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DAauJn:suivi de
par
Véronique Bessens
Mêmoire de Maîtrise ès Lettres
Faculté desAns,études supérieures et recherche
·Dêpartement de langue etlinênuurefrançaises· Université McGill
Montréal,Quêbec
Acquisitionsand Bibfiographie Services 385 WelinglanStrMt
0IIawaON K1AOl'M c..a Acquisitions et servicesblbreographiques 385.rueWellington 0IIawaON K1A 0N4 c..da
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O.a12-70582-X
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Je souhaite remercier M. Yvon Rivardd'avoirété avant tout un leaeur, puis un conseilleretécrivain,un critique, mais surtout, quelqu'unàquij'aipufaireconfiance.
Je souhaite remercier M. FrançoisRicardde son appon critique et surtout de
•
R. . . .é
Plusieurspersonnages racontent leurpanidpation à une série d'événements se déroulant autour d'un casino,dansune atmosphèreétrange, presque magique. ÀtraVers
la narrationdes événements sont abordés les thèmes de l'illusion, du danger et de la beauté propres à laconfusiondurêve et dela réalité.
La secondeparnede ce mêmoire en écriture littéraire estun essaiquis'intéresse • aux rêves etau récit onirique de l'œuvre romanesque de Milan Kundera. L1 méthode consistera
à
comprendre età
définirle rêve dansl'optique d'une typologiequi classeralesdifférentstypesde récit onirique selon leur fonction et leur place au sein de l'œuvre.
Ces divers degrés aboutissentàlafusion durêveet du réel: comment lafrontière glisse· t--elle? Peut"OOladéfinir, ladélimiter,etsurtout, sur quelterritoirethématique?
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Various characters tell the story of their partidpation in a series of events that
take place in and around a casino, in a strange, almœt magical annœphere. The
narrationdeals with the theme ofillusion. as well as that of the danger and beauty of
dreamsandrealitymerging.
The secondpartofthismaster'sthesisis aaitical paper that focuses on the wayin
which dreamsand oeniricwritingunfold in the works of Milan Kundera. The method
• entails understandingand de6ning dream writing through a typ010gy that caœgorizes the differenttypeS found according to their function. The varying degrees culminate when dreams and realitymerge: how does the line thatdistinguishes the [wo become
blurred? Canithe definedOfdelimited, andaboveail,on which thematic ground?
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Table des matières
Preaaièrepartie:Unlrahl erI CIICbe un aMIre
Andréas
Paysde glace 10
Les hypnoièles 24
Nadia
Faites vos jeux 32
Labanque a sauté 48
LaChance
• Leprintemps
;8
Leliure des mouches
(Épile>glle) 65
Deuxième partie:
Rêvaelrécit
0IIIt'Ique
dwz
MIM. K8ruleraIntrtx:luction 72 Contrepoint 75 AccompagIlemetlt 81
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Fusion 88 Conclusion 98 Bibli<lgt3phie 100•
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Première partie:
U" tral" en
cache ""
autre
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Mau U:1eutpIre..•
Tout se passait comme les choses se passent d'habitude. 11yavait des tables, des chaises, desgestes, etilss'assirent. IlY avait du vin et desplatfumants, ils pariaient, ils
riaient, ils se regardaient. Tout s'endJaînaiJ natureJJement: ces gestes, ces paroles
coulaient de leurs corpsetse rejoignaient harmonieusement entre lesplats, la lumière tamisée, lafumée. Ils connaissaient le rituel, et les actionsàaccomplir s'exécutaient d'elles-mêmes, c'était dans leur sang. Il essayait, lui aussi, de
penche1'
la tête et deStJuriTe. Ilétait
presque
comme eux-illeur ressemblait. Ses mimiquesétaientassezvraisemblables pour luipermettredese trouverlà, en présence de cesgens, dans ce lieu, là oùiln'auraitjamais
pu
entrer autrement. Mais il sefatigue, il se déséquilibre.Il sent ses h1'as en double, deux ombres gigantesques, étiréesjusqu'au plajuntl, le
soutenant
avec peine.
Ilforce. Ilse
force, ü se concentre surles mimiques. Ilvoitsa
chaise,latable, lesvisagesonduler, se séparer en cellulesflottantes: des bulles de choses s'évaporant au plafond Etpuis plus rien n'estsolide. Il n'enpeutplus et lâche le tout.Ta"t pis pour le 1efJasquisentaitsibon, tant pisPOU1' les convives etleu, excellente
conversation.
Tantpis
pour
/esgesteset/es SOUTires. /esmimiques...Demère, dessous, au travers du décor: rien de tout cela. Une lumièregrise,
/J1'eSflUe métallique, urteatmosphère chargée d'un brouillardquipéNètrecomme une
fumée.
Contours magnétiques. Du vide et des sensationsd'hommes. des semblantsd'êtrestJÜJantsetdesrestes degestes, deparoles. Tout Y est diffus, délayé. Mais il y
•
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n
fait presque froid la nuit en Andalousieàcette époque. Les enfants ontfaim et • tirentsurlesjupesde leurmèrepoursavoirquand la soupe seraprête. I.e bois brûle, lesfemmes se penchent au-dessusdeschaudroosetles maisons s'emmumentde vapeursde poivre et de tabac. Dehors, les cendres crépitent. Les feuilles brûlent déjà. Toutypasse
-onnepeut rien ménager(les ficelles de grand-mère ne sont plus danssaboîte àdgare, elles brûlent avec le reste). Id,les enfants rentreront bientôt des cours, de leurs salles
declasse,desgymnases auxodeurs de caoutchouc. Os se gaveront de pain, de chocolat
etdecœfituresen arrivant chez eux et se ferontgronderparla bonne. Je me lève pour fermer les volets. Une lumière sourde de jour de pluie sépare lame de la fenêtre. Je regarde une mère et sa fille se presser de traVerSer la rue pour s'engouffrer dans une boutique.Lesrues sont salesid,elles sentent l'asphalte et l'essence. Je regarde et je me demandecequej'attendspourpanir,rejoindre les femmes et les vapeurs de poivre, les odeurs demmenfance,['arrière-goût toujours présentde lamersalée au tond de ma
• gorgeet l'odeur des rues de terre. Retourner cuire au soleil,pourriret suffoquer dans le sable...
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•
Alors pourquoipartir, commentpartir? Moi qui n'ai pas pu résister au rêve de venirjusqu'id... comment rebrousserchemin maintenant? On ne peut, dans mon cas,
que retourner en arrière, vavagerà rebours. Je passe des heures entières cesderniers
jours,assis àcette fenêtre, les pieds dans le sable. Je pense àla mer, àla côte. Àson odeur depoissongrillé. Ce sont les odeurs qui me reviennent d'abord. Puisles couleurs, les bruits, les voix, la chaleur... souvenir écrasant de chaleur, pierres brûlantes. Les
histoires demagrand-mèresurles pirates deGibraltarmenourrissent depuis que je sais
entendre, comprendre.
Je
les revois, les revis tous les jours maintenant qu'ils me surveillent. Si je ne peux plus sortir sans être suivi, soupçonné, traqué, je peux au moins rester id et rêver: ils ne peuvent me sutveiller dans mes souvenirs...rai
neuf ans et je guette l'horizon comme un phare. Je surveille tous les jours, consciendeux, l'arrivée possible d'une invasion arnhe. Mon cousin Javier se moque demoi,m'attaque, me provoqueàfaire laguerre id, avec sesvrais ennemis, c'est-à-dire lui et les autres garçons plusâgés du village. fi prétend que personne ne nous fait laguerre et que si des étr3llgers viennent chez nous, ce n'est que pour goûterànotre miel et à
nos olives. Desmarchands, des voyageurs, idiot! Je rentre êpuisê, je m'effondre dansles bras de magnmd-mère, je lui raconte les quasi-attaques et les défaites de la journée. Flle merécœfaneen me rappelantque jerends semee au roi, au pays, cœune un vrai
soldat, un brave. Je serais peut-être même capitaine un jour. Je me baigne, je me complais dans ces histoiresdeluttes avec les géants basanés débarquant de leurs grands navires,sabresen main, venus dépouiller notre terre de tous ses trésors...
Et pourtant, je saïs. Je sais, au fond, qu'ilssont comme nous. Peut~tre même pensent-ils la même chosede moi. Quelqu'un, au Iain, sur une autre plage, projette,
refait mon image, se prépare contre l'une de mes attaques, et ce n'est que moi. Juste moi, monpetitcoinde plage. Mais jeveux croire aux conseils de grand-mère. Je veux
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•
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croiremême s'ils la disent folle depuis bien avant ma naissance. Ellefinit parm'avoir, à force de repéter, de décrire si bien les choses cachées. Me faire croire. Redessiner le
cœtourdeschoses, deshommes...:
«Andréaspetit guignol, méfie-toi même de tes parents-quisait s'Us sont vraiment qui ilsdisent:méfie-toi de tout! Mêmesituprendsletrain, méfie-toi:ilyena peut-être un autre quiyest attaché, et qui t'emmèneralàoù tu ne pensaisjamais aller... méfie-toi
de tout! Méfie-toi de Javier, de tes camarades de classe, de ce que tu vois quand tu regardes l'horizon, decequi bougesous l'eau,deceux qui vivent dans ta maison... tu verras mon petit, un jour,tucomprendras pourquoij'aiïdison....
