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Psychopathie et représentations d'attachement chez des couples consultant en psychothérapie

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Academic year: 2021

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Psychopathie et représentations d'attachement chez

des couples consultant en psychothérapie

Mémoire doctoral

Josée Mayer

Doctorat en psychologie

Docteur en psychologie (D.Psy.)

Québec, Canada

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Psychopathie et représentations d'attachement chez

des couples consultant en psychothérapie

Mémoire doctoral

Josée Mayer

Sous la direction de :

Stéphane Sabourin, directeur de recherche

Claudia Savard, codirectrice de recherche

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La présence de traits de personnalité psychopathiques a été associée à de nombreuses difficultés conjugales (Savard, Sabourin, & Lussier, 2006, 2011) pouvant possiblement engendrer des effets négatifs sur l'attachement adulte au sein des relations amoureuses (Savard, Brassard, Lussier, & Sabourin, 2015). En dépit d'un niveau élevé de dysfonctionnement conjugal, d’attachement insécurisé et de traits de personnalité problématiques retrouvés chez les couples consultant en psychothérapie de couple (Daspe, Sabourin, Péloquin, Lussier, & Wright, 2013; Lussier, Wright, & Sabourin, 2008; Mikulincer & Shaver, 2007), l'attachement et la psychopathie ont été seulement étudiés jusqu'à présent chez des couples de la communauté. L'objectif de cette étude est d'examiner, selon une perspective dyadique, l'association entre les traits psychopathiques primaires et secondaires et les deux dimensions de l'attachement, soit l'anxiété d'abandon et l'évitement de l'intimité chez des couples consultant en psychothérapie conjugale. L'échantillon comprenait 183 couples qui ont complété l'Échelle de psychopathie de Levenson (LSRP; Levenson, Kiehl, & Fitzpatrick, 1995; traduit en français par Savard, Lussier, & Sabourin, 2014) et le questionnaire sur les expériences d’attachement amoureux (Experiences in close relationships (ECR); Brennan, Clark, & Shaver, 1998; traduit par Lafontaine & Lussier, 2003). Les résultats d'analyses d'interdépendance acteur-partenaire montrent que la psychopathie primaire et secondaire, chez les hommes et les femmes, est associée aux deux dimensions de l'attachement (effet acteur). De même, des liens partenaires ont aussi été observés entre la psychopathie primaire et l'anxiété d'abandon chez les hommes et les femmes, alors que pour la psychopathie secondaire, seule celle des hommes était liée à l'anxiété d'abandon chez leur partenaire. Ces résultats s'ajoutent aux recherches effectuées dans la communauté et soulignent l’importance de s’intéresser aux insécurités d'attachement lorsque sont reçus en consultation des couples composés d’individus présentant des traits de personnalité psychopathiques.

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Psychopathic personality traits are associated to multiple couple difficulties (Savard, Sabourin, & Lussier, 2006, 2011) that can also have negative effects on adult romantic attachment (Savard, Brassard, Lussier, & Sabourin, 2015). Despite high levels of relationship distress, insecure attachment and dysfunctional personality traits in couples seeking treatment (Daspe, Sabourin, Péloquin, Lussier, & Wright, 2013; Lussier, Wright, & Sabourin, 2008; Mikulincer & Shaver, 2007), the joint contribution of psychopathic traits and attachment insecurities to couple distress has only been explored in community couples so far. The aim of the study is to examine the dyadic association between primary and secondary psychopathy and attachment related anxiety and avoidance in couples seeking treatment. The sample consisted of 183 couples, who completed French versions of the Self-Reported Psychopathy Scale (LSRP; Levenson, Kiehl, & Fitzpatrick, 1995; Savard, Lussier, & Sabourin, 2014) and the Experiences in Close Relationships Questionnaire (ECR; Brennan, Clark & Shaver, 1998; Lafontaine & Lussier, 2003). Actor-partner interdependence model analyses revealed that in both partners, primary and secondary psychopathy was associated with attachment anxiety and avoidance (actor effects). Partner effects between primary psychopathy and attachment anxiety were also found in both men and women, whereas only men’s secondary psychopathy was related to women’s attachment anxiety. Our findings complement those reported in the community and demonstrate the importance to consider attachment insecurities when working with couples who are presenting psychopathic personality traits.

Abstract

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Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Tableau ... vi

Liste des figures ... vii

Remerciements ... viii

Introduction ... 1

Définition de la psychopathie ... 2

Conceptualisation hétérogène de la psychopathie ... 3

Évaluation de la psychopathie ... 4

La psychopathie: un concept dimensionnel ... 6

Psychopathie infraclinique ... 7

Psychopathie chez la femme ... 10

Psychopathie et relation conjugale ... 12

Les représentations d’attachement chez des couples adultes ... 14

Attachement et psychopathie ... 18

Objectifs et hypothèses ... 23

Méthode ... 24

Procédure ... 24

Instruments ... 25

Plan des analyses statistiques ... 26

Résultats ... 28 Discussion ... 30 Limites de l'étude ... 35 Conclusion ... 35 Bibliographie ... 37 Tableau ... 49 Figures ... 50

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Tableau 1: Corrélations de Pearson entre les traits de psychopathie primaire et secondaire et les insécurités d'attachement pour les hommes (h) et les femmes (f) ... 49

Tableau

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Figure 1. Modèle d’interdépendance acteur-partenaire montrant les associations entre la psychopathie primaire et les deux dimensions de l'attachement : l'évitement de l’intimité et l'anxiété d’abandon, * p < .05. ** p < .01. *** p < .001. ... 50 Figure 2. Modèle d’interdépendance acteur-partenaire montrant les associations entre la psychopathie secondaire et les deux dimensions de l'attachement : l'évitement de l’intimité et l'anxiété d’abandon chez les hommes et les femmes,* p < .05. ** p < .01. *** p < .001. ... 51

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Je souhaite d'abord remercier Stéphane Sabourin, mon directeur de recherche et superviseur clinique, pour les trois années de travail effectuées ensemble. Merci pour votre dévouement envers ma formation et votre intérêt à mon égard. Mes années de stages avec vous ont été très formatrices et ont été, par la suite, un excellent tremplin vers le monde du travail. Merci aussi à Claudia Savard, ma codirectrice, pour sa disponibilité, ses encouragements et sa passion contagieuse qu’elle a su me transmettre et qui m'a aidée à venir à bout de ce mémoire. Ton implication soutenue dans mon mémoire du début à la fin m'a été d'une aide très précieuse. Merci également à Tamarha Pierce pour ses conseils, son soutien lors des séminaires et sa généreuse participation en tant que membre de mon comité. J'aimerais souligner aussi la participation d'Hélène Paradis. Merci énormément pour ton aide et ta patience à m'enseigner les rudiments des statistiques.

Je remercie aussi Nicolas, mon superviseur à la clinique, qui m'a fait confiance à mon arrivée à la clinique et m'a accueilli à un moment où j'en avais le plus besoin. Durant le travail que nous avons fait ensemble, tu m'as permis de développer mon autonomie en tant que clinicienne. J'ai pu aussi apprécier le travail auprès des familles, expérimenter et découvrir de nouvelles passions pour le développement et le travail en enfance et adolescence. C'est une chance de pouvoir débuter ma vie professionnelle avec comme bagage déjà une première année d'expérience de travail. Je tiens aussi à remercier tous les professionnels et amis de la clinique que j'ai eu la chance de côtoyer.

Merci à ma famille, mes garçons, pour votre joie de vivre, vos blagues et nos moments passés ensemble. Merci de grandir si bien et de tolérer les inconvénients qui viennent avec le fait d'avoir une maman étudiante. Je suis heureuse de pouvoir dire que je termine (enfin!) ce passage de ma vie pour pouvoir me consacrer davantage à des moments passés ensemble et pouvoir prendre des vacances! Merci aussi à Catherine, ma précieuse amie du doctorat, avec qui j'ai partagé quotidiennement mes stress quant à mon mémoire et mon internat durant la dernière année. Ton support fut très apprécié.

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Je tiens également à remercier Paule Delisle d’avoir accepté de me superviser et de m’enseigner les bases de la psychanalyse. C’est un réel plaisir de travailler avec vous. Je m’estime chanceuse de pouvoir bénéficier de votre expérience. J'ai tellement appris durant les derniers mois que j’ai peine à croire tout le chemin que j’ai parcouru depuis le moment de cette première supervision.

