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Un noeud dans un jonc : fonctionnement de l'énigme chez Balzac

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(3)

Un noeud dans tm jonc: fonc~1orm_8n~de 1·.n1~ cbe. Balsac

par

C6l1ne COORNOYER

Th&se pr6sent~e ~ la

Facult6 des 6tudes sup6rleures et de la recherche en vue de l'obtention du diplOme de

Doctorat en philosophie

D~p8rtement de langue et litt~rature françaises

Univers1t6 McGill Montr6al. Qu6bec

AoQt 1997

(4)

Acquisitions and Bibliographie Services 395 Wellington Street Ottawa ON K1 AON4 Canada Acquisitions et services bibliographiques 395.rueWellington OttawaON K1A 0N4 canada

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(5)

Les notices bibliographiques sont données en notes sous forme abrégée: le nom de l'auteur, la date de l'ouvrage, et la page. Pour les textes critiques, c'est la date de l'édition consultée qui figure en notes, la date de l'édition originale, lorsqu'elle est connue, est donnée entre parenthèses dans la bibliographie en fin d'ouvrage: par exemple: Bateson 1980, p. 47. Pour les textes de fic-tion. la date de l'édition originale est donnée entre parenthèses. Les ouvrages de Balzac. en revanche. sont donnés ainsi: Sarrasine 1830, 1977, Pl. VI.

Lorsqu'il s'agit d'une citation ponctuelle. la notice bibliographique est donnée au complet en notes. l'ouvrage ne figure donc pas dans la bibliographie. La même procédure a été adoptée pour les textes de fiction, autres que ceux de Balzac.

Pour le mode de présentation des notices bibliogra-phiques, nous nous sommes inspirée de l'article de Paul Zumthor 1976, "Le carrefour des rhétoriqueurs; 1ntertextua-lité et rhétorique", Poétique, vol. VII, no, 27, p. 317-337.

(6)

REMERCIEMENTS

Toute ma gratitude au professeur Jean-Claude Morisot pour sa direction juste et discr~te.

Je suis reconnaissante à la direction du département de langue et littérature françaises. de même qu'au profes-seur Gillian Lane-Mercier qui mlont accordée des bourses

à l'enseignement et à la recherche.

Je remercie Jocelyne Régnier, secrétaire aux ~tudes

de 2e et 3e cycles et recherche. pour se patience et sa générosité .

(7)

En plusieurs pages de sa production, Balzac d~nonce les crimes économiques qui, habilement commis, ont 6chapp6 aux lois. C'est pourtant dans ses r6cits d'6nigme que l'accusation prend plus de vigueur. En effet, s'il faut en croire les narrateurs, c'est la fraude et l'assassinat qui auraient enrichi les familles de Camps (Bed.-e Fi~ieni) et Lanty (Sarresine), de meme que les banquiers Taillefer

<L'Auberge rouge) et Nucingen CLa Bai.an llucingen). La

criminalité l6gale sujet 6mineament s6rieux de son

réalisme critique - est pourtant racont6e au rythme du jeu des énigmes et de sa compagne oblig6e, la mystification.

Une meilleure compr6hension du rOle central de l'intrigue permet de saisir la th6matique de la criminalit6

l~gale, puisque c'est l'organisation narrative qui r~tab11t

l'ordre entre la fable Cl'histoire confuse du crime) et le discours (l'invention du crime comme 6nigme). Pour raconter les circonstances qui ont conduit

a

la r ••olution de

l'6nigme de la fortune, Balzac emploie ce produit de

(8)

fictions les allures d~un jeu conversationnel; et, d'autre part, il parcourt la gamme des figures et des procédés narratifs qui ont pour effet de créer des incertitudes, suggérer des indices. dénoncer des inconséquences.

C'est en se conformant à la poétique classique de l'énigme que Balzac crée une énigme à partir d'un fait connu: la fortune d'origine criminelle est dans son monde le secret de Polichinelle. Alors que, parmi les nombreux genres de l'énigme, les récits de Balzac se singularisent

en ce qu~ils ne visent pas tant à élucider un crime

incompréhensible. comme chez Poe. qU'à révéler la subtilité des ruses. Ainsi les "lettrés" balzaciens - criminels d'un genre nouveau - connaissent la lettre de la loi et peuvent passer à travers ses imperfections. Pour leur part. les narrateurs, désireux de répondre aux exigences du public lecteur qui veut savoir "par quel procédé chimique brUIe l'huile dans la lampe d~Aladin", doivent non seulement spécialiser leurs méthodes narratives mais aussi ruser avec leurs destinataires s'ils veulent parvenir à les intéresser

à des histoires d'autant plus captivantes qu'elles semblent sans signification.

Située entre les flâneries de Vidocq et les lec-tures de Dupin, entre le dépistage mémoriel de l'espion et l'intelligence syllogistique du détective, la dramaturgie des faits divers chez Balzac ne privilégie ni ne condamne aucune de ces manifestations de l'énigme, parce qu'elle est avant tout une aventure narrative.

(9)

••

In his literary work, Honoré de Balzac sporadically denounces ecanomic crimes. which. cleverly committed, may wind easily round the law. But i t is mainly 1n h1s enlgma novels that th1s denunciation becomes more forceful. From the narrators'perspective, fraud and assassination have enriched the Camps (ftad8Be Firmiani) and Lanty (Sarrasine) families. as weIl as the bankers Taillefer (L'Auberge rouge) and Nucingen (La Malson Nucingen). Legal criminal-ity. an eminently serious theme of Balzac's cr1t1cal real-ism. is narrated by way of en1gma games and their everlast-ing campanion. mystification.

A better grasp of the plot's central raIe leads the reader to discover legal criminality. since the narrative structure restores order between fable (intricacy of the crime story) and discourse (invention of crime as an enigma). To relate c1rcumstances leading to the solution of wealth enigmas. Balzac exploits enigma games as an essence of orality. thus giving his fiction the style of a conver-sational game. Furthermore, he uses a d1versity of

(10)

characters and narrative processes to creste uncertainties, suggest clues, denounce inconsistencies.

The balzacien literary universe exploits the clas-s1cal poet1cs of enigma, develop1ng the enigma trom a well-knewn tact: enrichment by criminal mesns is an open secret. The point of d1stinct1on between Balzac's en1gmas and ether novels 1s that they do not really aim at eluci-dat1ng a mystifying crime, such as in Edgar Allen Poe's novels, but rather et revealing the subtle art of decep-tion. Balzacien "intellectuals", criminels of a nev kind, know how ta evade the law and teke advantage of 1ts

100-pholes. The nerrators, wishing to satisfy the readers'wish te know "the chemical process for ail burning in Aladdin's lamp", must not only speciallze their narrative structure ta ach1eve this goal, but also trick the readers into keep-1ng interested in stories which must seem ever more cap-tivating as they become more meanlngless.

Set between Vidocq's loitering and Dupin's read-ings, between a spy's memory tracking and a detective's syllogistic intelligence, the drematurgy of "Faits divers", in the world of Balzac, does not condone nor condemn any of these man1festations of enigma, as lt is first and foremost a narrative adventure .

(11)

TABLE DES MATIERES

A PROPOS DES NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES... . . . 1 REMERC 1EMENTS. . . il

; ,

RESUME 111

ABSTRACT. . . v

..

TABLE DES MATIERES... . . .. vli INTRODUCTION. . . 1

...

PREMIERE PARTIE"

DIVERSITÉ DES JEUX D'ENIGME

Chapitre premler: L'~nlgme, jeu de socl~t6 16

Chapitre II: Jeu d'écriture 52

, DEUXIEME PARTIE ,

L'ENIGME CRIMINELLE EN RECIT

Chapitre premler: Ouelques apparitions au tournant du

XIXe siècle.. . . 72

Chapitre

II:

Deux genres de l'6nigme chez

le

premier

(12)

••

\

TROISIEME PARTIE,

MISE

EN INTRIGUE DE L'ENIGME

Chapitre premier: Narratologie de l'énigme 193

Chapitre II: Un noeud dans un jonc: fonctionnement

de l'énigme chez Balzac.... . . .. 262

Sarrasine ou le récit malicieux 295

L'Auberge rouge ou le détective imbécile 307

Madame Fl~iani: de la devinette à l'énigme 331

La Maison Mucingen ou les trois cents chèvres de Sanche 339 CONCLUSION. . . .. 358

BIBL l OGRAP HI E . . . .. 368

1. Textes de Balzac 368

2. Autres fictions 369

3. Textes critiques 370

(13)

INTRODUCTION

Partout dans le monde balzacien. on trouve des activltés ludiques et des jeux d'écriture. D'interminables parties de cartes occupent les soirées des provinciaux1 qui. leur jeu en éventail sur la poitrine, s'interrompent

pour discuter des petits et des grands événements du jour; alors qu'à Paris, les dettes de jeu mènent parfois dans les mauvais chemins du crime. Mais Balzac ne se contente pas d'imaginer des joueurs, il invente des jeux d'écriture: pratiques hypertextuelles dans ses romans de jeunesse

(entre 1822 et 1827), proverbes déformés (le spécialiste est Mistigris dans Un d6but dans la vie), noms anagramma-tiques (dans Les Petits bourgeois, Colleville est l'oracle des anagrammes), ou encore jeux de mots venant couper l'effet dramatique d'une scène: par exemple. comprenant que Lucien de Rubempré s'est donné la mort. Mme de Sérizy s'élance à travers la Conciergerie, arrache les barres de 1. En vue d'alléger ce texte, on n'y emploie que le genre masculin pour désigner le féminin et le masc~lin.

