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Le 26 juin 363, la désastreuse campagne perse de Julien s’acheva tragiquement par la mort de l’empereur, transpercé d’une lance surgie on ne sait d’où. Avec l’avènement de Jovien, puis de son successeur Valentinien, le ciel des chrétiens, qui s’était momentanément obscurci par l’apostasie de Julien et son projet de restauration de la religion civique, s’éclaircit aussitôt, laissant loin derrière la menace d’un retour à l’époque des persécutions. Pourtant, c’est à cette date et malgré ce revirement de situation que Grégoire finit de rédiger et choisit de publier ses Invectives contre l’empereur Julien. S’il persista, c’est que, croyait-il, les chrétiens avaient encore une leçon à tirer de ces événements. Selon lui, c’étaient leurs dissensions et leurs querelles qui avaient attiré sur leur tête cette punition et seule une véritable réconciliation pouvait éviter qu’un tel malheur ne se reproduisît1. Outre ce noble

objectif, Grégoire avait, pour motiver sa plume, quelques sujets de doléance plus personnels que la mort de Julien n’avait pas tous effacés. C’est pourquoi, même après sa disparition, il s’appliqua à réfuter ses idées et à ternir sa mémoire.

Le contenu des Discours

Il consacra deux Discours à cet objectif, deux Discours qui se suivent et se complètent sans se répéter, puisque chacun possède un sujet et une approche différente2. Dans la première Invective,

Grégoire fit mine de s’adresser à un empereur encore vivant pour dénoncer et réfuter son apostasie. Pour ce faire, il utilisa souvent l’apostrophe, comme si Julien était présent devant lui et pouvait l’entendre. Son sujet porte alors essentiellement sur la vie de Julien, depuis ses premières années de formation jusqu’à son apogée, et le thème central qui coordonne l’ensemble des arguments est la dénonciation de son apostasie. Le Discours 4 s’ouvre sur un prologue (1-20) dans lequel Grégoire invite à la fête différentes personnes et entités (1-11), définit son discours comme un chant de victoire en l’honneur de Dieu (12-19) et annonce son intention d’ériger ce discours en stèle infamante (20). La suite de son propos est divisée en deux parties inégales : la première, plus courte, a pour cadre la jeunesse de Julien et met en scène la genèse de son apostasie (21-56). Grégoire parle ainsi des années de formation de Julien avec son frère Gallus et révèle les signes précurseurs de son penchant (21-32). À la mort de Gallus, Julien fut nommé césar par Constance II et Grégoire s’attache à disculper cet empereur, bon chrétien selon lui, de toute accusation en lien avec cet acte de confiance malheureux (33-42). Julien entra dès lors en rebellion contre son bienfaiteur et remporta la victoire uniquement

1 Voir BERNARDI, Discours 4-5, p. 62-64.

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par traîtrise (43-51). Une fois assis sur le trône, il tourna sa rebellion contre son Dieu en affichant publiquement son apostasie (52-56).

La deuxième partie du Discours 4 est plus étoffée, car, comme l’a constaté Alois Kurmann3,

elle constitue le véritable noyau du diptyque que forment les Invectives, avec en son centre la réfutation de l’édit scolaire de Julien. Dans cette partie, Grégoire expose donc les différentes actions entreprises contre les chrétiens par l’empereur Julien, dans le but de les réfuter ou de démontrer leur ineptie (57-124). Il explique d’abord que Julien entreprit une persécution cachée et sournoise (57-66), mais vouée à l’échec par la force du christianisme (67-75). Il constate que les premières mesures de Julien étaient mesquines (77-84) et que, devant leur inefficacité, ce dernier laissa cours à des actions plus directes et violentes (85-94). Parmi toutes les machinations de Julien, celle qui frappa le plus l’esprit de Grégoire fut sans conteste sa tentative d’exclure les chrétiens de la vie publique et des tribunaux, à l’aide du célèbre édit scolaire qui limitait l’accès à la parole : Grégoire y consacra une longue et brillante réfutation (95-109). Finalement, Grégoire conclut cette première Invective en soulignant, à gros trait, le ridicule des efforts de Julien pour doter la religion païenne d’une structure et d’une moralité empruntées à la foi chrétienne (110-124).