Enfin, je remercie du fond du coeur ma superviseur Nathalie de m'avoir choisi pour l'internat en avril 2017. Tu ne sais même pas à quel point. « Ta folie » comme tu l'appelles, fait de toi une personne vraiment agréable à côtoyer. Ne change surtout pas. J'ai passé une merveilleuse année à la PBV où j'ai pu découvrir des gens attachants, vrais et sincères. J'en retire aussi un bagage incroyable et une passion grandissante pour le travail avec les adolescents. Merci aussi à ma collègue Geneviève ainsi qu'Ingrid et Marc-Antoine que j'ai côtoyés durant l'année. Vous avez chacun et chacune, à votre manière, contribué à ce que mon projet des dix dernières années se réalise et se termine sur une note plus que positive.

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Des études ont démontré que la présence de traits de personnalité inadaptés, tels que les traits psychopathiques, pouvait être associée à de nombreux problèmes conjugaux (Donnellan, Conguer, & Bryant, 2004; Savard, Sabourin, & Lussier, 2006, 2011). Puisque la psychopathie se caractérise essentiellement par une constellation de traits aversifs de la personnalité – comprenant la manipulation, le manque d'empathie, les comportements antisociaux et le détachement émotionnel (Cleckley, 1941) –, il n'est pas surprenant que celle-ci soit aussi associée à de nombreuses difficultés relationnelles – comme la violence conjugale (Holtzworth-Munroe & Stuart, 1994; Mager, Bresin, & Verona, 2014; Savard et al., 2011) et l’infidélité (Brewer, Hunt, James, & Abell, 2015; Egan & Angus, 2004; Jones & Weiser, 2014; Munoz, Khan, & Cordwell, 2011) – ainsi qu’à des difficultés d'attachement (Arrigo & Griffin, 2004; Perez, 2012 ; Savard, Brassard, Lussier, & Sabourin, 2015). La qualité de l'attachement en contexte de relation conjugale a d'ailleurs été associée à de nombreux déterminants du bien-être conjugal, notamment la satisfaction conjugale, la sexualité, les émotions en relation et la qualité du support offert à son partenaire (Brassard, Péloquin, Dupuy, Wrigh, & Shaver, 2012; Mikulincer & Shaver, 2007; Mondor, McDuff, Lussier, & Wright, 2011; Seedall & Wampler, 2016). Ainsi, l'attachement insécurisé engendrerait des stratégies d'attachement particulières, soit une anxiété de séparation ou un détachement émotionnel pouvant mener à de la violence ou à des comportements négatifs en relation (Bartholomew & Horowitz, 1991; Godbout, Dutton, Lussier, & Sabourin, 2009; Oka, Sandberg, Bradford, & Brown, 2014). Outre les nombreuses recherches effectuées sur l'attachement au sein du couple et démontrant parfois un effet réciproque entre les caractéristiques des partenaires (Brassard et al., 2012; Mondor et al., 2011; Oka et al., 2014; Péloquin, Brassard, Lafontaine, & Shaver, 2014; Seedall & Wampler, 2016), peu de chercheurs se sont penchés sur l’association entre les traits psychopathiques et l'attachement au sein du couple, et ce, malgré les conséquences négatives que peuvent avoir ces traits de personnalité pour les individus dans la relation. Dans une étude récente, Savard et al. (2015) ont observé, auprès de couples de la communauté, qu'il pouvait y avoir des liens acteur-partenaire entre la psychopathie et les

Introduction

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représentations d'attachement chez les individus présentant ces traits et chez leur partenaire. Toutefois, ces résultats ont été observés chez des couples de la communauté, et il n’est pas établi qu’ils se généralisent à ceux issus d’une population clinique.

Ce projet aura donc comme objectif de décrire les liens existants entre les traits de psychopathie retrouvés dans un échantillon de couples consultant en psychothérapie et les représentations d'attachement de chacun des partenaires. Plus particulièrement, il s'agit d'observer, le lien acteur-partenaire, entre les traits de psychopathie et les dimensions de l’attachement, soit l’anxiété d'abandon et l'évitement de l'intimité.

Définition de la psychopathie

Fondée sur des observations cliniques publiées dans The Mask of Sanity, la notion de psychopathie se définit par un ensemble de traits indésirables de la personnalité comprenant la manipulation, l’égocentrisme, l’absence de remords et d’empathie, l’impulsivité et l’irresponsabilité (Cleckley, 1941). La conceptualisation théorique contemporaine, utilisée dans le présent travail de recherche, regroupe les notions mises de l’avant par Cleckley selon deux facteurs. Le premier (soit la psychopathie primaire) fait référence à la sphère interpersonnelle et émotionnelle du construit et dépeint des individus faisant preuve de charme superficiel, de grandiosité, d'absence de remords, de détachement émotionnel et d'attitudes manipulatrices et insensibles. Le deuxième facteur (la psychopathie secondaire), pour sa part, est plutôt lié à la sphère comportementale et décrit des individus impulsifs, irresponsables, incapables de planifier à long terme et présentant un manque de contrôle de leurs impulsions ainsi qu'une forte composante antisociale (Hare, 1991).

Cette conception de la psychopathie en deux facteurs provient de la théorie de Karpman qui, en 1941, avait tenu compte, dans son modèle, de la dynamique interne qui sous-tend les comportements psychopathiques (soit deux dimensions de la psychopathie), faisant la distinction entre le « cœur » de la psychopathologie (celle qui, selon Karpman, pourrait être la source d'un déficit émotionnel de nature constitutionnelle), et la seconde se manifestant par des aspects comportementaux tirant leur origine d'un environnement social inadéquat.

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Conceptualisation hétérogène de la psychopathie

Plusieurs chercheurs ont tenté, ces dernières années, de reconstruire empiriquement le modèle de la psychopathie en l'étudiant à partir de différents facteurs (Cooke & Michie, 2001; Hare, 1980, 1991, 2003; Lilienfield & Andrews, 1996; Patrick, Fowles, & Kruger, 2009). Les résultats d’analyses factorielles montrent que le concept de la psychopathie est effectivement hétérogène. Hare (1980) a d'abord conçu un modèle à deux facteurs avec, d'un côté, la composante interpersonnelle/affective et, de l'autre, la déviance sociale. Ce modèle est reconnu comme étant valide, largement utilisé pour évaluer la psychopathie en milieu clinique et carcéral (Hare, Harpur, Hakstian, Forth, Hart, & Newman, 1990; Harpur, Hakstian, & Hare, 1988). Le Psychopathic Checklist revised (PCL-R; Hare, 1991, 2003) est d’ailleurs l’instrument le plus utilisé en recherche et en clinique auprès de ces clientèles et est considéré comme une mesure étalon dans le domaine. En prenant appui sur cette conception bidimensionnelle, Levenson, Kiehl et Fitzpatrick (1995) ont développé, à leur tour, un questionnaire autorapporté comportant deux facteurs permettant d'évaluer la psychopathie dans la population générale: la psychopathie primaire (p. ex., l'égoïsme, l'insensibilité et la manipulation à l'égard des autres) et la psychopathie secondaire (p. ex., l'impulsivité et le style de vie autodéfaitiste). De leur côté, selon une approche exploratoire, Lilienfield et Andrews (1996) ont conçu un modèle pouvant mesurer la psychopathie de façon globale, et par la suite, en huit sous-échelles (égocentricité, non-conformité, insouciance, froideur, absence de peur, externalisation du blâme, faible anxiété, charme), conceptualisant alors la psychopathie sous la forme de traits de personnalité, plutôt que sous celle des comportements. Cette mesure autorapportée de psychopathie, le Psychopathic Personality Inventory (PPI; Lilienfeld & Andrews, 1996), a pour objectif de mesurer les traits de personnalité sous-jacents au construit de la psychopathie pour en exclure les items mesurant les comportements antisociaux. En effet, selon la description originale de ce trouble, les individus faisant preuve de comportements antisociaux ou criminels ne rempliraient pas nécessairement les critères de la psychopathie (Cleckley, 1941; Lilienfeld, 1994), tout comme ces derniers ne seraient pas tous des criminels puisqu'on les retrouverait dans la population générale, notamment en milieu organisationnel (Babiak & Hare, 2007). Selon cette même conceptualisation de la psychopathie sous forme de traits de personnalité, Cooke et Michie (2001) ont conduit des analyses exploratoires et

