• Aucun résultat trouvé

Problématique, propositions et difficultés pour un projet de type '"eveil aux langues" en Asie : cas d'étude à singapour

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Problématique, propositions et difficultés pour un projet de type '"eveil aux langues" en Asie : cas d'étude à singapour"

Copied!
1845
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: tel-01723535

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01723535

Submitted on 5 Mar 2018

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

singapour

Wei Yin Yong

To cite this version:

Wei Yin Yong. Problématique, propositions et difficultés pour un projet de type ”’eveil aux langues” en Asie : cas d’étude à singapour. Linguistique. Université de Lyon, 2016. Français. �NNT : 2016LY-SES009�. �tel-01723535�

(2)

École doctorale (484)

Lettres, Langues, Linguistiques et Arts

THÈSE DE DOCTORAT

DIDACTIQUE DES LANGUES ET DES CULTURES ET SCIENCES DU LANGAGE

CELEC

PROBLÉMATIQUE, PROPOSITIONS ET DIFFICULTÉS

POUR UN PROJET D’ENSEIGNEMENT

DE TYPE « ÉVEIL AUX LANGUES »

EN ASIE : CAS D’ÉTUDE À SINGAPOUR

Volume 1

Thèse dirigée par

Marielle RISPAIL

et présentée par

YONG Wei Yin

Membres du Jury

Joëlle ADEN, Université de Paris-Est Créteil Claude FINTZ, Université de Grenoble 2

Marielle RISPAIL, Université Jean Monnet de Saint-Étienne Diana-Lee SIMON, Université Stendhal, Grenoble 3 Marine TOTOZANI, Université Jean Monnet de Saint-Étienne

(3)
(4)

École doctorale (484)

Lettres, Langues, Linguistiques et Arts

THÈSE DE DOCTORAT

DIDACTIQUE DES LANGUES ET DES CULTURES ET SCIENCES DU LANGAGE

CELEC

PROBLÉMATIQUE, PROPOSITIONS ET DIFFICULTÉS

POUR UN PROJET D’ENSEIGNEMENT

DE TYPE « ÉVEIL AUX LANGUES »

EN ASIE : CAS D’ÉTUDE À SINGAPOUR

Volume 1

Thèse dirigée par

Marielle RISPAIL

et présentée par

YONG Wei Yin

Membres du Jury

Joëlle ADEN, Université de Paris-Est Créteil Claude FINTZ, Université de Grenoble 2

Marielle RISPAIL, Université Jean Monnet de Saint-Étienne Diana-Lee SIMON, Université Stendhal, Grenoble 3 Marine TOTOZANI, Université Jean Monnet de Saint-Étien

(5)
(6)

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier Marielle Rispail qui m’a accompagné tout au long de ce projet en témoignant une grande patience pour moi. Malgré son emploi du temps très chargé et le nombre de ses doctorants sous ses ailes, elle a toujours trouvé du temps pour me recevoir. Ses questions m’ont guidé sur les pistes de réflexion pertinentes au projet de recherche et m’ont permis d’apercevoir la lumière au bout du tunnel. Le chemin ainsi illuminé, j’ai enfin pu achever ce travail de recherche.

Je remercie Diana-Lee Simon qui m’a prêté des documents importants pour la conceptualisation de l’expérience didactique. Grâce à elle, j’ai pu construire, en adaptant ces documents, le matériel à servir dans l’expérience didactique.

Je remercie Chantal Forestal qui m’a parlé du programme « Éveil aux langues » et qui m’a présenté à Marielle Rispail. Ce faisant, elle m’a donc lancé sur le chemin de la découverte de l’Éveil aux langues.

Je tiens également à remercier Chantal Jean qui me loge et me nourrit quand je viens en France. ɕlle et toujours prête à aider un ami, et j’en suis reconnaissant. Elle a aussi participé à la lecture de certaines parties de la thèse.

Un grand merci aux trois générations de femmes (ma mère, ma femme et mes deux filles) qui ont supporté mes absences fréquentes car le week-end et les vacances sont, pour moi, les moments les plus rentables pour travailler la thèse. Merci à tous les autres membres de la famille et à mes amis à Singapour de leur compréhension que je n’ai pas pu participer aux activités telles les sorties, les promenades, les concerts, pique-nique, soirées avec eux.

(7)
(8)

SOMMAIRE

INTRODUCTION 1

PREMIERE PARTIE : POURQUOI EVLANG EN ASIE ? . . . . 5

CHAPITRE 1 : CONTEXTE POLITIQUE, HISTORIQUE ET LINGUISTIQUE 7 1 Situation géopolitique de l’Europe . . . 7

2 Situation en Extrême-Orient . . . 23

3 Points contentieux et sources de tensions et conflits en Extrême-Orient . . . 35

4 Situation linguistique en Extrême-Orient . . . 80

5 Réconciliation, coopération et ouverture : la contribution d’Evlang ? . . . 94

CHAPITRE 2 : SITUATION A SINGAPOUR . . . . 97

1 Situation géographique de Singapour . . . 97

2 Contexte historique de Singapour . . . 98

3 Situation linguistique et politique linguistique de Singapour. . . 116

4 L’évolution du paysage linguistique à Singapour . . . 126

5 Place du plurilinguisme à Singapour . . . 135

DEUXIÈME PARTIE : PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSES . . . 143

TROISIÈME PARTIE : CADRE THÉORIQUE . . . 149

CHAPITRE 1 : L’INTERCULTUREL . . . 151

1 La notion de culture . . . 151

2 Rappel historique de l’émergence de la notion d’« interculturel » . . . 155

3 Le terme d’interculturel et les définitions . . . 169

4 Les concepts adjacents . . . 173

5 Les prolongements de la réflexion interculturelle . . . 182

6 Conclusion . . . 188

CHAPITRE 2 : LES REPRESENTATIONS SOCIALES . . . 191

1 Historique de la notion de représentations sociales . . . 191

2 Les notions clés de la théorie des représentations sociales . . . 200

3 Deux approches des représentations . . . 206

4 Problèmes des recueils des données . . . 212

5 Conclusion . . . 214

CHAPITRE 3 : LE PLURILINGUISME . . . 215

1 Qu’est-ce qu’être plurilingue ? . . . 215

2 Situations plurilingues et rapports entre les langues . . . 218

3 Les approches plurielles en éducation . . . 225

(9)

QUATRIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE . . . 237

CHAPITRE 1 : ENQUETE SOCIOLINGUISTIQUE . . . 239

1 La constitution du questionnaire . . . 239

2 Les modalités de l’enquête . . . 243

3 La démarche de l’enquête . . . 244

CHAPITRE 2 : EXPERIENCE DE TYPE ÉVEIL AUX LANGUES . . . 247

1 Élaboration d’un cursus de type Eveil aux langues . . . 247

2 Mise en œuvre du cursus . . . 256

3 Analyse de l’expérience . . . 258

CINQUIÈME PARTIE : ANALYSES . . . . 263

CHAPITRE 1 : ANALYSE DE L’ENQUETE SOCIOLINGUISTIQUE . . . 265

1 Profil de notre échantillon d’enquêtés selon sept critères : ethnie, sexe, âge, religion, séjour à l’étranger, niveau d’études et type de logement . . . 266

2 Analyse des pratiques langagières . . . 277

3 Analyse des attitudes linguistiques des enquêté . . . 375

4 Analyse des capacités langagières . . . 448

5 Analyse des réactions spontanées des enquêtés à propos des langues . . . 475

6 Analyse des représentations linguistiques . . . 523

7 Effet de l’appartenance ethnique et sexuelle sur les résultats . . . 561

8 Réflexions sur les résultats de l’enquête sociolinguistique . . . 566

CHAPITRE 2 : ANALYSE DE L’EXPÉRIENCE DE TYPE ÉVLANG . . . 571

1 Compétences à vivre dans une société multilingue et multiculturelle . . . 571

2 Compétences à apprendre des langues . . . 583

3 Le « feedback » sur le programme de l’expérience . . . 594

4 Les représentations linguistiques des élèves sur le plurilinguisme . . . 605

5 Quelques remarques sur le rôle de l’enseignant . . . 607

6 Conclusion de l’analyse de l’expérience . . . 608

SIXIÈME PARTIE : VALIDATION DES HYPOTHÈSES . . . . 611

1 Évaluation des hypothèses . . . 613

2 Réflexions . . . 628

SEPTIÈME PARTIE : CONCLUSION . . . 631

(10)

INTRODUCTION

Le projet « Éveil aux langues »1, expérience menée entre 1999 et 2001 dans cinq pays européens (Autriche, ɕspagne, France, Italie, Suisse) a montré qu’une approche plurilingue est capable de susciter de l’intérêt chez les élèves pour la diversité des langues et des cultures et de favoriser à la fois l’ouverture vers d’autres langues et cultures et de développer une conscience de citoyenneté européenne.