Je pensais sanscesse à ce «jour fatal. qui menaçaitàtout moment de me tomber
dessus. Lavoix râpeusedegrand-mère résonnaitdans ma tête dès que je me retrouvais seul etlamalédictiœ me suivait comme l'odeur de sarobemiteuse. J'enavaisdessueurs froides la nuit: jefaisaisd'effroyables cauchemarsqui melaissaienttremblantet blême au
réveil.
rai
passé des semaines entières sans pouvoir dormir: je tournais et retournais les paroles sacrées de grand-mère.... Etsi, en effet, le jour venait où je verrais les choses telles qu'elles le sont vraiment? Si tout était faux, comment le monde était-il réellement, erKtessous? Qu'yavait-illàque tous voulaienttantmecacher?Jesuisenfant,j'ai les pieds dans le sable. Le jour se couche. Je joueàme Caire
peur... Ma mère estune énonne gazelle aux mille yeuxterrifiants et me pique de ses
antennes. Lamer se videdeson eau et des créatures gluantes, genre de mollusques géants annés de pinces, s'avancent sur ma terre. Je suis debout, face àla mer, les yeux fermés. Je joueàme faire peur... Quand j'oseouvrirles yeux, prêtàtout... je trouve Javier biendroitenfacede moi, se moquanL Nous nous battons... Je rentre àlamaison brûlantdehonte. Je regardema mère avecdes yeuxd'inspecteur,des yeux dejuge.•• Je la fais pleurer àforce de refuser ses baisers... Je rêve de quitterla mer... première
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esquissedu projet... Quitter la chaleur collante du pays. Se retrouver perdu dans une
forêt verte, humide... Lacs, chemins tonueux, ivressede sentir un vent froid râper ma
peau... Paysages escarpés, falaises donnant sur un vide où l'air serait d'une pureté
absolue... Fascination pour la glace. Appel de la terre, venige des montagnes. Me rapprocher dudelpour m'éloigner des souvenirs brûlantsde mon enfance, de lahantise du feu, de la chaleur gluante des êtês... De la mon de mon père, que je n'ai jamais
connu. Dusilencedemamère. Delafoliedegrand-mère...
Et puis,àforce de rêver, je me retrouve grand un jour. Assez. grand pourpartir.
Je me retrouve des ailes, je pars sans argent, sans faire d'adieux. I.ematin, l'aube. Jepars
entrain;c'estl'idéal...j'yrétléchiraidans le calme. Décideroù jepourrais bien aller, et quoiyfaire... Je retourne sur mon coinde plage une dernière fois avant de le quitter.
raperçois
au loin grand-mère qui s'avance vers l'eau.rai
uninstantl'impression qu'elle vacontinueràavancer jusqu'à ce qu'elle s'enfonce dans l'eau salêe. Je la surveille, prêt à intervenir, mais elle s'arrête auxgenoux. Elle s'arrête et lève les bras au deI, puis les rabaisse pour puiser de l'eau qu'elle renvoie ensuite au cie~ pluie de gouttes qui
retombent en cloche autour de son corps frêle, tremblantdansles vagues. Elle continue
encore ainsi un cenain temps. Je lalaisse àses rituels pour rejoindre l'homme qui me mènerajusqu'àValence.
Sierra Morena, chaîne de terre rouge, de poussière, de sécheresse. La montagne que je vis pour la première fais était plutôt une tnœtagne mate, suffoquée sous le soleil. Aucune trace de glace, de ruisseaux, de cascades: le paysage est une sorte de désert rocailleuxàla terre rôtie, cuite au soleil. Nouspassons parUnares, puis Albacete pourenfin rejoindreValence. Kader, le marchand avec qui je voyage, me metdans Wl
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Je me souviens très bien de ces vieux trains, du bruit répétitif des wagons s'entrechoquant, se bousculant sur les rails. Je vois le compartiment étroit, la fenêtre large, généreuse... Je dors. Je m'endors et je me réveille subitement, perdu, effaré, alors que le train arrive à Andorre·(a.Vieille, dans une petite gare blottie au creux de montagnes venes comme je n'en avais jamaisrêvées. Enthousiasmé, je saute dutrain me croyant en Allemagne ou en Suisse. Je me rends compte de cette méprise en parlant au chef de gare. Je décide paunant de rester quelques jours sur place et lui demande de m'indiquerlecoinleplus retiré dupays.
n
me fait conduirejusqu'aux limites d'un petit village planté au milieu d'une falaise... Je monte plus de trois heures à pied pour merendre jusqu'à l'auberge dressée surlaplace, face àl'église.
ny
a en tout et pour tout une vingtaine d'habitations parsemées autour de cette place et la plupart d'entre elles abritent des bergers. Ma chambre est au grenier. De mon perchoir, je vois au loin unvillage dans la vallée. Un ruisseau découpe le paysage en mosaïque. fy reste deux semaines ébahi, muet, me promenant jusque danslanuit et deboutàl'aube pour assister au lever du soleil: les rayons coulent, emplissent lavallée, un hâle doré reste suspendu dans l'air et les oiseaux deviennent comme fous... Ce spectacle me suffirait pour vivre, et j'attends tous les matins avec impatience le moment où le del s'emplira d'oiseaux, de chants venusdetœslesrecoins dela vallée...
rai
là-bas l'étrange impressionque jene suis pas véritablementlà, c'est·à-dire que jevis hors du temps, hors du mœde, plongé dans unpaysagede conte,dansle silence contagieux des hommes quiyvivent. Dans ce paysage figé, auseinde cette vie complètement dêpouillêe de tout artifice, je me sens comme un imposteur. Que puis-je bien yfaire? Hormis l'auberge où je suis le seulvoyageur vudepuisdes mois, iln'y a aucun commerceetles hommesdelarégiœ sant presque tous de vieux bergers.
Souvenirs. Images patfois claires, patfois brouillées, hachées, certaines
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Aujourd'hui, ces montagnes seraient pour moi un paradis. Ce coindu monde qui n'abrite encore que quelques hommes et un petit troupeau de bêtes aurait été le plus bel endmt du mandeoù finir mes jours. Mais àl'époque, il était évident que je ne pouvais yrester, qu'il me fallait de l'argent, du trnvail...
rai
donc pris le trdin pour laSuisse en direction de Zermatt, une ville au sud de Zurich. rai choisi au hasard, en
jouant avec des cartes, en regardant les reliefs. Mais rien ne m'avait prêpare àla splendeur des Alpes-niles photos que j'avais vues, ni les histoires et descriptions de
voyageurs oud'amis.
Je
mesuisenfin retrouvé nezànez avec une montagne semblableàcelle de mes rêves... Le Matterhorn m'alaissébouche bée lapremière fois que je l'ai vupresque entier, monumental. Je mesuis trouvéunechambred'oùl'onpouvait lavoir. Je mesuisinstallé. fifallait immédiatementtrouverdutravail carje n'avais presque plus
d'argent.
rai
parlé aux gens, je me suis renseigné, et l'on m'a finalement indiqué le restaurantd'une auberge réputée quicherchaitdesserveurs.Je
me suis présenté: je les aichannés, je lesaiimpressionnés,j'aijoué à mefaireappétissant...Je leur ai soni par exemple quelques bribes d'anglais, de français, d'arabe. rai raconté de fausses aventures qui m'étaient anivêes dans les grands restaurants de
Casablanca:les coutumes étrdllges, les personnages quiy venaient, les platsaux parfums inimaginables...
Je
me suisfait àlafois tendre etagressif,àlafois soupleet fonceur. ~temps de ces singeries et je suis déjà devenu indispensable -je me suis découvert des
talentsd'enjoliveur. fisn'en pouvaientplus:ilsontsuccombé. Us m'ont engagé. Je me suis retrouvé d'un coup au milieu des autres, broymts, blagueurs, enthousiastes. Nous étions une vingtaine, de toute fEurope: nous faisioos de longues randonnées après la
fermeture, couchantparfoisdehorset rentrantêbourifIéset en retard pour leservicedu
petit déjeuner. Au bout d'un an, je parlaispresque patfditement l'allemand, le français, etun peu l'anglais.
rai
aussi appris à déboucher des bouteilles de vin horriblement cher...àme tenirsubtilement derrière le client, la tête légèrement inclinée, toujours•
•
•
prêt àrecevoir la commande.
rai
même trouvé une technique qui me permettait de reconnaître la nationalité des hôtes avant même qu'ils n'ouvrent la bouche... jai développédegrands talents d'observateur, de voyeur presque, à farce de m'être tenueffacé, les yeux baissés... Leschaussures, les fourrures, sacs et parures, me racontaient l'origine et la fonune du propriétaire. Je devinais, j'inventais, je m'imaginais toutes sortes d'histoires, et le voyageur se trouvait toujours agréablement surpris de se faire adresser la parole dans sa langue natale en terre étrangère, de se faire demander comment allaient sesvignes,sesterres,n'importequai...