(14)

fer de la grille qui la sépare de son amant, se les enfonce dans la poitrine et, sans égard pour le sang qui l'éclabousse. s'écrie: "Ouvrez! je suis envoyée par le pro-cure ur général, pour sauver le IIOrt2! . . . "

En

reconnaissant que les activités ludiques occu-pent une place importante chez Balzac, les spécialistes ont pu ainsi mettre au jour certains aspects de sa pratique de romancier, de même que sa position face aux changements historiques, économiques et sociaux qu'enregistrait son époque. Mendel son (1971) a confronté la théorie mathématique des jeux de calcul (dont il a découvert les prémisses dans Les "artyrs ignorés) à l'ensemble de sa pra-tique fictionnelle. Selon lui, les intrigues de La Ca.êdie humaine se déroulent sur des échiquiers, tandis que les règles combinatoires organisent le système des personnages reparaissants. Bien que Mendelson pense aux jeux de cal-cul, Rapoport (1963) a exprimé ses doutes sur la possi-bilité d'appliquer la théorie mathématique des jeux

stratégiques aux conflits qui opposent les personnages de

2. Balzac, Splendeurs et 81sêres des courtisanes 1845, 1977, Pl. VI, p. 795, sauf mention contraire, c'est l'auteur du texte cité qui souligne. Genette 1982, p. 36, divise

l'hypertexte en trois régimes: ludique, satirique et sérieux; la parodie rel~ve, avec le pastiche, du régime ludique; alors que l'amusement verbal de Mistigris est une déformation parodique (p. 43-44) .

(15)

fiction. Parce que souvent. c'est moins une solution stratégique qu'une solution éthique qui met fin au~ con-flits. comme cela est illustré dans Tosce de Puccini. Près de vingt ans plus tard~ Boyer (1987) a exprimé les mêmes doutes. dans un article pourtant consacré aux "fondements ludiques de la paralittérature" et d~claré que les intri-gues romanesques n'entretiennent pas des rapports

systématiques avec des catégories ludiques. Quoi qu'il en soit, la comparaison s~av~re parfois instructive. co~e le montre l'analyse de Schuerewegen qui, reprenant l'analyse que Taylor (1985-1986) consacrait à l'inscription de l'Histoire dans Une T6~breuse affaire. a cru Y retrouver les quatre catégories du jeu telles qu'énoncées par Caillois (1967): a90n (compétition). a18a (chance)~ .1_icry

(simulacre), 11inx (vertige). Bien que les personnages s'adonnent à des jeux de simulacre et de vertige. c'est cependant l'exercice des jeux de compétition et de chance qui rend compte des mouvements de l'Histoire:

Le roman balzacien concoit et présente la longue série de bouleversements qui ont marqué le début du

XIX-

siècle comme la substitution d'un jeu è un autre. comme le passage de l'agOn, hypothèse féodale, à l'slea, stratégie ou tactique politique moderne3 .

(16)

Enfin les analyses que Frappier-Mazur a consacrées à la métaphore de jeu et de jeu théâtral, lui ont permis de con-clure que dans La Cc.êdle b~alne "le jeu représente le confli t entre l'individu et la société ...

Quant aux jeux d'écriture qui imprègnent les romans de jeunesse, ils ont été systématiquement condamnés par les premiers balzaciens5 . Considérés comme des fautes tech-niques, et incapables de produire une pensée cohérente, les

jeux d'écriture auraient retard~ l'avènement de la grande oeuvre à portée scientifique et philosophique. Mais la sévérité de telles critiques s'est adoucie depuis que Barbéris revls1tant, en 1965, cette production, y a découvert les premiers traits de La Ca.6die b~a1ne.

Toutefois sa thèse du réalisme critique, développée en 1970, tient peu compte des jeux d'écriture. Au-delà des maladresses ludiques se profile la signification idéologique du projet balzacien: dénoncer les contradic-tians culturelles et économiques du capitalisme. Bien que la nouvelle génération de balzaciens n'ignore plus

l'écriture ludique du jeune romancier, elle n'en conclut pas moins à son effet idéologique6 .

4. Frappier-Mazur 1969, p. 39; voir aussi son ouvrage de 1976. 5. Bardèche 1980, 1967; Donnard 1961; Guyon 1947; Prioult

1936 et Baldensperger 1927 .

6. Challet 1987; Bodin 1986; Frappler-Mazur 1980; Erre 1978; Laere 1968 et Tolley 1964.

(17)

Une critique plus sensible à l'écriture balzacienne

et qui délaisse quelque peu, sans la négliger,

l'interprétation idéologique a permis de rendre compte de l'interaction entre le texte et le lecteur et, d'une cer-taine manière, des jeux d'écriture. C'est ainsi que l'on a cru découvrir une poétique carnavalesque proprement balza-cienne, car Bakhtine ne la reconnaissait pas chez Balzac, qui, lorsqu'elle s'exprime par l~ironie "oblige le lecteur

à mettre en jeu son propre rapport au réel, à la poursuite d'un sens présent, mais toujours insaisissable1 ." Les tra-vaux en génétique balzacienne de Ménard et ceux de Rif-faterre d'orientation rhétorique ont conduit à une

conclu-sion semblable. Selon Ménard, la gravité de la fable

combinée au discours ludique produit le comique de La

Comédie hu.alne. Habituellement considéré comme une

rup-•

ture de l'illusion réaliste (chez Sterne, Fielding ou chez Diderot, par exemple), le comique contribue pourtant à une représentation plus natte et plus consciente de la réalité:

Le texte du roman balzacien propose pour seul modèle la liberté du jeu penseur. A la cruelle mise à nu, à la comique mise en question répondent le rire, la compassion, la réflexion du lecteur.

7. Fizaine 1982, p. 17t. Voir aussi Descombes 1982; Amossy et Rosen 1980; Amossy 1979 et Rosen 1979 .

(18)

Le jeu des mots fait sérieusement réfléchir sur le monde, une fois mis à mal l'esprit de sérieux8 .

S'interrogeant sur les rapports entre humour et intertex-tualité, Riffaterre montre que la description de Paris au début de Ferragus est une allégorie tératologique de la Babylone biblique. Le texte mimétique (décrire Paris) devient ludique (décrire Paris comme un monstre) parce que la description crée un univers invraisemblable et absurde. Mais le passage n'est qu'apparent, car le jeu d'écriture décrivant ainsi un improbable monde fictif oblige à aper-cevoir la vraie réalité. L'humour qui se dégage du texte ludique donne ainsi accès à la mimésis et, de lisible le texte devient scriptible, invitant le lecteur à découvrir la signifiance du récit9 .

Selon Hutchinson, seule une théorie de la lecture comme effet saurait rendre compte de l'interaction entre les textes ludiques et leurs lecteurs. La théorie de l'effet, développée par Iser. fort utile pour les problèmes de lecture, est insuffisante pour aborder les questions de jeux d'écriture10 • S'il est indéniable, poursuit

8. Ménard 1983, p. 413. Sur la distinction entre esprit de sérieux (le Code Napoléon) et sérieux (le Code pénal des honnêtes gens), voir p. 53-54.

9. Riffaterre 1984; voir aussi son analyse de 1979, qui porte sur La Paix du ~nage.

10. Hutchinson 1983; Iser 1985, 1979, 1974 et 1971. Sur la réception des jeux li~téraires, voir les articles dans Guiness (ed.) 1986 et Picard 1986.