Le Discours 5 reprend chronologiquement là où l’avait laissé le Discours 4, c’est-à-dire avec le départ en campagne de Julien contre les Perses. Beaucoup plus court, ce discours se présente comme une sorte d’épilogue au précédent. La division en deux œuvres distinctes s’explique toutefois facilement par la différence de ton : ce n’est plus l’avocat vindicatif qui parle, mais le vainqueur à l’heure du bilan. Grégoire se propose en effet dans ce nouveau discours de poursuivre « un autre but »4 : il ne s’adresse plus à un empereur vivant pour l’attaquer, mais à un empereur mort pour

montrer les justes jugements de la punition divine et les leçons qu’il faut en tirer. Après une brève annonce du sujet (1-2), la première partie de cette Invective s’intéresse aux circonstances de la mort de Julien (3-18). Grégoire commence par raconter l’échec de la tentative de reconstruction du Temple à Jérusalem comme un signe précurseur des malheurs à venir (3-7). Sourd à ce présage, Julien se lança tout de même dans la guerre contre les Perses, où il accumula les faux pas, courant à sa perte (8-12). Il mourut finalement frappé par un inconnu et le retour de sa dépouille fut à la hauteur de l’infamie de sa défaite (13-18). Pour finir, dans la dernière partie, Grégoire offre, en bon prédicateur, un sermon sur les leçons à retenir de ces événements (19-38). Dans un premier temps, il rappelle brièvement les traits de caractère et les actions de Julien qui furent à l’origine de sa punition divine (19-24), puis il interprète ces événements comme un signe de la défaite totale de la religion païenne

3 KURMANN, Kommentar, p. 14-16.

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(25-32). Enfin, il recommande aux chrétiens de ne pas tomber dans les mêmes excès et de faire preuve d’humilité (33-37). En guise de péroraison, il se tourne une dernière fois vers Julien pour lui présenter la stèle d’infamie qu’il venait de graver pour lui (39-42).

Un pamphlet passionné

Grégoire avait plusieurs raisons de s’ériger ainsi en héraut de la victoire chrétienne, dont certaines lui étaient très personnelles. En l’espace de quelques mois seulement, cet empereur avait en effet totalement bouleversé sa vie et lui avait donné une inflexion imprévue et non désirée. L’ouragan Julien, en traversant l’Asie Mineure, avait ainsi transformé contre son gré le jeune intellectuel épris d’ascétisme et de méditation en un prêtre actif et impliqué dans les tourmentes de son siècle.

a. Le passage de Julien en Cappadoce

Le passage de Julien en Cappadoce au cours du printemps 3625, en route vers Antioche pour

préparer la campagne perse, avait été en général un moment très éprouvant pour les chrétiens, dont les retentissements s’étaient fait sentir jusqu’à la petite communauté de Nazianze, alors dirigée par le père de Grégoire, Grégoire l’Ancien. En effet, Julien, qui n’avait déjà pas gardé de bons souvenirs de son séjour sur le domaine royal de Macellum alors qu’il était enfant6, s’était vu très mal accueilli par

la population majoritairement chrétienne de la région. Pour manifester contre les politiques de l’empereur, un chrétien fanatique de Césarée avait même mis le feu à l’autel de Tyché, haut-lieu du culte civique de Césarée et dernier édifice païen encore debout dans la cité7. Julien avait répliqué à

cette grave offense en dépouillant la ville de son nom et de son statut impérial8, en pénalisant

lourdement les chrétiens et en les menaçant des pires sévices à son retour9 :