Afin de mieux comprendre l’intérêt que pourrait comporter un enseignement de type Éveil aux langues en Asie en général, et à Singapour en particulier, nous développerons une explication en trois volets. En premier, nous étudierons le contexte historique et politique de l’ɕurope après la Seconde Guerre mondiale aboutissant à la création de l’Union européenne. Cela éclaircira la situation linguistique actuelle en ɕurope et permettra d’apprécier la place et l’importance d’Éveil aux langues dans la communauté européenne. Puis, nous passerons, dans le deuxième volet, au contexte historique et politique en Extrême-Orient pour nous demander si une communauté asiatique est possible ou pas et pourquoi l’Éveil aux langues pourrait servir de catalyseur dans sa construction. Cela nous amènera au troisième volet focalisé sur la situation multilingue et multiculturelle de la société singapourienne contemporaine. Ayant des traits d’un véritable microcosme de l’Asie, sur les plans ethnique, linguistique, culturel et religieux, Singapour semble être un endroit idéal pour l’implantation de l’Éveil aux langues : les résultats pourraient avoir des conséquences pour les autres pays asiatiques et donner des pistes pour l’évolution linguistique, culturelle et donc politique de cette région du monde.

Outre les atouts que possède Singapour pour le plurilinguisme, le troisième volet expose aussi les dangers menaçant la diversité linguistique du pays. La politique linguistique qualifiant une seule langue de « langue neutre » et généralisant le bilinguisme de type « anglais + langue ethnique », semble avoir nourri l’idée que seul l’anglais suffit pour toute communication interethnique et pour toute

1 Le bilan de ce projet est publié dans l’ouvrage CANDELIER, M., (2003a) : L’éveil aux langues à

(11)

communication tout court. Ouvrir une porte aux autres par une seule langue, l’anglais, ne risque-t-il pas de fermer toutes les autres portes, empêchant la découverte des autres langues et le contact avec les autres cultures à Singapour et dans le monde ?

C’est en souhaitant trouver des pistes pour éviter à Singapour cette tendance à la fermeture linguistique, pour y développer le plurilinguisme et y encourager une ouverture aux autres langues et aux cultures qu’elles véhiculent que nous avons décidé d’entamer cette recherche. Notre objectif est d’envisager la faisabilité pour construire, dans l'esprit des Singapouriens, les bases d'une réelle ouverture plurilingue et pluriculturelle à l’altérité, par le biais d'un enseignement de type « Éveil aux langues » (Evlang) adapté à un public asiatique.

Pour ce faire, nous avons commencé par cerner le cadre théorique et les notions sur lesquels s'appuie cette étude, à savoir, les concepts autour de l’interculturel, des représentations linguistiques et des approches plurilingues. Pour chacune de ces trois notions, nous faisons un bref rappel historique de son apparition et son évolution dans le temps, ainsi qu’une étude du développement et de la conceptualisation des notions clés. Cela est suivi d’une exploration des raisons pour lesquelles ces notions nous paraissent pertinentes pour le cas d’étude à Singapour. La confrontation entre les concepts théoriques et le contexte que représente la société singapourienne permet donc de fixer les lignes directrices à adopter. Ainsi, nous tentons de valider la faisabilité d’une démarche éducative de type ɕvlang à Singapour par l’adoption d’une méthodologie dont l’action se déploie sur deux fronts. Sur le premier front, nous faisons une enquête sociolinguistique sur les habitudes linguistiques des Singapouriens avec les personnes de leur entourage (langues parlées aux parents, aux frères et sœurs, aux amis d’origine ethnique différente et aux amis de la même ethnie) ainsi que dans l’espace (lieux publics comparés aux lieux privés). Les sujets sont également sondés sur leurs attitudes envers les langues, le besoin d’apprendre des langues et leurs réactions face à des allophones dans quatre situations exolingues. Cela permet de déceler, ou au moins d’avoir un aperçu des représentations des Singapouriens sur les langues et le

(12)

plurilinguisme, dans l’objectif d’expliquer leurs attitudes envers les langues et leurs comportements langagiers.

Sur le deuxième front, nous faisons une expérience de type Éveil aux langues avec trois élèves de 10 à 12 ans. L’expérimentation donne lieu, dans un premier temps, à une analyse du discours des élèves pendant les cours. Dans un deuxième temps, un débat évaluatif à la fin du cursus permet de dégager leurs représentations du plurilinguisme et de ce qu’ils pensent des cours de type ɕvlang.

Notre thèse s’organise donc comme suit, à partir des étapes de notre réflexion exposée ci-dessus : après avoir présenté, dans la première partie, le contexte singapourien dans lequel s’inscrit notre étude, nous en tirerons notre problématique dans une deuxième et courte partie. Elle sera suivie, dans la troisième partie, des concepts qui nous ont aidé à penser ce contexte et à analyser nos données. Notre protocole de recherche sera annoncé ensuite, dans la quatrième partie, avant de laisser la place à l’analyse et l’interprétation finale des données recueillies dans la cinquième partie.

L’enjeu de ce projet de recherche n’est pas uniquement de nature universitaire et intellectuelle. Nous souhaitons que l’expérience de type ɕvlang et l’enquête puissent faire apparaître des données intéressantes pour un projet ɕvlang à Singapour, et surtout des indices sur la faisabilité d’« Evlang » dans le pays. Nous espérons, par cette étude, participer à l’effort pour soutenir le plurilinguisme et le pluriculturalisme, permettant ainsi de « contribuer à la construction des sociétés solidaires et culturellement pluralistes »2.

2 Michel CANDELIER révèle que ces finalités de l’approche ɕvlang, citées dans CANDELIER M.,

(2003a), op. cit., p. 21, ont été publiées dans CANDELIER, M., MACAIRE, D., (1998) :

Propositions pour une classification des objectifs qui est un document de travail interne produit avec la collaboration de l’équipe ɕvlang.

(13)
(14)

PREMIÈRE PARTIE

POURQUOI EVLANG EN ASIE ?

Chapitre 1

Contexte politique, historique et linguistique

Chapitre 2

(15)
(16)

CHAPITRE 1 : CONTEXTE POLITIQUE, HISTORIQUE ET LINGUISTIQUE

Soixante-cinq ans ont passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qui a duré du 1er septembre 1939, date de la déclaration de guerre par la Grande-Bretagne et la France suite à l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie, au 15 août 1945, le jour de la capitulation du Japon. Les champs de bataille de cette guerre se trouvaient essentiellement en Asie et en Europe1, et dans les mers et les océans qui bordent ces deux continents. Cette guerre dévastatrice en terme de pertes de vies humaines et de dégâts matériels, a-t-elle donné des leçons pour l’humanité ?

Les anciens pays belligérants d’ɕurope semblent progresser vers une Union européenne où une guerre entre pays membres n’est plus guère pensable. L’ɕxtrême-Orient par contre continue d’être brisé par des conflits dont certains découlent de la Seconde guerre mondiale qui semble encore inachevée, et d’autres soulevés par les nouveaux états indépendants par rapport à l’effondrement des empires coloniaux occidentaux. Nous ferons dans ce chapitre un bref rappel de la situation en Europe suivi de celle en Extrême-Orient pour mieux saisir la place d’un enseignement de type d’Éveil aux langues en Asie.

