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Chapitre I. Le culte des eaux dans la littérature : état de l'art et

2. La perception du culte des eaux dans les sources littéraires qu

2.1 La création des concepts

2.1.3 Le XX e siècle

2.1.3.1 La Troisième République à l’apogée du discours identitaire

Nous avons pu identifier deux grandes étapes dans la construction du « mythe gaulois ». Un premier thème d’opposition se développe au moment de la Révolution et va donner lieu à un véritable engouement populaire, puis, progressivement, le

discours évolue. Il devient la pierre angulaire de la quête d’une identité nationale qui atteint son apogée lors de la Troisième République. Le « mythe gaulois » est parcouru pendant toute la période par des apports intellectuels transversaux qui s’affirmeront de façon plus ou moins pérenne. Dans ce contexte la religion gauloise bénéficie d’un éclairage considérable et le culte rendu aux phénomènes naturels, en particulier les eaux, est une réalité admise de tous. La religion gallo-romaine n’est envisagée que comme une conséquence de ce postulat de départ, « Car cette religion du sol est de celles qu'on ne détruit pas, et qui se transmettent d'âge en âge, de vaincus à vainqueurs, avec la possession et les bénéfices du sol lui-même. En prenant la terre aux Ligures, les Gaulois en acceptèrent à la fois les moissons, les noms et les dieux ; et après eux, ni les Romains, ni les Barbares, ni les Chrétiens n'extirperont jamais de leurs domaines, trente à quarante fois séculaires, les Génies des montagnes et des fontaines, les Esprits protecteurs des lieux. Puisque la glèbe nourrit et que la source guérit, il faut qu'il y ait en elles une puissance, quelle qu'elle soit. Ces dieux-là sont les plus utiles, les plus familiers, les meilleurs de tous » (JULLIAN 1920-1926, VOLUME 1 :141).

Au début du XXe siècle, plusieurs personnalités vont marquer durablement de leur empreinte les sciences historiques. La chaire d’Histoire et antiquités nationales du Collège de France est créée en 1905 puis confiée à C. Jullian. La visée politique est évidente, il s’agit de rattraper le retard considérable accumulé dans les sciences de l’Antiquité par rapport au rival de toujours, l’Allemagne. C. Jullian ne décevra pas face à la lourde tâche qui lui incombe. La quête d’une identité nationale, entamée sous Napoléon III, se voit concrétisée dans une monumentale Histoire de la Gaule en huit volumes. Une publication qui va s’imposer comme la nouvelle référence historique. La phénoménologie religieuse et les phénomènes naturels sont toujours au cœur du discours :

« De toutes les choses, du sol, les sources, on l'a vu, sont les plus utiles à la vie humaine ; […] elles sont, de toutes les forces de la nature, celles qui étaient le plus près de son âme. […] Si c'est autour des sources que grandirent les groupes humains, elles furent, pour ces mêmes groupes, les rendez-vous permanents de leurs prières : créatrices des premières sociétés, et leurs premiers, dieux. — C'est à l'époque ligure que remonte le culte des sources saintes, je devrais dire de toutes les sources de la Gaule. Car la sainteté était inséparable d'elles »

Dans son essai de hiérarchisation du panthéon divin gaulois, C. Jullian identifie un dieu souverain, « invisible et anonyme », caractérisé comme le « Dieu national » ou le

« Dieu public » (JULLIAN 1920-1926, VOLUME 2 :119). Il est accompagné de ses parèdres et de quelques grands dieux « qui correspondent à des forces générales et immuables de la nature » (JULLIAN 1920-1926, VOLUME 2 :119), et ensuite seulement vient « la plèbe

des innombrables génies locaux […] les forces immuables et innombrables qui engendraient la multitude des choses du sol » (JULLIAN 1920-1926, VOLUME 2 : 129-130), parmi lesquelles « Les plus nombreuses et les plus populaires étaient les eaux courantes »

(JULLIAN 1920-1926, VOLUME 2 : 130). Le célèbre historien concède une place privilégiée au culte des eaux, une hypothèse qui va influencer fortement son successeur A. Grenier comme nous le verrons par la suite :

"La moitié de la vie dévote, pour le moins, se passe auprès des fontaines ; et les lieux de rendez-vous les plus populaires, ceux où l’on rassemble le plus d’idoles, de chapelles et de croyants, sont ceux où la multiplicité des eaux peut faire croire aux hommes que les dieux y tiennent assemblée."

(JULLIAN 1920-1926, VOLUME 4 :56)

1907-1920,J.TOUTAIN :LES CULTES PAÏENS DANS LEMPIRE ROMAIN

J. Toutain est passé à la postérité comme l’un des grands historiens du monde romain. Pourtant, comme le signale J. Cazenave (CAZENAVE 2006), malgré son imposante contribution scientifique, en particulier sur la thématique de la religion romaine, le personnage reste très énigmatique. Il n’a pas bénéficié d’un intérêt aussi vif que son principal concurrent, F. Cumont, au sujet duquel les études se sont multipliées ces dernières années sous l’impulsion de réflexions menées sur les religions gréco-romaines et le concept des « cultes orientaux ».

J. Toutain a débuté sa carrière en étudiant l’Afrique. Sa thèse soutenue en 1895 porte sur Les cités romaines de la Tunisie : essai sur l'histoire de la colonisation romaine

dans l'Afrique du nord (TOUTAIN 1895). A la suite de quoi il assistera D. Blanchet dans la rédaction de nombreux manuels scolaires sur l’histoire de France, avant d’amorcer une nouvelle carrière lors de sa nomination à Alesia en 1908. Parmi ses œuvres majeures on peut citer Les Cultes païens dans l'Empire romain (TOUTAIN 1907),

études de mythologie et d'histoire des religions antiques (TOUTAIN 1935), ainsi que sa participation active au Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines (TOUTAIN IN

DAREMBERG ET SAGLIO 1877-1919).

