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2.1. Circonstances de la publication

Cette nouvelle a été publiée en 1902, dans le quotidien de Bône (Annaba) : Le progrès de l’Est. Elle parut en feuilleton du 4 au 6 février. Elle sera rééditée après la mort d’Isabelle Eberhardt, d’abord, en 1925 par Renée-Louis Doyon, parmi d’autres nouvelles regroupées sous le titre de Contes et paysages aux éditions de la Connaissance et tirée à 138 exemplaires. Puis reprenant cet ensemble d’écrits complété de pièces documentaires, de lettres, de notes biographiques avec un long texte à la gloire d’Isabelle intitulé Infortune et Ivresse d’une errante, Doyon publia le texte sous le titre de Au pays des sables aux éditions Sorlot à la fin de l’année 1944 et où les écrits d’Isabelle sont regroupés sous le titre Contes et souvenirs. Dans ce livre, la nouvelle Yasmina est sous-titrée Contes algérien.

L’édition sur laquelle nous allons travailler est celle de Marie-Odile Delacour et Jean-René Huleu : Isabelle Eberhardt – Yasmina… et d’autres nouvelles algériennes publiée aux éditions Liana Levi en 1986.

Nous aurions aimé travailler sur le texte original publié dans le quotidien mais nous n’avons pu nous le procurer ; cependant le texte dont nous disposons reste authentique et fiable.

La date d’écriture et d’élaboration de ce texte, qualifié de « longue nouvelle1 » par certains et de « petit roman2 » par d’autres, mais qui reste considéré par beaucoup comme une nouvelle, reste imprécise et matière à controverse d’autant plus que l’auteure était connue pour les nombreux remaniements de ses textes jusqu’à l’aboutissement au texte final qui sera publié.

René-Louis Doyon avance dans Contes et Paysages (1925) que cette nouvelle aurait été écrite par Isabelle peu avant sa vingtième année à Bône qu’elle en aurait livré la première version à un journal Bônois qu’il publia en 1897 anonymement, seulement aucune trace d’une première publication n’avait été trouvée. Seulement dans Au pays des sables (Sorlot, 1944), Doyon parle d’un manuscrit réécrit lors du deuxième séjour effectué par Isabelle à El-Oued (août 1900 – février 1901) où figure parmi les titres du recueil Yasmina signée Mohamed Saadi qui se clôt par la mention : Batna, juillet 1899.

Il qualifie l’écriture de l’auteure : « d’une belle graphie d’élève consciencieuse3 ». Il ajoute que deux ans après, elle aurait repris le texte et recopié intégralement de sa main.

Pour Mohamed Rochd, si ces affirmations sont correctes, le premier texte serait assez proche du texte définitif surtout pour le cadre où l’auteure situe son histoire. Seulement les détails qu’avance l’auteure du lieu où se déroule l’histoire (à Batna et précisément à Timgad), fait qu’il lui aurait été impossible d’avoir autant de précisions et autant de menus détails sur de simples informations orales et sans y être allé, d’autant plus que la première découverte de la ville de Batna datait de l’été 1899 et précisément du 12 juillet, ce qui rejoint la mention en fin du texte que nous avons citée.

1 EBERHARDT, Isabelle, Yasmina…et autres nouvelles algériennes présentées par Delacour &Huleu, Paris, Editions Liana Levi, p.73.

2 ROCHD, Mohamed, Isabelle. Une Maghrébine d’adoption, Alger, Entreprise nationale du livre, p. 30.

3 Yasmina…et autres nouvelles algériennes présentées par Delacour &Huleu, Op. cit., p. 73

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Dans son carnet de route reproduit par son éditeur Barrucand et inclus dans Dans l’ombre chaude de l’Islam, édité chez Fasquelle en 1906, Isabelle note à cette période « déjeuner et sieste sous l’arc de Trajan ».

Dans Nomade j’étais sur Isabelle Eberhardt et ses années africaines, Edmonde Charles-Roux retrace des pérégrinations avec des détails importants qui permettent de la suivre dans ses voyages de plus près. Ainsi en évoquant son premier séjour à Batna, entrepris à l’été 1899 et en venant de Tunis où elle était allée rechercher son ami Eugène Letord, l’un de ses correspondants qui était affecté au bureau arabe de Batna en qualité d’adjoint de deuxième classe. Ne le trouvant pas, elle décida d’aller visiter les ruines de Timgad en voyageant à dos de mulet. Elle put ainsi découvrir le paysage ; à l’époque, les fouilles entreprises depuis 20 ans se poursuivaient encore et près des arcs se trouvaient les tentes des bédouins descendus de la montagne.

De retour à Batna, elle avait passé sa soirée au village noir (nègre) chez Ali Frank, au café des tirailleurs avec son guide et ami. Tous ces endroits cités constituent les décors de la nouvelle Yasmina.

