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IV.4. S YNTHESE ET CONCLUSION

Récapitulons les phénomènes phonétiques propres au vers classique : A lřintérieur des mots, les groupements vocaliques GV, cřest-à-dire, glissante (i, ou ou u) suivie dřune voyelle, correspondent tantôt à une position métrique (synérèse), tantôt à deux (diérèse) selon des règles précises, qui tiennent à lřorigine et à la nature morphologique des mots. En moyenne, dans un mot sur deux contenant ce type de groupement, celui-ci constitue deux voyelles métriques. Mais en terme d’occurrences, la tendance à la synérèse lřemporte nettement sur la diérèse : seuls 22 % des occurrences de mots avec ce type de groupement vocalique correspondent à des cas de diérèse (rencontre de deux voyelles métriques). Tout se passe comme si la fréquence dřusage tendait à éliminer les cas de diérèse.

Tous les e muets (présents graphiquement) à lřintérieur du vers occupent une position métrique sauf :

• sřils précèdent un mot à initiale vocalique (Ce#V => CV) ; • sřils sont en fin de vers ;

• sřils constituent un e mort dans des séquences du type aient.

On peut parler dřélision métrique du e muet, ou plus justement de synalèphe : fusion des deux voyelles en une seule. Par cette dénomination, on rapproche le fonctionnement du français, de lřitalien et de lřespagnol. En effet, dans le vers italien ou espagnol, lřabsence dřattaque entraîne systématiquement la fusion de la voyelle nue avec la voyelle post-tonique précédente en une seule position métrique. Le voyelles qui suivent la voyelle accentuée dans le vers italien ou espagnol subissent les mêmes lois dřélision que le e muet dans le vers français : synalèphe devant voyelle, décompte devant consonne ou voyelle accentuée.

Tengo una parte aquí de tus cabellos

(t e n)(g u)(n a)(p a r)(t a)(k i)(d e)(t u s)(c a)(b e)(ll o s) Je garde une partie de tes cheveux

Garcilaso de la Vega, « Égloga primera », trad. P. Bonhomme in [Anthologie bilingue de la poésie espagnole, p. 266].

Cet hendécasyllabe comporte deux synalèphes : entre tengo (accentué sur la première syllabe) et una et entre parte (accentué sur la première) et aquí. La synalèphe en italien et en espagnol et lřélision du e muet en français relèvent de la même logique : éviter les hiatus en cas dřabsence dřattaque consonantique dans une syllabe, surtout quand les voyelles ne sont pas toniques (cřest toujours le cas des e muets, et très largement le cas des voyelles finales en espagnol et italien : la majorité des mots étant des « palabras llanas », des mots « plats », accentués sur lřavant-dernière syllabe).

Le traitement de la liaison permet de promouvoir des consonnes latentes (Cl) et par conséquent de modifier le contour des syllabes. Elle permet surtout dřéviter les cas de hiatus externe (CVCl#V devient CVCV au lieu de CV#V, si la liaison nřétait pas faite).

Milner [1974 et 1982] a bien montré le parallélisme qui pouvait être fait entre le traitement du e muet et celui de la liaison. Dans les deux cas, cřest le vers, considéré comme un seul mot phonologique, qui constitue lřunité dřanalyse.

Nous nřavons pas insisté sur la question du h initial qui peut soit jouer le rôle dřattaque syllabique sřil est aspiré, soit correspondre à une attaque nulle. Il va sans dire que pour le décompte il est indispensable de connaître sa nature et cela ne peut être fait quřà travers des listes. Autrement dit, un e muet devant un h non aspiré sřélide (premier vers ci-dessous), alors quřil occupe une position métrique devant un h aspiré (second vers).

Aujourd'hui qu'il peut tout, que votre hymen s'avance,

(o)(é u r)(d ¥ i)(k i l)(p Ø)(t u)(k \)(v ø t r)(i)(m ´ n)(s a)(v å~ s)

Racine, Bérénice, vers 383. Attacha pour jamais une haine puissante ;

(a)(t a)(ß a)(p u r)(é a)(m ´)(zl y)(n \)(´)(n \f)(p ¥ i)(s å~ t)

Les questions de la diérèse, du e muet et de la liaison viennent dřêtre traitées les unes après les autres comme si chacune était indépendante des autres. Ces phénomènes résultent tous trois de tentatives pour résoudre les difficultés posées par lřabsence de consonne initiale, dřattaque, dans la structure syllabique. Comme le rappelle Klein [1991, p. 13], « les phénomènes de liaison, élision et synérèse ne sont que des effets différents dřune même structure dřattaque nulle ».

Allons plus loin et proposons une conjecture : la logique des différentes règles phonologiques dans le vers pourrait se résumer à un effort pour produire la concaténation de douze segments de type CV. Autrement dit, comme le sait tout écolier, le modèle de lřalexandrin serait ta ta ta ta ta ta ta ta ta ta ta ta.

Sans aller jusqu'à considérer que la suite CV soit un modèle universel, celle-ci est la forme de syllabe la plus fréquente en français. Cette structure syllabique représente 55,6 % des occurrences dans le corpus de Wioland [1985, p. 260] comprenant 87 000 syllabes. Pour renforcer cette alternance CVCV, un certain nombre de phénomènes apparaissent dans la langue : élision (du e des pronoms et articles ; des e muets finaux), liaison, enchaînement ; variantes pour les déterminants possessifs (mon amie) ; variantes pour certains démonstratifs (cet inconnu, bel été...)... La langue cherche à éviter le hiatus (séquences syllabiques de type VV), surtout à lřintérieur des mots phonologiques et met en place un certain nombre de mécanismes pour lisser la séquence des syllabes à lřintérieur du mot phonologique.