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confirmatoires à partir de données obtenues à l’aide du PCL-R (Hare, 1991). Ils ont développé un modèle à trois facteurs : arrogance et malhonnêteté, expériences affectives déficientes et impulsivité/irresponsabilité. Toutefois, Neumann, Vitacco, Hare et Wupperman (2005), comme d’autres auteurs, ont critiqué ce modèle, soutenant que les comportements antisociaux jouent un rôle fondamental dans la conception et la mesure de la psychopathie (Hare & Neumann, 2005; Hill, Neumann, & Rogers, 2004). Un autre modèle a également été proposé par Hare en 2003 et comprend quatre facteurs : interpersonnel, affectif, style de vie et antisocial. Il subdiviserait alors en quatre les deux facteurs originaux. Ce quatuor a été largement validé à l'aide du PCL-R (Hare, 1991; Hare & Neumann, 2005, 2006, 2008). De plus, chacun de ces quatre facteurs contribuerait de façon unique à prédire la violence, les réponses au traitement et les comportements en institution (Hare, 2016). Le modèle en quatre facteurs de Hare (2003) a aussi été repris et validé dans le contexte de la Psychopathy Checklist: Screening Version (PSL: SV; Hart, Cox, & Hare, 1995), une version plus courte du PCL-R (Hare, 1991), utilisée auprès de la population générale (Babiak, Neumann, & Hare, 2010; Coid, Yang, Ullrich, Roberts, & Hare, 2009). Enfin, les auteurs du modèle triarchique (Patrick et al., 2009) ont voulu réconcilier les différentes conceptualisations de la psychopathie en regroupant, selon une approche qualitative cette fois, trois phénotypes censés décrire la psychopathie : la désinhibition, la méchanceté et l'audace. Toutefois, après étude, la dimension « audace » pourrait ne pas expliquer aussi bien la psychopathie chez les femmes que chez les hommes (Murphy, Lilienfeld, Skeem, & Edens, 2016). Bien que non exhaustives, les différentes études décrites ci-haut montrent bien que, selon l'approche des traits de personnalité ou du comportement ou, encore, selon l'outil de mesure utilisé, la méthode ou la population à l'étude, la conceptualisation de la psychopathie peut être vue selon plusieurs angles, tant sur les plans théorique qu'empirique. Une revue narrative récente recense même jusqu'à 33 symptômes possibles permettant d'identifier la psychopathie (Cooke, Hart, Logan, & Michie, 2012).

Évaluation de la psychopathie

Plusieurs outils ont été développés afin de mesurer la psychopathie chez l'adulte (p. ex., Hare, 1991, Levenson et al., 1995; Lilienfeld & Andrew, 1996). Le plus largement

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utilisé pour mesurer la psychopathie en milieu carcéral est le PCL-R (PCL-R; Hare 1991, 2003). Celui-ci est composé d'un inventaire de 20 items concernant la personnalité et les comportements. Or, il s'agit aussi d'un instrument de mesure dont l'administration doit être effectuée par un professionnel et qui requiert normalement l'accès au dossier judiciaire. Cet outil permet de mesurer la psychopathie primaire et secondaire, deux facteurs stables et corrélés entre eux (Hare et al., 1990; Harpur et al., 1988). Bien que représentant les deux dimensions d'un même concept, ces deux facteurs démontrent également des intercorrelations différentes avec d'autres variables, soutenant alors leur nature distincte. Ainsi, le facteur 1 serait corrélé non seulement à la description traditionnelle de la psychopathie, soit à la manipulation, à l’égocentrisme et à l'insensibilité (Cleckley, 1976), mais également avec le narcissisme (Hogan & Hogan, 2001). De son côté, le facteur 2 serait corrélé à la déviance sociale et au trouble de personnalité antisociale ─ tel que décrit dans le Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux III (DSM-III; American Psychiatric Association, 1980; Harpur, Hare, & Hakstian, 1989; Verona, Patrick, & Joiner, 2001) avec lequel il présenterait des manifestations comportementales similaires (p. ex., irresponsabilité, manque de contrôle des impulsions, absence de remords).

Le PCL-R (PCL-R ; Hare, 1991) est principalement conçu pour une clientèle carcérale et son administration par un professionnel, pouvant être longue et coûteuse, a nécessité le développement de mesures plus courtes, pouvant être utilisées par les chercheurs auprès de la population générale (Liliendfeld & Fowler, 2006). Une de ces mesures est le Self-Report Psychopathy Scale (LSRP; Levenson et al., 1995), la version américaine de l'Échelle autorapportée de psychopathie. Corrélant de façon modérée avec le PCL-R (PCL-R; Hare, 1991), l’Échelle autorapportée de psychopathie (LSRP; Levenson et al., 1995) est un outil qui permet également de mesurer ce trouble selon la structure en deux facteurs, primaire et secondaire (Brinkley, Schmitt, Smith, & Newman, 2001; Levenson et al., 1995). La validité de l'instrument est bien établie pour évaluer la présence de psychopathie dans la population générale, et ce, autant chez les hommes que chez les femmes (Lynam, Whiteside, & Jones, 1999), de même que la version française de l'instrument (Savard, Lussier, & Sabourin, 2014) qui a déjà été employée sur de larges échantillons de la communauté (Savard et al., 2006, 2011, 2015). L’Échelle autorapportée de psychopathie (LSRP; Levenson et al., 1995) ─ qui est l'outil utilisé dans le présent projet

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─ serait aussi, selon une étude récente, mieux conceptualisée avec l'utilisation des deux facteurs primaire et secondaire de la psychopathie (Salekin, Chen, Sellbom, Lester, & MacDougall, 2014). Cela indique que, malgré les nouveaux modèles à trois et quatre facteurs (Hare & Neumann, 2008; Marion & Sellbom, 2011; Patrick et al, 2009), celui à deux facteurs représente toujours une façon valide et actuelle de mesurer la psychopathie.

Enfin, il existe d'autres instruments de mesure autorapportés considérés comme valables pour évaluer la psychopathie dans la population générale (Lilienfeld & Fowler, 2006), comme le SRP-III (SRP-III; Williams, Paulhus, & Hare, 2007), initialement développé pour représenter les deux facteurs de la psychopathie, mesurés à l'aide du PCL (Hare, 1980). L'une des versions antérieures de cet instrument, le SRP (SRP; Hare, 1985), corrèlerait de façon modérée avec le PCL (Hare, 1985). Le SRP-III (SRP-III; William et al., 2007), la version la plus récente, comprend 64 items et est bien représentée par les quatre facteurs (Mahmut, Menictas, Stevenson, & Homewood, 2011) de Hare (2003). De son côté, le PPI (PPI; Lilienfeld & Andrew, 1996), un autre instrument de mesure fréquemment employé, corrèlerait de façon modérée à élevée avec le PCL-R, mais davantage avec le facteur 1 (Poythress, Edens, & Lilienfeld, 1998). La version révisée, le PPI-R (Lilienfeld & Widows, 2005), comprend 154 items qui sont répartis en huit sous-échelles et qui peuvent aussi se transformer en deux facteurs. Cependant, ces dernières mesures sont plus longues que le LSRP (LSRP; Levenson et al., 1995) et n'ont pas été validées en langue française.

La psychopathie: un concept dimensionnel

Par ailleurs, selon une conception dimensionnelle de la personnalité normale, le modèle de la personnalité en cinq facteurs (NEO; Costa & McCrae, 1992) permettrait également de conceptualiser la psychopathie en différents traits de personnalité (Derefinko & Lynam, 2013). Les psychopathes obtiendraient des résultats très forts au facteur « Antagonisme », très faibles au facteur « Conscience », particulièrement sur les facettes de l’autodiscipline, du respect et de la considération d’autrui. Au facteur « Névrosisme », leurs résultats seraient très bas et témoigneraient d’une anxiété, d’une vulnérabilité et d’une conscience de soi faible, mais avec des résultats élevés aux facettes hostilité et impulsivité. Chez eux, l’« Extraversion » serait associée à des résultats faibles aux facettes émotion positive et chaleur, mais élevés pour la recherche de sensations fortes. Cette conception est

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compatible avec la vision que la psychopathie puisse être un concept dimensionnel plutôt qu'un syndrome clinique (Harris, Rice, & Quinsey, 1994), et donc qu’elle puisse être présente à divers degrés dans la population générale (Derefinko & Lynam, 2013 ; Savard et al., 2006, 2011).

