• Aucun résultat trouvé

RACINE Nbre de

III.1.3. Principes d'identité et d'opposition

Chez les divers théoriciens, les commentaires sur la rime sont extrêmement normatifs et sřorganisent en deux catégories : à faire / à ne pas faire. Ils sont présentés dřune manière synthétique par Mazaleyrat en deux catégories : principes dřidentité et principes dřopposition [1974, p. 181- 214].

Les principes dřidentité sont les suivants : lřhomophonie et parfois même lřhomographie des rimes, le respect des genres des terminaisons et lřalternance en genre. Les principes dřopposition que Mazaleyrat identifie sont : lřopposition lexicale (condamnation du mot rimant avec lui-même, des rimes sur des mots lexicalement apparentés), lřopposition grammaticale (condamnation de lřidentité des marques de catégories, des mots de même série grammaticale, des désinences de même type), opposition sémantique (autorise lřidentité des mots si les sens sont différents) et lřopposition de volume (qui privilégie lřassemblage de mots-rimes de longueur différente37). Ces principes dřopposition sont historiquement marqués et

conviennent à la rime post-médiévale.

Morin propose une définition concise de ces deux catégories de principes :

Deux terminaisons sont permises à la rime si elle obéissent à une double contrainte dřidentité/distinction : identité phonique et distinction lexicale.

[Morin, 1993, p. 108].

Autrement dit, la rime impose simultanément la ressemblance des signifiants (identité graphico-phonétique des terminaisons) et la distinction des signifiés (interdiction de lřidentité des mots, des morphèmes grammaticaux et du sens)38.

III.1.4.

Les nomenclatures de rimes

Les quelques traités que nous avons observés proposent chacun leur nomenclature des rimes en essayant dřaffiner les catégories et les frontières entre catégories. Ces traités du XXe siècle tentent de rendre compte du

37 Ceci mériterait dřêtre démontré par un test sur la longueur des mots-rimes.

38 Pour ce qui est de la catégorie syntaxique des mots-rimes, il ne sřagit pas dřune variable sur laquelle sřimpose une norme : on compte 57 % de rimes de même catégorie sur CORRAC.

fonctionnement du vers classique. La nomenclature qui revient le plus souvent distingue : la rime pauvre, la rime suffisante et la rime riche. Nous renvoyons à lřarticle de Billy [1984] qui recense les principales nomenclatures de rimes proposées par la tradition métrique, celles de Grammont, de Suberville, Lubarsh, Suchier et Töbler. La qualification des rimes et la mise en place de nomenclatures remonterait à la Pléiade.

Le nombre de phonèmes communs est un des critères utilisé le plus souvent pour catégoriser la richesse des rimes.

Chez Elwert, la rime est pauvre si « lřharmonie des sons porte uniquement sur les voyelles accentuées » [1965, p. 84]. Il considère que Grammont a tort dans ce cas dřemployer le terme dřassonance. En effet, pour Grammont [1908, 1965, p. 37], la rime de la voyelle nue doit être proscrite car elle se confond avec lřassonance. Dans les vers de Corneille et Racine, comme nous le verrons, les cas de rimes pauvres ne sont pas négligeables. La rime est suffisante si « lřharmonie porte sur la voyelle tonique et sur la consonne qui la suit » [Elwert, 1965, p. 85]. La rime est riche sřil y a « répétition non seulement de la même voyelle accentuée, mais aussi dřune même consonne précédente, dite consonne dřappui » [p. 85].

Pour Grammont, la catégorie de rime riche ne se définit pas dans lřabsolu mais par rapport à la catégorie de rime suffisante :

On appelle rimes riches celles qui présentent lřhomophonie dřun élément de plus que ceux qui sont indispensables aux rimes suffisantes.

[Grammont, 1908, 1965, p. 38].

Malheureusement les exemples donnés montrent une méconnaissance de ce que sont les éléments indispensables à la rime. Ainsi Grammont considère que « banni et fini ne riment pas richement (...) mais bannir et finir riment richement (...) » [1908, 1965, p. 38]. Or chez Corneille et Racine, la consonne dřappui est pour les terminaisons en i comme pour les terminaisons en ir quasiment obligatoire : dans les deux cas, il sřagit de rimes appartenant à la même catégorie de rime suffisante.

Le nombre de phonèmes communs, absolu comme relatif, ne peut suffire à définir les catégories de rimes. Morin [1993, p. 112] en a lřintuition quand il cherche à identifier le « seuil », cřest-à-dire le point de départ de « lřidentité phonique minimale des terminaisons », en particulier les cas où la consonne dřappui (« seuil prétonique consonantique ») est requise pour quřil y ait rime. Pour lui, les voyelles orales brèves seules ou suivies de r ou s nécessitent la consonne dřappui. La longueur de la voyelle influe donc sur

le seuil : plus la voyelle est brève, plus la rime sřétend à gauche de la voyelle. Si cette distinction de longueur des voyelles est bien établie au XVIe

siècle, elle ne lřest plus au XVIIe siècle. Par exemple, pour Morin, brebis et esprits (i bref) nécessitent un seuil prétonique, contrairement à précis (i long). Mais dans CORRAC, précis comme esprits riment tous deux avec fils.

Nous retiendrons de cette position la notion de seuil de la rime variable selon les contextes.