5 Cette étape du trajet impérial n’est pas directement attestée par les sources, mais deux indices laissent présumer que

l’empereur aurait séjourné un temps en Cappadoce. Dans le discours funèbre en l’honneur de son père, Grégoire évoque ainsi la présence à Césarée de « l’empereur qui grondait contre les chrétiens » (D. 18, 34, PG 35, col. 1029b : « Παρῆν μὲν ὁ βασιλεὺς βρέμων χριστιανοῖς […] »). Quant à Julien, il affirme dans sa lettre à Aristoxène n’avoir trouvé aucun véritable Hellène chez les Cappadociens : « Jusqu’ici je ne vois que des gens qui refusent de sacrifier, ou bien un petit nombre qui voudrait le faire, mais qui ne sait pas comment s’y prendre » (Lettres, 78, éd. et trad. Bidez : « […] τέως γὰρ τοὺς μὲν οὐ βουλομένους, ὀλίγους δέ τινας ἐθέλοντας μέν, οὐκ εἰδότας δὲ θύειν ὁρῶ »).

6 Julien séjourna sur le domaine royal de Macellum, dans les environs de Césarée, entre 341 et 347, mais il eut plutôt

l’impression d’y avoir été séquestré : « Aucun étranger ne pouvait nous aborder ; nos anciennes connaissances se voyaient refuser l’autorisation de nous visiter : nous vivions sevrés de toute étude sérieuse, de tout libre entretien, élevés au milieu d’une brillante domesticité, et partageant nos exercices avec nos propres esclaves comme avec des camarades » (JULIEN,

D. 5, 3, 271b-c, éd. et trad. Bidez : « […] μηθενὸς ἡμῖν προσιόντος ξένου, μηδὲ τῶν πάλαι γνωρίμων ἐπιτρεπομένου τινὸς

ὡς ἡμᾶς φοιτᾶν, διεζῶμεν ἀποκεκλεισμένοι παντὸς μὲν μαθήματος σπουδαίου, πάσης δὲ ἐλευθέρας ἐντεύξεως, ἐν ταῖς λαμπραῖς οἰκετείαις τρεφόμενοι καὶ τοῖς ἡμῶν αὐτῶν δούλοις ὥσπερ ἑταίροις συγγυμναζόμενοι […] »).

7 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 4, 92 ; D. 18, 34 ; SOZOMÈNE, H.E., 5, 4, 2. Sozomène pense que le responsable en serait le

martyr Eupsychios (H.E., 5, 11, 8). Toutefois, rien n’est moins certain, puisque Basile et Grégoire, qui mentionnent souvent la fête de ce martyr cappadocien dans leurs lettres, ne font pas référence à cet événement et qu’il existait au moins une autre version de sa légende. Voir MÉTIVIER, La Cappadoce, p. 310-311.

8 LIBANIOS, D. 16, 14 ; SOZOMÈNE, H.E., 5, 4, 1. Voir JULIEN, ELF, n. 125. 9 Voir GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 4, 96.

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Il prescrivit que toutes les possessions et l’argent des églises de Césarée et des lieux de sa circonscription fussent recherchés au moyen de torture et produits en public, qu’on payât immédiatement au trésor trois cents boisseaux d’or, que tous les clercs fussent inscrits sur la listes des soldats sous le commandement du gouverneur de la province, ce qui, dans les armées romaines, est tenu pour très coûteux et déshonorant, qu’on dénombrât la foule des chrétiens avec leurs femmes et leurs enfants et qu’on leur fît payer des impôts comme dans les villages ; il menaça avec serments que s’ils ne relevaient pas rapidement les temples, il ne cesserait pas d’exercer son courroux contre la ville et de la maltraiter, et il ne permettrait même pas aux Galiléens – c'est ainsi que, par moquerie, il avait coutume d’appeler les chrétiens – de garder leurs têtes.10

De plus, profitant de la présence de l’empereur, le gouverneur de la Cappadoce avait de son côté entrepris de faire annuler la récente élection d’Eusèbe au titre d’évêque de Césarée11. À cet effet,

il avait écrit aux différents évêques de la province, dont le père de Grégoire, afin de les rallier à sa cause. Malheureusement pour lui, le vieil évêque de Nazianze veillait au grain et répondit au gouverneur par une lettre qui sut imposer le respect et faire taire la dissidence12. Quant à la cité de

