE MINIME, Comm. 5, 60 (au D. 5, 39) : « […] ὕπερθεν Αἰθιοπίας […] ».

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indique en outre qu’elle était « entourée de toute part d’un rempart »16. Étant donné qu’aucun autre

témoignage connu sur cette institution ne fait état de remparts17, il apparaît plausible de penser que

Basile parle d’expérience et qu’il ait vu de ses propres yeux ces murs18. Cette connaissance

personnelle du paysage de la Cappadoce est par ailleurs amplement confirmée par un long passage du Commentaire au Discours 43 :

Certains disent que, selon une coutume en Cappadoce, les évêques se promènent sur un char tiré par des mulets et que ce sont ces derniers que l’évêque de Tyane a interceptés, alors qu’ils transportaient Basile le Grand, mais, pour moi, il semble s’être emparé des mulets qui voyageaient avec lui et portaient les fardeaux, suivant la coutume de notre homme. Outre le fait que celui-ci ne semble nullement avoir besoin d’un tel char, cela apparaît impraticable, en raison de la difficulté du terrain. En effet, le terrain est couvert de pierres et creusé de ravins, de telle sorte qu’on le traverse avec peine, même monté sur un cheval de selle. Bien que les autres commentateurs n’aient pas dit cela, moi-même j'affirme en connaissance de cause que, dans ces régions, même s’il se présente naturellement des zones égales et planes, il faut toutefois atteler et dételer par intervalle, hisser les chars sur les épaules et les transporter lors de la traversée des accidents de terrain. Il faut examiner tout ce qui mène à l’embarras, pour ne pas dire à la peine, mais aussi au bavardage inintelligent.19

Dans cette notice, Basile semble non seulement bien au fait des particularités géomorphologiques de la Cappadoce, mais il en accuse aussi une observation directe, qui l’amène exceptionnellement à émettre un jugement d’opinion contre les autres exégètes de Grégoire. Ces indices, maigres mais significatifs, laissent penser que Basile pourrait être originaire de la région dont il a reçu la charge ou du moins y avoir résidé longtemps, mais sans le confirmer non plus.

b. L’éducation de Basile

Ses écrits témoignent d’une bonne éducation, car les connaissances auxquelles il fait appel dans ses Commentaires – sur la rhétorique, la théologie, l’histoire ou les sciences naturelles, entre

16 BASILE LE MINIME, Comm. 43, éd. Cantarella, p. 31, sch. 192 (au D. 43, 63) : « Τὴν Βασιλειάδα, φησί, οὕτως ἐξ ἐκείνου

ὠνομασμένην, ἐν ᾗ καὶ τὸ πτωχεῖον αὐτῷ ᾠκοδόμητο, τείχει πάντοθεν περιειλημμένον ». Les scholies éditées par Cantarella sous le nom de Basile ne sont pas toutes de lui : voir infra p. 25-26. Dans ce cas-ci, l’attribution à Basile est confirmée par Thomas Schmidt (« À propos », p. 131).

17 BASILE DE CÉSARÉE, Lettres, 94, 150 et 176 ; GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 42, 63 ; FIRMUS DE CÉSARÉE, Lettres, 43 ;

SOZOMÈNE, H.E. 4, 34, 9 ; et la scholie 7 de la collection « vulgate » des Ascétiques de Basile de Césarée. Voir GRIBOMONT,

Les Ascétiques, p. 155 et 158-160.