Psychopathie infraclinique

Dans cette optique, l'étude de la psychopathie n'est plus restreinte aux populations criminalisées. Selon les auteurs Hall et Benning (2006), la psychopathie infraclinique, avec peu ou pas de composantes criminelles, pourrait se différencier de celle en milieu carcéral de trois façons. Premièrement, les psychopathes non incarcérés pourraient partager les mêmes facteurs étiologiques que ceux incarcérés. Il s'agirait alors de la même pathologie, mais selon un niveau de sévérité moindre, s'observant par des transgressions interpersonnelles moins sévères et moins fréquentes. Cette dernière vision provient de la conceptualisation de Cleckley (1941) qui voyait, chez ces patients non-criminels, une manifestation incomplète de la pathologie. Cette perspective peut également s'illustrer de façon plus contemporaine avec la théorie de la promotion aberrante de soi de Gustafson et Ritzer (Aberrant Self-Promoting ; 1995) qui ferait ressortir une différence dans le degré de psychopathie. Ce concept combinerait une configuration narcissique de la personnalité et des comportements antisociaux moins sévères que peuvent avoir les psychopathes incarcérés (p. ex., bataille sans l'utilisation d'une arme). De plus, les psychopathes non incarcérés ne satisferaient pas les critères d’évaluation de la psychopathie selon le PCL-R (Hare 1985; Gustafson & Ritzer, 1995). Ce concept n’est pas sans rappeler la conception de Kernberg (1975) qui conceptualise la psychopathie comme un degré extrême du narcissisme pathologique faisant partie de la structure limite de la personnalité (Clarkin,Yeomans, & Kernberg, 2006). Depuis quelques années, de nombreux chercheurs ont aussi fait l'étude de la psychopathie en combinaison avec d'autres traits aversifs de la personnalité sous l'appellation de la « Triade sombre » ou « Dark Triad » qu'ils ont retrouvés à des degrés variables chez les individus de la population générale. Cette triade est composée du machiavélisme, du narcissisme et de la psychopathie infraclinique (Paulhus & Williams, 2002). Les individus affichant des traits machiavéliques sont cyniques, amoraux, et croient en la manipulation pour obtenir du succès (Jones & Paulhus,

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2009), alors que les narcissiques se caractérisent par la grandiosité, l'impression que tout leur est dû, la dominance et le sentiment de supériorité (Corry, Merritt, Mrug, & Pamp, 2008). De leur côté, ceux manifestant des traits de psychopathie infraclinique se distingueraient par une forte impulsivité, une recherche de sensation, un manque d'empathie et un faible niveau d'anxiété (Hare, 1985; Lilienfeld & Andrews, 1996; Paulhus & Williams, 2002). Bien qu'ils soient vus comme des concepts distincts, ces traits de personnalité demeurent interreliés puisqu'ils corrèleraient positivement et se chevaucheraient sur la plupart des mesures utilisées pour évaluer ces traits de personnalité (Grigoras & Wille, 2017; Maples, Lamkin, & Miler, 2014; Sellbom & Phillips, 2013).

Deuxièmement, les psychopathes non incarcérés pourraient partager la même étiologie et la même sévérité de pathologie que ceux incarcérés, mais se différencieraient de ces derniers par des facteurs compensatoires qui pourraient moduler leurs comportements. Par exemple, une grande intelligence, un niveau socio-économique élevé, une éducation et une socialisation adéquate pourraient aider à contenir leurs tendances antisociales (Hall & Benning, 2006). Cleckley (1976) avait d'ailleurs inclus, dans sa conceptualisation, l'idée que des psychopathes ayant du succès ou des « successful psychopath » existeraient au sein de la communauté. Il s'agirait d'individus possédant la pathologie, mais pouvant fonctionner de façon adaptée dans la communauté en devenant, par exemple, médecin, politicien ou chef d'entreprise, et en évitant les démêlés avec la justice. D'ailleurs, en entreprise, leurs attitudes manipulatrices leur permettraient de se faire passer pour d’excellents employés et d'accéder à des positions de haut niveau, mais ils seraient aussi susceptibles de causer de nombreux dommages, notamment en termes de pertes d’emplois et de fraudes (Babiak & Hare, 2007; Boddy, 2006).

Troisièmement, la psychopathie infraclinique pourrait se différencier de celle en milieu carcéral et s'expliquer selon la perspective des processus dualistes qui conceptualise les facteurs affectifs et interpersonnels de la psychopathie comme étant étiologiquement distincte des facteurs antisociaux. Ainsi, les psychopathes non incarcérés pourraient présenter, d'une part un taux élevé de traits de personnalité psychopathiques associés à la dimension affective et interpersonnelle du construit et, d'autre part, un niveau réduit de traits de personnalité associés à la déviance sociale. Selon cette perspective, les facteurs

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primaire et secondaire de la psychopathie (Hare, 1991) corrèleraient différemment avec une gamme de facteurs extérieurs, tels que les symptômes psychiatriques, les traits de personnalité, les comportements antisociaux, la consommation de substances et le fonctionnement en société (Hall, Benning, Patrick, & 2004; Harpur et al., 1989; Patrick, Zempolich, & Levenston, 1997; Smith & Newman, 1990; Verona et al., 2001). Ces recherches semblent indiquer qu’entre ces deux groupes, les individus qui possèdent des traits de psychopathie élevés sur la dimension affective et interpersonnelle, mais non sur la dimension antisociale, auraient le potentiel de mieux fonctionner en société (Hall & Benning, 2006).

Dans cet ordre d'idées, la prévalence des traits de personnalité psychopathiques au sein de la population normale n'a pas été établie, mais quelques études rapportent qu'elle serait plus basse que celle retrouvée en milieu carcéral (Forth, Brown, Hart, & Hare, 1996; Salekin, Trobst, & Krioukova, 2001), où 25 à 35 % de cette population répondraient aux critères diagnostiques de ce trouble (Hare, 1991).

Or, bien qu'observée plus faiblement, la psychopathie serait tout de même présente chez les individus de la population générale. Par exemple, lors d'une étude effectuée avec le PCL-R (Hare, 1991), des chercheurs ont retrouvé, chez 54 hommes de la communauté, des niveaux modérés et élevés de psychopathie dans l'échantillon. Bien qu'aucun d'entre eux n'ait atteint le score établi pour répondre au diagnostic de ce trouble, les chercheurs ont rapporté que les résultats obtenus suivaient une distribution normale dans la population et que davantage de psychopathie primaire que secondaire était retrouvée au sein de l'échantillon (DeMatteo, Heilbrun, & Marczyk, 2006). De même, des études récentes ont aussi documenté que les taux de prévalence de la psychopathie infraclinique dans la population générale pouvaient être élevés (Vachon et al., 2013). Les chercheurs utilisant le LSRP (Levenson et al., 1995) rapportent des taux de psychopathie allant de 17,9 %, à 25,0 % (Savard et al., 2011). Ces données ont été obtenues en utilisant les mêmes critères que Brinkley et al. (2001) qui ont mesuré la psychopathie avec le LSRP (Levenson et al., 1995) dans un échantillon de prisonniers américains selon les critères du PCL-R (Hare, 1991). D'après ces résultats, une forte proportion de psychopathes semble être retrouvée chez les gens de la communauté. Or, il s'agit de psychopathie infraclinique, et non de

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psychopathie comprenant une forte composante criminelle comme l'a évaluée Hare (1991) auprès de criminels en milieu carcéral.