1 Situation géopolitique de l’Europe

ɕn ɕurope, l’œuvre d’une véritable construction d’une communauté européenne a commencé avec le rapprochement historique entre deux des anciennes puissances belligérantes, à savoir la France et l’Allemagne (à l’époque, l’Allemagne de l’ouest). Il y a dans ce geste la volonté de ne plus imposer par la force des armes une union ou empire composé de pays européens, mais de bâtir une paix durable et de consolider les relations pacifiques entre nations par la réconciliation des peuples européens. C’est ainsi que la France et l’Allemagne de l’ouest ont fait le premier pas en créant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CɕCA)2, dans

1 Quelques batailles ont eu lieu en Afrique du Nord. 2 Créé par le Traité de Paris signé le 18 avril 1951.

(17)

laquelle les pays du Benelux (Belgique, Luxembourg et Pays-Bas) comptent aussi comme pays fondateurs. Puis, en passant par la Communauté économique européenne (CEE)3, qui a concrétisé un élargissement des domaines de coopération, en particulier le marché commun, cette réconciliation européenne a enfin abouti à l’Union européenne4 telle qu’elle existe aujourd’hui. L’œuvre n’est pas achevée, mais ce projet visionnaire a déjà réussi certains exploits notamment dans les domaines tels que la création d’une monnaie unique, l’euro5, l’ouverture de l’espace Schengen6 etc.

Grâce à cela, tout Européen peut maintenant franchir librement les frontières nationales des pays de l’Union européenne adhérents au traité de Maastricht et à la convention de Schengen, pour des raisons diverses telles que le travail, les études et le tourisme etc.7. Leurs transactions financières peuvent désormais se faire sans être alourdies par des coûts tels que les frais de change de monnaie. Par ailleurs, il existe maintenant une certaine harmonisation sur les plans économique, éducatif et juridique dans l’espace européen. Cela permet aux citoyens de l’Union européenne de s’intégrer sans trop de difficultés, même s’il existe des différences notamment linguistiques et culturelles, dans n’importe pays membre de l’Union. Par exemple, l’harmonisation des diplômes facilite les séjours et les transferts des étudiants d’un pays à l’autre.

Cependant, dans son état actuel, l’Union européenne n’est pas parfaite. Pour des raisons politiques, économiques, linguistiques, culturelles et historiques, les critiques ou eurosceptiques n’ont pas cessé d’exprimer leurs craintes : perte de souveraineté nationale, politiques qui ne profitent qu’aux ressortissants de certains pays membres etc. Par ailleurs, dès qu’il y a des conflits d’intérêts, les pays membres

3 Créé par le Traité de Rome signé le 27 mars 1957. 4 Créé par le Traité de Maastricht signé le 7 février 1992.

5 Préconisé par le Traité de Maastricht signé le 7 février 1992, l’euro a été mis en circulation le 1er

janvier 2002.

6 La convention de Schengen permet la création d’un espace Schengen à l’intérieur duquel les pays

européens signataires pratiquent l’ouverture des frontières entre eux et une politique commune en ce qui concerne les visas et les contrôles frontalières envers les pays extérieurs à l’espace.

7 Le Traité de Maastricht permet aux citoyens des pays de l’Union européenne de circuler et de

(18)

agissent parfois de façon à rappeler que les intérêts nationaux priment toujours sur ceux de l’Union, même au risque de se mettre en désaccord avec les autres pays membres (ex. guerre du Golfe, mesures d’austérité financière).

Par ailleurs, comme le fait remarquer Frank, le « sentiment européen » reste encore

« peu répandu dans les sociétés au 20e siècle, tant il rencontre précisément la

concurrence des sentiments nationaux, bien plus vifs et plus enracinés. [...] le patriotisme tourne plutôt autour de la nation, et le patriotisme européen, qui n’est d’ailleurs pas en contradiction avec le patriotisme originel, ne concerne qu’une minorité »8.

Néanmoins, Frank est d’avis que la construction de l’ɕurope a commencé « à créer, timidement, un sentiment d’appartenance, non plus seulement à une aire culturelle, mais à une communauté en gestation »9,

aboutissant à ce qu’il appelle une « identité politique européenne », même si celle-ci est encore « fragmentaire, pesant peu de poids par rapport aux identités politiques

nationales » 10. Il reste donc encore beaucoup à faire pour que dans l’avenir, la

solidarité s’enracine dans la conscience des peuples européens.

Un autre problème concerne la monnaie unique. Nous avons vu que sur le plan économique et financier, l’euro semble avoir apporté des bénéfices aux Européens, mais, en même temps, il a fait survenir des problèmes. Les dettes étatiques excessives que certains pays de l’ɕurozone (composés de pays ayant adopté l’euro), notamment la Grèce, l’ɕspagne, le Portugal, subissent actuellement, semblent confirmer les détracteurs de la monnaie unique. Parmi ceux-ci, Baimbridge croit opportun d'appeler cette crise financière la « tragédie grecque », car il y voit :

« un manque fondamental de confiance, encore moins une source d’identité partagée, parmi les peuples enchaînés ensemble dans ce qui est devenu un mariage d’inconvénients »11.

8 FRANK, R., (2001) : Une histoire problématique, une histoire du temps présent, Presses de

Sciences Po, Vingtième Siècle, Revue d’histoire, No. 71, p. 86.

9 FRANK, R., (2001), ibid. 10 FRANK, R., (2001), ibid.

11 BAIMBIDGE, M., et al., (2012) : The Eurozone as a Flawed Currency Area, The Political

Quarterly, Vol. 83, No. 1, January-March 2012, p. 106. Citation traduite de l’anglais par nous-mêmes.

(19)

ɔ’après ces chercheurs, la crise financière met en cause la création de l’euro ainsi que de l’ɕurozone. Ils soutiennent que l’adoption par les pays de l’euro est erronée, car non soumise à des critères rigoureux économiques.12

Selon ɔaianu, c’est le moment d’adoption de l’euro qui s’est avéré une épée à double tranchant. ɔ’une part, ne pas adopter l’euro rend les pays plus vulnérables, surtout par les attaques spéculatives contre leurs monnaies. ɔ’autre part, l’adoption trop rapide de l’euro fait que, d’après ɔaianu, les pays risquent, d’après ɔaianu,

« de ne pas pouvoir surmonter la perte de la flexibilité qui découle du renoncement à leur politique de taux de change et à leurs outils de politique monétaire »13.

Une étude menée par Balcerowicz montre du doigt plutôt les sources telles que les « booms » financiers, la mauvaise gestion fiscale, en particulier les dépenses excessives, l’incapacité ou le manque de volonté de réforme, etc.14 Bref, les hypothèses ne manquent pas mais ce n’est pas l'objectif de les traiter ici. Il suffit pour nous de constater que l’Union économique et monétaire reste problématique et de laisser aux soins des experts d’étudier ces difficultés et de proposer des chemins à suivre.

En dépit des « imperfections », il existe des pays dans les zones bordant la périphérie de l’Union européenne, tels que le Maroc et la Turquie, qui manifestent leur désir d’en faire partie. ɔ’ailleurs, Frank nous rappelle que l’expansion future n’est pas à écarter car actuellement

« [...] l’Union européenne ne recouvre pas tout le continent européen. On la désigne malgré tout sous le nom d’« Europe », comme si elle était toute l’ɕurope, ou peut-être comme si elle devait un jour la devenir tout entière. »15

ɔans une étude sur les représentations des limites de l’ɕurope, ɔidelon montre que la taille d’une Union européenne hypothétique pourrait dépasser les

12 BAIMBIDGE, M., et al., (2012), id., p. 96.

13 ɔAIANU, ɔ., (2010) : L’union économique et monétaire : l’entrée dans une ère de moindres

espérances et d’incertitude, Revue d’économie financière, No. 96, L’euro en 2019, pp. 154-155.

14 BALCEROWICZ, L., (2014) : Euro imbalances and adjustment : An comparative analysis, Cato

Journal, Vol. 34, No. 3, pp. 453-482. 15 FRANK, R., (2001), op. cit., p. 80.