Cet apprentissage rapide m'adonné le goût des études. Je voulais de nouveau partir, apprendre plus, et voir si je ne pourrais pas trouver mieux ailleurs. Je voulais même êtrecomme ces voyageurs que je servais: je leur enviais le luxe de l'argent, son pouvoir implaccable, inconciliable... Je rêvais de me faire servir du champagne sur la
temlSSe d'un palais, de dépenser, me déplacer, toucher, goûter et tout connaître enfin, mais sans effort et sans encombres... Je suis donc parti pour Paris avec mes petites économies faire des études, apprendre le métier des machinistes, des ingénieurs, et peut-être ensuite me faire engager sur unbateau qui quitterait le continent. Comme tous les étudiants,j'habitaisune chambreexiguëoù j'aipassé mon temps enferméàlire, réfléchir,éaire...
rai
peinétroisansjusqu'auxexamensfinaux.rai
été reçu de justesse et suis immédiatement parti au Havre avec les autres étudiants de ma classe: les compagnies portuaires y recrutaient des hommes par centaines à cene période-là de l'année. Un ami, Pierrot, connaissait un capitaine qui cherchait des hanmes. Nœs sommes allés le rencœtrer dans un cafédu port: il s'appelait Labrousse et était plutôt réservé,maissemblait au fond juste etraisonnable. Nous nous sommes donc entendus....n
mta demandé où je comptais ~er: si je débarquerais dans le Nord ou poursuivrdisjusqutenGuyme. Jeluiai répondu que jem'arrêterais quand jeretrouVerai le paysage
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«Ah,maisc'estlàlerêve de tout marin... C'estsa quête! Etàquoi ressemblent
dœc vospaysages,Vasquez?
-jen'ensaisrien,jen'ai pas tenninédelespeindre...»
n
aride nouveau et nous nous sommes levés pourfaire lavisite de ses bateauxavant le départ en mer. Notre navire, le Marine, devait remonterla côtevers le Nord
avant de traVerser l'océan, rejoindre l'Amérique, puis la Guyane. Nous longerions la
Belgique et l'Allemagne... Mer du Nord. Un arrêt en Islande avant de rejoindre les
côtes d'Amérique, décharger notre marchandise -houille, fer, bauxite... Nous avœs
visité la cale. Elle était étroite et l'airparaissait chargé d'une odeur de sueur aigrie, de renfenné...
n y
avait beaucoup d'hommes à bord: marins, mousses, électridens,machinistes. Je me suis dit pour me rassurer que je n'aurais pas le temps de me sentir prisoonier des mers, que le vrai voyage commencernit lorsque je serais en terre étrangère, etqu'il faudrdit doncprofiterdecette traVersée, decette retraite, pour me
prépareraux épreuvesàvenir... Nous sommes retournés àl'auberge pour préparer nos sacs: le Marine partaitàl'aube. Je n'avais presque rien àprendre avec moi: j'avaisvendu ou donné le peu que jepossédais en quittant Paris, sachant que je ne reviendrais sans doute pas... Je n'ai pasdormi de lanuit: impatience. Je souhaitais êre déjàparti; mes
projetsétaienttoutfaitsmêmesijen'avais encorerienvu...
Je me souviens parfaitement de la première partie de la traversée, jusqu'en Islande... Ce voyage jusqu'aux pays du Nord... Je me revois encore sur le pont, à Bremerhaven,oùnous avonsembarquénotrecuisinier,un Italien. Rencontre surlequai:
jerespireàgrandscoups, on metapedansle dos...
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n
adeviné àma sueur que je travaille dans la salle de machinerie... fime fait promettre de monter régulièrement le voir lorsque nous serons en mer, cuisine excenente assurée... Nous repartOnS pour l'Islande... Reykjavik. Nous yrestœs presque un maspour embarquer des hommes, décharger des marchandises. Je les entends encore id,
maintenant: aiscontinuels d'oiseaux, siftlements, contrebasse du vent quise lève et se replie sur la côte. Rythme du cri des hommes, des femmes et des enfants se mêlant à
ceux des oiseaux... Des gens solides,droitset fiers, mais toujours prêts àrire. Sinon, ils
sant silencieux, separlent avec lesyeux... Odeur saturée de poissons à laquelle nous mettons quelques jours à nous habituer...et l'impression de respirer du sel avec l'air, de le recracher enexpirant...
Nous aurions presque pu resterainsi,devenir pêcheurs et remonter les côtes, les falaises tantôt glacées, tantôt verdoyantes. Passer de longues soirées dans cet étrange vide. Regarder le ciel et sa clarté tamisée. Voir le jour se fœdre continuellementdans
la nuit, comme s'iln'yavait aucune frontière entre les deux. Et surtout, se promener dansune lumière souvent dorée,parfois obscure, mais dontilémanait toujours une sorte de haloapaisant: cette même clané tamisée du ciel descendue, répandue sur terre... Mélange de bruits originels: rires, vent et chants d'oiseaux. Silence originel, celui
duquelœ ne peutsortir,où que l'on aille. Vie épurée,essentielle, cristalline, et sans
autresvoilesquelaneige, le vent,les couchesdelumière... Maisquelque chose encore,
quelque chose que je ne connaissais pas encore, m'a poussé àrepartir, àtrouver cet indé6nissable ailleurs que je cherchais sans même savoiràquoiil ressemblait...Instinet.
Notre séjour écoulé,j'aisuivi TIetzo et les autres. Retour aux cales et aux machines...en route versles prochainesétapes... Nouveaux passages... Avant de quitter le part, du pont, j'ai au distinguerlasilhouetted'une vieille femmeunpeu plus loin surlarive. Elle se tenaitpenchéeau-dessus d'un chaudron fumant installé juste à côté de l'eau. Elle
•
•
•
petits gestesdebattements d'ailes, comme pour s'envoler... Elle s'est ensuite levée et a pénétre dans l'eau jusqu'aux genoux. Elle s'estmiseàchantonner en puisant et repuisant
del'eau qu'ellelaissaitensuitefilerentre sesdoigts. En clignantdes yeux, j'ai superposé
l'imagede grand-mère sur le corps accroupi dans l'eau, mais la lumière obliquait et le tableau a disparu dans l'ombre, entre deux nuages de brome... Et puis nous sommes
partis. Agitation: cris, signaux,gestes précis et rapides. Les marins se sont de nouveau
laissésengouffrer par l'horizon...
Nous sommes anivésen Amérique quelques semaines plus tard, retardés pardes ennuis mécaniques. Un Peu perdus, déboussolés... Lecapitaine nous a payés et a dit que nous pourriœs toujours trouver du trclV3il au
pan.
Au pire, il serait de retour dansquelques mois, après s'être arrêté en Guyane, et le navire repasserëlit id pour se recharger de vivres avant de repartir pour le Havre. Nous soounes descendus à terre
nous mêleràlafoule qui grouillait sur lequai: promeneurs, ouvriers, dockers... Voilà...
c'est comme cela que je suis arrivé id, en me baladant sur le quai, parce que je n'en
pouvais plus du bateauet que je ne voulais pas aller pourrirdans le Sud... Tout m'a d'abord paru neuf et étrange, réveil sur terre, à la terre, je tente de m'habituer aux bruits, aux odeurs etàl'airdupays. Passaged'une sone d'état üquéfié,étatdelapensée, àla solidité de ce monde qui me parait àce moment brusque, déconcertant...
rai
misplusieurs semaines àm'acclimater: je ne parvenais jamais tout à fait à distinguer ou reconnaître les odeurs, ni le caractère volatil de la nature qui se lève d'un coup, s'emporte et soulève tout sur son passage, pluie tantôt humide, éadsante, tantôt
rafraîchissante,lumièreétrdDge,presquediaphane...rappelantparmoments la luminosité
islandaise. Bnrit sourd, toujours présent: bourdonnement du fleuve? Je ne connaissais
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nouvelles sonorités, j'avais l'impression qu'elles me chatouillaient les oreilles: une mouche prisedansle tympan.