Billy [1984, p. 69-72], après avoir exposé quelques uns des systèmes de nomenclature de rimes, sřappuie sur celle de Tobler [1885, 1972], pour proposer la nomenclature suivante :

a) Le segment phonologique commun (SPC) a une extension inférieure à celle des mots concernés :

1. la rime suffisante qui comprend la dernière voyelle accentuée et les phonèmes suivants

2. la rime riche : lřidentité finale sřétend à la consonne dřappui ou à la seule liquide précédant la voyelle

3. la rime léonine : lřidentité remonte jusqu'à lřavant-dernière voyelle métrique

b) Le SPC a une extension identique aux mots-rimes concernés :

4. la rime homonyme : où la rime coïncide avec les deux mots-rimes (pas / pas) 5. la rime équivoque : qui porte sur plusieurs mots (abondance / a bon danse)

c) Le SPC a une extension identique à celle dřun mot ou dřune suite de mots constitutif(s) dřune occurrence rimique, mais inférieure à celle du mot ou de la suite de mots constitutif(s) dřune occurrence proche.

6. la rime paronyme : amis / mis

7. la rime identique : il a droit / sera droit 8. la rime dérivée : complaint / son plaint

Si cette nomenclature est adaptée à la description de la rime médiévale, elle trouve ses limites à lřépoque classique où pour Billy, la notion de rime riche, telle quřelle est décrite dans les nomenclatures, perd son sens :

Le classicisme a systématiquement favorisé, dans la foulée de la Pléiade, un équilibre compensatoire entre fréquence et richesse des rimes (entre autres contraintes) dont un modèle théorique ne peut rendre compte sans une complexité qui le rendrait inexploitable dans le cadre dřune nomenclature.

[Billy, 1984, p. 74].

Pour la rime post-médiévale,

La caractérologie des types [de rime] revêt un caractère hétéroclite, des critères graphiques, parfois grammaticaux, etc. intervenant à côté de critères phoniques et statistiques qui prévalent et constituent le complexe central à travers lequel est

recherchée cette valeur moyenne (...) où la pauvreté phonétique est rachetée par la rareté et inversement.

[Billy, 1984, p. 75].

Billy propose une définition dynamique de la rime post-médiévale, « par un "centre de gravité" autour duquel sřéquilibre interactivement un ensemble de contraintes inextricables dont lřapplication modifie constamment la physionomie de ses applications. » [Billy, 1984, p. 75].

Notre travail constitue une tentative de mise en œuvre du programme proposé par Billy, bien que nous lřayons fait avant dřavoir eu connaissance de son article.

Il nous semble que pour pouvoir proposer une nomenclature des rimes, il faut avant tout avoir évalué ce quřétait pour chaque terminaison le contenu minimal indispensable pour quřil y ait rime. Cřest par rapport à ce contenu minimal quřéventuellement pourra être évaluée la richesse de la rime. Nous conserverons lřidée quřune rime riche fait intervenir au moins un phonème de plus que la rime suffisante, mais nous montrerons que cette distinction nřest applicable que dans un contexte local, pour un type de terminaison donné. Ainsi, selon les voyelles, lřextension de la rime pour quřil y ait rime riche pourra être différente.

Nous posons que la rime suffisante est définie par la situation majoritaire pour un type de terminaison donné, la rime riche, respectivement pauvre, par lřintervention dřune unité (lettre ou phonème) de plus, respectivement de moins, dans lřidentité par rapport à la rime suffisante. Autrement dit, si dans un corpus, devant rime avec grand, vivant, avant et levant, la rime sera pauvre dans le premier cas, suffisante dans les deux suivants (situation majoritaire : deux cas sur quatre) et riche dans le quatrième : le e muet à gauche du v intervenant dans la rime. Cet exemple est caricatural et ne permet pas, en raison du nombre limité de cas, de tirer la moindre conclusion. Cette définition locale de la richesse de la rime implique naturellement un examen systématique dřun très grand corpus de vers.

Nous avons donc le sentiment que les manuels, en proposant des nomenclatures en trois ou quatre catégories, nřont pas été confrontés à une quantité suffisante de vers. Un modèle de la rime sera forcément bien plus complexe car lřextension de la rime varie selon les environnements et selon différents types de critères.

Nous chercherons donc à identifier plus précisément les éléments indispensables pour quřil y ait rime chez Corneille et Racine en fonction des contextes locaux, et en particulier à identifier le statut pas toujours clair de la consonne dřappui.

III.2. E

XAMEN EMPIRIQUE DE LA RIME

On appelle mot-rime39 le mot qui supporte la séquence qui permet

dřétablir un écho avec un autre vers. Cřest la nature de cet écho, oral-écrit, qui nous occupe.

Lřobjectif est de constituer des groupes, ou plus précisément des réseaux de mots-rimes sur la base dřattestations réelles. Lřexamen de ces groupes permettra dřabstraire des rimèmes, cřest-à-dire les segments graphico-phonétiques associés à chaque groupe (certains groupes ayant le même rimème pourront ainsi être rapprochés). Ensuite, cet examen permettra de définir précisément les conditions nécessaires pour que deux vers puissent rimer ensemble.

Pour cela, il a fallu apparier les vers rimant ensemble, construire les groupes de mots-rimes, examiner les groupes de mots-rimes à la lumière de la structure du réseau et inférer quelques résultats à partir de lřexamen empirique.

Une des limites majeures de ce travail tient au fait que nous avons travaillé sur un corpus dans une orthographe modernisée (les éditions dřépoque de Corneille et Racine ne sont pas disponibles sur support informatique). Nous avons régulièrement eu recours à des éditions imprimées dans lřorthographe dřépoque pour vérifier les résultats, mais il aurait été plus satisfaisant de travailler directement sur les éditions dřorigine, étant donné lřimportance de la dimension graphique.

39 Ce terme apparaît pour la première fois dans la Description du projet [Roubaud, 1979, p. 48].

III.2.1.

Identification des mots-rimes