(20)

frontières de l’ɕurope telle que celle-ci est délimitée par les géographes.16 Cette étude indique également des hésitations sur l’inclusion ou non des pays du Maghreb et du Moyen orient, ainsi que de la Turquie et de la Russie. Il est à noter que ces deux derniers pays sont à cheval sur deux continents, c’est-à-dire à la fois en Asie et en ɕurope. Ce qui est clair, d’après cette étude, c’est que les pays exclus définitivement de l’« Europe » pour l’instant sont l’Arabie saoudite et l’Iran, et les pays à l’est de ceux-ci, ainsi que ceux qui se trouvent au sud du Sahara.

Malgré tous les problèmes et difficultés, la progression vers une véritable Europe « IN VARIETATE CONCORDIA » (unie dans la diversité)17 semble bien en marche. Parmi les domaines où la construction européenne prend forme, celui auquel nous nous intéressons concerne la situation linguistique actuelle de l’Union européenne, l’évolution linguistique, en particulier, celle du plurilinguisme, ainsi que la politique linguistique menée par l’Union européenne.

1.1 Situation linguistique de l’Union européenne

Depuis 200718, l’Union européenne compte vingt-sept pays19. Les langues pratiquées dans ces pays sont principalement issues des familles indo-européenne (allemand, anglais, espagnol, français, italien, portugais, polonais, slovaque etc.) finno-ougrienne (finnois, estonien et hongrois) et sémitique (le maltais). Ajouté à cela, il y a l’apport des langues locales, minorées, ainsi que les langues issues de l’immigration en provenance des quatre coins du monde (arabe, chinois, turc, vietnamien etc.).

Compte tenu du grand nombre de langues officielles et de langues régionales et minoritaires pratiquées dans les pays membres, le plurilinguisme est soutenu officiellement par l’Union européenne. Nous constatons que l’Union européenne est,

16 DIDELON, C., (2010) : Une vision de l’ɕurope, Le tracé de l’ɕurope selon les chercheurs

impliqués dans ESPON, Annales de géographie, No. 673, pp. 211-228.

17 Ceci est la devise de l’Union européenne en latin et entre parenthèses, en français. 18 En 2007, la Bulgarie et la Roumaine sont entrées dans l’Union européenne.

19 Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce,

Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume uni, Slovaquie, Slovénie, Suède.

(21)

à travers son discours officiel, favorable au maintien et même à la promotion du plurilinguisme en ɕurope. A travers ses institutions, l’Union européenne déclare que non seulement

« la diversité linguistique européenne constitue un enrichissement culturel important et qu'il serait erroné de s'en tenir à une seule langue principale pour l'Union »20

mais aussi que

« la diversité linguistique et culturelle est constitutive de l'identité européenne ; elle est à la fois un héritage partagé, une richesse, un défi et un atout pour l'Europe »21. Le Parlement européen est également conscient que

« l'importance du multilinguisme ne se limite pas aux aspects économiques et sociaux et qu'il convient aussi de prendre en considération la création et la transmission culturelles et scientifiques, ainsi que les aspects relatifs à l'importance de la traduction, tant littéraire que technique, dans la vie des citoyens et le développement à long terme de l'Union, mais aussi le rôle significatif joué par les langues dans la création et le renforcement de l'identité »22.

Outre cela,

« le multilinguisme est essentiel pour une communication efficace et constitue un outil permettant de faciliter la compréhension entre les personnes et, partant, l'acceptation de la diversité et des minorités »23,

d’où des implications bénéfiques du plurilinguisme pour l’ouverture sur l’altérité ou la diversité linguistique, culturelle et ethnique.

Compte tenu de ces aspects bénéfiques du plurilinguisme, le Conseil de l’ɕurope est convaincu que

« des efforts importants devraient être faits pour promouvoir l'apprentissage des langues et pour valoriser les aspects culturels de la diversité linguistique à tous les niveaux d'éducation et de formation, tout en améliorant l'information sur la variété des langues européennes ainsi que leur diffusion dans le monde »24.

Plus précisément, le Parlement européen

20 Résolution du Parlement européen du 24 mars 2009 sur le multilinguisme : Un atout pour l’ɕurope

et un engagement commun, article 4.

21 Résolution du Conseil de l’ɕurope du 21 novembre 2008 relative à une stratégie européenne en

faveur du multilinguisme, Journal officiel no C 320 16/12/2008, pp. 1-3.

22 Résolution du Parlement européen du 24 mars 2009 sur le multilinguisme : un atout pour l’ɕurope

et un engagement commun, article 6.

23 Résolution du Parlement européen du 24 mars 2009 sur le multilinguisme : un atout pour l’ɕurope

et un engagement commun, article 26.

24 Résolution du Conseil de l’ɕurope du 21 novembre 2008 relative à une stratégie européenne en

(22)

« recommande aux États membres d'inclure dans leurs programmes scolaires l'étude facultative d'une troisième langue étrangère dès l'école secondaire25, d'encourager l'apprentissage des langues des pays voisins et des régions voisines, en particulier dans les zones frontalières26 et d'améliorer la communication et la compréhension mutuelle au sein de l'Union et de renforcer celle-ci ».27

Ainsi, le soutien institutionnel pour le plurilinguisme en Europe y est, mais la question qui se pose est : de quel plurilinguisme parle-t-on ? En théorie, la place de toutes les langues européennes semble être assurée au sein de l’Union européenne. Mais en est-il ainsi dans la pratique ? Sur le niveau institutionnel européen, le Parlement européen

« insiste sur la reconnaissance de la parité entre les langues officielles de l'Union dans tous les domaines de l'activité publique »28.

En effet, tout pays membre a le droit de demander que tout énoncé officiel des institutions de l’Union européenne soit traduit dans sa langue officielle. Cependant, il semble que dans la pratique, en tant que langue de travail, trois langues dominent, à savoir l’allemand, l’anglais et le français. Même à l’intérieur de ce trio, l’anglais a tendance à s’imposer.

Cela n’est pas surprenant, car sur le niveau individuel, c’est-à-dire des citoyens des pays européens, le choix de l’anglais comme langue étrangère la plus étudiée paraît généralisé, sauf bien sûr pour les pays, comme le Royaume-Uni et l’Irlande, où l’anglais n’est pas une langue étrangère. Il n’est donc pas surprenant que les jeunes Européens s’en servent pour communiquer dans une rencontre où il y a des locuteurs originaires de pays européens différents. Il n’est pas à écarter qu’à l’avenir le monolinguisme se développe dans les institutions européennes à tel point que seul l’anglais sera admis comme langue de travail et fonctionnera de fait comme seule langue officielle. Cela n’est pas inattendu, vu qu’il n’existe pas encore de

25 Résolution du Parlement européen du 24 mars 2009 sur le multilinguisme : un atout pour l’ɕurope

et un engagement commun, article 27.

26 Résolution du Parlement européen du 24 mars 2009 sur le multilinguisme : un atout pour l’ɕurope

et un engagement commun, article 30.

27 Résolution du Parlement européen du 24 mars 2009 sur le multilinguisme : un atout pour l’ɕurope

et un engagement commun, article 29.

28 Résolution du Parlement européen du 24 mars 2009 sur le multilinguisme : un atout pour l’ɕurope

(23)

politique linguistique commune comportant de mesures efficaces pour contrer l’expansion d’une seule langue sur le vieux continent, comme le souligne le Parlement européen qui

« regrette que la Commission n'ait toujours pas institué un programme pluriannuel pour la diversité linguistique et l'apprentissage des langues ou créé une agence européenne pour la diversité linguistique et l'apprentissage des langues »29.

Toutes ces pondérations sur les langues officielles et les langues de travail de l’Union européenne ne doivent pas nous détourner des autres langues, car il ne faut pas oublier que les langues régionales minorées et les langues de l’immigration existent également au sein de l’ɕurope. ɔans la section suivante, nous aborderons la problématique de ces langues.