Les humeursdeshommes m'échappaientaussi. C'était le début du printempset la petite communauté du port était sortie au grand airsur les balcons, dans les rues, le long des quais.
ravais
l'impression que tous se démenaient sans arrêt dans cette ville,qu'ilfallait absolument se damer un airoccupé, se donner l'impression d'être débordé de projets. C'était ainsi que les gens vous faisaient confiance, ainsiqu'ils se sont fiés à moi, petit à petit. D'une façon ou d'une autre, ils étaient pressés, énenrés, enthousiasmés, passionnés, et j'ai donc fait pareil. Les premières semaines, je passais mon temps à me mêler àla foule, tentant de m'y fondre, mais toujours à la course et paraissant affairé... yobservais les habitudes, je suIVeillais les intonations, les maniérismes, les gestes significatifs. Chose étrange, des hommes que j'ai connus plus tard et quejefréquentais déjààl'époque ne se rappelaient pasde ma présence initiale panni eux. Invisibilité... voiles. Le temps de m'habituer, d'absorber, jusqu'à ce que j'ai
pu enfin déceler, reconnaître le véritable visage de cepays.
Puis je suis redevenu visible: mon visage s'est soudainement recouvert du voile de la familiarité. Je suis devenu l'inconnu jugé homme de confiance, l'étranger soudainementacceptédes habituésdescafés du port...
rai
mêmerencœtré un Italien qui avait entendu parler de Tierzo, que j'avais perdu de vue quelques jours après le débarquement. fi a accepté de me mener dans le quartier de l'Est où mon ami se retrouvait apparemment àla tête delacuisine d'un grand restaurant. Passages, ruelle étroite, odeur presque nauséabonde -du poisson plunissant dans les poubelles, sans doute... Aubout, dans l'obscurité, unepane
entrouverteprojetait un anglede lumière dans lequel se découpait la silhouette d'un homme avachi, fumant une pipe. C'était TIerzo.n
arien m'entendant courir à sa rencontre, comme s'il avait su que c'était moi avant demevoir:•
•
•
-Jepensaisquetutraînais aupottparce quetuvoulais repartir... Tu sais, ce n'est pas évidentdes'ensonirid,ilYa beaucoup d'hommes,iln'yapas tant de travail-ils ont exagéré... Etpuisl'airid,tusais,alaura vu mieux... Tu n'as pas voulu allerdans le Sud,
non...?Ausoleil,commecheznous... Lamer...
-Non, j'ai voulu tenter ma chanceià... Tu sais que je préfere la glace au soleil...
-Maismonami,lavie est beaucoup plus difficileicique dans le Sud... Tu yperds, Andréas,aois-moi...»
Et puis ilm'a expliqué ce qu'il faisait, m'a raconté le restaurant, les patrons, les quartiers dela ville, les gens qui y vivaient. En quelques mois à peine il savait déjà
presquetoutsur laville et comment s'y débrouiller:jen'en revenais pas. Et ilavaitaussi de grands projets, des choses qu'il souhaitait encore garder secrètes mais qu'il me révèletait en temps et lieu, car jefaisaisaussi partie de ses plans... fim'a d'emblée avoué que le travail était assommant et la rémunération maigre, que c'était pareil panout ailleurs en ville, et même dans tout le pays... Enfin, ce n'était pas ce qu'il pensait, ce n'étaitpas mieux que d'où il venait.
n
m'a ensuite expliquéle fonctionnement général de ce que tout le monde appellait .l'usine.. Cene position prestigieuse qu'ilavait étaiten fait avilissante. Soit, le restaurnnt avait excellente réputation, la nouniture y était fameuse, mais la famille qui le gérait était aussi excécrable avec ses employés qu'elle était courtoise et empressée avec laclientèle. Et il Yavait autre chose, bien sûr... Du blancbjssa~ d'argent, des échanges, tout un commerce: de l'extarsion, des clans de
quartiers, des guerres de clans... J'étais habituenement assez soumis et peu préoccupé deconsidérations pratiquesou physiques,maisceque TIetZo m'avait raconté (et sunout le tonqu'ilavaitchoisi(X>ur 1'3COnter) me bouleversait... jaivu qu'en quelques semaines à peine
n
avaitdéjà peniu une partde son optimisme que je croyais inébranlable: ses•
•
•
avec des groupes ou des gens qui lui avaientfait comprendre, d'une façon ou d'une autre, qu'il n'était pas le bienvenu dans ce quartier... Eux-mêmes étrangers, ces hommes
aimaientpeu les nouveaux arrivés etletraitaient comme un imbécile. Tierzo n'était pas homme às'empaner facilement: s'il était enragé, ses raisons devaient être bonnes. Habituéàla bonne humeur et à la bonne entente,iladûsebattrepour la première fois, et l'expérience répêtée lui enlevait l'habitude naturelle, chaleureuse, de faire confiance
aux hommes. Je ne l'avais jamais vu ainsi et j'ai même eu peur poursasanté. Je lui ai
doncfait promettrede me trouver immédiatementune place auprès delui: j'avais peur qu'il selaissemoisirdanscette cuisine, qu'Us'embarque dans des histoires d'argent sale, de bagarres de clans et de mon prématurée...
En fait, je l'aisuttout rejoint pour l'aider le temps de trouver une solution, une
idéepoursortirde là. Je me suis d'ailleurs moi-même vite écœuré de la vie que nous menions, etj'apprenais,petitàpetit, àrefuserlabassesse avec laquelle on me traitait. fi
a d'abord été question de vengeance dans mon esprit, mais je savais au fond que le problèmeseraitle même ailleurs; qu'il se répéterait sans cesse jusqu'à ce que je trouve un moyen desortirde cette forme de survie instinctive... Cequ'ilme fallait donc, c'êtait plutôt une solution qui me permettrait de ne traVailler que pour moi-même, ou pour des
amis. Une solution qui me faisait en quelque sorte éviter toute cœfrontation avec
l'ennemi. Une solution pour disparaître et tàire mieux, recommencer autrement...
lavaisdéjà commencéàformuler quelques idées etàfaire de bonnes rencontres lorsque Javier débarqua -littétalement- un jour d'été en ville.
n
s'était renseigné au port et m'avait retrouvé assez aisément car le restaurcmt était connu de tous par la réputationquenousluifaisions,..
Je
n'enrevenaispas:aprèspresquedixans,Javier, ici, faceàmoi.Drôle d'impression de déjà-vu... Comme s'il devait finirid, avec moi.. La chaleur me faisait justementpenseraux nuits où, adolescents, nous jetions nos corps brûlants à la mercallre les vagues,poissonsnocturnesquis'entendaient, l'instant d'une baignade. Je
•
•
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l'ai retrouvé presque inchangé, àpeine vieilli.
n
portait un vieux pantalon troué que jereconnaissais, un paniessus usé et une petitevalise de cuir andalou que mon onde lui
avaitdamée avantde partir. C'est tout. Tout ce qu'ilavait,ce qu'U était... Debout droit
et fier à côté de sa valise à s'éponger le front cuivré, il me taquinait de sa voix
familière me transmettait les inquiétudes et désespoirs de la famille: où étais-je dœe
passê? Pouquai nepas avoirécrit?
fi me regarde jeter de pleins bacs d'eau souillée contre le mur et, pour la première fais peut-être, me sourit affectueusement... fi se dit étonné de me voir
travaillerainsi,moid'habitudesiparesseux, oisif, rêveur.... fim'observe d'unairamusé et curieux, sympathique... Une heure plus tard, ilsuait àgrosses gouttes àcôté de nous,
riantavec nous comme s'il avait toujoursétélà. Peuàpeu,ilétaitdevenu indispensable: avec lui, nous avions désonnais un nombre suffisant pourfOImer notre dan et lancer le
projetdelleIZO... Ouvrir notre casino. Toutcœstnlirede nos propres mainset donner l'illusion absolue d'un endroit privilégié, merveilleux, presque magique... Attirer l'argent par l'argent et se libéreràtout jamais des contrdintes de patrons: être les patrons...
