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RACINE Nbre de

III.2.2. Constitution des paires de vers rimant ensemble

Afin de pouvoir constituer des réseaux de mots pouvant rimer ensemble, il faut au préalable repérer quels sont les vers qui riment ensemble. Manuellement, bien que très longue, cette investigation ne pose pas de difficultés que ce soit pour des rimes plates ou même pour des combinaisons plus complexes, comme les rimes alternées ou embrassées. En effet, dans le vers classique, lřécho de la rime - la terminaison identique la plus proche -, ne se trouve jamais à plus de trois vers et il nřest séparé au maximum que par une autre rime. Cela tient à deux phénomènes. Tout dřabord, le nombre de formules de rimes est limité par le respect de lřalternance en genre des rimes. Ainsi, les formules du type abcabc nřapparaissent pas, car elles contredisent la règle dřalternance : c et a, rimes différentes sont juxtaposées alors quřelles sont de même genre. Ensuite, le vers classique français manifeste une nette préférence pour les formules de rimes où lřécho nřest séparé de la rime que par un autre timbre42. Si le repérage manuel des vers

rimant ensemble est simple, en revanche, le repérage automatisé est loin dřêtre trivial, tant que lřon n'a pas déterminé les règles dřéquivalence graphique et phonique de chaque type de rime.

Notre corpus offre un cadre simplifié pour étudier la rime puisque quřil est essentiellement constitué de vers à rimes plates avec alternance de rimes féminines et masculines.

aa bb cc dd... ff mm ff mm...

Il suffit donc dřapparier le premier vers avec le second, le troisième avec le quatrième...

Dans la pratique, plusieurs éléments sřopposent à ce simple appariement. Tout dřabord les changements de tours de parole qui interviennent à lřintérieur dřun vers : nous avons résolu cette difficulté en reconstituant les vers.

42 Cřest ce que Cornulier [1995, p. 267] désigne comme Règle des deux couleurs : « Une terminaison de vers nřest jamais séparée de son plus proche écho par plus dřun type de terminaisons ». Cette règle fonctionne pour le vers où les dispositions des rimes suivent les trois modèles (rimes plates, embrassées, alternées).

Ensuite, nous avons vu dans la présentation du corpus (cf. chapitre II) quřil existait une certaine variation métrique dans les pièces étudiées et que la majorité dřentre elles nřétaient pas exclusivement en alexandrins. Or la variation métrique sřaccompagne le plus souvent dřune variation dans la disposition des rimes. On trouve de plus quelques passages en alexandrins avec des rimes alternées43. Ainsi, si au fil dřun passage en rimes plates

interviennent quelques rimes embrassées, lřappariement avec le vers suivant est perturbé. Si au lieu dřune rime sur deux vers, la rime porte sur trois, tout le système est décalé.

Un corpus de travail a été construit en mettant « à plat » à la main tous les vers des formules de rimes alternées ou embrassées dans lřunique but de construire les groupes de mots-rimes. Ce travail a été fait pour toutes les pièces, y compris pour Andromède, la Toison d’or et Agésilas où rimes alternées et embrassées sont fréquentes. Seule Psyché a échappé à cette réorganisation (par épuisement et parce que cette pièce nřentre pas toujours dans le corpus des œuvres de Corneille). La mise à plat a été plus difficile pour les pièces où domine très largement lřalexandrin à rimes plates. Il fallait procéder à un examen attentif pour repérer toutes les variations dans la disposition des rimes : la localisation des zones sans rimes plates est indiquée dans le Tableau 7 du chapitre II.

La réorganisation du corpus en rimes plates, faite à la main, était entachée de quelques erreurs. Pour améliorer lřappariement des vers, des critères de contrôle supplémentaires ont été introduits.

Dans un premier temps, les vers nřont été appariés quřà condition que les phonèmes vocaliques finals transcrits par le métromètre (transcription sur la base de la prononciation actuelle) soient identiques. Ceci a fait apparaître de nombreuses erreurs dřappariement pour différentes raisons :

Premièrement, deux voyelles dont la transcription phonétique est différente peuvent rimer ensemble. Chez Corneille et Racine, flamme rime avec âme (a antérieur / a postérieur), parole avec rôle (o ouvert / o fermé), mais aussi arracher avec cher (rime dite normande), sûr avec possesseur (rime dite gasconne)... Voici quelques exemples :

Mais ce flatteur espoir qu'il rejette en mon âme N'est qu'un doux imposteur qu'autorise ma flamme,

Corneille, Mélite, vers 17-18. Mais prends garde surtout à bien jouer ton rôle :

Remarque sa couleur, son maintien, sa parole ;

Corneille, Mélite, vers 575-576. Cherche en ce désespoir qui t'en veuille arracher

Quant à moi ton trépas me coûterait trop cher.