18 Ces remparts pourraient être d'origine ou avoir été ajoutés à la suite des incursions arabes.

19 BASILE LE MINIME, Comm. 43, (au D. 43, 58) : « Φασὶ δέ τινες καὶ ἐπὶ ἅρματος ἡμιόνων ὀχεῖσθαι κατά τι ἔθος ἐν

Καππαδοκίᾳ τοὺς ἀρχιερεῖς καὶ τούτων ἐπιλαϐέσθαι τὸν ἐπίσκοπον τῶν Τυάνων, τοῦ μεγάλου ὀχουμένου Βασιλείου · ἐμοὶ δὲ ἡμιόνων λαϐέσθαι συμπορευομένων καὶ ἀχθοφορούντων, ὡς ἔθος δοκεῖ τοῦ ἀνδρός. Αὐτὸν δὲ πρὸς τῷ μηδαμοῦ φαίνεσθαι τοιούτῳ χρησάμενον ἅρματι καὶ ἀδύνατον καταφαίνεται διὰ τὴν δυσχέρειαν τῶν τόπων · κατάλιθοι γὰρ καὶ φαραγγώδεις οὕτως εἰσίν, ὡς μόλις καὶ κέλητι χρωμένους παριέναι. Καὶ ταῦτα οὐχ ἑτέρων λεγόντων, ἀλλὰ καὶ αὐτὸς ἀποφαίνομαι ἱστορήσας ἐν οἷς, εἰ καί τινες ὁμαλοὶ καὶ ἐπίπεδοι ὡς εἰκὸς ἀπαντῶσιν, ἀλλά γε ζευγνύναι τε καὶ ἀποζευγνύναι κατά τινα ποσὰ διαστήματα καὶ ἅρματα ἐπ’ ὤμων φέρειν καὶ ὑπερϐιϐάζειν ἐν ἀποδημίαις τῶν ἀνωμαλιῶν. Σκοπητέον ὅσον εἰς ὄχλησιν, ἵνα μὴ μόχθον λέγω, ἀλλὰ καὶ ἀλαζονείαν ἀνόητον ». Cette scholie est encore inédite, mais elle a été gracieusement signalée à notre attention par le professeur Thomas Schmidt, qui travaille actuellement à l’édition du

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autres – dénotent une culture générale comparable à celle d’autres érudits de son temps, comme, par exemple, le patriarche Photios ou son prédécesseur Aréthas20. Il est vrai que la culture mise en œuvre

dans ses Commentaires est généralement plutôt scolaire : références à des auteurs et des œuvres classiques, citations convenues, anecdotes rabâchées. Cependant, cette particularité pourrait être imputable au caractère didactique des scholies de Basile le Minime21, plutôt qu’à un manque de

connaissances de leur auteur.

Certains indices, semés de-ci de-là dans son œuvre, laissent en effet voir l’étendue de son érudition. Il possède, par exemple, une théorie rhétorique assez développée, inspirée du corpus hermogénien largement diffusé à son époque, mais aussi de Denys d’Halicarnasse et probablement de Photios22. Il la déploie tout au long de ses Commentaires et, plus particulièrement, dans ses

prologues23. Certains passages de Grégoire lui inspirent également des commentaires d’envergure qui

dépassent de loin le cadre strictement exégétique des scholies et révèlent une curiosité d’érudit. Par exemple, dans le Discours 41, Grégoire fait référence à l’importance du nombre quatre chez les pythagoriciens, ce qui amène Basile à faire une longue digression sur la valeur des nombres chez les disciples de Pythagore, où il cite librement le commentaire d’Hiéroclès sur les Vers d’or24. De même,

quelques lignes plus loin, Grégoire évoque, presque en passant, les mots λόγος et ἀναλογία, ce qui entraîne Basile dans une longue démonstration, sans lien apparent avec le discours de Grégoire, sur la définition des rapports et proportions en mathématique25. Significativement, une grande partie de

ces digressions concernent des sujets qui seraient qualifiés aujourd’hui de sciences pures ou naturelles26.

Bien que moins spectaculaires, ses connaissances littéraires ne sont pas non plus négligeables. Par exemple, dans le Commentaire au Discours 5, il propose à quelques reprises de longs résumés de passages de l’Odyssée, dont le contenu s’avère généralement assez juste, même si quelques erreurs graves doivent tout de même être relevées27. Dans l’ensemble, il est vrai que sa connaissance des

20 Adolf von Harnack (« Apologeten », p. 38, n. 92) fait d’ailleurs de Basile un élève d'Aréthas de Césarée, mais il n’apporte

aucune justification à cette hypothèse.

21 Voir infra p. 81-84. 22 Voir infra p. 138-142.

23 Voir le prologue du Comm. 4 et celui du Comm. 38, éd. Schmidt, p. 8-12.

24 BASILE LE MINIME, Comm. 41, PG 36, col. 1087-1088, n. 44 (au D. 41, 2) ; d’après HIÉROCLÈS, Comm. sur les Vers d’or,

20, 11-20 éd. Koehler (sur les vers 45-48). Jean-François Boissonade cite cette scholie en note de son édition du

Commentaire au Discours 4 de Basile le Minime.