(19)

Hutchinson, que tous les jeux d'écriture programment une lecture ludique (bien que cette coopération ne soit pas toujours conjointe, comme l'a montr~ Hurley, 1986>, c'est

cependant le jeu des énigmes - développé en roman

policier qui propose de toute évidence un jeu avec le

lecteur. Le discours du récit cache au lecteur les informa-tions indispensables ~ l'élucidation de l'énigme (qui est à

peu près toujours criminelle), mettant ainsi en branle son esprit inquisiteur; aussi le récit policier offre-t-il au lecteur-consommateur la possibilité de se transformer en

lecteur-producteur du texte, comme le souhaitait Barthes qui,

sans songer li ce genre de romans, écrivait: "Pourquoi le scriptible

est-il notre valeur? Parce que l'enjeu du travail

littéraire (de la littérature comme travail), c'est de faire du lecteur, non plus un consommateur, mais un produc-teur du texte11 •I l

En utilisant un certain nombre d'informations sur le roman balzacien, nous pourrions dresser le portrait du lecteur (joueur) que ses récits programment, et notamment ceux qui racontent des énigmes. Depuis le S/Z de Barthes,

nous savons que Sarra8tne est un récit d'énigme (que

(20)

Barthes appelle récit herméneutique); nous connaissons l'écrivain bavard et le romancier très attentif à ses des-tinataires, ne ménageant jamais sa peine pour créer des narrateurs qui discutent avec leurs narrataires, leur révèlent tous les secrets du monde fictif. et leur expli-quent le pourquoi des choses et des événements (ce qui pour-rait être une manière de jouer aux énigmes); nous savons enfin que les pratiques ludiques caractérisent non seule-ment les premières productions balzaciennes mais aussi l'ensemble de son oeuvre (que ce soit sous la forme carna-valesque. ironique, comique ou humoristique). Il n'est pas impossible de mener à bien une telle analyse; toutefois. il faut d'abord surmonter le tout premier obstacle sur lequel on bute: la complexité du fonctionnement de l'énigme en littérature. C'est la raison pour laquelle nous avons con-centré notre analyse sur ce dernier point. délaissant pour le moment la problématique de la lecture comme jeu, qui elle-même nécessite d'autres analyses sur la réception, la lecture. le jeu en général et les jeux littéraires. en par-ticulier. Même si nous comptons analyser l'énigme chez Balzac, établir un relevé non exhaustif du mot "énigme" et de ses déri-vés, nous arrêter sur la variété des récits ou des segments narratifs qui racontent des énigmes (Le Cure! de village aussi

bien que Maitre

Cornêlius),

nous avons limité l'analyse è l'énigme de la fortune, qui a la particularité d'apparattre dans des

(21)

récits-conversations; nous rappelant de la sorte que

l'énigme est d'abord un jeu social et un jeu

conversation-nel. Aussi de l'énorme édifice balzacien se dégagent

uniquement quatre récits d'énigme: Sarrasine, L~Auberge rouge. Mada.e Flr11ian1 et La Baison Nuclngen. Nous avons exclu Gobseck et L~Interdlctlon, bien qu'ils racontent

aussi l'énigme de la fortune: le premier récit repose

davantage sur la personnalité énigmatique de l'usurier; alors que la conversation qui résout l'énigme, dans le second, ne renvoie pas explicitement au jeu social des

énigmes, où c'est une conversation qui déclenche la

mécanique (narrative) de l'énigme.

A la fois activité ludique et jeu d'écriture,

l'énigme a peu attiré les critiques du roman balzacien.

Plusieurs raisons expliquent cet oubli, dont la toute

première est qu'usant de procédés discrets, l'énigme en récit ne se manifeste pas de façon aussi ostensible et tapageuse que, par exemple, les pratiques hypertextuelles. De toute façon, les jeux d'écriture chez Balzac sont rare-ment perçus comme une énigme (dans son relevé exhaustif des jeux d'écriture, Ménard ne la mentionne pas). Ensuite, lorsque l'énigme entre en récit, elle s'implante et se

(22)

développe en paralittérature12 , et notamment en récit d'énigme policier, dans lequel le lecteur, pris au jeu de la détection, a l'impression de participer à l'enquête. Balzac a imaginé dans ftaltre Cornélius et Splendeurs et _isères des courtisanes l'énigme du local clos, laquelle fonde le récit d'énigme moderne. De plus, en racontant des procès judiciaires CL-Envers de I-histoire conte.poraine)

et en faisant s'affronter policiers et bagnards (Splendeurs

et _isères des courtisanes), le romancier a associé de la sorte l'énigme à la criminalité. Pourtant Balzac n'est pas l'inventeur du récit d'énigme policier (c'est Poe qui l'invente avec Double assassinat dans la rue nargue, en 1841) et nos récits d'énigme. tout en partageant un certain nombre de particularités avec les genres de l'énigme. dont

le roman de Poe, s'en distinguent (on pourrait

12. D'après Angenot 1975, p. 4. 10, la paralittérature regroupe "l'ensemble des modes d'expression langagière à

caractère lyrique ou narratif que des raisons idéologiques et sociologiques maintiennent en .arge de la culture

lettrée." Généralement, la paralittérature a un caractère narratif, cependant la notion de genre narratif dépasse "le champ du discours écrit et doit être prise dans une totalité d'interaedia" (un feuilleton télévisé par exemple). Dans le présent travail la paralittérature comprend le roman

populaire. le roman gothique angla1s, le roman noir ou terrifiant français, le récit d'énigme policier, la

chronique des faits divers, et dans une certaine mesure le récit d'énigme balzacien; dans un genre plus descriptif que narratif, les codes et les physiologies que Bardèche 1967. appelle la "litt~rature de l'observation", bref ces

écrits sont, dans le cadre précis de notre recherche, des genres de l'énigme. Lorsque nous parlerons du "lecteur paralittéraire", nous entendons celui qui l i t l'un de ces genres, et non pas le lecteur "Il cOté de" .

(23)

difficilement convaincre le lecteur, même le moins averti, que La Baison Nuclngen est un roman policier). Ce n'est pas tant parce qu'on ne saurait les comparer à une productior. que l'on juge sévèrement, en lui refusant parfois toute valeur littéraire, c'est plutôt, et pour paraphraser Sher-lock Holmes. parce que l'énigme en récit est une question de méthode.

En partant de l'hypothèse selon laquelle Balzac a adapté un produit de l'oralité è des fins narratlves, nous tenterons de saisir les conséquences qu'une telle transfor-mation produit sur la marche des intrigues, de même que sur les modes de chiffrement et de déchiffrement. Nous ten-terons de découvrir s'11 y a continuité ou rupture dans ce passage de l'oralité à l'écriture. S'il est juste de dire que les jeux d'~criture permettent une coopération entre le texte et le destinataire, et si l'énigme est un jeu, alors on devrait pouvoir cerner non pas tant le type de lecteur que le mode de lecture qu'instaure le récit d'énigme. Pour mener notre enquête, nous consacrons notre première partie

à l'histoire du jeu des énigmes, depuis son apparition comme jeu social jusqu'a l'élaboration de la poétique de l'énigme 00 se dessine son aptitude à la création de jeux d'écriture. Nous pourrons ainsi dégager les raisons qui incitent à y jouer, les circonstances qui en favorisent la

(24)

pratique, et les buts recherchés; nous verrons aussi quelques-uns des jeux d'écriture lk "effet énigme".

Nous verrons dans notre seconde partie que~ bien avant de devenir célèbre avec l'énigme du local clos, imaginée par Poe~ l'énigme avait pénétré les écrits

paralittéraires~ tant dans la littérature du mystère que

dans la littérature de l'observation. D'une part~ Walpole~

Radcliffe~ Balzac sous divers pseudonymes~ et bien d~Butres

romanciers, en introduisant des énigmes dans leurs textes,

qu~ils associent au mystère, à la terreur superstitieuse,

au secret, visent à smuser leurs destinataires en les effrayant par un "fantastique de farces et attrapes13 ."

D~autre part, les écrivains de l~observation dressent

l~inventBire du spectacle du monde et proposent de petits

livres spirituels sur la vie quotidienne, mode d'emploi. Les physiologies et les codes vident le monde de toute ambiguIté et de toute énigme; ils mettent cependant à la disposition des détectives amateurs une précieuse collec-tian de traits et de comportements typiques pour identifier les criminels. Cette façon de jouer aux énigmes avait BU moins deux conséquences sur le déroulement de l'intrigue: soit on donnait le mot de l'énigme en m8me temps qu'on la

13. Lacassin 1984, p. ix, écrit à propos des romans d'Ann Radcliffe: "Tout le climat d'angoisse et de mystère qu'elle avait magistralement composé se dissout ainsi dans un

(25)

formulait; soit on oubliait de la déchiffrer, en renvoyant la solution parmi les nombreux autres ph~nom~nes inexpli-cables du monde fictif.