1.2 Problématiques linguistiques en Europe

L’emploi des langues officielles dans les instances de l’Union européennes, qu’elles soient nationales ou supranationales, ont tendance à obscurcir les langues minoritaires, mais celles-ci ne sont pas pour autant moins importantes pour la construction d’une communauté européenne fondée dans la diversité. Mais quelles sont ces langues minoritaires ? Qui les parle ? Pour les langues minoritaires, nous souscrivons à la définition de Blanchet :

« une langue est minoritaire quand elle est à la fois minorée et minorisée, et uniquement quand les deux phénomènes se produisent conjointement. La minoration (qualitative) est une question de statut : une langue est minorée quand son statut social diminue (par rapport à celui d’une autre, dont le statut est plus élevé). La minorisation (quantitative) est une question de pratiques : une langue est minorisée quand l’ensemble des pratiques, évaluées en nombre de locuteurs, ou en productions (orales et écrites), ou encore en interactions possibles dans la vie quotidienne, diminue (par rapport aux pratiques d’une autre, dont le nombre est plus élevé) »30.

Cette définition permet de distinguer, d’après nous, deux catégories de langues minoritaires dans l’Union européenne :

29 Résolution du Parlement européen du 24 mars 2009 sur le multilinguisme : un atout pour l’ɕurope

et un engagement commun, article 16.

(24)

(1) les langues des minorités ethniques

Selon Bollmann, le terme « langues des minorités ethniques » vient de la terminologie employée par Pan et Pfeil dans l’ouvrage Die Volksgruppen in Europa, où le terme « minorités ethniques » désignent les peuples qui

« ne sont majoritaires dans aucun État et n’ont pas non plus d’État national à eux. »31

Les auteurs considèrent les Catalans et les Bretons en France, les Sorabes en Allemagne et les Lives en Lettonie comme appartenant à la catégorie des « minorités ethniques ». Il s’agit donc des langues régionales quand elles sont parlées dans une partie limitée du territoire d’un État, ou bien de celles que nous appelons les langues

nomades telles que les langues des Roms qui se déplacent sans habiter un territoire

définitif. Ce dernier cas met en relief la nature d’une langue  la mobilité  car c’est le locuteur (capable de se déplacer) et non le territoire (immobile) qui « possède » une langue donnée.

(2) les langues des minorités nationales

Également dérivées, selon Bollmann, de Die Volksgruppen in Europa, le terme « minorité nationale » désigne un peuple qui

« partage son identité ethnique (culture, langue) avec une communauté (plus grande),

qui forme ailleurs une majorité nationale, c’est-à-dire qui fournit la majorité de la population et constitue un État national propre »32.

Les auteurs de l’ouvrage citent ainsi les Allemands au Danemark, les Danois en Allemagne, les Hongrois en Roumanie, les Roumains en Hongrie, etc. Auxquels nous pouvons ajouter les Polonais, les Espagnols, les Portugais en France. À cette notion, nous ajoutons une précision : les peuples comprennent ceux issus de l’immigration aussi bien que les habitants originaux d’un territoire absorbé par l’État concerné. Les langues des minorités nationales comprennent donc aussi l’arabe, le chinois, le cambodgien, le coréen, le turc, le vietnamien etc.

31 BOLLMANN, Y., (2002), Les langues régionales et minoritaires en Europe, Volksgruppen : le

grand retour, Hérodote, 2002/2 No. 105, p. 197.

(25)

L’apparition, en 1992, de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, mise au point par le Conseil de l’ɕurope représente, nous semble-t-il, un grand pas en avant pour le développement de la diversité linguistique et culturel en Europe. Elle établit les bases pour

« la protection des langues régionales et minoritaires historiques de l’ɕurope dont certaines risquent, au fil du temps, de disparaître, pour contribuer à maintenir et à développer les traditions et la richesse culturelles de l’ɕurope ».

Ceci en instaurant que

« le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique constitue un droit imprescriptible ».

ɕn même temps, la charte tente d’équilibrer les tensions entre langues régionales et minoritaires d’un côté et les langues officielles des États de l’autre en rassurant que

« la protection et l'encouragement des langues régionales ou minoritaires ne devraient pas se faire au détriment des langues officielles et de la nécessité de les apprendre ».

Cependant, la défense de la diversité linguistique et culturelle en Europe, s’avère problématique sur plusieurs fronts identifiés par certains chercheurs : (1) la politisation des langues régionales, (2) l’authenticité des néo-langues reconstruites, (3) le cloisonnement langue-territoire et (4) l’oppression des droits des autres locuteurs. Nous allons présenter les réflexions de ces chercheurs pour pondérer le paradoxe que soulève cette défense plurilingue et pluriculturelle.

Le premier problème consiste dans le fait que la défense des langues minoritaires a été prise comme prétexte pour poser des revendications de nature politique. Comme remarque Bollmann, les combats pour la reconnaissance des droits des groupes minoritaires dégénèrent souvent en conflits où l’Union européenne sert, pour les militants, d’

« un levier à utiliser dans cette quête d’indépendance et de séparatisme »33.

Lorsque ces revendications se heurtent aux principes de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’État, et que l’État ne cède pas aux demandes, certains militants choisissent le chemin de luttes terroristes violentes, comme ce fut le cas avec les Basques en Espagne et les Corses en France.

(26)

Le deuxième problème concerne l’authenticité linguistique. Pour Giblin, les tentatives de reconstruction des formes orales et écrites des langues régionales, y compris leur standardisation et normalisation, ont en effet créé ce qu’elle appelle les « néo-langues régionales » destinées à être enseignées dans des écoles privées ou publiques. Par là, elle fait écho à d’autres sociolinguistes, tels que Arregi, Bidart, et Blanchet, qui mettent en garde contre ces « néo-langues » constituées à partir des « constructions linguistiques et lexicales sensiblement différentes des langues

parlées autrefois ou encore parfois aujourd’hui par les plus âgés »34. Par ailleurs,

Giblin constate que les « vrais » locuteurs des langues régionales « authentiques » « n’ont d’ailleurs aucun plaisir à écouter les émissions de radio ou de télévision en breton ou en corse car ce n’est pas « leur » langue, elle ne sonne pas comme celle qu’ils ont parlée dans leur enfance »35.

Giblin souligne également le paradoxe de l’imposition des « néo-langues » telles que l’« euskeranto plastifié », le « breton chimique », l’« occitan chimique » et ce que Blanchet appelle le « néo-provencitan ». C’est qu’au lieu de sauver les vraies variétés des langues régionales,

« on pourrait presque accuser les défenseurs de ces nouvelles langues régionales d’accélérer la mort de ces langues parlées encore vivantes, qui sont le véritable patrimoine culturel »36.

Bien que Blanchet soit d’avis qu’on devrait prendre en compte ces « néo-langues régionales », car, admet-il, elles jouent certainement un rôle non négligeable pour servir aux besoins de certaines couches de la population, il met en garde tout de même qu’

« il ne faut pas s’intéresser qu’à elles (sous prétexte que ce sont celles des militants les plus revendicatifs), ni en faire les modèles des langues régionales qui seront instituées, enseignées, valorisées »37.

Le troisième problème que certains chercheurs ont relevé concerne les problèmes que pose l’ancrage d’une langue à un territoire défini. Tout en soutenant

34 GIBLIN, B., (2002), Langues et territoires : une question géopolitique, Hérodote, 2002/2, No. 105,

p. 10.

35 GIBLIN, B., (2002), id., pp. 10-11. 36 GIBLIN, B., (2002), id., p. 11.

(27)

« la reconnaissance d’un espace public pour les identités particulières, les langues autres que celles sur lesquelles a été bâtie l’identité officielle des États-nations actuels »,38 Arregi souligne qu’

« elle doit être réalisée dans le respect des conquêtes de la modernité », 39 qui dans le cas de la France, sont

« si bien incarnées par les principes de la Révolution française, égalité de tous devant la loi comme principe constitutif de l’espace public, de l’espace de la politique. » 40

Le cloisonnement langue-territoire, est-il compatible avec les droits de tous les citoyens qui y habitent ? ɔans le monde d’aujourd’hui, les déplacements de peuples rendent les territoires moins isolés qu’auparavant sur les plans sociaux, ethnique, linguistique et culturels. C’est pourquoi nous trouvons juste l’interrogation de Lefèvre qui se réfère à la situation en Corse mais qui est d’ailleurs applicable partout où il y a brassage de populations :

« Cette association communauté linguistique et territoire n’est-elle pas dans son concept même source de rivalités, de divisions et de conflits ? Ce type de reconnaissance statutaire ne crée-t-il pas à son tour des communautés minoritaires sur le territoire de l’île de Corse ? Que devient la « langue des migrants », exclue de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, dans un des territoires régionaux de France où vivent le plus d’étrangers ? »41.