25 BASILE LE MINIME, Comm. 41, PG 36, col. 1204b-1205c (au D. 41, 2). Louis de Sinner a placé cette scholie de Basile en

annexe de son édition du Commentaire au Discours 7, car Basile y fait référence dans ce Commentaire (PG 36, col. 1185d-1188a).

26 Voir infra p. 178-186.

27 BASILE LE MINIME, Comm. 5, 1 (au D. 5, 1) ; 47 (au D. 5, 32) où il confond Arès, Hermès et Héphaïstos ; 58 (au D. 5,

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poètes et prosateurs de l’Antiquité est plutôt conventionnelle et que l’utilisation de sources secondaires peut souvent être soupçonnée. Cependant, il est le seul à avoir conservé deux demi-vers, inconnus par ailleurs, de Phérécrate, un poète athénien de l’ancienne comédie28. Ce détail tend à

prouver que, même en travaillant à partir de sources secondaires, Basile ne se limitait pas aux manuels les plus courants, mais qu’il possédait un large éventail de lectures, reflet d’une formation académique de niveau supérieur.

Un évêque au service de l’empereur

Les seuls renseignements historiquement fondés que nous possédions sur la vie de Basile concernent son rôle en tant qu’évêque de Césarée, une position prestigieuse, puisque ce siège occupe la première place dans les listes de préséance de l’Église de Constantinople. La date de son entrée en fonction est inconnue. Il succéda sur ce siège, directement ou indirectement, à Aréthas de Césarée, dont la date de fin d’épiscopat est également sujette à débat. Une seule certitude existe à ce sujet, c’est qu’Aréthas était encore en fonction en 932, date à laquelle il fit copier par le diacre Stylianos une sélection d'œuvres variées, qu'il lut et annota par la suite29. Par conséquent, Basile dut être

ordonné évêque entre 932 et 945, date de sa première apparition dans les sources.

a. L’avènement de Constantin VII

L’entrée de Basile dans l’histoire survint en même temps que la reprise en main de l’empire par Constantin VII Porphyrogénète, à laquelle il participa activement. Officiellement premier empereur depuis la mort de son oncle Alexandre en 913, mais trop jeune pour occuper le pouvoir (il avait alors 8 ans), Constantin avait grandi sous tutelle30. Depuis 920, le pouvoir impérial était en

réalité détenu par Romain Ier Lécapène, qui avait réussi à asseoir sa position en mariant sa fille avec

le jeune empereur, en se faisant nommer coempereur et en associant au trône ses fils, Christophe, Étienne et Constantin. À la fin de l’année 944, désireux de s’affranchir enfin de la tutelle de Romain, Constantin VII s’associa avec les deux fils de ce dernier encore vivants, Étienne et Constantin, afin de déposer leur père et de se partager le pouvoir. Le 16 décembre 944, Romain Ier fut donc déchu,

ordonné moine et exilé dans l’île de Prôtè. Très rapidement, cependant, le Porphyrogénète conçut des doutes sur ses complices et il réagit, le 27 janvier 945, en faisant subir aux deux frères le même sort

28 PHÉRÉCRATE, frg. 187, éd. Kassel - Austin = BASILE LE MINIME, Comm. 15, PG 36, col. 903b. Les scholies publiées par

Albert Jahn ne sont pas toutes de Basile, mais celle-ci peut lui être attribuée sans hésitation. Sur cette compilation et les problèmes qu’elle pose, voir infra p. 25-26.

29 Il s’agit du Moscou GIM Sinod. gr. 394 (olim Vlad. 231). Ce document permet par ailleurs de récuser le témoignage de

Jean Skylitzès concernant la présence d’un certain Théophane Choerinos sur le siège de Césarée en 931 : JEAN SKYLITZÈS,

Romain I, 26, éd. Thurn, p. 226-227.

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que leur père31. Ces événements sont bien documentés par la chronique du Xe siècle32, mais Jean

Skylitzès, un historien de la fin du XIe siècle, ajouta à ce récit l’intervention de Basile de Césarée et

d’Anastase d’Héraclée :

À l’occasion d’un repas, il s’empara d’Étienne et de Constantin qui, sans se douter de rien, déjeunaient avec lui. Il les chassa du palais le 27 janvier de cette même troisième indiction et, les faisant jeter dans des barques, il les bannit, le premier à l’île de Panormos, et Constantin à Térébinthe. Il leur fit donner à tous deux la tonsure des clercs par Basile de Césarée et Anastase d’Héraclée, puis, peu après, il fit transférer Étienne en Proconnèse, ensuite à Rhodes, enfin à Mytilène, et Constantin à Samothrace.33