Or,

c'est dans ce climat paralltt~ra1re que Balzac a appris un certain nombre de techniques narratives, alors qu'il songeait à la criminallt~ l~gale, qui sera bientÔt fondatrice de la thématique des r~cits d'~n1gme.

Un

rapide survol des influences livresques et littéraires, de même que des fr~quentat1onsdu jeune Balzac, permet de d~gager

les thèmes et les pratiques d'~criture qui seront plus ou moins à l'oeuvre dans nos r~cits d'~nigme. Nous limiterons l'analyse textuelle à deux genres de l'~nigme, le Code pénal des honnetes gens (1829)14 et Annette et le criainel

(1824), dans lesquels émergent plusieurs des composantes des récits d'énigme. Le Code pênel de. bonnêtes gens est produit sur le mode ludique et pseudo-scientifique: les anecdotes s'y achèvent sur des aphorismes, et le narrateur

y dresse l'inventaire des ruses des criminels pour s'emparer des biens d'autrui. Alors que dans Annette et le cri.Inel, roman d'aventures s ' i l en fut (enlèvement,

14. Notre r~f~rence se rapporte

&

l'6d1tion procur6e par Ducourneau qui l'intitule Code ~nel de. honne~. gens,

d'après le texte de 1829. D'apr~s Vachon 1992, la prem1&re

~dition de 1825, s'intitulait Code

de.

gens bonnete. et

serait enti&rement de Balzac. Nous donnons entre parenth.ses la pagination de cette derni&re ~ditionJ pub116e r6cemment par Chollet et Guise 1996 .

(26)

chevauchées nocturnes~ amours contrariés)~ le narrateur balzacien raconte l'étonnant destin d~un criminel repenti qui a construit sa fortune sur des vols et des assassinats. Dernier roman de jeunesse~ Annette et le cri.inel est le premier de la production balzacienne è raconter l~énigme de la fortune.

La connaissance des techniques narratives et des thèmes des genres de l~énigme au tournant du

XIX-

siècle, y compris ceux du premier Balzac sera utile au moment d'aborder notre dernière partie consacr~e d'abord è la narratologie de

l'énigme~ puis au fonctionnement de l'énigme dans nos

qua-tre récits. Si une énigme se fabrique è partir d~indices et qu'elle laisse des vides, il importe de dégager les figures et les procédés narratifs qui rendent possible une telle invention. Il s'agira de saisir comment s'inscrivent narra-tivement les indices; se creusent les vides laissant place

à l'incertitude~ et comment ces procédés peuvent coexister

avec la thématique de la criminalité légale.

Toutefois Balzac, qui se conforme à la poétique classique de l'én1gme~ invente et crée de toutes pièces une énigme, c'est-l1-dire qu'il fabrique "un noeud dans un jonc". En effet, comme l'explique Ménestrier~ théoricien de

(27)

l'énigme au

XVIIe

aiècle15 , le jonc n'est pas naturellement noué, il faut donc le fabriquer artificiellement, en sorte qu'il en va des ~nigmes comme des joncs noués: un sujet déjà énigmatique en lui-même, comme les mystères de la religion, ne peut constituer une ~nigme. Et d'ailleurs, on

ne voit n1 l'intérêt, ni le plaisir qu'il y aurait à

chiffrer ce qui l'est déjà. Si bien que pour fabriquer une énigme, il faut choisir un sujet qui de lui-même n'en com-porte pas, par exemple, Boileau imagine l'~nigme de la puce, Balzac l'énigme de la fortune.

(28)

,

PREI1IERE PARTIE

, ,

(29)

L'énigme, jeu de société

Le mot êni~l foisonne chez Balzac, qui l'utilise tantôt pour décrire événements, personnages, décors et des-tins; tantôt c'est un jeu de mots qui produit l'effet énigme. En voici quelques exemples.

Lousteau et Blanchon, Parisiens d'adoption, lisent par fragments aux Sancerrois un roman de l'Empire, c'est-à-dire qu'ils en ont découvert des parties sur la macula-ture qui enveloppait les épreuves d'un texte de Lousteau. Cependant, les provinciaux, issus d'une culture de

l'oralité.. ne saisissent pas la "marche de la fable", con-trairement à leur hôtesse. la muse du département. pour qui " la f able marche":

Pour moi, reprit Dinah qui eut pitié des dix-huit figures qui regardaient les deux Parisiens. la fable .arche. Je connais tout: je suis à Rome, je vois le cadavre d'un mari assassiné dont la femme,

1. Ici, et dans les exemples suivants des textes de Balzac, c'est moi qui souligne .

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audacieuse et perverse, a établi son l i t sur un cratère. A chaque nuit. à chaque plaisir, elle se di t : Tout va se découvr ir2! ... "

Lousteau. quant à lui, s'interroge sur le succès du livre, et le découvre en déchiffrant la signification des lettres sur une deuxième feuille et, en poursuivant sa lecture même fragmentaire,

réussite:

cherche à comprendre cette inexplicable

- Mais il y a une autre feuille, dit Bianchon qui regarda sur la table où se trouvaient les épreuves. - Bon, dit Lousteau, elle est saine et entière! Elle est signée IV, J, 2e édition. Mesdames, le IV indique le quatrième volume. Le J, dixième lettre de l'alphabet, la dixième feuille. Il me parait dès lors prouvé que ce roman en quatre volumes in-12 a joui d'un grand succès, puisqu'il aurait eu deux éditions. Lisons et déchiffrons cette énl~e3?

Quelques mois après son mariage avec du Bousquier, Rose Cormon se dérobe aux questions que son entourage lui pose sur son bonheur conjugal. Intrigués par son silence, ses amis forment "une conspiration de curiosité" pour s'expliquer son attitude: ·..·Mous la tenons. sachons le _ot

de l·éni~?" était une phrase écrite dans les regards que

ces personnes se jetèrent." Le mot de l'énigme, c'est qu'en

2. Balzac, La Muse du dêparte.ent 1843, 1976, Pl. IV, p. 706-709. 3. Ibid., p. 709. Le mot "édition" est souligné dans le texte .

(31)

épousant du Bousquier. parmi ses trois pr~tendants (le désargenté chevalier de Valois. le romantique mais sans-le-sou Athâna~e Granson et le riche du Bousquier). Mlle Cormon a fait le meilleur choix du point de vue de la for-tune, mais le plus mauvais du point de vue de la sen-sualité; du Bousquier serait impuissant. comme le suggèrent les derniers mots du récit: "elle ne supportait pas l·idée de mourir fille4 •I l

Lucien de Rubempré d~couvre chez le libraire Dau-r1at les mécanismes qui règlent la marche des auteurs et des journalistes:

A

l'aspect d'un poète ~minent y prostituant la muse à un journaliste, y humiliant l·Art, comme la Femme était humiliée, prostituée sous ces galeries ignobles, le grand homme de province recevait des enseignements terribles. L'argent! 6tait le . a t de toute 6nl~5.

Retirés de leur commerce, les Rogron, n'ayant plus leurs commis à persécuter, vont désormais s'en prendre à

leur cousine Pierrette. Le narrateur explique leur com-portement:

4. I~., La Vieille fille 1837. 1976. Pl. IV. p. 931, 936. 5. I~., Illu8ions perdues 1837, 1977, Pl. V, p. 365. La boutique de Dauriat se trouve dans les Galeries de Bois où

"il n'y avait l~ que des libraires, de la po4!sle, de la

politique et de la prose, des marchandes de modes, enfin des filles de jole qui venaient seulement le soir." (p. 358) .

(32)

Or les êtres étroits s'étendent aussi bien par la persécution que par la bienfaisance; ils peuvent s'attester leur puissance par un empire ou cruel ou charitable sur autrui; mais ils vont du cOté où les pousse leur tempérament. Ajoutez le v~hicule

de l'intérêt, et vous aureB IJdni~ de la plupart des choses sociales6 •

Décidée au suicide, après s'être vendue à Nucingen pour un million de francs, Esther Gobseck a obtenu de son amie qu'elle lui procure deux perles noires contenant un poison. Leur entretien se termine sur un dialogue interro-gatif à effet énigme:

- Fais ce que je te dis, et va-t'en. J'entends une voiture qui arrive, et c'est Nucingen, un homme qui deviendra fou de bonheur! Il m'aime, celui-là... Pourquoi n'aime-t-on pas ceux qui nous aiment, car enfin ils font tout pour nous plaire.

Ah! voilà, dit Mme du Val-Noble, c'est l'histoire du hareng qui est le plus intrigant des poissons.

- Pourquoi? ..