•
Nous sommes restés longtemps ainsi: silendeux, faux dormeurs, nous nous préparions... Puis un jour ce fut la révolte. Une magnifique envolée, un esprit de
solidarité incanparable: nous aurions pu refaire le moode. Tlel7O, surtout, nous
• embarquait dans d'impossibles discours surlaliberté,l'amitié,lepouvoirdelapensée, de
lavolonté. Javiers'enthousiasmait commejelefaisais après avoirécouté les histoires de
grand-mère:ils'étaitenfin déàdêàbouger,àsebattre,et voulait que touscroient àses belles vérités. C'étaità croire que nous étions les premiers révolutionnaires de l'histoire, nous troiscalés dans l'étroit cabinet du sous-sol, les yeux hagards, dœ pliés en deux... Nous trois cœtre les patrons, c'est-à-dire le mœde. Nous trois contre l'avenir qui se
tr3Ç3itànotre insu...
n
fallait miser le tout: ilfallait oserpanicen bombe, même sans savoir où l'oniraits'écraser. Laquestion êtait grave,ilfallait se décider... etainsidesuitejusqu'à ceque nous acceptions ces discoursenflammés de Javierquine cessait denous surprendre avec san tempérament imprévisible. En fait, bientôt, leseul moteurdesm existence était la vengeance, le mépris de l'oppresseur: un ennemi au fond faible et limité. Je medemandais mêmeparfois lequel de nous deux, finalement, avait hérité de
•
•
•
Le désir de renverser l'ordre, de rejoindre le plus rapidement possible ma vraie
nature, mavraie placeet fonction, est donc né de l'humiliation de la servitude et de l'étroitesse de ma prison. De ma propre image réfléchie par le regard de mes
oppresseurs. Ce genrede désir, celui qui naît de la haine, du mépris, et d'un profond sentiment d'injustice, est celui qui ale plussoif. C'estcelui qui ne vous quitte jamais,
celui mêmequi vous pousse à vivre, à vous lever tous les matins, àcontinuerà vous cacher derrière cene fausse imageque l'ona de vous pourmieux revenirla pulvériser. C'estainsi qu'acommencéladouble vie. C'étaitsansdoute lachose la plus délicate à assurer. Une seule erreur, unseulglissementauraientété fatals. Mais j'ai tenu jusqu'au bout... Je me surprenais de cette étrange capadté à masquer mon jeu, à cacher mon train. Le mensonge découlait de moi avec un naturel qui ne cessait de m'êpater: je livrais toujours l'image attendue avec justesse. Nul d'entre eux n'aurait soupçonné l'ampleur durêvequi se tramait en moi, personne n'aumit jamais même cru àce que je
pensais, ce queje croyais, ce qui me nourrissait et me faisait vivre... Nous avions dœe renversé l'ordre, nous avions monté notre entreprise de peine et misère, mais il fallait désormais protéger l'affaire: si nœ andens patrons nous retrouvaient, s'Us arrivaient à
prouver que nous les avions volés pour monter notre casino...
n
m'arrivaitparfoisde croiser unami,quelqu'unqui me connaissait àmon arrivée ici ou àl'époque où je traV3iIlais encoredans ces satanées cuisines: il fallait alors tout reconstruire,justifier.Se trouver unevieetHlehars decemœdeque nous nous étions construit, se l'inventer sur place de toutes pièces... et le plus difficile: faire croire. Parfois,je nefaisaismêmeplusd'effons, et àdéfaut de pouvoir conter des histoires, me broder une vie rangêe et ordinaire, je m'accusais ouvertement de fainéantise,d'inactivité:
illites-moi,quefaiteHousdoncmaintenant?
n
yaIœgtempsque l'on n'entend•
Oe m'entends, étonné et dégoûtéàlaCois.)cRien. Je nefais rien.»
(L'autre:)
cMaisalors, que faites-vousià? Et qui êtes~vous pour vous pennettred'être là, à
nerienfaire?»
(Je m'enrage)
«Maisqui vous a donc dit qu'il fallait faire quelque chose? Dites-moi: où est-ce
écrit? Aucune loi ne nous le prescrit! Je suis tout à fait dans mon droit de n'être
absolumentrien!
-Attention, Monsieur, ce n'estpasparceque vous faites rien que vous n'êtes rien!
On est forcément quelqu'un: c'est obligatoire. Cela ne se fait pas de ne rien faire et en plus,den'êtrerien!»
• Et je ris... Je ris en me tenant la graisse du ventre... Mensonges, absurdités. Fmalement,nous rioostouslesdeux...jusqu'àne pluspouvoirs'arrêter... Je ris parce que
jesaisquesijelui racontais lavérité,ilne comprendraitpas, il ne meaoir3it pas. Mon existencepar le vide est dœc plus plausible... Lui rit parcequ'il me prend pourun fou, ou parce qu'il pense que je joue, que je taquine, ou que j'ai un poste honteux que je préfere lui cacher... comme tout le monde... Oui je suis comme tout le monde, mais plutôt comme tous ceux qui se sont embarquésdansquelque chose sans avoir les moyens
d'en prévoir le développement ou lafin. Qui donc est le plus fou? Celui qui dort
véritablement, qui se réveille à petits coups de somnambulisme, à petits coups d'automatisme pour regarder un peuparlafenêtre? Oul'autre: l'hypnoiêle? Celui quifait
semblant de dormir, celuiquimène une double vie, a un double visage, va et vient d'un mondeàfautl'e, cherchantunéquilibre,un lieu oùilpourrait, ne serait<equ'un instant,
•
Dansmon bureau, les mains enveloppant ma tête reposée sur la surface d'acajou, je repenseàl'été précédentavec une sorte de fatigue familière, comme innée. Tout ce
travail, taures ces heures, ces journées entières passées ànous organiser, Javier, Ttet'ZO
et moi, ces heures passées à rêver, à projeter... Et moi, aujourd'hui, venu ici pour
reprendremes affaires. Unchien de gardeàlaporte. Surveillé, attendu... toujours bien entoure. Comment sommes-nous donc passés demaîtresàesclaves? Où et quand stest
faite cette transition, et qui en a décidé? ...On mediraqu'il ne faut pas s'étonner, que lorsqu'on joueàdes jeuxdechance,quelorsqu'onbaignetous les joursdans le Hasard et • quenotrevie mêmeendépend....
(Quand je récupérerai mes ailes, quand j'auraiànouveau mes ailes...)
yentends presque le bruit des roulettes d'id...l'espèce de martèlement des clients s'excitant, tapant des pieds, battantdes mains... Une grande salle rose, rouge,
sallede combat, delutte avec le Hasard... questions cievie et de mon. fi s'yent3SS3it
une petitefouleardente et crédule qui neselassaitjamais de suivre le mouvementde la
roue, d'attendrel'arrêt delabille, de hurleràla victoireou de crierinjustice, montage, truquage, tricherie... Les jeux de cartes étaient à peine plus caJmes, plus organisés...
Maislesroulenes vivaientpresqueparelles.mêmes... jyallais souvent seul, auxpetites
heuresdumatin-entrequatre heures etseptheures, aux seules heuresdefenneture. fi
•
•
•
avortées. raimais cette étrange sensation d'anxiété mêlée àl'espoir. Je m'y sentais
presque mieux que dans nos bureaux... lachambreclose de la conception. Lrendroitdont dépendait en partie tout ce qui se passait ailleurs. Là où nous décidions de tout au Hasard.commele sort des roulettes...làoùjedécouwais tous les jours de nouveaux ttous dans la caisse, de nouvelles disparitions de recettes. Dehors: musique, fête, miracle absurde de chaque pièce, du décor, des poutres, des draperies somptueuses, des statues. Lesemployés calmes, efficaces, discrets. Nos croupières,les filles, comme une promesse
dechance. Nos fillesémissaires delaChance... Les clientsse promenant comme chez
eux et comme dans un rêve àlafois. Ici, dedans, dans lachambreclœedes patrons: la simple absurdité de ma présence là, funambule-voyeur, quelque part sur terre en équilibre... Prêtàtomberàtout moment...
La tête posée sur mon bureau, les mains repliées sur la nuque... Je dors presque... Non, jefaissemblant:jerêve... Jesens les rêves se relayeràtraVers moi, l'un
aprèsl'autre, Usme peuplent et me font vivre dans ce sommeil anifiàel...
(Quand jerécupéreraimes ailes, quand j'auraiànouveau mes ailes...)
rai
l'impression d'avoir vu des choses dontrai
le souvenir de les avoir déjà oubliées... Tête molle, pâteuse. Maisjene dormais pasvraiment...je m'organisais...c'estcela.
jem'organisais enrêvant;
j'yrefaisaismavïe.•• Enolremaintenant. on me surveille. on.pen~ que jedors... On ~se que jed~, mais je suislà,
~~ derrière, l~ ye~fermês, je fais semblant... Je joue àme faire peur. Encore maintenant et peut-être surtout maintenant, je joue àme faire peur... Sécurité de scaphandrier. Tire d'ailes,
•
Oesuisun réceptade, je suis un catalogue, undictionnaire,une encyclopédie. Je suis un clône, uncliché,un jumeau. Je suis tout cequ'ilsontétéavant moi. Je suis tout cequ'ils, '
)
mœtmaltre...
On peut être ce àquoi on ne ressemble pas, c'est vrai... Et sans s'en rendre compte, pendant qu'on avait la tête tournée, le temps de regarder un passant... On
revientàsoiet l'on se retrouve diffonne...leVrni Visage... Je suis un cliché. C'est un autre qui a décidé de cela, alors comment faire? Je pressens même que ma fin, que notre fin à tous, celle qui nous talonne depuis l'arrivée des mouches, sera aussi une banalité prévisible... Lareproduction delamalédiction de grand-mère. Lafin de tout le monde:iln'yaqu'àattendre le moment où tout cela reviendra nous exploser au visage,
le momentoùl'an rembourseraladette envers notre Chance, laperte complète de nos pouvoirs sur terre. Un rêve pour rattraper toute une existence. Tout misersur un rêve, • sur ce seul pari pour racheterlafaute de ma naissance. Fin de la double vie, révélation de ce qui se cache derrière. fi ne restera que la responsabilité, la mienne... Seule empreinte de ma création, dernière trace de mon passage sur terre...