Lefèvre nous met en garde contre une prétendue défense des langues régionales et minoritaires qui privilégie une langue régionale dans un territoire donné. Il y voit un risque d’instauration d’une politique d’exclusion des autres groupes linguistiques et culturels, et par extension, une politique d’oppression des droits de ces groupes. Ce qui représente en effet une fermeture, au lieu d’être une ouverture, à la diversité linguistique et culturelle.

Pire, cette idée de langue régionale associée à un territoire défini, une fois généralisée dans l’enseignement, pourrait susciter des revendications chez les autres groupes ethniques, linguistiques et culturels pour le même type de privilèges. Ce qui

38 ARREGI, J., (2002), op. cit., p. 133. 39 ARREGI, J., (2002), op. cit., p. 134. 40 ARREGI, J., (2002), op. cit., p. 134.

(28)

finira par réaliser la ghettoïsation des communautés linguistiques et culturelles, comme prévient Giblin :

« A-t-on mesuré les risques qu’entraîne la revendication d’un enseignement par immersion totale dans la langue comme le pratiquent les écoles Diwan ou Seaska, car au nom de l’égalité et du respect des cultures, des origines et des racines, comment refuser l’enseignement en arabe, en berbère ou en turc et constituer alors des ghettos d’immersion totale dans ces langues ? »42.

Les propos de Giblin mettent en garde contre cette séparation physique des enfants dans des écoles d’immersion selon leur groupe linguistique. Cette compartimentalisation linguistique et culturelle, une fois généralisée sur un État donné et sur l’ensemble des enfants dès le plus jeune âge de cet État, aurait, nous en sommes convaincus, l’effet de freiner, voire arrêter les échanges socioculturels entre les différents groupes.

Par ailleurs, il se peut que les langues servent de prétexte pour engendrer de conflits violents sur la notion de territorialité, car, remarque Giblin, en dépit du fait que

« [...] pour nombre de locuteurs des langues régionales, en particulier ceux qui ont parlé l’une d’entre elles dans leur enfance, il n’y a pas de concurrence entre la langue régionale et la langue nationale. La langue régionale devient un enjeu de pouvoir quand il existe dans la région un mouvement nationaliste. Pour les militants de ce mouvement, parler la langue régionale est perçu comme le moyen d’afficher leurs convictions nationalistes ; en quelque sorte, imposer leur langue c’est reconquérir leur territoire. C’est dans ces conditions que naissent les conflits territoriaux linguistiques. »43

Pour exemples, Giblin cite des cas où deux nationalismes, et par extension deux langues, se disputent le même territoire : en Espagne où le basque ou le catalan se placent contre l’espagnol, et en Belgique où le flamand affronte le wallon. C’est dans la même ligne de pensée que dit Bollmann avec justesse,

« c’est l’alliance forcée d’une langue, d’une ethnie et d’un territoire qui donne un ensemble explosif. »44

Le dernier problème concerne le paradoxe inhérent de la Charte. Le principe exprimé dans celle-ci prône la

42 GIBLIN, B., (2002), op. cit., p. 13. 43 GIBLIN, B., (2002), op. cit., p. 5. 44 BOLLMANN, Y., (2002), op. cit., p. 197.

(29)

« construction d'une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle »45

par la reconnaissance et le soutien de toutes les langues minorées et minorisées. En fait, la Charte institutionnalise l’exclusion parce qu’elle

« n'inclut ni les dialectes de la (des) langue(s) officielle(s) de l'État, ni les langues des migrants ».46

Comment pourrait-on parler de diversité culturelle si les éléments culturels et linguistiques de certaines catégories de ressortissants des États européens en sont exclus ?

Nous avons vu qu’au nom de la valorisation des langues minoritaires, toutes les argumentations semblent utiles, même si certaines s’avèrent contradictoires ou entravent les droits des autres, en particulier, ceux d'autres minorités. Il est peut-être important de prendre conscience, comme nous le dit Blanche, pour nous mettre en garde, qu’

« il ne faudrait pas non plus que, par souci louable de préservation du patrimoine mondial des langues, on finisse par « sauver » une langue contre l’avis des gens qu’elle concerne. S’ils n’en veulent plus, il faut l’accepter. ɕn revanche, s’ils y sont attachés, il faut aller leur demander ce qu’ils veulent exactement et pas simplement consulter tel groupe de personnes, en général réduit, prétendu interlocuteur légitime »47.

ɔonc, nous constatons qu’il existe en ɕurope la volonté pour le maintien et le développement de la diversité linguistique et culturelle. Seulement, certains s’en servent comme prétexte pour avancer des objectifs politiques, même si leurs actions peuvent entraver les droits des autres et aller paradoxalement à l’encontre de l’esprit qu’ils revendiquent, comme dans l’exemple, cité par Lefèvre, qui rappelle le programme de la Corsica Nazione, un parti politique composé des militants corses, aux législatives de mars 1993 :

« Le principe qui nous guide est des plus clairs : “Une terre, une culture, un peuple, une nation.” »48

45 Conseil de l’ɕurope, (1992), Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, Préambule.

46 Conseil de l’ɕurope, (1992), id., Article 1a. 47 BLANCHET, P., (2002), op. cit., p. 101. 48 LEFÈVRE, M., (2002), op. cit., p. 41.

(30)

Il est difficile de comprendre qu’après s’être battus pour le droit à la différence linguistique et culturelle, les militants déclarent leur désir d’imposer aux autres ce à quoi ils étaient farouchement opposés. Ce paradoxe est la raison pour laquelle nous sommes d’accord avec Blanchet qui est convaincu qu’il doit exister un chemin du milieu :

« ɕntre l’assimilation (qui nie les différences pour homogénéiser la société) et le communautarisme, qui les exacerbe pour diviser la société, il existe une voie intermédiaire, plus équilibrée, celle de l’intégration, qui admet les différences, les respecte, sans pour autant en faire la pierre de touche de l’organisation politique. C’est dans ce respect des différences réelles, connues, donc intégrées, que l’on parvient à l’universalité »49.

ɕn fin de compte, tout n’est pas encore perdu pour le plurilinguisme en Europe car il y a des tentatives de rechercher des méthodes plurilingues, qui justement promeuvent « le respect des différences », dont l’Éveil aux langues nous semble une des plus prometteuses. Dans la partie suivante, nous rappelons brièvement l’expérience Éveil aux langues en Europe (cette expérience sera présentée) avant d’entamer la section sur l’ɕxtrême-Orient et les implications d’Éveil

aux langues pour les Asiatiques.

1.3 La place d’Evlang dans l’Europe d’aujourd’hui et dans l’avenir

Il est possible que l’avenir des ɕuropéens, en passant par une étape intermédiaire où se répand le bilinguisme de type « anglais + langue maternelle »50, se décline en monolinguisme anglophone avec tous les risques d’une éventuelle fermeture linguistique et culturelle que ce monolinguisme peut entraîner. Conscients de la possibilité d’un tel avenir, il y avait des tentatives pour contrer la dominance d’une seule langue. Pour ne citer que quelques projets : Galatea51, EuRom452,

49 BLANCHET, P., (2002), op. cit., p. 101.

50 Sauf pour ceux dont la langue maternelle est l’anglais.

51 DABÈNE, L., DEGACHE, C., (1996) : Comprendre les langues voisines, in Études de

linguistique appliquée, No. 104, pp. 411-420.

(31)

Eurocom53, Éducation et Ouverture aux Langues à l’École (ɕOLɕ), Éveil aux langues etc.