- Eh

bien, on n'a jamais pu le savoir7 •

Dans son commentaire critique, Citron note que la phrase: "On n'a jamais pu le savoir" était, au milieu du

XIXe

siècle, une "scie", c'est-à-dire un lieu commun. Or, l'usage régulier et répétitif d'une énigme, comme celle

6. I~., Pierrette 1840, 1976, Pl. IV, p. 82.

7. 1dea., Splendeurs et . i è r e s des court! sanes 1845, 1977, Pl. VI, p. 684 .

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d~OEd1pe (qui est en fait celle du Sphinx) la conduit précisément à diverses formes du lieu commun: proverbe, sentence, dicton, etc.

Des quatre récits d1énigme retenus, seul La ftaison

Nucingen utilise le mot éni~. Au moment où Bixiou, aidé de Blondet, termine l'histoire des deux premières faillites de Nucingen, c'est-~-dire aux dernières pages du texte bal-zacien, ses auditeurs s'impatientent:

- Je ne vois, dans toutes ces toupies que tu

lances, rien qui ressemble à l'origine de la for-tune de Rastignac, et tu nous prends pour des Matifat multipliés par six bouteilles de vin de Champagne, s'écria Couture.

- Nous y sommes, s'~cria Bixiou. Vous avez suivi le cours de tous les petits ruisseaux qui ont fait les quarante mille livres de rente auxquelles tant de gens portent envie! Rastignac tenait alors entre ses mains le fil de toutes ces existences.

Desroches, les Matifat,

d'Aldrigger, d'Aiglemont.

Beaudenord, les - Et de cent autres! ... dit Bixiou.

- Voyons! comment! s'écria Finot. Je sais bien des choses, et je n'entrevois pas l e . a t de cette

énl~8.

Les indécisions, les incompréhensions et les

erreurs d'interprétation sont ainsi des énigmes, et

apparaissent parfois ~ proximité du secret, comme celui que

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Mlle Cormon cache sur sa vie privée. Cette association du secret énigmatique ou de l'énigme secrète, même si elle est insolite, est pourtant fréquente chez Balzac. Par exemple, la duchesse de Carigliano, qui a cherché à comprendre com-ment les femmes gardent les hommes auprès d'elles,

s'explique à Augustine de Sommervieux,

mari:

trompée par son

Ecoutez-moi, continua-t-elle en prenant le ton d'une confidence. J~ai été à même de voir quelques-uns des hommes supérieurs de notre époque. Ceux qui se sont mariés ont, à quelques exceptions près, épousé des femmes nulles. Eh bien, ces femmes-là les gouver-naient, comme l~Empereur nous gouverne, et étaient, sinon aimées, du moins respectées par eux. J'si.e assez les secrets, surtout ceux qui nous concernent, pour .'être a.usée ê chercher le .ct de cette êni~9.

Ou encore, d'Arthez ne parviendra jamais

conna!tre les secrets de la princesse de Cadignan et. aveuglé par son amour, il prendra l'artificieuse princesse pour une énigme:

Quand d'Arthez fut dans la rue, i l se demanda s ' i l n'aurait pas

da

être moins respectueux. Il repassa dans sa mémoire ces étranges confidences qui naturellement ont été fort abrégées ici, elles auraient voulu tout un livre pour être rendues dans leur abondance melliflue et avec les façons dont elles furent accompagnées. La perspicacité

(35)

rétrospective de cet homme si naturel et si pro-fond fut mise en défaut par le naturel de ce roman, par sa profondeur, par l'accent de la plln-cesse.

"C'est vrai, se disait-il sans pouvoir dormir, il

y a de ces drames-là dans le monde; le monde couvre de semblables horreurs sous les fleurs de son élégance, sous la broderie de ses médisances, sous l'esprit de ses récits. Nous n'inventons jamais que le vrai. Pauvre Diane! "lchel avait pressenti cette éni~e, i l disait que sous cette couche de gl ace il y avai t des volcans! [ ... )10" .

C'est dans Le Curé de village que l'énigme (crimi-nelle) et le secret (d'une faute) se développent

con-jointement le long du parcours de l'intrigue. D'une part J

accusé d'un vol suivi d'un meurtre, François Tascheron est condamné à mort, sans avouer son crime; lequel devient donc pour les autorités judiciaires une insoluble énigme, même s ' i l est une affaire classée. Tascheron avoua peut-être (le texte reste vague à ce sujet) son crime en se confes-sant au curé Bonnet, quelques heures avant son exécution; prétextant le secret de la confession, le curé Bonnet ne peut rien révéler à la justice. D'autre part, ce n'est

qu'au moment de son agonie, qui correspond aux dernières pages du texte, que Véronique Grasl!n dévoile son secret: ses relations amoureuses avec Tascheron et conséquemment sa complicité au crime que Tascheron a effectivement commis.

10. Idem., Les Secrets de la princesse de Cadignan 1839,

(36)

Or. analysant ce texte. Massol-Bedoin, spécialiste de la manifestation idéologique de l~énlgme balzacienne. considère que, bien que l'~nigme joue un rOle dans l'intrigue, ce rôle est secondaire. Parce que l'énigme ne conforte pas l'idéologie du texte, comme c~est le cas dBns les romans populaires français à la fin du XIXe siècle, comme l'a montré Grivel (1973). De sorte que, selon Massol-Bedoin, Le Curê de village est ax~ sur le secret de Véronique Graslin qui, une fois révélé, signale la mort de l'héroïne. Elle meurt en paix avec sa conscience, ayant racheté sa propre faute, et la faute historique qu'avait été la Révolution: "Elle [Véronique] devra, à Montégnac. expier sa faute et effacer en même temps la faute his-torique que représente la Révolution de 178911." En plus de cette lecture idéologique du crime expiation, Massol-Bedoin relève des techniques narratives, par exemple, le lecteur conna!t. dès les premières pages, et sans que ni le discours du récit, ni le narrateur ne les lui révèlent direc-tement, et le mot de l'énigme et le secret de Véronique, qui ne permettent pas de classer ce roman parmi les récits d'énigme, il s'agit plutôt d'un récit du secret.

Il est vrai que le secret, connu d'avance du lec-teur, et de quelques personnages (la mêre de Véronique et

(37)

les hommes d'église), est reporté à la toute fin du récit, au moment pathétique où l'héroIne rencontre son destin. Et dans ce sens, il ne s'agit pas de l'histoire d'une énigme criminelle (qui occupe pourtant un large espace narratif), ni de la révélation progressive d'un secret éventé, mais de l'histoire pathétique de la conversion d'une grande

crimi-nelle, de son rachat et du pardon divin (c'est une

reprise, détaillée cette fois, de l'histoire d'Argow que Balzac avait racontée, en 1824, dans Anne~te et le

cri.i-nel). Il est vrai aussi que la curiosité, qui met en branle l'activité conjecturale d'un détective comme Dupin. est quasi absente chez les personnages qui ont, pour la plupart, des secrets à cacher (les Sauviat et le secret de leur fortune criminelle, les hommes d'église et le secret de la confession, Denise et le secret de son nom de famille, Gérard et ses ambitions secrètes). Toutefois, cette incuriosité ne va pas jusqu'à l'indifférence totale. Au contraire, c'est précisément dans un moment d'attente et d'oisiveté que l'évêque de Limoges, sa curiosité aiguisée,

déchiffre le mot de l'énigme criminelle. Indifférent

d'abord au paysage qu'il observe, il y découvre soudain, tracé dans le sable de "l'tle de Véronique", le mot de l'énigme criminelle: "Les deux prêtres attribuèrent cette distraction à l'ennui, tandis qu'au contraire le prélat

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voyait dans les sables de la Vienne le mot de l'énigme alors cherché par les des Vanneaulx et par la Justice12 ." Or, dans ce même épisode. le secrétaire de l'évêque, l'abbé Gabriel de Rastignac, qui plus tard en arrivant à Montégnac ne parviendra pas è apprécier. et donc à déchiffrer le pay-sage, non pas tant comme le pense Rossum-Guyon (1980) par incompétence, que parce que le paysage qu'il regarde n'est

pas chiffré, saisit aussi bien que l'évêque le mot de

l'énigme, comme le souligne ce dialogue suivi d'un commen-taire explicatif du narrateur:

Les deux Grands vicaires saluèrent en silence et laissèrent l'évêque avec son favori.

"Les secrets de la confession que nous sollicitons sont sans doute enterrés là, dit l'évêque à son jeune abbé en lui montrant les ombres des peu-pliers qui atteignaient une maison isolée, sise entre l'Ile et le faubourg Saint-Etienne.