Comme dans la langue, nous observons les mêmes phénomènes dans le vers mais réglés de manière plus rigoureuse, surtout dans le vers classique : tendance à la synérèse à lřintérieur du mot (les cas de synérèse sont trois fois plus nombreux que les cas de diérèse), élision systématique du e muet devant voyelle, promotion systématique, devant voyelle, des consonnes latentes dans le vers.

De plus, cet effort vers une forme abstraite la plus régulière possible, que lřon observe dans la langue comme dans le vers, sřest vue renforcé à lřépoque classique par un ensemble de règles posant des interdits. Le vers classique en respecte deux :

lřinterdiction du hiatus externe (V#V) ;

lřinterdiction des séquences Ve#C et VeCL#C.

Ces règles sont toujours respectées chez Corneille et Racine à trois exceptions près.

En ce qui concerne le hiatus, aucune autre voyelle que le e muet nřest atone en français. Or comme le français est une langue oxytone, un V en fin de mot est forcément tonique, ce qui rend impossible son élision, et son maintien met alors en évidence lřabsence dřattaque. Il y a cependant une différence entre une tendance à éviter le hiatus, ce qui devait être le cas avant le XVIIe siècle, et la

mise en place dřune règle normative, comme celle quřa imposée Malherbe. Dřailleurs, comme nous lřavons vu dans ses premiers écrits, Malherbe ne la respectait pas : dans « Larmes du Sieur Malherbe », sur 160 vers on ne trouve pas moins de 14 cas de hiatus. Si le hiatus externe est interdit, le hiatus interne, la diérèse, ne lřest pas. Or la seule différence entre ces deux cas tient à la présence dřune frontière de mot dans le premier cas. La distinction qui est faite dans le vers classique entre hiatus externe et diérèse donne un poids particulièrement important à la frontière de mot. Les expériences dřAnne Christophe [1993], dans le Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique (CNRS-EHESS), montrent que dans des échantillons de parole où les mots du lexique ne sont pas reconnaissables, les frontières de mots sont perçues prosodiquement par les sujets. Puisque la frontière de mot est perçue par les locuteurs, diérèse et hiatus externe constituent des situations prosodiquement différentes. Mais cela nřexplique pas pourquoi la diérèse nřest pas interdite.

Quant à la seconde règle, qui interdit les séquences Ve#C, cřest encore une fois Malherbe qui lřa imposée. Est-ce vraiment parce que cela souligne trop la contradiction entre la prose (qui ne prononce plus le e après voyelle) et le mètre qui impose que le e muet constitue à lui seul une position métrique ?

En revanche, comment expliquer que les séquences Ve#V soient quant à elles autorisées ? Le e muet est élidé devant voyelle, et lřon se retrouve alors devant un cas de hiatus, à moins de considérer que lřélision du e laisse une trace (dřoù la préférence pour le terme de synalèphe).

Cornulier [1977, p. 108], partant du fait que la règle dřélision devant voyelle est un universel métrique, indique quřune suite V#V est :

Sujette à la règle métrique dřélision, dont la non-application constitue une irrégularité métrique, et dont lřapplication entraîne une inacceptabilité grammaticale. Ce quřon appelle règle de lřhiatus nřest donc quřune conséquence bâtarde de lřobligation métrique dřélider jointe à lřimpossibilité grammaticale dřélider.

[Cornulier, 1977, p. 108].

De même pour Cornulier, lřinterdiction Ve#C tient à une interférence de la grammaire et de la métrique, la première exigeant une suppression du e que la métrique refuse. Lřinterdiction de ces situations serait un moyen dřéviter les contradictions entre lřordre syntaxique et lřordre métrique.

On pourrait poser que la composante rythmique de la langue fait tendre la syllabe vers un modèle simplifié CV, qui correspond à une courbe de sonorité ascendante. Comme le rappelle Angoujard [1992, p. 57-67], le rythme binaire (creux-sommet) y joue un rôle fondamental. Lřenchaînement des courbes de sonorité dřun modèle CVCVCV... serait purement métrique. Dans le vers, dřune manière peut-être plus régulée que dans la prose, parce que la position métrique est constitutive du vers, le rythme binaire creux-sommet est plus recherché quřailleurs. Néanmoins, les variations des formes syllabiques introduisent une composante rythmique dans la séquence de langue. Ainsi la forme de la syllabe oscille-t-elle entre lřidentité parfaite au modèle CV et dřautres formes moins métriques.

Rappelons enfin les règles phonologiques adoptées pour le métromètre : • Le découpage syllabique correspond classiquement au découpage

syllabique de langue : une consonne entre voyelle est rattachée à la voyelle qui suit, une consonne à lřinitiale dřun mot aussi. Les groupes de consonnes sont toujours scindés sauf quand ils sont formés dřune obstruante et dřune liquide. Les consonnes finales sont rattachées à la voyelle précédente sauf en cas de liaison enchaînée ;

• Pour la diérèse, nous avons ajouté un trait « diérèse » ou « non diérèse » aux formes du lexique, en appliquant des règles ou en codant des exceptions. La présence du trait « diérèse » empêche la semi-vocalisation de la voyelle haute ;

• Pour le e muet, trois règles sont appliquées : élision du e avant voyelle, élision du e après voyelle et affaiblissement des e muets en fin de mot (sauf monosyllabes et règle des trois consonnes).

• Pour la liaison, devant voyelle, toutes les liaisons sont faites dans le vers : liaison avec enchaînement (la consonne latente est rattachée à la voyelle suivante) quand elle correspond à une liaison obligatoire en langue, sans enchaînement (la consonne latente est maintenue dans sa syllabe dřorigine quand la liaison est interdite ou facultative en langue. Une consonne latente devant consonne sřélide.