Nazianze elle-même, elle ne fut pas directement touchée par cette crise, mais elle en ressentit un peu les échos. Grégoire l’Ancien résista ainsi avec succès à une tentative de réquisition de l’église locale par une troupe de soldats qui descendaient vers le sud, en route pour la campagne perse13. Par

conséquent, les répercussions de la colère de Julien étaient attendues avec appréhension jusqu’à Nazianze. C’est dans ces conditions que Grégoire prononça, en août 362, après le passage de l’empereur, l’éloge des frères Macchabées : ce discours se présentait comme un véritable appel à la résistance et au martyre dont le but était de galvaniser le cœur des fidèles dans les épreuves à venir14.

b. Le scandale de Césaire

En même temps, Grégoire devait gérer à Nazianze, au nom de son père, le scandale causé par l’attitude de son frère Césaire. Ce dernier était médecin à la cour, lorsque Julien prit le pouvoir et qu’il déclara ouvertement son apostasie. Pourtant, Césaire tarda à quitter ses fonctions, ce qui causa tout un émoi dans la petite communauté de Nazianze : un fils d’évêque au service d’un empereur

10 SOZOMÈNE, H.E., 5, 4, 4-5, éd. Bidez - Hansen et trad. Festugière - Grillet : « Πάντα δὲ τὰ κτήματα καὶ τὰ χρήματα τῶν

ἐν Καισαρείᾳ καὶ ὑπὸ τοὺς αὐτῆς ὅρους ἐκκλησιῶν, ἐρευνώμενα μετὰ βασάνων, εἰς μέσον φέρεσθαι προσέταξεν, αὐτίκα δὲ τριακοσίας λίτρας χρυσοῦ τῷ ταμιείῳ ἐκτῖσαι, κληρικοὺς δὲ πάντας ἐγγραφῆναι τῷ καταλόγῳ τῶν ὑπὸ τὸν ἄρχοντα τοῦ ἔθνους στρατιωτῶν, ὃ δαπανηρὸν εἶναι σφόδρα καὶ ἐπονείδιστον ἐν ταῖς τῶν Ῥωμαίων στρατιαῖς νομίζεται, τὸ δὲ πλῆθος τῶν Χριστιανῶν σὺν γυναιξὶ καὶ παισὶ ἀπογράψασθαι καὶ καθάπερ ἐν ταῖς κώμαις φόρους τελεῖν· ἐνορκῶν δὲ ἠπείλησεν ὡς, εἰ μὴ τάχος τὰ ἱερὰ ἀνεγείρωσιν, οὐ παύσεται μηνιῶν καὶ κακῶς ποιῶν τὴν πόλιν, καὶ οὐδὲ τὰς κεφαλὰς συγχωρήσει τοὺς Γαλιλαίους ἔχειν (ὧδε γὰρ ἐπιτωθάζων καλεῖν εἰώθει τοὺς Χριστιανούς) ».

11 Comme le fait valoir Sophie Métivier (La Cappadoce, p. 116-117), bien que la présence de l’empereur ait exacerbé les

tensions, le conflit opposait surtout la population de Césarée, à l’origine de la nomination d’Eusèbe, et les autorités civiles et ecclésiastiques, sur la question du contrôle des élections épiscopales.

12 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 18, 34.

13 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 18, 32. Voir MCGUCKIN, Gregory of Nazianzus, p. 129-130. 14 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 15. Voir BERNARDI, Grégoire de Nazianze, p. 132-133.

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païen, apostat qui plus est ! L’autorité morale de Grégoire l’Ancien s’en trouva d’autant affectée et les convictions de Césaire furent sérieusement mises en doute. Grégoire écrivit à son frère pour le convaincre de rentrer à Nazianze, afin de mettre fin aux ragots et d’apaiser les inquiétudes de sa famille15, mais Césaire ne donna pas immédiatement suite à cette supplique. Il s’attarda encore un

peu à la cour, jusqu’à ce qu’une entrevue plutôt menaçante avec l’empereur le décidât finalement de se retirer, au grand soulagement de ses proches16.