- Je l'ai toujours pensé. répondit Gabriel. Je ne suis pas juge, je ne veux pas être espion; mais si j'eusse été magistrat. je saurais le nom de la femme qui tremble è tout bruit. à toute parole, et dont néanmoins le front doit rester calme et pur. sous peine d'accompagner à l'échafaud le condamné.

Elle n'a cependant rien à craindre: j'ai vu

l'homme. il emportera dans l'ombre le secret de ses ardentes amours.

- Petit rusé, dit l'évêque en tortillant l'oreille de son secrétaire et en lui désignant entre l'Ile

et le faubourg Saint-Etienne l'espace qu'une

dernière flamme rouge du couchant illuminait et sur lequel les yeux du jeune prêtre étaient fixés. La Justice aurait dQ fouiller là, n'est-ce pas? ..

(39)

- Je suis allé voir ce criminel pour essayer sur lui l'effet de mes soupçons; mais il est gardé par des espions: en parlant haut. j'eusse compromis la personne pour laquelle il meurt.

- Taisons-nous. dit l'évêque, nous ne sommes pas les hommes de la Justice humaine. C'est assez d'une tête. D'ailleurs, ce secret reviendra tÔt ou tard à l'Eglise."

La perspicacité que l'habitude des méditations donne aux prêtres était bien supérieure à celle du Parquet et de la Police. A force de contempler du hau~ de leurs terrasses le théâtre du crime. le prélat et son secrétaire avaient, à la vérité. fini par pénétrer des détails encore ignorés, malgré les investigations de l'Instruction et les débats de la cour d'assises13 •

Aussi est-ce une conversation qui résout l'énigme. bien que le narrateur ne révèle pas à ses narrataires les "détails" toujours "ignorés" de ce brillant dépistage

indi-ciel. Toutefois, de telles conversations, proches du

dialo-gue interrogatif où l'on formule et résout des énigmes. n'occupent pas l'essentiel de ce roman: c'est la narration qui domine. Et en raison de cet aspect structurel, Le Curé de village n'est ni un récit-conversation. ni un récit d'énigme comme le sont nos récits d'énigme. En d'autres termes, comme nous le verrons, l'énigme, qui est d'abord un jeu de société, est chez Balzac à la fois la mise en scène de ce jeu et la mise en intrigue d'une énigme. Bref. c'est

(40)

en s~adonnant aux plaisirs de la conversation, proche du

commérage, que l'on donne à déchiffrer l'énigme de la for-tune.

Le secret peut parfois être proche de l'oracle, comme dans Le R6qulsltlonnalre, où Brigitte, la servante de la comtesse de Dey, interprète un geste comme annonciateur de la venue du fils de sa maltresse. L'observation de

bon augure, sera pourtant fatale: le réquisition-naire qui se présentera ne sera pas celui qu'on

attendait, et fera mourir la comtesse. Cependant, les cri-tiques ont tendance à assimiler l'énigme et le secret. Par exemple, Rosbottom (1982) montre que dans Les Liaisons dangereuses, les personnages tentent continuellement de cacher ou de percer des secrets. Ce mode de narration para-doxal, qui consiste à raconter ce que lSon doit cacher, donne au roman de Laclos les allures d'une oeuvre énigma-tique. D'autre part, et malgré ses tentatives de différencier l'énigme du secret, Massol-Bedoin utilise indifféremment les deux mots. Néanmoins, elle associe l'énigme à un procédé narratif (le processus dilatoire de l'information), alors que le secret est lié au savoir qu'un personnage cache. Ce qui donne, selon elle, le récit d'énigme du secret: Ar.snce.

Nous pouvons tirer quelques leçons de cet aperçu du vocabulaire de l'énigme, du secret et de l'oracle. Les conversations qui reproduisent en récit des formes brèves

(41)

et socialisées, comme la nouvelle et le conte, favorisent la formulation et la résolution d'une énigme. Le secret demande un espace narratif plus élaboré, comme

l'illustre Le Curê de village; bien qu'il ne soit pas exclu

dans un r~cit bref comme Le Rêquisit1onnaire. L'oracle,

quant à lui, ne peut de toute évidence que s'accomplir. et nous verrons qu'il joue un rôle non négligeable dans les genres de l'énigme popularis~s au tournant du

XIX-

siècle. Dans le cadre de notre recherche, l'association de l'énigme et de la conversation présente un grand intérêt. puisque l'histoire des énigmes est l'histoire d'un jeu qui, pendant longtemps, a été un jeu conversationnel.

D'une manière générale, l'énigme peut être définie comme une "Chose à deviner d'après une définition ou une description faite à dessein en termes obscurs, ambigus14 ...

L'exemple en est classique, c'est l'énigme du Sphinx (ou de la Sphinge, le monstre questionneur était "la fille de Typhon et d'Echidne, ou selon certains, du chien Orthros et de la Chimère1S ") devinée par OEdipe. Dans Les Itythes

grecs, Graves l'évoque ainsi:

14. Rey-Debove 1993, article "Enigme". C'est le premier sens du mot donné par le dictionnaire, le second sens est le sens figuré: "Ce qu'il est difficile de comprendre, d'expliquer, de connattre."

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Héra avait tout récemment envoyé la Sphinx pour punir Thèbes de l~enlèvement, par LaIos, du petit

Chrysippos~ ~ Pisa, et, install~ sur le mont

Phi-cion, non loin de la ville~ la Sphinx posait à

tous les voyageurs une devinette que lui avaient apprise les Trois Muses:

Peux-tu me nommer l~@tre unique qui marche tantôt

à deux pattes, tantôt è trois~ tantôt à quatre et

qui est le plus faible quand il a le plus de

pattes?

Ceux qui ne pouvaient pas résoudre l'énigme, elle les étranglait et les dévorait sur-le-champ; parmi ces infortunés se trouvait Haemon, le neveu de Jocaste, que la Sphinx rendit hal.,n, "sanglant", effectivement. OEdipe, qui venait vers Thèbes, tout frais encore du meurtre de LaIos, trouva la réponse à l~énigme.

L'homme, répondit-il, parce qu'il marche à quatre pattes quand il est enfant~ sur deux pieds quand 11 est homme et s'appuie sur un b8ton quand il est vieux.

La Sphinx~ vaincue, se jeta du haut du mont

Phi-cion et se fracassa dans le fond de la vallée. Les

Thébains, après cela, acclamèrent OEdipe, le

proclamèrent roi et il épousa Jocaste, ne sachant pas qu~elle étai t sa mère16.

Mais avant de poursuivre, il importe de voir ce qui sépare l'énigme de la devinette, car, comme c'est le cas de la traduction française du texte de Graves, on emploie indifféremment chacun des deux mots. C'est au

XIVe

siècle que le mot éni~ apparatt dans le vocabulaire français. On disait alors enl~8t, qui se transforme en alnl~ au XVe

~i~çl~; pui~ en én~~ au ~:Ie s1è=le. Le mot est masculin

(43)

au

XVIe

siècle et parfois au

XVIIe

siècle, d'après le genre neutre du mot ancien. Eni~8tl~ntdate du

XV-

siècle'7 .

Au

XX-

siècle, les mots énigaatisatlon, ~n!gaat1-.e et

éni~atlser s'appliquent aux procédés de la mise en

intri-gue d'une ~nigme que l'on appelle tantÔt récit 6nigaatique18, tantôt rée!t herlMtneutlque19. Par exemple: "il semble que l'énigaatisatlon du roman coIncide avec un degré plus élevé (par rapport à une production littéraire ant~rieure) de la "socialisation du texte 20 ."