Les pédagogies de langues proches (Galatea, EuRom4, EuroCom) visent l’acquisition d’une compréhension multilingue écrite et orale ou servent de point de départ à l’acquisition des quatre compétences langagières. ɕlles rendent possibles les situations où chaque locuteur utilise sa propre langue et comprend celle des autres. Compte tenu des quatre langues officielles du terrain de nos recherches, Singapour (anglais, chinois, malais et tamoul), ces pédagogies visant une intercompréhension de langues proches ou de langues voisines ne semblent pas applicables. L’Éveil aux

langues dont la finalité est de

« contribuer à la construction de sociétés solidaires, linguistiquement et culturellement pluralistes »54,

nous paraît plus utile pour la population pluriethnique de Singapour. Nous parlerons davantage de cette approche plurilingue dans la partie du cadre théorique (Partie 3, chapitre 3 : Plurilinguisme). Pour l’instant, il suffit de savoir que l’approche Éveil

aux langues a suscité de l’« optimisme mesuré », d’après les mots de Louise ɔabène,

pour ses capacités sur le plan pédagogique à

« faciliter les futurs apprentissages langagiers, [...] et au-delà, en étendre le bénéfice à l’ensemble des disciplines enseignées ».55

Maintenant que la situation en Europe est mieux connue, nous explorerons celle de l’ɕxtrême-Orient, afin de voir si un projet de type Éveil aux langues y serait utile.

53 KLɕIN, H. G., (2004) : L’eurocompréhension (ɕUROCOM), une méthode de compréhension des

langues voisines, in Études de linguistique appliquée, No. 136, pp. 403-418.

54 CANDELIER, M., (2003a) : L’éveil aux langues à l’école primaire, Bruxelles, De Boeck, p. 21, et

tiré de CANDELIER, M., MACAIRE, D., (1998) : Propositions pour une classification des

objectifs, [Document de travail interne.]

55 Citation extraite de la préface par Louise ɔABÈNɕ de l’ouvrage CANɔɕLIɕR, M., (2003a), id.,

(32)

2 Situation en Extrême-Orient

Avant d’aborder la situation politico-historique de cette région du continent asiatique, il convient de définir les limites de l’ɕxtrême-Orient pour mieux situer les pays concernés et de rappeler brièvement la situation géo-historique de cette région avant la deuxième guerre mondiale. Ceci permettra de mieux comprendre les forces géopolitiques en présence qui influent sur les pays de la région, les paramètres linguistiques qui s’ensuivent ainsi que l’intérêt d’un enseignement de type Éveil aux langues dans le contexte asiatique.

2.1 Limites géographiques de l’Extrême-Orient

Pour délimiter la région d’ɕxtrême-Orient, nous choisissons la définition du dictionnaire encyclopédique de Larousse :

« L’ɕxtrême-Orient comprend l’Asie orientale (Chine, Corée, Japon), l’Asie du Sud-est et l’extrêmité orientale de la Russie. »56.

Il faut noter que la Russie, dont une partie du territoire se trouve en Extrême-Orient, est également une puissance européenne. (Voir : Carte 1 au Volume 2, Annexe 3.7, Cartographie.)

2.2 Bref rappel géo-historique de l’Extrême-Orient d’avant-guerre

Au début du 20e siècle, la plupart des pays d’ɕxtrême-Orient étaient sous administration occidentale : américaine (Philippines), anglaise (Birmanie, Malaisie-Singapour, Brunéi), française (Cambodge, Laos, Vietnam), hollandaise (Indonésie) et portugaise (Timor orientale) et russe (Mongolie). Seuls la Chine, le Japon et la Thaïlande avaient pu garder leur indépendance et étaient dirigés par leur propre gouvernement. Cependant, ces trois pays ont été contraints à des moments donnés d’accepter des conditions dictées par les puissances occidentales (frontières, commerce, accès privilégié à leurs marchés et aux ports etc.)

56 Définition du dictionnaire encyclopédique (1995) : Le Petit Larousse illustré, Paris, Larousse, p. 1320.

(33)

La Chine a dû accepter, par les traités inégaux, la primauté du droit étranger dans certaines zones dites « concessions étrangères » ou «租界» à Shanghaï et l’administration étrangère sur certaines parties de son territoire, par ex. anglaise (Hong Kong57), portugaise (Macao58), japonaise (Mandchourie intérieure59, îles Peng-hu ou Pescadores et Taïwan60) et russe (Mandchourie extérieure61). La Thaïlande n’a pu garder son indépendance que parce qu’elle servait de zone neutre entre les sphères d’influence britannique (Birmanie, Malaisie) et française (Indochine).

Quant au Japon, depuis que les Américains62 ont forcé l’ouverture du marché japonais aux produits américains en 1853, les Japonais ont rapidement modernisé le pays et ses institutions, surtout dans les domaines éducatif, industriel et militaire. Cette transformation s’est effectuée principalement sous la Restauration de Meiji (明治維新 [meiji-ishin]) de l’époque de l’empereur Meishi (明治), au point que cette modernisation a réussi à ce que le Japon se pose petit à petit en puissance impériale. Relativement pauvre en matière de ressources naturelles, face aux marchés fermés, le Japon s’est lancé dans l’établissement d’un empire composé de territoires servant à la fois pour procurer des ressources naturelles (par exemple, le charbon, le fer, le pétrole, le caoutchouc etc.) et pour constituer des marchés ouverts pour ses produits industriels. Comme cette tentative du Japon de créer sa propre sphère d’influence en regroupant (ou ‘libérant’ selon le discours officiel) les pays asiatiques s’est heurtée

57 Par le traité de Nanjing (Nankin) (南京条约) de 1842 qui marque la fin de la première guerre de l’opium (1839-1842), la Chine est contrainte de céder l’île de Hong Kong aux Anglais.

58 Par le traité d’Amitié et Commerciale Portugaise (Tratado de Amizade e Comércio Sino-Português) (中葡和好通商条约) signé le 1 décembre 1887, la Chine a dû accepter l’administration portugaise sur Macao, que les Portugais occupaient officiellement depuis 1557, l’année où les Portugais ont signé un bail avec les Chinois.

59 Invasion japonaise de la Mandchourie intérieure suite à l’incident de Murkden le 18 septembre 1931, incident connu en chinois, 柳条沟事变 [liutiaogou-shibian] ou 九一 事变 [jiuyiba-shibian] ou en japonais, 満州事変 (manshuu-jihen). Les Japonais y ont érigé le Mandchoukouo (en japonais 満州国 [man-shuu-koku] ou en chinois 满洲 [man-zhou-guo]).

60 Par le traité de Shimonoseki (下 条約) ou le traité de Maguan (马关条约) du 17 avril 1895, la Chine a dû céder les îles Peng-hu (Pescadores) et Taïwan au Japon.

61 Par le traité d’Aigun (瑷琿条约) (28 mai 1858) et le traité de Pekin (18 octobre 1860), la Chine a dû céder à la Russie du territoire en Mandchourie.

(34)

aux intérêts des puissances coloniales en Extrême-Orient, des confrontations militaires dans la région semblaient inévitables.

2.3 Tentatives de regroupement des pays d’Extrême-Orient

Les tentatives de regroupement des pays d’ɕxtrême-Orient ne sont pas quelque chose de nouveau. ɔ’après l’Encyclopédie historique des dynasties

chinoises63, au début de l’époque Printemps Automne (771~475 av. J.-C.), la Chine

était composée de plus de 140 états. Ceux-ci se battaient les uns contre les autres et se regroupaient dans des alliances militaires offensives ou défensives. Pour empêcher une puissance jugée trop menaçante de dominer, voire d’annexer, les autres états, la composition des alliances était souple et changeait dès qu’il y a un retournement du rapport de forces. Malgré cela, le nombre d’états s’est réduit, nous rappelle cette encyclopédie, à sept à l’époque des Royaumes combattants (475~221 av. J.-C.) pour enfin arriver à l’unification du pays par l’état de Qin en 221 av. J.-C..