c. La fuite de Grégoire

De surcroît, l’attitude de Grégoire lui-même à l’avènement de Julien n’avait pas été totalement exempte de reproche. De retour chez lui à l’automne 358, après plusieurs années d’études passées à l’extérieur, principalement à Athènes, où il avait apparemment pensé s’installer en tant que professeur17, Grégoire n’entra pas immédiatement au service de l’Église, comme la communauté s’y

attendait. Son désir profond était de suivre son ami Basile le Grand à la recherche d’une vie plus philosophique, retirée du monde, mais le soin de ses parents âgés18 le retenait dans les environs de

Nazianze où il s’accommoda d’une voie moyenne sur le domaine de son père19. Mais bientôt, la

pression de Grégoire l’Ancien pour que ce fils érudit l’assistât dans ses tâches pastorales devint si forte que Grégoire ne put résister davantage sans manquer de respect à ce père exigeant et vieillissant. Il dut se soumettre, malgré lui, à l’ordination à la prêtrise à la fin de l’année 361 ou au début de l’année 36220. L’annonce de la récente apostasie du jeune empereur n’était peut-être pas totalement

étrangère aux insistances de Grégoire l’Ancien, qui voyait les conflits poindre à l’horizon et qui sentait son grand âge lui peser21. Toutefois, au lieu de prendre docilement sa place derrière l’autel,

Grégoire, qui se sentit victime d’une tyrannie, s’enfuit peu de temps après dans le Pont, auprès de son ami Basile22.

15 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Lettres, 7. Selon Jean Bernardi (« Les Invectives », p. 94), ce facteur n’est pas à négliger : « En

vérité, cette lettre explique, pour une large part, la virulence des propos de Grégoire sur le compte de Julien, virulence due à la peur que Grégoire avait eue de voir son frère renier sa foi afin d'assurer sa carrière ».

16 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 7, 11-13.

17 Voir le résumé de la vie de Grégoire que dresse Rufin, en 399-400, dans la préface de sa traduction des discours de

Grégoire : RUFIN, Orationum Gregorii interpretatio, éd. Engelbrecht, p. 4. Les appels insistants de son père, ainsi que son

désir d’embrasser une vie plus monastique avaient eu raison de ce rêve, sans compter que les promesses qu’on lui avait faites au moment de sa première tentative de départ ne s’étaient peut-être pas concrétisées : GRÉGOIRE DE NAZIANZE, P. 2, 1, 11, v. 259-262. Voir BERNARDI, Grégoire de Nazianze, p. 118-119.

18 Lors du retour de son fils, Grégoire l’Ancien avait plus de quatre-vingts ans et sa femme, Nonna, peut-être dix ans de

moins. En effet, lorsque Grégoire l’Ancien mourut vers 374 (GALLAY, Grégoire de Nazianze, p. 124, n. 6), son fils le dit presque centenaire : GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 18, 38 ; Épitaphes, 55, PG 38, col. 38a. Voir GALLAY, Grégoire de

Nazianze, p. 24, n. 4.

19 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 2, 103 ; D. 18, 25 ; P. 2, 1, 11, v. 280-319 ; Lettres, 1, 2. 20 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 2 ; P. 2, 1, 11, v. 338-344.

21 Voir MCGUCKIN, Gregory of Nazianzus, p. 100-102.

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Cette fuite ne fut pas vue d’un bon œil par la petite communauté de Nazianze. Elle confirmait les pires soupçons que certains avaient pu concevoir sur ce fils d’évêque qui s’était un peu trop attardé à Athènes, haut-lieu de la culture païenne, et qui se montrait réticent à embrasser la carrière ecclésiastique23. « Athènes est nuisible aux autres dans le domaine de l’âme », avouait Grégoire des

années plus tard, avant d’ajouter : « mais à nous elle n’a fait aucun tort, parce que nous avions l’esprit solide et cuirassé »24. Cependant, pour un observateur étranger, en ce début d’année 362, le tableau

était moins positif : non seulement le jeune homme avait insisté fortement pour se rendre à Athènes, lieu de perdition, alors qu’il étudiait déjà à Alexandrie, mais il y était resté aussi plus longtemps que nécessaire. Il y avait même fait la rencontre du futur empereur Julien, ce dont il ne se cachait pas25.