Le mot 6nia-e vient du grec ainigaa (ce qu'on laisse entendre. parler en paraboles). Du latin, apparenté au grec ai nos (récit. fable) et ainissesthai (dire à mots couverts: les paraboles de Jésus sont des fables aux allures d'énigmes). et aeni~a emprunté du grec ainlgaa (parole obscure 21 ). Detienne et Vernant22 rappellent que les Grecs avaient deux mots pour énigme: tantôt aini~a,

17. Picoche 1979; Dauzat, Dubois et Mitterand 1971 et Bloch et Wartburg 1968.

18. Bedoin 1980 et Macherey 1978.

19. Dubois 1992 et Barthes 1970.

20. Bedoin 1980, p. 126, je souligne.

21. Picoche 1979; Dauzat, Dubois et M1tterand 1971 et Bloch et Wartburg 1968.

(44)

tantÔt griphos, "du même nom qu'un filet de pêche d'une certaine espèce. Car une énigme se tresse comme un panier ou une nasse." La seconde acception du mot renverrait à la texture même de l'énigme, qui est comme un discours tressé de mots ambigus, entrelacé de sens contraires et de propos

à double sens. Les exemples suivants que donnent les auteurs montrent à nouveau ce double emploi, mais une différence se dessine: l'énigme est du cOté de la raison

(on y parle d'aporie), la devinette, en revanche.

appar-tient au domaine de l'enfance, avant l'Age de raison: Quand le devin Polyedos est confronté à l'éni~e

proposée par les Courètes: "Qu'est-ce que la vache tricolore qui fait partie des troupeaux du roi? A quoi ressemble-t-elle?", 11 se trouve aux prises avec une parole insaisissable qui revêt toutes les formes sans être jamais prisonnière d'aucune. A ce chatoiement de significations possibles, le devin met un terme en répondant: "C'est une mOre: elle est, tour à tour, blanche, rouge et noire23 •··

( ... ) L'entrelacement de termes contraires donne à

la mobilité de l'énigme son intensité maximale: "Un homme qui n'était pas un homme voyant et ne voyant pas un oiseau qui n'était pas un oiseau, perché sur un bois qui n'était pas un bois, jeta et ne jeta pas une pierre qui n'était pas une pierre." Telle est la devinette enfantine de l'eunuque visant sans l'atteindre, avec une pierre-ponce, une chauve-souris perchée sur un roseau, qu'il voyait imparfa1tement24 .

23. Apollodore, Bibliothèque, III, cité par Detienne et Vernant 1974. p. 288, je souligne.

24. Platon, R6publique, 479a-480a, cité par Detienne et Vernant 1974, p. 289, je souligne .

(45)

Quant à griphos, il a donné en français une sorte d'énigme, le logogriphe qui consiste à composer "avec des lettres du mot à deviner, d'autres mots à deviner également d'après leurs définitions." Par exemple: "Par quatre pieds j'entends et par trois je réponds. Le mot "pied". dans ce jeu, signifiant "lettres", il s'agit du mot ouIe qui. privé de la dernière. devient "oui2S ". Charles signale que

Ménestrier discute des logogriphes qu'il appelle des

gr1phes: "(Athénée) nous apprend que l"on donnait le nom de griphes à ces énigmes et questions littérales et grammat1-cales. et que Cléarque qui en avait composé un traité en reconnaissait sept espèces." "Le griphe" ou logogriphe, ajoute Charles, est en fait une énigme dont l'énoncé décrit non pas la chose dont il faut trouver le nom, mais ce nom même." Selon Dupriez, la charade, qui est une variété d'énigme, est une variété de logogriphe. En somme. le jeu de lettres producteur d'énigme, c'est le logogriohe26 •

Dans La Philosophie des 1.ages énl~atiques27,

Ménestrier signale une origine latine, autre que

25. Laurent 1967, p. 1093.

26. Charles 1981, p. 39, note 8" c'est Ménestrier qui souligne; Dupriez 1980, p. 178.

27. Charles 1981 a présenté" annoté et commenté la plus grande partie de la préface et trois chapitres de cet ouvrage de 1694 .

(46)

ainissesthsi et aenigas. Aulu-Gelle écrit que les Latins

utilisaient le mot scirpes (jonc) pour désigner les

énigmes. Croyant en une erreur du copiste, Caelius a cor-rigé scirpes par scrupOs (petits cailloux). Caelius justi-fie sa correction. comme le rapporte Ménestrier, en ces termes:

Car, dit-il, tout ainsi que les petits cailloux. quand 11s se trouvent sous les pieds, ou qu'ils entrent dans les souliers, font de la peine è ceux qui marchent, de même les énigmes tourmentent l'esprit et l'imagination de ceux qui en cherchent le sens. et il ajoute que c'est pour cela même que

les Latins ont donné le nom de scrupules aux

peines d'esprit que l'on sent en fait de religion et de conscience28 •

Bien que le raisonnement de Caelius lui semble Juste. Ménestrier opte cependant pour le mot scirpos qui rend mieux compte de la nature et de l'artifice des énigmes. Car 11 en va des énigmes comme des joncs: pour nouer un jonc qui n'a pas de noeuds naturellement. il faut les fabriquer artificiellement. De même pour formuler un énoncé à la fois clair (lisse) et énigmatique (obscur). il faut employer un moyen ingénieux, un artifice rhétorique (la métaphore, entre autres) consistant è tisser et à nouer ensemble "des termes et des images qui conviennent naturellement à toute

autre chose qU'à celle que l'on propose pour

28. Ménestrier 1981 (1694). p. 34 .

(47)

d'énigme29 ." L'énoncé de l'énigme suivante tisse (chiffre) ver à soie mais laisse entendre Jésus-Christ:

Dans le sein d'une vierge ayant pris ma naissance. J'ai changé de nature à trois diverses fois,

On me voit recherché dans les palais des rois, Qui sans daigner me voir révèrent ma puissance. Sur un funeste bois ayant fini ma vie,

J'en rends d'abord le fruit agréable aux mortels. Et faisant leur éclat de mon ignominie.

Je fais de mon tombeau la pompe des autels3o .

Cet exemple fait ressortir l'une des règles fon-damentales de la fabrication d'une énigme, qui stipule que: "le mot que l'énigme me propose comme évident n'est pas le bon31 .'· En somme l'énigme est déceptive: Dupriez l'a noté et Macherey a remarqué que la solution de l'énigme dans les romans d'Ann Radcliffe est banale; ce dont s'était aperçu Nodier en 1825, lorsqu'il écrivait: "On ne serait jamais fatigué des romans d'Anne Radcliffe si on n'avait pas su d'avance que leur dénouement ressemblerait au mot d'une énigme pénible, dont la solution n'a d'autre objet que de satisfaire une curiosité fatiguée32 ." Tous les efforts fournis, - et parfois on doit chercher longtemps sans être

29. Ibid. 30. Ibid.

31. Charles 1981, p. 26.

32. Macherey 1978, p. 46; Nodier, article paru dans

La

(48)

assuré de trouver une solution, - peuvent se révéler vains. parce que la réponse à laquelle on pense spontanément n'est

pas la bonne, alors qu'une fois connue, la vraie réponse est banale. Cependant tout l'art du jeu des énigmes et le plaisir qu'il est censé donner se trouvent dans le pro-cessus de sa fabrication, et moins dans sa résolution. On joue aux énigmes pour "se mettre l'esprit ~ la torture", mais on ne peut jouir d'une réponse qui somme toute n'a rien de comparable aux efforts fournis. Le plus remarquable dans ce jeu parfois très prenant (que l'on pense aux lec-teurs de romans policiers, qui ne quittent le livre qu'une fois la dernière phrase lue), c'est que le chiffreur ima-gine une énigme à partir d'une donnée bien connue et qui n'offre en elle-même aucune surprise, souvent c'est un lieu commun (comme l'origine criminelle des fortunes. chez Bal-zac). Mais alors, comment expliquer que le déchiffreur échoue à découvrir ce qui est si bien connu, sinon en pos-tulant qu'il fait semblant d'échouer?

Cependant l'étymologie de la devinette donne accès

à d'autres considérations en ce domaine. L'étymologie du mot devinette est essentiellement latine. Le mot devine~te vient de devin (1119), du latin populaire devinus qui se transforme en divin et du latin classique divinus qui a donné devin. Ce dernier a donné deviner (1130), du latin populaire devinare (deviner) et du latin classique divlnare

(49)

(conjecturer, prédire l'avenir). Les dérivés de deviner sont: devineur (fin du

XIIIe

siècle, au sens de devin), devineresse (1130~ devineuse est rare), devinette (1854. mot de petite fille). Divin a donné la forme savante divi-nation33 . En ancien français, on utilisait adeviner et endeviner, alors qu'andevinar est aujourd'hui encore usité

dans de nombreux patois. Le champ sémantique de la devinette est vaste: ainsi dans son Dictionnaire de

l~ancien-ne langue francaise (1880). Godefroy la définit comme une "chose qu'on devine, action de deviner, mot d'une énigme; divination. prédiction, conjecture, parole digne de peu de foi34 ...

Patrimoine culturel des sociétés de tradition orale, la devinette prend un caractère ludique lors

d'activités collectives, moissons, vendanges et carnavals. C'est à partir de l'analyse de cet amusement, que l'on a pu dire qu'il était représentatif des formes d'intelligence et de la sagesse d'un peuple:

la devinette a une portée instructive: elle éveille l'esprit d'observation, elle initie à la connaissance des réalités de la société où elle est en honneur. Elle éveille l'esprit à des

33. Garrus 1988; Picoche 1979; Dauzat, Dubois et Mitterand 1971 et Bloch et Wartburg 1968.

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opérations logiques qui ne seraient guère accessi-bles autrement. Les devinettes véhiculent à leur manière, qui peut être grave et dépourvue d'amusement frivole, sinon de satisfaction, une sagesse35 .