Les descriptions qu’elle fait des gourbis qui « s’élevaient auprès des ruines romaines de Timgad, au milieu d’une immense plaine pulvérulente, semée de pierres sans âge anonymes, débris disséminés dans les champs de chardons épineux d’aspect méchant, seule végétation herbacée qui pût résister à la chaleur torride des étés embrasés1. », ou en parlant de « l’amphithéâtre aux gradins récemment déblayés2 » , ou même du village noir distant de Batna de cinq cents mètres dans « un terrain vague où se trouve la mosquée » et le café d’Ali Frank où l’héroïne se produit sont toutes des descriptions faites à partir d’observations réelles, des paysages qu’Isabelle Eberhardt avait eu l’opportunité de visiter et qui lui servirent de décors pour ses histoires.

Tous ces détails mènent à croire que la nouvelle à dû être écrite en 1899, c’est ce que Mohamed Rochd conclut. Mais pour Marie-Odile Delacour et Jean-Renée Huleu, cette date représente plutôt la rencontre de l’auteure avec les personnes et les paysages qui seront le modèle pour la construction de ses personnages mais non celle d’une écriture finie et d’une élaboration définitive.

2.2. Mise en fonction et modalités narratives

1 Ibid. p. 43.

L’histoire de Yasmina s’étend sur 5 ans, de l’âge de 14 ans à celui de 19 ans. Une vie dont les événements se déroulent au moment de l’occupation française en Algérie.

Yasmina est une petite bédouine, enfant des Aurès, elle a grandi dans un village qui s’élevait auprès des ruines romaines de Timgad, au milieu des vestiges d’un passé glorieux complètement ignoré d’elle. Sa famille était composée de son père El hadj Salem, sa mère Habiba, de vieux bédouins cassés par l’âge, ses deux frères aînés engagés aux spahis et sa sœur aînée Fathma qui était mariée. Il y a aussi les plus jeunes enfants dont nous ignorons le nombre et dont elle était l’aînée, âgée de 14 ans.

Chaque jour, dès l’aube, Yasmina sortait de son gourbi pour mener le maigre troupeau de chèvres et de moutons paître dans la gorge d’un oued. Etrange, mélancolique, calme, solitaire et naïve ; tels étaient les traits de caractère de cette petite bédouine, cependant différente des autres filles de sa « race1 »

Cette vie banale et ordinaire de simple bédouine bascule le jour où elle rencontre le jeune lieutenant Jacques, enfant des Ardennes, détaché au bureau arabe, à l’esprit aventureux et rêveur. Conquis par son « charme presque mystique2 », Jacques ne tardera pas à conquérir Yasmina malgré qu’elle fût promise à Mohamed Elaour, cafetier à Batna, leur idylle dura tout l’été où les instants de bonheurs partagés leur firent oublier tout ce qui les séparait.

Lorsque Jacques apprend qu’il est désigné pour un poste du Sud Oranais, son désespoir et sa tristesse étaient tels qu’il avait voulu d’abord tout abandonner pour rester avec sa bien-aimée ; mais il ne put se résoudre à faire du chagrin à ses pauvres parents restés l’attendre au pays. Cependant, il ne put dire à Yasmina que leur séparation serait sûrement définitive.

L’heure des adieux fut très douloureuse, Yasmina croyant d’abord que Jacques allait l’abandonner volontairement ne comprenant pas qu’un Français d’autant plus un lieutenant n’était pas libre dans ses décisions. Mais devant son désespoir elle comprit qu’il était sincère et le crut même si, tout au fond d’elle, elle pressentait que leur séparation allait être définitive.

Indifféremment, elle épouse Abd el-Kader au lieu de Mohamed, elle subit les coups, le mauvais caractère de son mari au même titre que ses cadeaux et ses marques de tendresse. Murée dans son silence, obstinément, elle restait fidèle à son Mabrouk, le regrettant et le pleurant en silence même si elle pressentait qu’il l’avait oubliée.

1 Le terme est employé par Isabelle Eberhardt dans le texte.

2 Yasmina…et autres nouvelles algériennes présentées par Delacour &Huleu, Op. cit., p. 48.

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Se retrouvant seule, après la condamnation de son mari à dix ans de travaux forcés pour voies de fait envers un supérieur, sans ressources et refusant de retourner auprès des siens, elle décide de partir au Village Noir vivre parmi les prostituées pour rester libre et attendre Jacques.

Le dénouement fut tragique, en 3 ans au Village Noir, le nouveau mode de vie qu’elle adoptait eut raison de sa santé ; elle attrapa la phtisie. Le hasard fit que le coup qui finit de l’achever était la rencontre par hasard du tant attendu, entre temps marié avec une Française et qui avait oublié ce qu’il considérait désormais comme son « idylle bédouine1 » avec celle qu’il appelait « la petite sauvagesse2 ».

La rupture fut brève et froide comme les paroles qu’il lui adressa. Comprenant finalement la réalité des choses, prenant conscience que son attente fut vaine, elle se révolta pour la première fois contre l’injustice dont elle était victime. Les larmes et les reproches qu’elle adressait à Jacques finirent par creuser l’abîme qui allait les séparer à jamais. Résignée à son sort, cependant Yasmina reprit son attente de la mort qui ne tarda pas à venir et qui l’emporta avec cette conscience qu’il n’y a aucun remède contre le Mektoub.