Corneille, Mélite, vers 857-858. Je veille, déloyal : ne crois plus m'aveugler ;

Au milieu de la nuit je ne vois que trop clair :

Corneille, L’Illusion comique, vers 1384-1385. Je veux prendre un moyen et plus court et plus seur (sûr)

Et sans aucun péril třen rendre possesseur.

Corneille, La Place royale, vers 703-704. De sa possession je me tiens aussi seur

Que tu te peux tenir de celle de ma sœur.

Corneille, Mélite, vers 797-798.

A vrai dire sur la question du a, nous ne pouvons dire si le trait antérieur/postérieur est distinctif pour la rime. Lřévolution de lřorthographe rend difficile lřaccès à ce que pouvait être la prononciation de lřépoque. Dans lřédition de P. Mélèse, on trouve :

Lřinterest du public agit peu sur mon ame, Et lřamour du païs nous cache une autre flâme

Racine, La Thébaïde, vers 279-280. Quoy ma grandeur seroit lřouvrage dřune femme ?

Dřun éclat si honteux je rougirois dans lřame

Racine, La Thébaïde, vers 1123-1124.

Si lřon considère que lřaccent circonflexe marque un changement de timbre de la voyelle (recul du point dřarticulation), il y a une inversion entre lřorthographe de Racine et la nôtre, puisque chez lui le a de ame est antérieur, celui de flâme postérieur. Lřorthographe est instable et nřest pas « phonographique » : les sonorités ne nous sont plus accessibles. Nous nřavons quřune présomption sur lřéquivalence entre a antérieur et postérieur pour la rime. Notre seule certitude est que la distinction entre les deux timbres de a telle quřelle fonctionne aujourdřhui nřest pas pertinente pour le vers classique.

Deuxièmement, deux voyelles phonétiques similaires ne riment pas ensemble si les mots-rimes ne sont pas de même genre et nombre et sřils nřadmettent pas des séquences équivalentes après la voyelle. Or, en ne

sřappuyant que sur la voyelle métrique pour les appariements, on risque dřassocier des vers ayant la même voyelle finale mais pas la même séquence finale.

Troisièmement, en général, la rime fait intervenir la semi-voyelle qui précède la voyelle de la rime, en particulier, on ne peut dissocier la voyelle de la semi-voyelle pour oi et oin et rarement pour ui. En atteste le fait quřil nřy a pas de diérèse pour ces groupements vocaliques (cf. chapitre IV.1). Les autres semi-voyelles associées aux voyelles hautes i, u, ou nřinterviennent pas systématiquement dans la rime. Or, la transcription phonétique de la dernière voyelle nřinclut pas forcément les semi-voyelles. Cřest ce travail sur la rime qui nous a dřailleurs conduit à affiner la définition dřune voyelle métrique (cf. chapitre V), en associant dans les trois cas oi, oin et ui la semi-voyelle à la voyelle métrique.

Nous avons renoncé à utiliser la voyelle comme critère de contrôle pour adopter un autre critère plus sûr : le genre de la rime. Un vers a été apparié avec le suivant à condition que la rime soit de même genre.

Pour cela, il a fallu caractériser de manière systématique le genre de chacun des mots-rimes.

Pour quřune rime soit féminine, il faut au moins que le mot sřachève par e, es ou ent. Une terminaison graphique en e ou en es indique toujours une rime féminine, sauf pour la forme es (deuxième personne du présent) de lřauxiliaire être. Pour la terminaison ent, la rime est toujours féminine si, dans la transcription phonétique, la douzième position nřest pas occupée par [å~]. Lorsquřelle est occupée par [å~], et que lřon a des séquences du type anCent ou enCent la rime est toujours féminine. Dans tous les autres cas, on a une rime masculine.

pièce vers voyelle

12

terminaison genre

Mélite Au cœur de cette belle aucun embrasement å~ ent m

Mélite Ces âmes du commun n'ont pour but que l'argent å~ ent m Mélite Du moins les compliments, dont peut-être ils se

jouent

u ent f

Mélite Sont des civilités qu'en l'âme ils désavouent u ent f Le Cid Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent å~ ent f Le Cid Et courent se livrer aux mains qui les attendent å~ ent f

Dans 86 % des cas sur CORRAC, la séquence ent en fin de vers correspond au phonème [å~] et indique une rime masculine.

Une fois que le genre de la rime a été affecté à chaque vers, on constitue un fichier de paires rimées en appariant chaque vers avec le suivant sous la seule contrainte que le genre de la rime soit le même. Cet appariement a été refait chaque fois que nous découvrions une erreur dřédition, une erreur dans lřélimination des vers autres que les alexandrins à rimes plates ou dans le genre de la rime.

III.2.3.

Constitution de groupes