Je repense aux mouches. Bourdonnements oŒessifs. Comment avioos-nous pu
être si aveugles? Avertissement. Menace. Annonce du cauchemar à venir. Et nous
étiœstrop OCOlpés, au trainoùnous allions, pour les voir s'écraser, lourdes, gauches, contre les fenêtres, tout autour de nous. Dépande Timo. Brosque,sans un motniune explication. Atmosphère insoutenable. Javier commence àdisparaître, l'argent aussi,
encore plus qu'auparavant...
n
butine le trésor. Je cherche des coupables, je m'illusionne... Maisjesaisque c'est lui, qu'H est devenu fou, enfenné dans son système,danssafaçon déforméedevoirles choses, un peu rnmmemoi,enfant fi nous aattiréle
•
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desparisimpossibles... finous aattiréles mouches. Maisje suis aussi coupable. Nous le sommes tous les deux. Lui, d'avoir dérapé dansun monde inaneignable d'où ilsemblait ne plus vouloir oupouvoirrevenir,etmoi,parcequejesavais,parcequejevoyais. Parce
qu'il aurait fallu intervenir, faire quelque chose, n'impone quoi... Nous sommes coupables d'aveuglementvolontaire. NousSOOlDles coupables non pas d'êtres degrands
optimistes (comme nous le disions), mais plutôt d'être degrandsillusionnistes...
Je suis patti courir ce soir. Surveillé, suivi, toujours. Je les aisemés en passant par des ruelles, en prenant des détours. Qudques heures Peut-être. Et quand je rentrerai chez moi ils seront là, à m'attendre, fidèles au poste. Mais j'ai essayé sur plusieurs kilomètres de m'échapper, et je ne faisais queretomber dans mes propres pas, toujours mes proprespas... Personne ne me surveille aussi bien que moi.
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Un hommeentre un jour dans le magasin génêml où je passe, depuis près de
deux ans, toutes mes soirées. fiestgrand, a leteintsombreetlesyeux très noirs. fi est
tardet je suis seule, commed'habiwcfe,jusqu'àlafermeture. fi mefixe pendant que je faisle cal<:oldesa ~re.
rai
lamain
qui tremble) c'e~t idiot.rai
l'imp~qn qu'il va me demander quelque chose d'êtlëlllge, qu'il prêpare quelque chose en m'observant. Lalumièreestmauvaiseetgrésille. C'est parce qu'Afshad refuse de lafaire remplacer. fi
dit . , . ,lire . ..I_ _:~' des li d . U ...:LO
_ queJenaI
pas a . car
Je~n~ moccuper __ cents,
~U m~. lYlAIO) personnen~ vi~nt jamais et je m'ennuie à mourir. L'bomme se p~te.
n
me demande si j~fréquente les casinos. Je lui dis qu'à Kiev mon frère, un cousin et plusieurs de mes connaissances étaient de grands joueurs. Peut-être même detrop grands joueurs. De ceux quisont toujours
à
çOQftd'argentet toujours prêtsà
jouerle vôtre. Ceuxqui ne~t plu~ ~tre ratsonnabl~. Qui
en
perdent la ~... ~ qu~ je lui dis. ~blel'inquiéter,ilpardÎt COOlDledéçutoutd'uncoup:
•
•
•
Je lui assure que je n'ai rien contre ce genre d'endroit mais que j'en veux plutôt à
ceuxquine peuvent se contrôler et détnlisent leurs proches à cause de leur avarice, de
leur aœsessiœ. fi paraît étrangement rassuré en écoutant cette dénonciatiœ. Son
visage s'éclaircit, il se ressaisit et tire un jeu de cartes de la poche de son veston. fi
commenceàbattreles cartes, puis lesposesur le comptoir, lesyeuxbrillants:
«Vousvoyez ce jeu de cartes?
-Qui.
-Battezles canes. Vous savezbattredescartes,oui?
~.»
Je bats les cartes. Je sais le faire. Je jouais avec mes frères, le dimanche.
«Bien. Maintenant, connaisse2-vous desjeuxde cartes, des jeux de casino?»
Le téléphone sonne. C'est Arshad. J'entends de la musique derrière lui, des
tintements deverre.
n
rit,il parleàquelqu'un. fi se rappelle qu'ilest au téléphoneet me demande commentçava, ~il Yades clients. Je réponds que tout vabien, qu'ilyaquelques clients, comme tous les soirs.
n
s'inquiète pour le café.n
s'énerve. fi faut vider les caisses qui sont arrivées ce matin. fi faut remplir les deux étagères vides de l'entrée, refaire l'étalage de la vitrine. fi ne faut pas paresser, je suis une paresseuse,c'est connu. Je réponds que oui, oui, je le femi, j'ai même déjàcommencé. Et puis il
faut laver lesplanchers,passerlebalaiderrièrelacaisse, faire brillerlesvitresdu buffet et vider les poubelles.
n
faut que cesoit propre, que çabrille. Comme d'habitude. Je parle avec une toute petite voix pour que le monsieur, Mœsieur Vasquez, ne m'entendepas. Encore quelques recommandations et il ~e.
n
est neuf heures moins le quart. Dans troisheures je serai couchéeàcôté de lui. Je l'entendrdi rontler et baver•
•
•
mon étranger, mon apparition. Mon Monsieur Vasquez qui fume une dgarette, calme, appuyé sur le comptoir. Je lui apporte un cendrier et une tassede café. Je ne pense
déjàplusàlavitrine, au café, auxpoubelles. Je m'intéresse.
Je
diraismême que jesuis fascinée.n
me fixeencore.«J'étaispresqueinfirmièreàKiev, Monsieur. Jefinissais mes études,j'étais première de classe...:>
Je veux me racheter, je veux me montrer digne de confiance car je sens que cet homme est venu m'apponer quelque chose.
n
ne lesavait peut-être pas lui-même avant d'entrer. Mais je sens qu'il s'intéresse àmoi.n
voit quelque chase que je ne vais pas. Quelque chose quej'aiquipourraitluiservir. J'aienvie d'y croire.J'ai
envie de rêver. Je bats les cartes. Je m'approche de lui. Je poseles cartes sur le comptoir d'un coup sec. Je lui lance ledéfi d'un regard: s'il ose continuer, j'oserai peut-être le suivre. TI me fixedu même regardfasciné,amusé.
«Vous connaissez des jeuxdecasino,Mademoiselle...?
~Persikov, Nadia. Oui,jeconnais les jeuxdecasino, etpas seulementlesjeux de
canes.
-Bien, bien. Quelsjeux connaissez-vous?
-fiyale vingt-et-un, un jeufrançaisqui esttrèsàla mode en Russie. Vous savez y
.
,
JOUer.
-Je connais bien le BlackJack. Tout le mondeyjoueici. Vous connaissez cette variante?
-Non.
-Cen'estpas grave, vousapprendrez.
-Maisjeconnaisaussiletœnte-et.quarante. ~aaps. -Etlaroulene, lebaccara?
•
•
•
-rapprendrai...
-Bien. Alors cest bien vous que je cherchais. Vous venez avec moi? -où aIlans-nous?»
Je veuxyaller. Je ne sais pas où c'est, maisjeveux tantyaller... «Au casino. Mon casino.»
Je suis folle. Je suis folle. Je me calme. On ne suit pas les êtrangers. On reste bien calme assisàsa place. On se tait. On fait comme d'habitude. fi voit que je disparais denièrelecootptOir.
«Non. Je reste id.
n
yale magasin, vous comprenez...-Vous avez raisoo, vous êtes occupée. Vous êtes très raisonnable Mademoiselle
Nadia,c'est une grande qualité. Je vous envoie Sandrine demain. Elle aura quelque
chosepour vous. Je vous aiempêchéede traVailler, je suisnavré.»
Et puisilsort en coup de vent, commeilestentré. Comme ça. Tout reprend sa
couleur habituelle. La lumière saute, la radio, la poussière des étagères. Je bats les canes encore. je fais une réussite que je rate. Puis une autre, une autre, et encore
jusqu'àce que la grmde horloge sonne onze heures dusoir. Je lève la tête, surprise. fi
est l'heure de rentrer. Je sors les poubelles, la tête pleine de trèfles et de piques, de damesetde rois.
•
I.elendemain, une grande femme brune entre àla même heure où, laveille, je
battaisles canes pour Monsieur Vasquez. Elle s'avance calmement jusqu'au comptoir et y
pose un sacnoirqu'elle pousse vers moi. FJle me sourit mystérieusement, avec un air
amusé de complice. Elle pose une main sur le sac et l'autre sur mon bras qui tremble. Elle me sourit encore. Elle pousse le sac tout contre moi.
«Ouvrez, Nadia. C'est pour vous.»