Dans cette affaire, Basile agit donc comme un allié politique de Constantin VII, rôle qu’il eut l’occasion de tenir à quelques reprises sous le règne cet empereur34.

b. Le jugement d’Alexandre de Nicée

Peu de temps après, durant la première moitié de l’année 945, Basile participa à une commission d’enquête chargée de réviser l’accusation portée contre l’évêque Alexandre de Nicée, sans doute à la demande de l’empereur Constantin35. Cet évêque avait été accusé par le patriarche

Théophylacte, au cours de la deuxième moitié de l’année 944, d’avoir mal géré les biens de l’Église. Selon les dires de l’intéressé, il aurait été appelé au palais patriarcal pour rendre compte de ses actes, mais, une fois là-bas, il aurait été saisi par surprise, traîné violemment en prison, jugé en son absence, destitué, puis envoyé en exil sous garde sévère et dans des conditions ignobles pendant cinq mois. Un changement de règne, l’avènement de Constantin VII sans aucun doute, aurait entraîné un assouplissement de sa peine, ce qui lui permit d’écrire pour demander un procès équitable ou, du moins, une révision de son jugement. Constantin aurait répondu favorablement à cette demande en

31 Voir le CONTINUATEUR DE THÉOPHANE, Constantin VII, 2, éd. Bekker, p. 437 ; SYMÉON LOGOTHÈTE, Chronique, 137, 4,

éd. Wahlgren, p. 341 ; Ps. SYMÉON, Constantin VII, 2, éd. Bekker, p. 753-754 ; JEAN SKYLITZÈS, Constantin VII de nouveau, 2, éd. Thurn, p. 236 ; JEAN ZONARAS, Annales, 16, 20, éd. Büttner-Wobst, p. 480-481.

32 Sous cette appellation générique sont regroupés, entre autres, le sixième livre du continuateur de Théophane, la Chronique

de Syméon Logothète et la version du pseudo-Syméon, qui présentent, pour la première moitié du Xe siècle, un récit presque

semblable des faits, avec quelques variations. Sur ces chroniques et leur interdépendance, voir l’introduction (avec les références qui s’y trouvent) de WAHLGREN, Symeonis Magistri, p. 3*-117* ; et celle de FEATHERSTONE - CODOÑER,

Theophanis continuatur, p. 3*-28*.

33 JEAN SKYLITZÈS, Constantin VII de nouveau, 2, éd. Thurn, p. 236 (trad. Flusin) : « […] μηδὲν ὑφορωμένους τὸν Στέφανον

καὶ τὸν Κωνσταντῖνον, κατ’ αὐτὸν τὸν καιρὸν τοῦ ἀρίστου συναριστοῦντας αὐτῷ, ἀναρπάστους τίθησι καὶ καταβιβάζει τῶν βασιλείων, τῇ εἰκάδι ἑβδόμῃ τοῦ Ἰαννουαρίου μηνός, τῆς αὐτῆς τρίτης ἰνδικτιῶνος, καὶ πλοιαρίοις ἐνθέμενος ὑπερορίζει τὸν μὲν ἐν τῇ Πανόρμῳ νήσῳ, τὸν Κωνσταντῖνον δὲ ἐν τῇ Τερεβίνθῳ. καὶ διὰ Βασιλείου τοῦ Καισαρείας καὶ Ἀναστασίου τοῦ Ἡρακλείας καὶ ἄμφω κληρικοὺς ἀποκείρει, μεταστήσας οὐκ εἰς μακρὰν τὸν μὲν Στέφανον ἐν Προικοννήσῳ, εἶτα ἐν Ῥόδῳ καὶ τελευταῖον ἐν Μιτυλήνῃ, τὸν δὲ Κωνσταντῖνον ἐν Σαμοθρᾴκῃ ». Mis à part l’ajout des noms de Basile et Anastase, le reste du récit est conforme au témoignage de la chronique du Xe siècle (voir supra n. 31).

34 En tant que métropolite de Césarée de Cappadoce, par exemple, il dut avoir un rôle à jouer lors de la translation des

reliques de Grégoire de Nazianze sous le règne de Constantin – le 19 janvier 946 selon l’hypothèse de Bernard Flusin –, mais il n’en existe plus aucune trace. Pour la date de l’événement, voir FLUSIN, « Le panégyrique », p. 10-12.