Psychopathie chez la femme

Il apparaît pertinent de préciser que la psychopathie chez la femme a fait l'objet de recherches empiriques moins soutenues que celle chez les hommes. Cette situation s'expliquerait, en partie, par l'utilisation d'instruments de mesure conçus à la base pour évaluer la psychopathie chez la gent masculine en milieu carcéral, de même que par une plus faible proportion de femmes emprisonnées (Verona & Vital, 2006). La majorité des études qui ont évalué la prévalence de la psychopathie dans la population normale et carcérale rapportent des taux de psychopathie plus élevés chez les hommes que chez les femmes (Forth et al., 1996; Miller, Watts, & Jones, 2011; Salekin et al., 2001; Savard et al., & 2014; Warren et al., 2003). Les manifestations de la psychopathie semblent aussi quelque peu différer selon le genre. Premièrement, chez les femmes, la manipulation serait plus subtile ; celle-ci se manifesterait davantage par des comportements de séduction plutôt que par de la duperie – comme chez les hommes. Deuxièmement, l'impulsivité chez les femmes serait caractérisée par de l'automutilation et de la complicité dans la commission de délits, tels que des vols ou des fraudes, alors que, chez les hommes, elle serait caractérisée par de la violence. Troisièmement, le charme superficiel et la grandiosité seraient moins apparents chez les femmes et présents surtout chez les cas extrêmes. Quatrièmement, la promiscuité sexuelle chez les femmes pourrait sous-entendre un désir d'exploiter pour obtenir un gain financier, social ou narcissique, plutôt qu’une recherche de sensations fortes comme chez les hommes (Forouzan & Cooke, 2005; Quinsey, 2002). Cependant, ces constats ont été observés auprès de femmes incarcérées, et il n'est pas clair non plus s'ils se généralisent au concept de la psychopathie infraclinique chez la gent féminine.

En revanche, certains auteurs sont d'avis que la psychopathie infraclinique s'opèrerait de la même manière chez les deux sexes en relation avec la prédiction de transgressions personnelles et morales, les facteurs étiologiques et les traits de personnalité de base, à l'exception de ceux liés à l'impulsivité et à l'ouverture à l'expérience (Miller et al., 2011; Ritchie & Forth, 2016).

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De plus, plusieurs instruments de mesure permettant d'évaluer la psychopathie chez les femmes en milieu carcéral ont été validés et ont démontré que leur utilisation présentait peu ou pas de différences selon les sexes (Coid et al., 2009; Gray & Snowden, 2016). Cependant, certains auteurs ont relevé des divergences et ont proposé qu'un modèle à trois facteurs (Cooke & Michie, 2001) puisse s'appliquer davantage chez les femmes (Salekin, Rogers, & Sewell, 1997; Strand & Belfrage, 2005; Warren et al., 2003). Les facteurs primaire et secondaire de la psychopathie pourraient également sous-tendre des construits différents chez les deux sexes (Salekin et al., 1997; Strand & Belfrage, 2005; Vogel & Lancel, 2016).

En ce qui a trait à l'étude du Levenson Self-Report Psychopathy Scale (LSRP; Levenson et al., 1995) chez les femmes, certains auteurs ont également relevé des différences selon les sexes. Par exemple, Gummelt, Anestis et Carbonell (2012) rapportent que celles-ci endosseraient davantage les items « passifs », pendant que les hommes assumeraient les items plus « actifs ». Selon eux, cela s'expliquerait par le fait que les hommes ayant des traits de psychopathie seraient plus impulsifs, alors que les femmes seraient plus portées à manipuler qu'à chercher à blesser directement (Gummelt et al., 2012). Une structure à trois facteurs « égocentrisme », « antisociale » et « manque d'empathie » serait plus valide auprès de la population des femmes incarcérées (Brinkley, Diamond, Magaletta, & Heigel, 2008). Marion et Sellbom (2011) ont également émis des réserves quant aux différences sexuelles, à la sévérité des traits et à l'expression de ceux-ci. Selon ces auteurs, un même niveau de psychopathie chez les hommes et les femmes pourrait prédire des scores différents sur les variables liées à l'agression, aux conduites antisociales, à l'empathie et à la prise de risque. À l'inverse, Hauck-Filho & Teixeira (2014) ont confirmé la validité du modèle à deux facteurs et son utilisation indépendamment du genre. L'Échelle de psychopathie a aussi été validée en français et respecte la structure en deux facteurs chez les hommes et les femmes (Savard et al., 2014). Toutefois, les hommes obtiendraient des scores plus élevés aux mesures de psychopathie globale et primaire, mais cela est souvent le cas dans d'autres études qui rapportent que la prévalence de la psychopathie est plus élevée chez ces derniers (Forth et al., 1996; Miller et al., 2011; Salekin et al., 2001; Warren et al., 2003) .

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En somme, autant chez les hommes que chez les femmes, l'étude de la psychopathie est complexifiée par l'éventail de conceptualisations différentes, par l'hétérogénéité du construit à l'intérieur même d'un groupe (Kreis & Cooke, 2012), par la diversité des instruments de mesure et des facteurs pour l'évaluer et par l’étude du construit auprès de plusieurs populations différentes. Bien que les écrits semblent appuyer que des manifestations différentes de la psychopathie existent chez la femme, ils ne permettent pas, pour l'instant, de statuer sur la pertinence d'évaluer la psychopathie infraclinique différemment de celle déjà établie pour les hommes. La psychopathie sera donc évaluée de la même façon chez les femmes dans la présente recherche. De plus, peu d'études ont été effectuées sur les traits de personnalité psychopathiques (infraclinique) présents chez les femmes, de même que chez les couples de la population clinique en tenant compte des deux membres. Il apparaît donc nécessaire de pallier à ce manque dans la littérature, puisque les variables sur le fonctionnement conjugal et la psychopathie demandent encore à être éclaircies.

Psychopathie et relation conjugale

Bien que les traits de personnalité prédiraient la qualité et la dissolution des unions (McCranie & Kahan, 1986; Solomon & Jackson, 2014), très peu de chercheurs ont étudié le rôle des traits de personnalité psychopathiques au sein des relations conjugales. Pourtant, en dépit du caractère fortement aversif de ces traits et de leur préférence pour des unions de courte durée (Carter, Campbell, & Muncer, 2014; & Jonason & Buss, 2012; Jonason,Valentine, Li, & Harbeson, 2011), les hommes et les femmes présentant des traits de personnalité psychopathiques parviendraient tout de même à former des relations conjugales (Savard et al., 2006, 2011) et pourraient même former des unions entre eux (Blanchard, Lyons, & Centifanti, 2016; Jonason, Lyons, & Blanchard, 2015). Cependant, de nombreuses difficultés, telles que l'infidélité (Brewer et al., 2015; Egan & Angus, 2004; Jones & Weiser, 2014), la violence conjugale et sexuelle (Holtzworth-Munroe, Meehan, Herron, Rehman, & Stuart, 2003; Munoz et al., 2011) et la consommation d'alcool et de drogues (Humbad, Donnellan, Iacono, & Burt, 2010; Smith & Newman, 1990), sont fréquemment associées à la présence de psychopathie et sont susceptibles de nuire à leurs relations d'intimité. Ces deux catégories de problème – infidélité et violence – sont d’autant

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plus significatives qu’elles constituent encore les principaux motifs de dissolution d’union (Lampard, 2014) et les obstacles les plus importants au succès thérapeutique en psychothérapie de couple (Weeks, Gambescia, & Jenkins, 2003). Les recherches indiquent d'ailleurs que la présence de traits de psychopathie est associée à la détresse chez les couples (Snyder & Regts, 1990; Savard et al., 2006).

Bien que davantage étudiées chez les hommes (Holtzworth-Munroe et al., 2003; McCranie & Kahan, 1986), les difficultés au sein des relations conjugales associées à la psychopathie seraient observables autant chez les hommes que chez les femmes (Mager et al, 2014; Brewer et al., 2015; Jones & Weiser, 2014 ; Mager et al, 2014). Toutefois, certaines différences suivant le sexe des individus et la dimension de la psychopathie (primaire ou secondaire) ont aussi été observées. Par exemple, la psychopathie primaire dans la population psychiatrique prédirait une fréquence élevée de violence physique chez les deux sexes, mais cette violence serait plus sévère encore chez les hommes (Mager et al., 2014). D'autre part, chez les hommes et les femmes de la communauté, les traits de psychopathie secondaire seraient associés à la violence physique et relationnelle au sein des relations amoureuses, alors que la dimension primaire prédirait seulement la violence relationnelle; les psychopathes primaires pourraient alors user d’un type de violence plus subtile pour manipuler leur partenaire (Coyne, Nelson, Graham-Kevan, Keister, & Grant, 2010). Savard et al. (2011) observent également que la psychopathie primaire chez les hommes est liée négativement à leur propre satisfaction conjugale. Chez eux, la psychopathie serait également liée positivement à la détresse personnelle ainsi qu'à l'agression psychologique de leur partenaire, ce qui pourrait alors pousser les femmes à s’éloigner (Savard et al., 2015). Contrairement aux hommes, la psychopathie primaire chez les femmes n’aurait pas d’association avec le fonctionnement conjugal des hommes, c’est-à-dire qu’en présence de psychopathie chez la femme, il n’y aurait pas d’association avec la détresse ni avec l’agression psychologique des hommes. En ce qui a trait à la psychopathie secondaire, un effet négatif serait observé sur la satisfaction conjugale chez les deux membres du couple (Savard et al., 2011). Ainsi, les différences potentielles entre les hommes et les femmes et selon les facteurs primaire et secondaire de la psychopathie soutiennent l'importance d'évaluer les traits psychopathiques selon le genre et selon les deux dimensions du construit.