Elle est belle, me parle avec unevoix douce. Je lui fais confiance: j'ouvre. Je sors ma
• maindu sac pleine, débordantedebillets.
-Qu'est<e que c'est? -C'estpour vous, prenez. -Je ne comprends pas.
-C'est une avance sur vouesalaire, vous venez traVailler au casino bien entendu. Vous ne pouvezpasrefuser. Vousvalez tellement plus, tellementmieuxque ce magasin, Nadia.
-Mais traVailler, je ne comprendspas?
-Andréas vousachoisie. Vous êtes notre sixième croupière.
-Monsieur Vasquez? jene ccmprendspas.
~'est une idée brillante, vous ne trouvez pas? Nous sommes certainement le premier casino dupays àavoirdes aoupières. Et les serveurs sont tous des hommes!
• C'est fantastique, non?
-Maisjen'aijamaisfaitça. Je nesaispasa:mmentfaire...et puis,ilyalemagasin, jene peuxpaspartircomme ça...
•
•
Elle s'allume unedgarette et marchelentement jusqu'au passagequi permet de passerdenièrele comptoir. Elle s'approche de moi et me demande si je n'ai pas quelque
chaseàboire.
ny
a toujours unebouteille videqui tr3Îne souslacaisse.Je
lui tends unpetitverre sale. Je penseà l'argent du sac et j'aisoudainement honte d'oser lui donner ce verre. Mais elle ne paraît pas s'en souder et boit joyeusement. Elle se penche vers moiet me caresse les cheveux doucement. Elle me sourit.
«Oùestvotremari?
-ce
nlest pasmœmari.»Elleéclatederireettapejoyeusementdesmains:
«Trèsbien alors, l'affaire est réglée! Nous passœs cherchervœ affaires chez vous et je vous emmène au casino!
-C'est qu'il yale magasin... Je ne peux pas, ce n'est pas si simple...»
Je suis idiote. Je regarde le sac et mon ventre se tord de désir.
rai
encore soif. Quelque part, en moi, il reste encore une soif. Je regarde les cartes, j'attends qu'elles me parlent.«Vousêtes aoupière? -Bien sûr.
-Etvous l'étiezdéjàavantça?
-Non,biensûr que non!»
Elleritencore. Flle sesertun autre velTe.
«Non,jetIaVailIaisdansunrestauIëDlt,puis dans unpetitmagasin,commecelui<i. -Mais,cet argent,ilest vraiment pour moi?»
Leriredéferle. Elle pose le sacdevant moi.
• «Mais ce n'est rien, il yen aura plus et encore plus! Toujours plus! Prenez·le,
faiœs.mamnfianœ!»
•
•
•
Je ne tiens plus, je prends le sac d'un coup et le porteàma poitrine comme sion
allaitme le prendre. Je la regarde et je fais «oui» des yeux. Elle me fait un sourire éclatant et metendlebras. Nous sonons.
n
estdixheures moinsle quart. Le plancherestsale, la vitrine n'est pas terminée, les étalages sontàmoitiés vides. Je n'éteins même pas laradio. Je laisse lalumièregrésiller. Je prends mon sac, mon manteau et je sors avec Sandrine. Je sors enfin. Je sors même sansypenser Vidiment: je sors, jela suis. Un
chauffeur nous attend dehors. L'intérieur de la voiture sent le parfum et le tabac. Les
siègessontdoux,du velours, jecrois. Sandrine se collecontre moiet me dit dene pas m'inquiéter. Je pense que jesuis foUe, que j'ai perdu la raison... Mais la voiture a déjà
démarre, nous sommes déjà partis, ilest déjà trop tarcl. Àpeine un quart d'heure plus tard, nous anivons devant la cathédrale du port. Je suis rassurée: les églises me rnssurent. Et je necroismêmepasàDieu. Nous tournons quelques rues plus loin. Nous
descendœsencore vers le fleuve. Le chauffeur s'arrête enfin dans une petite ruelle. Nous descendons. Sandrine me mène jusqu'à la grmde porte noire d'une maison de pierre. Elle frappe trois coups. Quelqu'un nous épie derrière le iudas. Puis la pene s'ouvre soudainement et laisse sonir une bouffêe de chaleur de foyer, de rires et de musique. Une jeune femme enjouée nous fait pénétrer dans un long couloir sur lequel
donnentplusieurspanesfennées. FJleme lance en riantqu'elles'appelleMaude,qu'elle mesouhaitela bienvenue...
Nous nous retrouvonsdansune grande pièce roseêdairée de grandschandeliers d'argent. Unfeu majestueux broie dans le foyer. Trois femmes sont allongéesdans un grandcanapédestyle victorien. Ellesboiventdu vinetrient àgorgedéployée. L'une d'entre elles se lève et se metàdanser. Elle me voit et m'entt3Îlledanssadanse. Je me retrouve surle canapé, blottie entre les deux autres. Cellequi paraîtêtre la plus âgée,
•
•
•
nous, qui va m'installer. Je traVaillerai du dimanche au mercredi et je coucherai sur
place, dans ma propre chambre. Les jours où je ne traVailleraipas, jevivraichez Sandrine, qui n'habitepas loinde là. On me tend un grand verre de vin, œ change le disque.
Sandrine est maintenant assise à côté de moi.
rai
déjà la tête qui tourne. Elle me caresse les cheveux et meditde nepasm'inquiéter, que toutirabien, qu'elle s'occupera de moi...Je me réveille le lendemain dans un grand lit douillet. Je m'étire. Je rêve encore.
J'ai
la tête pleine de teintes de rose et de rouge. L1musique coule encoredansmes oreilles. Je suis bien,jesuis bien... J'ouvre les yeux. Les murs de la chambre sont jaunes, le plafond bleuciel. Une grande fenêtre se découpe au-dessus du lit. Je lève la tête et jevois un mur de briques rouges. Quelqu'un frappeà la pane. C'est Maude, je lui dis d'entrer. Elle s'asseoitsur le lit et dépose un plateau de pain et de confitures.
Elle metendunetassedethé:
.on
dortsibien danscettechambre,n'est<epas? Vousavezbienrêvé?Jerépondsquej'aiplutôt la tête lourde etquesij'avaisrêvé, je ne m'ensouviendraispas.
Je lui dis que je ne me souviens même pas d'être venue jusqu'à cette chambre me coucher. Et qui m'a déshabillée et m'a donné cette chemise de nuit?
«Maisvous êtes très fatiguée à travailler dans votre magasin comme une bête,
c'estnonnal! Vousaviezunpeu buet nous vous avons portée jusqu1àla chamlxe. C'est
ma chemise de nuit qu'on vous apassée, elle est très jolie n'est-ce pas? Mais ne vous inquiétezpasde tout ça, vous allez commencer parvous reposer... Vous verrez, vous serez beaucoup moins fatiguée entravaillant id... Tout à l'heure, nous irons visiter le casino et je vousexpliquerdi comment tout fonaionne,~estfàsdnant, vous verrez... vœs allez beauooup\UJSamuser'..
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Elle me laisse avec les tartines. Elle sort en riant.
rai
peur tout d'un coup. Je pense au rire de Maude, au sourire de Sandrine, aux yeux brillants d'Alexa. Je ne ressemble en rien àces femmes. Pourquoi m'auClÏt-on choisie: n'est<ellas clairque jejure a.vec le décor? Cet endroit est trop beau pour moi, ce sac d'argent, la pochette noirequise trouveàprésent surla commode de ma chambre...ce sac est trop plein! fi
ne peut m'appartenir, c'est trop facile! Et si vraiment ce travail rapportait autant d'argent, pourquoi me le donnerait-on? EnquoiYaurdis-je droit, moi qui ne suis rien id,
moiqui n'airien? Je m'habille. fifaut trouver Sandrine, poser d'autres questions. je me hasarde dans le couloiret tourne trois coins avant de retanber dans une impasse: un escalier quipanvers les étages du haut, sur le mur du fond, une grande fenêtre donne sur un autre mur de briques. Un petit passage êtroit où l'on entasse sans doute les poubelles. Je ne cherche pas àmonter, je rebrousse chemin, fais demi-tour jusqu'à ma chambre. Puis j'entendsdes voix provenantdel'autre boutdu couloir. Je reconnais la
musique, lestimbres,les sonorités delaveille. Je reconnais l'odeur du feu debois.