35 Sur cette affaire, voir DARROUZÈS, Épistoliers, p. 27-32 ; mais surtout l’excellente analyse de PRATSCH, « Alexandros »,

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mettant sur pied une commission d’enquête mixte, composée de quatre métropolites – Basile de Césarée, Anastase d’Héraclée, Théodore de Cyzique et Démétrios de Sébastée – et de quatre laïcs – Théodore le logothète, Jean Polys, le gouverneur de Nicée Théophylacte Kalkatanès et Pierre Androsulitès – afin de réviser les éléments de preuve.

Que Basile ait été déjà présent lors du simulacre de procès de 944 semble très probable à la lecture des lettres d’Alexandre, mais le rôle qu’il joua dans ces événements est plus ambigu. Dans une lettre destinée à la commission d’enquête, Alexandre commença par s’adresser aux membres ecclésiastiques de cette commission, en leur demandant quelle justice il pouvait attendre de la part de ceux qui l’avaient déjà jugé et remplacé36. Cette crainte était justifiée, au moins en ce qui concerne

Anastase d’Héraclée et Théodore de Cyzique, puisqu’il parla souvent de leur acharnement contre sa personne dans ses échanges épistolaires37. À propos de Basile, Alexandre est plus équivoque. Dans

la lettre qu’il lui adressa personnellement, Alexandre classa prudemment Basile parmi ceux qui gardaient un silence coupable sur l’irrégularité de son procès38. Son intention était peut-être alors

simplement de se ménager son appui, car, dans une autre lettre destinée à Eustathe de Sydè, lorsqu’il évoqua le traitement subi lors de son premier procès39, Alexandre se plaignit amèrement qu’aient été

tolérés les actes de violence perpétrés par Androsulitès, « de même que ceux du protothrone avant l’ordination »40. Si Basile doit être identifié sous cette mention, il se trouve alors associé aux pires

affres subies par Alexandre, sans qu’il soit possible de déterminer avec exactitude son implication. Cette lettre contient par ailleurs un détail chronologique intéressant, qui mérite attention. Alexandre précisa que les gestes reprochés au protothrone eurent lieu « avant l’ordination ». Pour Jean Darrouzès, cette remarque fait référence à l’élection de Lazare en tant que successeur d’Alexandre sur le siège de Nicée41. Il peut cependant être envisagé que cette mention renvoie plutôt

à l’ordination de Basile comme métropolite de Césarée, ce qui signifierait par conséquent que celui-ci n’était pas encore évêque lors du premier procès d’Alexandre. Basile aurait-il, en tant que laïc ou en tant qu’évêque, participé au supplice d’Alexandre ou serait-ce plutôt le fait de son prédécesseur (Aréthas ou un autre) ? En l’absence d’autres témoignages, la question reste impossible à trancher.

36 ALEXANDRE DE NICÉE, Lettres, 10, 1-7, éd. Darrouzès.

37 Sur Anastase et Théodore, voir ALEXANDRE DE NICÉE, Lettres, 5, 72-79 ; et 16, 15-18, éd. Darrouzès. Sur Anastase

seulement, Lettres, 6, 27-35 ; 4, 18-21 ; et 14, 42-45.

38 ALEXANDRE DE NICÉE, Lettres, 11, 21-24, éd. Darrouzès. 39 Voir PRATSCH, « Alexandros », p. 256.

40 ALEXANDRE DE NICÉE, Lettres, 14, 27-28, éd. Darrouzès : « […] οὕτως τὰ τοῦ πρωτοθρόνου πρὸ τῆς χειροτονίας […] ». 41 Voir DARROUZÈS, Épistoliers, p. 91, n. 43.

Figure

Tableau 1. Acolouthie des manuscrits d’avant le XIII e  siècle contenant le texte de Basile stricto sensu sous forme de  commentaires suivis
Tableau 2. Citations de Grégoire dans les scholies mineures au traité Sur l’invention du pseudo-Hermogène d’après  l’édition de Walz
Tableau 3. Citations de Grégoire dans les scholies mineures au traité Sur la méthode de l’habileté du pseudo-Hermogène  d’après l’édition de Walz
Tableau 4. Citations de Grégoire dans les scholies mineures au traité Sur les catégories stylistiques d’Hermogène d’après  l’édition de Walz
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