À part des raisons politico-militaires, les raisons idéologiques et économiques, telles que l’antagonisme entre les modèles communistes et capitalistes, ont aussi contribué aux tentatives de regroupement. Nous discuterons ces raisons, dans la partie suivante, où nous explorons les tentatives de regroupement les plus importantes des pays asiatiques depuis la Seconde Guerre mondiale.

2.3.1 Tentatives ratées de regroupement

On dénombre cinq tentatives ratées de regroupement transnationaux en Extrême-Orient en commençant par, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, le Japon qui a essayé pendant la Seconde Guerre mondiale de forger une communauté régionale appelée « Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale64 ». Comme sa mission principale était de mobiliser les ressources humaines, agricoles, naturelles et industrielles des pays occupés par l’expansionnisme impérialiste japonais, cette

63 CAO, Y. Z., (1997) : Encyclopédie historique des dynasties chinoises, Publications Éducatives de Zhejiang, p. 33. Notre traduction de l’ouvrage 曹余章 (1997) : 中 历朝事典,浙江教育出版社. 64 Connue en japonais sous le nom de 大東亜共栄圏.

(35)

« communauté » de nations asiatiques n’a pas pu survivre à la capitulation du Japon le 15 août 1945.

La fin de la deuxième guerre mondiale a été suivie par la guerre froide opposant principalement d’un côté les États-Unis et ses alliés capitalistes et de l’autre côté l’Union soviétique et ses alliés communistes. Cela a eu pour conséquences la bipolarisation du monde, en répartissant les nations en alliances militaires selon leur appartenance à l’un ou à l’autre bloc. Les pays qui ne voulaient pas s’associer à ces deux blocs se sont regroupés dans le mouvement des pays non-alignés. ɔe la même façon, les pays d’ɕxtrême-Orient étaient obligés d’entrer dans ce type d’alliances. Par exemple, la République populaire de Chine, la République démocratique populaire de Corée, la République démocratique du Vietnam se sont alliées à l’Union soviétique tandis que la République de Chine, la République de Corée et la République du Vietnam avaient le soutien politico-militaire des États-Unis. C’est dans ce contexte de la Guerre froide que de nouvelles tentatives de regroupement se sont déroulées, qui sont mises en lumière par les recherches de Palmer.

ɔ’après Palmer, l’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-est (OTASE)65 établie en 1954, était essentiellement un pacte militaire anti-communiste, et pas un véritable groupement sud-est asiatique, regroupant huit pays (Australie, États-Unis, France, Grande Bretagne, Nouvelle Zélande, Pakistan, Philippines et Thaïlande). Créée dans le contexte de la guerre froide et s’inspirant du modèle OTAN66, l’OTASɕ a cessé d’exister à partir de 1977, souligne Palmer, à cause du réchauffement des liens politiques entre les États-Unis et la Chine.

La Guerre froide a aussi vu l’établissement du Conseil d’Asie-Pacifique (CASPA)67 (1966-1973) que Palmer qualifie d’organisation inter-régionale68 du fait que les pays membres sont originaires de trois régions, l’Asie orientale, l’Asie du

65 Connue en anglais sous le nom de Southeast Asia Treaty Organization (SEATO). 66 L’Organisation du Traité d’Atlantique du Nord (OTAN).

67 Traduit par nous-même de l’anglais ‘Asian and Pacific Council’ (ASPAC).

68 PALMER, N. D., (1991) : The New Regionalism in Asia and the Pacific, Massachusetts, Lexington Books, p. 46.

(36)

Sud-est et la zone occidentale de l’Asie-Pacifique. Sur une idée du Président Park Chung-Hee de Corée du Sud, ce conseil comprend neuf pays : Australie, Japon, Malaisie, République de Chine (Taïwan), Nouvelle Zélande, Corée du Sud, Philippines, Thaïlande et Vietnam du Sud. Tout comme l’OTASɕ, un des objectifs de CASPA est d’organiser les pays ‘libres’ en un second front pour les opérations militaires américaines au Vietnam.69 La CASPA est créé pour faire face à des menaces externes (celles de l’Indochine), mais en même temps se voulant «

non-militaire, non-idéologique et non anti-communiste », nous rappelle Palmer, les

contradictions internes ont fait que le conseil perd sa raison d’être à la fin de la guerre du Vietnam le 30 avril 197570 et au rapprochement entre les États-Unis et le Japon d’un côté et la Chine de l’autre 71.

À la différence de l’OTASɕ et du CASPA, une association à trois, appelée

Maphilindo (août – sept 1963) rassemble les trois pays de populations malayo-polynésiennes (Malaya, Philippines et Indonésie) pour promouvoir la coopération entre ces pays, et régler le problèmes des frontières délimitées par les puissances coloniales72. Selon l’historien Cheah Boon Keng, cette confédération aurait constitué une entité unifiée du monde malais en Asie du Sud-est73. Cependant, un mois après son avènement, Maphilindo échoue, selon Palmer, non seulement à cause de la déclaration de la création de la Fédération de Malaisie (Voir : Carte 2 au Volume 2, Annexe 3.7, Cartographie.) comprenant les territoires de Malaya, Singapour, Sabah et Sarawak, mais également parce que les Philippines revendiquent le Sabah74 car ce territoire a fait partie de l’ancien Sultanat de Sulu dont le siège se situait dans le

69 L’adjectif “libre” est employé dans le sens “non-communiste” dans l’article de HAGIWARA, Y., (2003) : The formation of ASEAN, in SIDDIQUE, S., KUMAR, S., (éds.), (2003) : The 2nd

ASEAN Reader, Singapore : Institute of Southeast Asian Studies, pp. 18-21.

70 ɔate de l’entrée des forces armées nord-vietnamiennes dans Saigon, capitale du Vietnam du Sud. 71 PALMER, N. D., (1992) : SEATO, ASA, MAPHILINDO and ASPAC, in SANDHU, K. S.,

SIDDIQUE, S., et al., (1992) : The ASEAN Reader, Singapore : Institute of Southeast Asian Studies, pp. 27-29.

72 Le traité de Londres de 1824 a délimité la partie anglaise de la sphère d’influence hollandaise, alors que les Philippines ont été d’abord colonie espagnole (1565-1898), puis américaine par le traité de Paris de 1898.

73 CHEAH, B. K., (2002) : Malaysia, The Making of a Nation, Singapore, Institute of Southeast Asian Studies, p. 95.

Figure

Tableau 1.1   Terminologie de la notion de « nation » proposée par le sociologue  A. Smith et les politologues W
Tableau 1.2: Composition ethnique des états en Extrême-Orient
Fig 1.1 : Pourcentage de Malais dans 5 professions en 1970 et 1990.
Tableau 1.3 Typologie des langues de l'Extrême-Orient
+7

Références

Documents relatifs

Wenn auch der Wunsch, bis zum eige- nen Lebensende zu Hause zu wohnen, sehr stark ausgeprägt ist und die Befrag- ten teils schon sehr langfristig entspre- chend vorsorgen, können

In this paper, a simplest bursting neuron model is introduced, based on the Hodgkin-Huxley and Hindmarsh- Rose models, with a geometric mug-shaped branched manifold, which can mix

L’absence d’implication dans les mesures des Grandes Puissances résulte non seulement de la marginalisation des Petites, mais aussi du mépris éprouvé par Bruxelles pour ces

A Chypre, les fenêtres d’opportunité n’ont pas manqué : élection de présidents de la République mieux disposés à négocier avec la minorité chypriote turque

(Stassart et al., 2005) Un projet de recherche intervention dans le cadre du programme fédéral d’appui scientifique au développement durable mis en œuvre au niveau

probablement la raison pour laquelle, pour plus de dix ans, cette solution n'avait pas montrée des avantages apparents par rapport au x réflecteurs

Lorsque je prononce “ la France ”, je pense immédiatement le pain français. De nos jours, au Japon, le pain français est tellement connu qu’on le trouve dans toutes

Après avoir calculer le nombre de carrés en tout, l'élève place le nombre sur une bande numérique dont seuls certains repères sont marqués comme nous l'avons précédemment