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D'ailleurs, même si les études associent souvent la psychopathie chez les hommes et les femmes en relation à des effets négatifs (Ali & Chamorro-Premuzic, 2010; Coyne et al., 2010; Panuzio et al., 2006), peu de recherches ont été effectuées en tenant compte de l'impact des deux membres du couple. Cela s'avère toutefois nécessaire puisque les traits sévères de personnalité, dont la psychopathie, sont reconnus comme pouvant avoir un impact sur le partenaire (Daspe, Sabourin, Péloquin, Lussier, & Wright, 2013; Lussier, Wright, & Sabourin, 2008; Savard et al., 2006; 2011). En somme, des traits comme le manque d'empathie, l'insensibilité et l'impulsivité, présents chez l'un ou les deux membres du couple, sont susceptibles d'induire des comportements négatifs en relation (Gattis, Berns, Simpson, & Christensen, 2004) ou des niveaux élevés de dysfonctionnement conjugal pouvant nuire à la qualité du lien d'attachement entre les partenaires (Savard et al, 2015). Par conséquent, il apparaît primordial d'évaluer les corrélats des traits psychopathiques, et plus particulièrement, ses conséquences sur les représentations d'attachement chez les couples en psychothérapie afin de mieux orienter les traitements qui sont offerts aux couples en difficulté.

Les représentations d’attachement chez des couples adultes

L'attachement romantique au sein du couple, soit le processus par lequel des liens d'attachement sont formés entre deux adultes amoureux, serait un processus d'attachement apparenté à celui qui se crée entre un parent et son enfant (Hazan & Shaver, 1987). L'attachement est un concept introduit par Bowlby (1951) pour expliquer la nature du lien internalisé permettant à l'enfant de répondre à son besoin de sécurité en cas de détresse. La création chez l’enfant, d'une représentation, soit d'un modèle opératoire interne de soi-même et des autres en relation se construirait à travers les interactions quotidiennes avec le parent qui serait perçu comme étant disponible ou non pour interagir avec lui et répondre à ses manifestations de détresse. Cette représentation d'attachement témoignerait alors de la qualité des soins prodigués par la figure d'attachement.

L'attachement deviendrait alors intériorisé pour demeurer relativement stable tout au long de la vie et guiderait les émotions et les comportements en contexte de relations interpersonnelles. Ainsi, un modèle catégoriel en trois types d'attachement a d’abord été élaboré à partir de la théorie de Bowlby, telle qu’appliquée en recherche par Ainsworth et

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Wittig (1969) : l'attachement sécure qui s'exprime par un faible taux d'anxiété et d'évitement dans les relations; l'attachement préoccupé qui se caractérise par une forte anxiété d'abandon et un faible évitement dans les relations; enfin, l'attachement évitant qui se manifeste par une anxiété d'abandon faible, mais un fort évitement des relations intimes (Ainsworth, Blehar, Waters, & Wall, 1978). L'attachement craintif est ensuite venu s'ajouter au modèle et il combine, simultanément ou en alternance, une forte anxiété d'abandon et d'évitement de la proximité aux autres (Main & Solomon, 1990). Au cours de la vie, les différents styles d'attachement des individus seraient associés à des périences amoureuses et affectives différentes, ainsi qu'à un modèle mental de soi-même selon les relations sociales et l'expérience d'attachement vécue avec les parents (Hazan & Shaver, 1987).

Afin de conceptualiser un modèle d'attachement d'adulte, Bartholomew et Horowitz (1991) ont abordé quatre possibilités selon une vision de soi et des autres en relation. D'abord, on retrouve l'attachement « sécure », avec un faible taux d'anxiété et d'évitement dans les relations, et la certitude d'être une personne aimable et que les autres seront acceptants et disponibles envers nous (une vision de soi et des autres positive). Un attachement dit « préoccupé » se caractérise par une forte anxiété d'abandon et un faible évitement dans les relations ainsi que par la certitude de ne pas être aimable. Ces individus iraient rechercher l'approbation des autres, car ces derniers sont perçus positivement, et ce, afin d'augmenter leur sens de valeur personnelle (des visions négatives de soi, mais positives des autres). L'attachement dit « évitant » se manifeste par une anxiété d'abandon faible. Toutefois, un fort évitement des relations intimes est aussi caractérisé non seulement par une impression d’une forte valeur personnelle, mais aussi par une disposition négative envers les autres (des visions positives de soi, mais négatives des autres). Ces individus éviteraient les relations avec les autres pour prévenir les déceptions. Ils se montreraient alors indépendants et invulnérables. Enfin, avec l'attachement craintif (Main & Solomon, 1990), il combine, simultanément ou en alternance, une forte anxiété d'abandon et d'évitement de la proximité aux autres; on observe aussi un besoin de dépendance aux autres, mais, en même temps, une crainte de l'intimité et, parallèlement, un évitement des relations sociales pour se protéger des autres qu'ils perçoivent comme indignes de confiance (une vision de soi et des autres négatives).

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En utilisant ces modèles contemporains de l'attachement, Brennan, Clark, & Shaver, (1998) ont par la suite développé une mesure pour évaluer celui au sein des relations conjugales. Cette mesure comporte deux dimensions principales : l'anxiété d’abandon et l'évitement de l'intimité. Ce modèle d'attachement validé est reconnu pour bien évaluer la qualité de l'attachement au sein d'un couple (Lafontaine & Lussier, 2003). Des difficultés particulières dans les relations amoureuses seraient d'ailleurs attribuables à l'une de ces deux dimensions d'attachement. D'abord, il note l'anxiété, qui se caractériserait par de l'instabilité émotionnelle, de la dépendance et de l'inquiétude face à un rejet éventuel du partenaire. L'individu anxieux dans son attachement tenterait alors d'apaiser ses inquiétudes en agissant de manière plus intrusive envers son partenaire dans le but d'obtenir plus d'engagements de sa part. Ensuite, l'évitement décrirait les gens qui se retirent systématiquement des relations d'intimité ou des relations de dépendance. Ces personnes seraient reconnues pour leur indépendance et minimiseraient leurs besoins d'attachement. De faibles niveaux d'anxiété d'abandon et d'évitement d'intimité caractériseraient les gens plus confiants dans leur attachement (Bartholomew & Horowitz, 1991). Le modèle d'attachement de Brennan et al. (1998) est celui préconisé dans ce mémoire, puisqu'il permet l'évaluation des deux dimensions de l'attachement adulte et que le questionnaire qui en découle possède d’excellentes qualités psychométriques (Brennan et al.,1998; Donbaek & Elklit, 2014; Lafontaine & Lussier, 2003).

Par ailleurs, même si l'attachement est considéré comme un phénomène relativement stable par certains chercheurs (Fraley,Vicary, Brumbaugh, & Roisman, 2011), de nombreuses études soutiennent l'idée que des changements dans le style d'attachement pourraient avoir lieu de l'enfance à l'âge adulte (Lewis, Feiring, & Rosenthal, 2000; Waters, Merrick, Treboux, Crowell, & Albersheim, 2000), particulièrement en contexte d'adversité ou de traumatisme comme lors de la mort d'un parent, de conflits conjugaux intenses ou de divorce (Mickelson, Kessler, & Shaver, 1997; Waters, Weinfield, & Hamilton, 2000; Waters et al., 2000). Bowlby (1951) avait d'ailleurs proposé dans sa théorie qu'un évènement de vie ou une relation significative pouvait venir modifier les représentations d'attachement existantes. Une méta-analyse effectuée sur 127 recherches soutient d'ailleurs l’idée que l'attachement pourrait varier à l'âge adulte, puisque les chercheurs n'ont pas retrouvé de stabilité dans l'attachement des individus sur une période de 15 ans (Pinquart,

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Feubner, & Ahnert, 2013). Compte tenu de ce qui précède, il est possible de croire que des évènements de vie stressants, tels que des relations conjugales difficiles, puissent avoir des impacts sur l'attachement entre les partenaires et venir modifier leurs représentations d'attachement.