Sauf les rares analyses, surtout structuralistes. des folk-loristes enthousiasm~s par la devinette, on ne lui accorde que peu de mérites littéraires. Cela tient à ce que. confinée dans le domaine de l'enfance. la devinette est un divertissement36 • L'énigme a toujours été tenue pour un genre plus noble que la devinette, et les folkloristes ne sont pas les seuls à l'avoir noté, ainsi de Man écrit: "Le roman [Julie] serait une devinette plutôt qu'une énigme, sa solution, établie d'avance et artificiellement encodée. s'apparentant au corps disparu d'une mauvaise his-taire policière31 ." N"interrogeant pas le monde, mais en parlant sous forme métaphorique ou analogique, la devinette ne semble contenir aucun secret. L'énigme, en revanche. pose des questions fondamentales sur l'ordre et l'origine du monde. et en cela elle pourrait être à la source du questionnement philosophique. L'énigme demande la

réflexion, la pensée, et fait ainsi appel au raisonnement logique, bien qu'il existe des énigmes sans mot. Tandis Que

35. Boucharlat 1975, p. 26-27.

36. Redonda 1982; Roy 1977 et Huizinga 1951. 37. De Man 1989, p. 247 .

(51)

la devinette nécessite un savoir, c'est-à-dire une (re )conna1ssance des mécanismes xohétoriques de son engen-drement, et l'on trouve à peu près toujours une solution à

une devinette, parfois on en trouve plus d'une. D'ailleurs "une devinette insoluble n'est pas une devinette", mais une énigme38 • Et, comme une devinette prend souvent la forme interrogative, on a remarqué qu'une question qui ne trouve pas de réponse tourne à l'énigme39 , ou encore que les questions rhétoriques, qui cependant ne demandent aucune réponse mais posent le problème de la signification, ont les allures d'insolubles problèmes, comme l'illustre le cas limite et quasi pathétique d'Archie Bunker, qui, contrairement à un "déconstructiviste", ne s'embarrasse guère de connattre la différence entre lacer ses "bowling shoes" en dessus ou en dessous4o • Jeu sémantique, l'énigme fait appel au raisonne-ment logique; alors que le raisonnement rhétorique permet de découvrir le mot d'une devinette, de même que celui des jeux de lettres (logogriphe) et des jeux de mots (charade). Ce que déchiffre OEdipe, c'est à la fois une énigme: retrouver la logique qui se cache sous l'énoncé illogique

(il doit comprendre comment la faiblesse peut être associée

38. Jolles 1972, p. 105. 39. Kertzer 1987, p. 252.

(52)

à la force, et imaginer un être unique avec trois pattes); et une devinette, puisque les mots sont produits par analo-gie où le mot patte est mis pour le mot âge.

Cependant l'étymologie de l'énigme et de la devinette enseigne que l'énigme signifiait au départ énoncer une parole obscure, alors que le devin prédisant l'avenir résout une devinette. Puisque le mot devin a engendré au cours de son évolution le mot devinette, on peut difficilement associer la devinette au vocabulaire savant de la divination. Désormais la devinette est un amusement purement verbal et enfantin. En toute rigueur terminologique, il faudrait utiliser le mot énigme pour des faits indéchiffrables (par exemple, l'énigme de la vie), alors que les jeux de mots, de lettres et les jeux gra-phiques seraient des formes de la devinette. D'une part, on rencontrerait des énigmes dans les choses et des énigmes à

partir des mots: ··Comme il y 8, selon la tradi tian une

allégorie dans les mots et une allégorie dans les choses. il y aurait une énigme dans les mots et une énigme dans les

choses. L'énigme dont s'occupe la théorie est une énigme dans les mots41 ." Le locuteur qui formule une éni gme invi te l'interlocuteur ~ y répondre. Celui-ci s'engage sur au 41. Todorov 1978, p. 49 .

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moins deux voies: soit~ dans le cas d·une devinette, il tente de retrouver les m~canismes de sa fabrication (raisonnement rh~torique); soit, dans le cas d'une énigme. il essaie d'établir des liens logiques dans ls suite apparemment incohérente des événements (raisonnement syllo-gistique) . Cette compétition entre le clan des chiffreurs et le clan des déchiffreurs a souvent été illustrée dans l'histoire des ~nigmes.

Considéré comme un jeu de société, c'est-à-dire comme une activité sociale au sens où Huizinga l·entendait

dans son essai sur le jeu, HaBo Ludens:

Celui qui envisage la fonction du jeu non pas dans la vie animale ou dans la vie enfantine, mais dans la culture, est autorisé è aborder la notion de jeu là où la biologie et la psychologie l·abandon-nent. [ ... ) Le jeu comme forme d'activité, comme forme pourvue de sens, et comme forme sociale. voilà l'objet de son étude42 •

le jeu des énigmes témoigne d'une étonnante vitalité dans tout le cours de son histoire. On raconte que les peuples de l'Antiquité proposaient avec plaisir des énigmes et des devinettes à leurs invités. Ce que nous savons maintenant

42. Huizinga 1951, p. 20. Notons que Huizinga a consacré le chapitre VI ("Jeu et sagesse") aux jeux de compétition. parmi lesquels l'~niqme se pr~sente sous la forme du schéma question/réponse. D'autre part, les jeux à caractère social

(par opposition aux jeux individuels comme les réussites ou les mots-croisés) sont tenus par Huizinga comme "les formes supérieures du jeu." (p. 25).

(54)

de l'étymologie de la devinette, nous incite à penser qu'il devait s'agir de "devinettes divinatoires", soit des ques-tions touchant à l'aven!r. Par exemple, la littérature d'imagination montre Enée consultant l'oracle avant d'entreprendre ses voyages; c'est son aptitude plus ou moins développée à reconnaïtre ces signes qui lui assurera, soit un beau voyage, soit d'insurmontables difficultés. En fait, en consultant l'oracle, le héros de Virgile accomplit sa destinée. Le po~te comique Cratinos, quant à lui, demandait à

son

auditoire de résoudre lui-même l'énigme qu'il avait dissimulée dans sa pièce~3. Les Grecs aimaient les apories, forme atténuée de l'énigme, qui consistent à

poser des questions auxquelles on ne peut donner de réponse définitive. Les questions avaient parfois le caractère de dilemmes cosmologiques, par exemple: "Lesquels sont le

plus: les vivants ou les morts ....? .. Et la réponse, quoique partielle, conférait à celui qui l'avait donnée un esprit sage, tels Salomon, Zadig et même Sancho, gouverneur de l'Ile de Barataria"5 .

43. Mart1n-Chauffier et Seguin 1971 et Laurent 1967. 44. Hu1zinga 1951, p. 186-187.

45. On trouvera un exemple de la réputation de sagesse de Salomon, auteur présumé du Livre de la SagesRe, en Rois 1:3; sur le gouvernement de Sancho à l'tle de Barateria, voir Cervantès 1969 (1605), vol. II, chepit.~e XLV .

(55)

Lors des festivités de son mariage avec une fille des Philistins. Samson promit à ses hOtes trente tuniques et trente robes de fête s'ils trouvaient au cours des sept jours du festin la solution à l'énigme qu'il leur proposa: "Du mangeur est sorti le manger, du fort est sorti le doux. " Incapables de s' expliquer l ' énigme, les jeunes gens menacèrent sa femme de brOler sa maison et celle de son père, si elle ne soutirait pas la solution à son mari. De guerre lasse et "exc~dé par sa femme", dit le texte, Samson lui donna la clé de l'énigme: "Quoi de plus doux que le miel, quoi de plus fort que le lion""?" Samson pouvalt

d'autant plus formuler son énigme. qu'une exp~rience

récente lui en offrait le propos. En effet. quelques jours avant son mariage, repassant par les lieux mêmes où il avait abattu un lion auparavant, Samson trouva dans sa gueule un essaim d'abeilles et leur miel. Il mangea un peu de miel. en rapporta et en offrit à ses parents sans toutefois leur révéler sa provenance. Ce type d'énigme est fréquent dans le conte, où "l'autobiographie énigmatique du héros" (Flahault) lui permet de sortir vainqueur d'un tour-noi d'énigmes (Turandot) ou au héros de découvrir l'inltié susceptible de résoudre l'énigme qui l·a forcé à partir de la 46. La Sainte Bible 1973.

JUges.

14 .

Figure

tableau verse non seulement des larmes, mais des larmes de sang, phénomène expliqué par le chagrin de l'anc8tre de voir son royaume usurpé

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