Qu’est-ce qui garantissait aux fidèles de Nazianze que le fils aîné de leur évêque n’était pas sur la même pente glissante que cet apostat, lui qui, jusqu’ici, avait eu un parcours très similaire26 ? Les

rumeurs allaient bon train dans la cité, car, sermonna Grégoire à son retour, « rien, en effet, ne plaît tant aux hommes que de parler des affaires d’autrui »27. Pendant ce temps, l’autorité de l’évêque de

Nazianze périclitait, lui qui ne savait pas guider ses fils sur la bonne voie. Heureusement, Grégoire ne tarda pas à prendre le chemin du retour, suivi de peu par son frère Césaire. Concrètement parlant, Grégoire se trouvait déjà de retour à Nazianze pour la fête de Pâques 362, à l’occasion de laquelle il prononça son premier discours28. En effet, lorsqu’il devint évident que le passage de Julien en

Cappadoce était inévitable, Grégoire, poussé à la fois par sa mauvaise conscience et par sa piété filiale, revint prestement au pays, pour assister son père dans les conflits auxquels il faisait face29.

Son retour n’était toutefois pas uniquement motivé par la menace de Julien. Dans son discours d’apologie pour sa fuite, Grégoire déplorait en effet, d’un côté, la « guerre mutuelle »30 que se

23 Dans son apologie pour sa fuite, Grégoire fait mention à plusieurs reprises des reproches, réels ou supposés, qu’on lui

adressait : D. 2, 1 ; 2 ; 3 ; 6 ; et 92.

24 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 43, 21, éd. et trad. Bernardi : « Βλαϐεραὶ μὲν τοῖς ἄλλοις Ἀθῆναι τὰ εἰς ψυχήν […]. Ἡμῖν δ’

οὐδεμία παρὰ τούτων ζημία, τὴν διάνοιαν πεπυκνωμένοις καὶ πεφραγμένοις ». Voir BERNARDI, Grégoire de Nazianze, p. 89 et 112-113.

25 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 5, 23 ; D. 7, 13.

26 Ce parallélisme est souligné, entre autres, par Jean Bernardi (Discours 4-5, p. 18-20). Raymond Van Dam (Kingdom of

Snow, p. 194), quant à lui, relève les effets que ces similitudes de destin ont pu avoir sur l’écriture de Grégoire : « Despite

this criticism Gregory also seemed at times sympathetic to Julian, perhaps because he could see reflections of his own life in the emperor’s life. Julian had grown up on an estate in Cappadocia, and he had shared his study of both Christian writings and classical literature with his brother Gallus. Gregory himself during the previous few years had been living on Basil’s family’s estate in Pontus, where they had immersed themselves in ecclesiastical writings. Gregory also understood devotion to a brother, even a brother whose career went off in disconcerting directions. He furthermore admired Julian’s willingness to share the hardships and food of his troops, and he hinted that Julian would have made a good ascetic. When he looked at Julian, Gregory saw a version of himself. To avoid that identification, Gregory again had to turn any possible virtues into criticisms ».

27 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 2, 1, éd. et trad. Bernardi : « Οὐδὲν γὰρ οὕτως ἡδὺ τοῖς ἀνθρώποις ὡς τὸ λαλεῖν τὰ

ἀλλότρια […] ».

28 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 1.

29 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, D. 2, 102-103. Voir VAN DAM, Kingdom of Snow, p. 190.

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menaient entre eux les chrétiens par amour du Christ et, de l’autre côté, la moins menaçante « guerre venue de l’extérieur »31. Plus que jamais, le vieil évêque de Nazianze semblait avoir besoin d’aide :

non seulement pour préparer l’arrivée de Julien, faire entendre raison à Césaire et rassurer la population, mais, peut-être déjà aussi à cette date, pour réparer son erreur dogmatique – lui qui avait signé par inadvertance une confession de foi non-nicéenne – et pour résoudre le conflit avec les

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