Quelques études de nature longitudinale et plusieurs autres transversales ont d'ailleurs examiné le lien entre l'attachement et les relations conjugales. Ces études confirment le lien entre le type d'attachement et les comportements en relation; il en ressort qu'un attachement « sécure » facilite la formation, la consolidation, la satisfaction et le maintien des relations conjugales (Mikulincer & Shaver, 2007). De façon opposée, l'évitement d'intimité interfère avec le début d'une relation en empêchant l'engagement et l'intimité ainsi que la saine résolution des conflits. L'anxiété engendrerait, de son côté, de la méfiance, de l'intrusion et une escalade de conflits plutôt qu'une résolution de ceux-ci (Mikulincer & Shaver, 2007). Ces deux dimensions d'attachement interféraient aussi avec l'habileté à offrir du soutien et des soins à leur partenaire et avec la vie sexuelle, et mettraient ces individus à risque de problèmes psychologiques susceptibles de nuire à leur relation conjugale (Brassard et al., 2012; Mikulincer & Shaver, 2007; Péloquin et al., 2014). Par exemple, Mikulincer et Shaver (2007) rapportent que les couples formés d'un individu « anxieux » apparié à un individu « évitant » sont susceptibles de produire des patrons d'interaction dysfonctionnels de type « poursuite-distance » ou « demande-retrait ». Conséquemment, les besoins de proximité de l'individu anxieux frustreraient l'individu évitant, qui, lui, préférerait la distance. À son tour, la mise à distance viendrait contrarier les besoins de proximité intenses de l'individu anxieux. Les deux partenaires se sentiraient alors insatisfaits et pourraient développer des comportements abusifs ou violents dans l'espoir d'influencer les comportements de l'autre, perçus comme indésirables. De même, le pairage de deux individus anxieux, selon un patron « poursuite-poursuite », pourrait avoir comme conséquence d'exacerber l'anxiété chez les deux partenaires, ce qui pourrait, au long cours, éroder leur satisfaction conjugale. Les deux conjoints anxieux dans leur attachement se sentiraient incompris, rejetés et tenteraient de contrôler le comportement de l'autre, ce qui pourrait mener, selon Feeney (2003), à des comportements « d'attaque mutuelle et de retrait ». En résumé, puisque le lien d'attachement se formerait à travers des relations interpersonnelles, il en ressort que le lien d'attachement établi avec le partenaire

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influencerait de façon réciproque les comportements, les perceptions, les émotions et les sentiments chez les deux partenaires (Mikulincer & Shaver, 2007). C'est donc dire que l'évolution au sein d'une relation amoureuse négative serait susceptible de réduire la sécurité d'attachement chez les partenaires.

Attachement et psychopathie

Puisque les insécurités d'attachement prédisent les comportements et les attitudes en relation, et que ceux-ci peuvent générer des réactions chez le partenaire, au même titre d’ailleurs que les traits de personnalité, il est possible de croire que les comportements psychopathiques puissent aussi avoir une incidence sur les comportements d'attachement. D'abord, la psychopathie et l'attachement partageraient des facteurs étiologiques communs : les abus physiques en enfance, le manque de soin parental, le rejet ou la séparation avec la figure d'attachement, pourraient conduire au développement de difficultés d'attachement à l’âge adulte ainsi qu'à des comportements et des difficultés psychologiques associés aux traits de psychopathie (Bailey & Shelton, 2014; Bowlby, 1944; Frodi, Dernevik, Sepa, Philipson, & Bragesjö, 2001; Craig, Gray, & Snowden, 2013; Jonason, Lyons, & Bethell, 2014; Mikulincer & Shaver, 2007). L'explication d'une insécurité au niveau de l'attachement serait d'ailleurs congruente avec la description originale de la psychopathie, rapportant chez les psychopathes un détachement émotionnel et une incapacité à former des liens avec les autres (Cleckley, 1941). Bowlby (1944) concluait d'ailleurs que des expériences aversives durant l'enfance pouvaient conduire à des conduites criminelles qui s'expliqueraient par le fait que la haine originalement dirigée envers les parents serait transposée envers la société, sans remords ni culpabilité. Ainsi, les représentations d'attachement « insécure », internalisées durant l'enfance, pourraient conduire à des patrons de comportements dysfonctionnels et, plus tard, à des psychopathologies à l'âge adulte (Gao, Raine, Chan, Venables, & Mednick, 2010; Sable, 1997). Toutefois, sans minimiser l'importance du lien parent-enfant, les données empiriques suggérant que l'attachement serait le mécanisme par lequel la psychopathie se développe ont été obtenues majoritairement à partir d'études rétrospectives et transversales (Bailey & Shelton, 2014; Christian, Meltzer, Thede, & Kosson, 2017; Craig et al., 2013; Frodi et al., 2001; Jonason et al., 2014), ne permettant pas de tirer des conclusions causales sur la direction du lien.

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De plus, Mikulincer & Shaver, 2007 rapportent que des difficultés d'attachement en enfance n'entraîneront pas automatiquement le développement de troubles de la personnalité à l'âge adulte (Meyer & Pilkonis, 2005). Ainsi, le développement de troubles de la personnalité, dont la psychopathie, impliquerait, en plus des facteurs environnementaux tels que les abus et les traumas (Meyer & Pilkonis, 2005), des facteurs génétiques spécifiques (Taylor, Loney, Bobadilla, Lanoco, & McGrue, 2003;Viding & McCrory, 2012). Par exemple, une étude longitudinale effectuée auprès de jumeaux identiques rapporte que les comportements antisociaux et l'agressivité seraient fortement héritables (Baker, Jacobson, Raine, Lozano, & Bezdjian, 2007). De plus, l’insensibilité et le manque d'empathie, des caractéristiques centrales de la psychopathie, seraient observables dès l'enfance et fortement liés à l'influence génétique (Viding & McCrory, 2012). D'ailleurs, une étude longitudinale rapporte qu'à 28 ans, les sujets obtenant des taux les plus élevés sur la mesure de psychopathie étaient également ceux qui avaient démontré significativement plus de traits liés à l'absence de peur, à une moindre inhibition et à la recherche de sensation, à l'âge de 3 ans (Glenn, Raine,Venables, & Mednick, 2007). De plus, l’insensibilité et le manque d'empathie ainsi que les comportements antisociaux chez les enfants étaient associés à davantage d'expériences parentales négatives, mais ces dernières étaient aussi expliquées par l'effet du tempérament de l'enfant sur les conduites parentales (Larsson, Viding, & Plomin, 2008).

Ainsi, tel que rapporté par certains auteurs, les traits associés à la psychopathie chez l'enfant et les comportements d'attachement pourraient s'influencer de façon bidirectionnelle (Burt, McGue, Krueger, & Iacono, 2005; Neiderhiser, Reiss, Hetherington, & Plomin, 1999). Si tel est le cas, la psychopathie et les difficultés d'attachement semblent être liées et pourraient se développer de façon concomitante. Ceci pourrait donner lieu à l'âge adulte, lorsque la personnalité est bien consolidée, à des traits de personnalité qui pourraient nuire fortement au développement et à la qualité des rapports aux autres.