Réunion au salon. La même musique, les même chandeliers qui jettent des reflets qui dansent contre les murs rosés.
rai
l'impression qu'il fait nuit et que je me retrouvedansle cadre de laveille saufque lesautres sœtassises en cercle, sérieuses,discutant.
lai
aussilatête plus claire. Je veux savoir de quoiil s'agit: on va peut-être m'expliquer des choses... Je m'asseoisàcôté de Sandrine. Présentations. Maude est àma gauche et porte maintenant de petites lunettes rondes. C'est elle qui tient le rôle de secrétaire, prépardnt les emplois du temps, dressant des listes et t1'3Ç3Dt des
tableauxsurdegrandesfeuillesqu'elle nous distribue ensuite. AcôtédeMaude, une femme un peu plus vieille, Uza. Elle tmaiDait déjà il Y a vingt ans dans les établissementsclandestins du Nord; FJi73beth la futée, parce qu'elle sentait venir un
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habituêe... Puis Madeleine, une blonde àl'air solide et déddê. Je crois que c'est elle qui m'a entraînée dans sa danse la veille, je reconnais son regard scintillant, le rire
étouffétoujoursprêtàpoindre... Clind'oeil. Puis un coup d'oeil rusé.... Une taquine,
àl'air un peu difficile... Je ne sais pas. On me dit qu'il Ya aussi I.eila, mais qu'elle travaille de jour, jelaverni donc ce soir.
Je
dois la remplacer, c'est ce que je crois entendre,croiscomprendre. Je lui demande de répéter, je dis que j'ai malentendu... Elle repète. Je comprendslamême chose. Je proteste, j'explique que cest impossible,quejen'ai aucun entrainement,quejene suis pas prête.... Alexane démord pas:
GeTu travailles ce soir, c'est la meilleure façon de commencer... Ça ne durera
qu'une heure... Tu tiendras la banque au baccara avec Madeleine; c'est très facile, tu n'aurasqu'àla suivre... Et Maude et Sandrine reverront les règles du jeu et delamaison avec toi cetaprès-midi. C'est un grand honneur de tenirlabanque, tu sais... Etcest l'undesjeuxlesplus payants:tuverras que ces clients sont panni ceux qui donnentles meilleurs pourboires. C'est un jeudepur hasard,tucomprends? Ce sont les plus beaux jeux... Tu vernIS. Tout se passera bien, Madeleine s'occupera de toi. Nous avœs
toutes confianceentoi...•
Monestomac se
toro
en nœud serré qui ne me lâchera pas tant que je ne serai pas dans mm lit cesoir... Maisjemetais. Sandrineme prendlamain:«C'esttrèsfadie, tu vetïdS. Tu apprendras en une demi·heure. Ton rôle est très
simple, ettun'aurasqu'à suivre Madeleine....
Lenœud se desserreàpeine. Je me résigne, je n'ai plus de forces: je les suivrai
jusqu'à ce qu'elles me mettent dehors...
n
se dit encore beaucoup de chœes; des clients à surveiller, an me mœtre des profils, des photos... û>nsignes, recommandations, détails, indications. Je n'écoute même plus, je me perds dans la musique. Je n'y suis presque plus...n
ne m'arrivera rien -jen'yserai pas.... Etpuis, je doisrêver,jedois encore rêver...•
Dédales d'escaliers, couloirs, portes, passages... Sandrine et Maude me font visiter. Elles me prennent chacune par un bras, me mènent jusqu'à ce qu'elles appellent leur chambre; lieu de réunion et de rassemblement, réfectoire, parfois
donoir... Grnnde pièce encombrée de vêtements et d'objets de toutes sortes: parfums, pots et crèmes, journaux, livres, assiettes, coupes et bouteilles... Nous nous installons sur de longs canapês recouvens de tissus et derobes... Maude me dit qu'elle fait de la couture parfois, qu'elle me montreracomment faire des jupes... Elle m'explique qu'il
faut panerl'uniforme de la maison, c!est-à-dire une robe noire... Toujours quelque
chose d'élégant... L'argent attire l'argent. L'élégance attirelaconfiance. Lorsqu'il est question de jeux de pur hasard, c'est la confiance qui dédde du sort: le joueur jouera, • rejouera etremiseratantqu'il a confiance...
cTudoistoujours mentir,tucomprends? Évalue ce que chacun veut entendre et affre-leluicomme surun plateau-unmiroirdeses rêves. Tu n'as pas à être toi-même, tun'aspasàterévél~ tues anonyme, tueslaChance.»
Sandrine me caresse la joue:
cEttuas en plus leregard,le visage de cette Chance... Tu n'as rien àfaire, c'est une reconnaissance et non une rencontre: tu vas te reconnaître dans ce rôle comme ils
vont te retrouver, veniràtoi et gagner. Tu as cette énergie qu'ils cherchent...cetle énergie
qui
t'attire des choses incroyables ou étrdllges, merveilleuses... Je la sensquand je suis avec toi, nous l'avons tous sentie...»
Presque silence: froissements de tissus entre mes mains. Je dois rêver, c'est certain.
«Écoute,netetrdC3SSe pas Nadia, toutçate pamit étrdllgemaisdeviendratres
• banal,tusais... Ons!habitue, comme pourtout... N'ypense pas,nepenseàrien...pense
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où nous vivons...ne dis non plusjamaisrien sur Andrêas, ne parle pas d'Alexanid'aucune de nous... Ne parle jamais situn'es pas certaine de savoir exactement quoidire...
-Sois évasive, vague, mystérieuse... Dis quetu viens d'arriver, que tu travaillais dans le Nord auparavant, que tu as beaucoup d'expérience Dis que tu ne connais
encore personneià,quetu n'as jamais rencontrélespatrons .
:-I.emoinstu leur en dis, le moins ils essaieront de tricher ou de te causer des ennuis:tuesla patronne quand tu tiens une table, et toi seule déddes du résultat de l'entretien, de l'enjeu, toi et ton hasard, sa Chance. Ne les laisse jamais parler à Alexa s'ilya unconflit;si elle s'en mêle, crois-moi, tu aurns des ennuis... Elle peut êue très douce, séduisante, mais elleestau fond très difficile, elle s'irrite pour un rien, et elle ne te lâchera plus... Soiscatégorique avec eux et tout se passera bien... 5'ille faut, tu les fais mettre à la pone,ilya toujours un videuràl'entrée...»
Le rôle commence presque àme plaire... C'est tout aussi absurde. Je n'ai toujours rien àfaire ici, sur ce canapé, avec ces femmes, mais jefinis presque par me laisserconvainae malgré tous ces avertissements, ces recornmandatiœs qui laissent
entendre que ces clients pourraientêtre plus diflidies que je ne le croyais... Je serai la presque-muette... Pas encore véritablement présente... Évanescente, presque transparente... Je me blinde... Ds ne tireront rien de moi... Je jouerdi le jeu parfaitement... Personne ne saura jamais rien de moi...
fattends Madeleine assise les bras crispés sur les genoux, anxieuse. Elle ne vientpas,elleesten retard. Mais jenesaisplus d'ici retoumer à ma chambre.... Je ne • saismêmepassiDCI1Ssommesdansle même bâtiment... ÛlDment faire?
J'attends
qu'on vienne mechercher. fattendsetjeme regarde attendre. C'est insupponable... Etsiquelqu'und'autre arrivait? Si on venait me jeter dehors, sans manteau, habillée
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ainsi? Etoùirnis-je? ....Vue insupportable... Puisquelqu'un frappeàlapone. Je bondis,
je m'avance pour ouvrir, voir Sandrine ou Maude, mais je tombe nez à nez avec
l'hanmequiestresponsabledema présenceid, Monsieur Vasquez, man Mœsieurqui m'a fait battre les cartes et qui m'a envoyé Sandrine comme ça, avec l'argent, simplement parcequej'avaisbattudes cartes...
«Jevousdérange, Mademoiselle Nadia?
-Non,bien sûr, j'attendaisMadeleine.
-Ah, Madeleine, l'éternelle retardataire... C'est une fille surqui l'an ne peut pas toujours compter, elle n'estpascomme vous, Nadia..
-Mais je n'ai rien fait, c'est vous qui me faites venir id, qui me donnez cet
argent... Etje n'airienfait...!
-Voyons, vous n'avez rien fait! Où allez-vous chercher de telles paroles? Vous êtes idchezvous, VOUS travaillez pournous, vous faites doncquelquechœe! Voyons, ne vous inquiétez pas: elle ne devrait pas tarder... Elle aime bien les entrées dramatiques, les rendez·vous presque ratés, les apparitions tardives, mystérieuses...
Ellevous fait languir un peu, voilà tout..mais tout se passeraàmerveille,vous verrez!
lebao:araestun jeufascinant; vous
allez
vous en passionner... ,.Irruption de Madeleine essoutlée, rayonnante... raiàpeine le temps dedire au·
revoirque je suis déjà engagée dans le couloir... Coursefolle~..
.1 . désolée .,'" A1_...
n '
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. .
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de«JeSU1S ..00 • . , JetaIS avecl'UÇA4... yaWlt un pan aux ausmes, uneparne _.
poker enaagée depuis la matinée... Et puis ils se sont battus! Je suis partie... Nous y sommes presque!»
Dernier escalier, unpetitcouloir...murs de bois, tableaux, chandeliers... JesuisessoutIée...
4fJ\aange-toiun peu. souftle un coup! Qu'est-œquetuas,çane vaspas?»
Presquesilence...