Plusieurs chercheurs se sont penchés sur l'évaluation de l'attachement chez des individus présentant de la psychopathie. Ces recherches semblent indiquer que l'attachement « insécure » serait, la plupart du temps, comorbide à la psychopathie. Par exemple, la psychopathie présenterait des manifestations comportementales compatibles

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avec les styles d'attachement « insécure », particulièrement avec celui évitant ou craintif (Nørbech, Crittenden, & Hartmann, 2013; Schimmenti, et al., 2014). L'attachement « insécure » de type évitant serait également surreprésenté parmi les prisonniers et retrouvé en quantité de deux à trois fois plus élevé que dans la population générale (Frodi et al., 2001). Bien que les études précédentes semblent indiquer un lien entre la psychopathie et l'attachement de type évitant (Christian, Sellbom, & Wilkinson, 2016), les données empiriques concernant le lien entre l'attachement et la psychopathie ne sont pas homogènes. Une étude récente effectuée dans la communauté auprès de 209 étudiants rapporte que les individus ayant des scores élevés sur la mesure de psychopathie primaire auraient également des scores élevés d'anxiété d'abandon et d'évitement d'intimité (Mack, Hackney, & Pyle, 2011). Savard et al. (2015) rapportent aussi une association entre la psychopathie primaire chez l'homme et l'anxiété d’abandon. Ces associations apparaissent, à première vue, contre-intuitives puisque les psychopathes primaires sont décrits dans la littérature comme fondamentalement non anxieux (Cleckley, 1941). De son côté, la psychopathie secondaire est souvent associée à l'anxiété (Benning, Patrick, Hicks, Blonigen, & Krueger, 2003; Frick, Lilienfield, Ellis, Loney, & Silverthorn, 1999). À cet égard, puisque des degrés élevés de névrosisme et les insécurités d'attachement sont reconnus comme allant de pair, et, plus particulièrement, la dimension de l'anxiété d'abandon (Mikulincer & Shaver, 2007), il apparaît probable que la psychopathie secondaire soit associée à l'anxiété d’abandon. Plusieurs chercheurs soutiennent d'ailleurs que c'est la présence ou non d'anxiété qui permettrait de distinguer la psychopathie primaire de la psychopathie secondaire (Claes et al., 2014; Frick et al., 1999). Toutefois, contrairement au courant qui associe la psychopathie secondaire au névrosisme et, par conséquent, principalement à l'anxiété (Christian, Sellbom, Wilkinson, 2016 ; Frick et al., 1999; Gill & Stickle, 2016; Lynam et al., 1999), de plus en plus d'études rapportent son lien possible avec les deux dimensions de l'attachement (Mark et al., 2011; Savard et al., 2015). D'ailleurs, l'étude récente de Mack et ses collaborateurs (2011) révèle également des liens entre la psychopathie secondaire et l'évitement d'intimité.

En ce qui a trait à l'attachement et à la psychopathie au sein du couple, à notre connaissance, une seule étude s'est penchée sur les rapports entre les traits de personnalité psychopathiques et les représentations d’attachement et (Savard et al., 2015). Les données

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obtenues auprès d'un échantillon de 140 couples de la communauté suggèrent que la psychopathie primaire de l'homme serait associée à l'évitement de l'intimité chez sa partenaire, mais que la psychopathie primaire de la femme n’entretiendrait pas un lien significatif avec l’évitement de l'intimité de son conjoint. Selon les auteurs, l'absence de relation entre la psychopathie primaire chez la femme et l'attachement chez l'homme pourrait être dû au fait que la psychopathie chez la femme se manifesterait différemment (Fourouzan & Cooke, 2005) et ne serait pas synonyme d'un inconfort dans les relations intimes. La psychopathie primaire chez la femme n'était d'ailleurs pas associée à la satisfaction conjugale chez les hommes (Savard et al., 2011). Au contraire de ces derniers, les femmes seraient affectées par l'insensibilité et la manipulation de leur partenaire masculin et s'en éloignerait pour se protéger. De plus, les traits de psychopathie secondaire chez ceux-ci seraient associés à l'évitement d'intimité chez leur conjointe, alors que les traits psychopathiques secondaires chez les femmes seraient associés à l'anxiété d'abandon chez leur conjoint. Toujours selon les conclusions des auteurs, les femmes pourraient vouloir se retirer de la relation amoureuse pour se protéger, alors que, chez les hommes, l'impulsivité et les conduites antisociales de leur partenaire pourraient les rendre plus anxieux et dépendants. Ces résultats suggèrent des patrons de réactions différents selon le genre et la dimension de la psychopathie étudiée et soulignent également l'importance de vérifier les conséquences de la présence de traits de psychopathie chez les couples.

En somme, l'attachement et la psychopathie semblent partager une trajectoire développementale commune qui demande encore à être éclaircie. Ainsi, compte tenu du fait que certaines recherches suggèrent que l'attachement serait susceptible de varier au courant de la vie en réaction aux conditions environnementales (Lewis et al., 2000; Waters et al., 2000), la psychopathie sera considérée, dans ce mémoire, comme expliquant les conduites d'attachement (la nature transversale de l'étude nous empêche toutefois de tirer des conclusions causales). La direction de ces variables a été choisie ainsi puisque les difficultés d'attachement présentes chez les psychopathes se manifestent à l'âge adulte comme des symptômes de la psychopathie associés à la sphère interpersonnelle du construit (Hare, 2003), soient par le détachement émotionnel, l'incapacité à former des liens (Cleckley, 1941) ou par « un attachement pauvre » (Fowles & Dindo, 2006), plutôt que par l'inverse (les difficultés d'attachement sont présentes autant chez les individus avec et sans

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trouble de la personnalité et ne conduisent pas nécessairement à la psychopathie [Mukilincer & Shaver, 2007]). De plus, la psychopathie se distingue par la sévérité des difficultés relationnelles (p. ex., transgression sociale, absence d'empathie, insensibilité) beaucoup plus importantes et non habituellement retrouvées chez ceux souffrant d'une simple difficulté d'attachement (ces derniers pourraient, par exemple, avoir de la difficulté à gérer l'anxiété et à maintenir des relations proches, mais fonctionneraient tout de même normalement selon les auteurs ; Mukilincer & Shaver, 2007). Enfin, la psychopathie associée à un attachement insécurisé (Frodi et al., 2001) serait susceptible d'avoir, à son tour, un impact désastreux sur les liens interpersonnels. Or, peu de chercheurs se sont penchés sur l'étude dyadique du lien entre la psychopathie et l'attachement et aucune n’a étudié l'attachement chez des couples qui consultent en psychothérapie et qui présentent des traits de psychopathie, alors que ces derniers sont susceptibles de présenter des difficultés conjugales importantes (Savard et al., 2006, 2011). Ces difficultés conjugales sont d’ailleurs possiblement occasionnées, en partie, par la présence de traits de personnalité inadaptés chez l’un des partenaires (p. ex., insensibilité, mensonge, intimidation) et susceptibles, par conséquent, de présenter un impact négatif sur les représentations d'attachement de l’autre. Enfin, il apparaît nécessaire de vérifier si la relation entre les traits de personnalité psychopathiques et l'attachement demeure la même lorsque les difficultés ou la détresse présente au sein de la relation amènent le couple à consulter.

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L'objectif de cette étude est d'examiner, à l'aide d'un devis transversal, les liens acteur-partenaire entre les traits de psychopathie et les dimensions de l'attachement chez les hommes et les femmes consultant en psychothérapie de couple. Plus précisément, les liens acteurs entre les traits de psychopathie (primaire et secondaire) et l'attachement (anxiété d'abandon et évitement de l'intimité) d'un même individu et également les liens partenaires pour ces mêmes variables seront investigués. Il s'agit de vérifier dans quelle mesure la présence de traits de psychopathie primaire et secondaire s'accompagne de variations sur le plan de l'attachement chez l'individu et chez son partenaire. Quatre hypothèses sont formulées. Tout d'abord, nous prévoyons que la psychopathie primaire sera liée positivement à l'anxiété d'abandon et à l'évitement de l'intimité d'un même individu, et ce, tant chez les hommes que chez les femmes. Deuxièmement, nous prévoyons que la psychopathie secondaire sera liée positivement à l’anxiété d’abandon et à l’évitement de l’intimité également chez les deux sexes. En troisième hypothèse, nous prévoyons des liens (partenaire) entre la présence de traits de psychopathie primaire chez les hommes et l'évitement de l'intimité chez les femmes. Enfin, en quatrième hypothèse, nous croyons qu'aucun lien entre la présence de psychopathie primaire chez les femmes et l'attachement chez les hommes ne sera retrouvé. Nous tenterons aussi de répondre à la question suivante : « Comment la psychopathie secondaire chez les hommes et les femmes sera associée à l'insécurité d'attachement de leur partenaire ? », puisque la documentation scientifique sur le sujet ne nous permet pas, pour l'instant, de poser une hypothèse plus précise.

Références

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