Ses travaux prennent donc place à une période charnière où l’Histoire des religions cherche à se renouveler sous forme d’une science des religions qui « considère les phénomènes religieux en soi, indépendamment des conditions de temps et de lieu. Elle a entrepris de décrire comment est né le sentiment religieux dans le cœur de l’homme, comment il s’y est développé, quelles formes il y a prise » (TOUTAIN 1907 :I-II). J. Toutain et F. Cumont portent un intérêt tout particulier à la transition entre paganisme et christianisme, une thématique qui n’a rien d’innovante tant elle est la cible privilégiée de la lecture évolutionniste commune aux deux auteurs qui tente d’expliquer le « triomphe du christianisme ». L’originalité vient du fait que F. Cumont envisage les religions orientales comme les moteurs principaux de la dynamique de transition entre polythéisme antique et monothéisme chrétien. Ces cultes orientaux auraient répandu dans le monde romain des conceptions religieuses plus élevées que celles véhiculées par le paganisme romain, telle la quête du salut et la purification morale. Des conceptions qui auraient alors préparé le terrain au « triomphe du christianisme ». Au contraire, J. Toutain revendique la nécessité de relativiser l’impact et la diffusion des cultes orientaux qui, loin d’entrainer le déclin du polythéisme, y auraient été intégrés à la faveur de contacts qui s’échelonnent sur la longue durée.

Les travaux sur Les cultes païens dans l’Empire se composent de trois tomes qui traitent successivement des cultes « officiels » et « non-officiels » romains et gréco- romains, des cultes « orientaux », et enfin des cultes « indigènes, nationaux et locaux » dans les provinces d’Afrique, de la péninsule ibérique et de la Gaule. La religion gallo-romaine est donc ici traitée comme un cas à part entière et non pas cantonnée à sa place habituelle, c’est-à-dire un sujet annexe à la thématique gauloise où elle ne serait que la conséquence attendue de la persistance d’un fond religieux populaire.

Dans la préface du premier tome (TOUTAIN 1907), l’auteur explique sa démarche. Il se veut très critique du comparatisme excessif appliqué à l’étude de l’Histoire des

religions par les tenants de l’anthropologie, de l’ethnologie, de la philologie et de la sociologie. Sans nier les apports indéniables de ces études, il estime qu’il « en est beaucoup qui sont encore à l'état brut, et qui n'ont été soumis à aucune critique méthodique ; d'autres ont été trop souvent utilisés dans l'intention exclusive d'y trouver des arguments à l'appui de telle ou telle théorie préconçue ; d'autres enfin ont également servi à étayer des systèmes contradictoires » (TOUTAIN 1907 :III). J. Toutain revendique ici l’usage d’une démarche qui s’intéresse aux faits. L’étude consciencieuse des données historiques et archéologiques. Sans chercher à « élargir le sujet par des comparaisons ambitieuses ou piquantes » (TOUTAIN 1907 :IV). Un projet louable, dont la mise en œuvre se vérifie dans le texte, mais qui atteint ses limites dans la partie relative à la Gaule. Si l’approche se veut plus neutre que les travaux précédents elle induit toutefois un renouvellement limité de la perception du culte des eaux par rapport aux progrès que l’on était en droit d’espérer. Le problème sous-jacent à cette lecture tient au fait qu’on se restreint certes à l’étude des faits relatifs aux religions romaine et gallo-romaine, mais qui est toujours envisagée comme un héritage d’une religion gauloise essentiellement naturiste même si elle est abordée avec un regard plus critique en ce début de XXe siècle.

Lorsqu’il introduit les « culte nationaux gallo-romains » au début du troisième livre, le célèbre historien présente ses références principales. On retrouve A. Bertrand

(BERTRAND 1897), mais aussi H. Arbois de Jubainville (ARBOIS DE JUBAINVILLE 1884), J. Rhys (RHYS 1892), G. Dottin (DOTTIN 1904), C. Renel (RENEL 1906) et C. Jullian

(JULLIAN 1920). Les influences sont donc variées, mais on remarque une importance non négligeable accordée à la mythologie irlandaise dont les apports sont cependant relativisés par C. Renel « il est invraisemblable que les idées religieuses des Celtes de l'île d'Erin, telles qu'elles nous apparaissent dans des poèmes épiques rédigés sans doute au VIIe siècle ne soient pas très différentes des conceptions théologiques des Gaulois du temps de César » (RENEL 1906 : 13). On retrouve d’ailleurs chez cet auteur des concepts devenus familiers :

« Le culte de la mer, celui des lacs, des fleuves, des rivières et des ruisseaux, des sources et des fontaines, le culte des eaux en un mot était répandu dans toute la Gaule dès l'époque préhistorique. […] Le culte des eaux chez les non civilisés est un des aspects de la religion naturiste. La source peut être la demeure d'esprits, comme l'arbre ou comme le rocher. L'apparition des eaux qui jaillissent soudain des profondeurs du sol, leur écoulement que l'homme peut retarder, mais qu'il n'arrête jamais, leur renouvellement éternel, les bruits mystérieux que font les eaux, depuis le murmure inégal des ruisselets sur les

cailloux jusqu'au grondement sourd des grands fleuves, ont fortement frappé l'imagination des primitifs » (RENEL 1906 :166-167)

Une vision naturiste, où s’exprime l’universalité de la relation au religieux et des réactions attendues face à une nature mystérieuse et impénétrable. Pour J. Toutain, les gallo-romains « divinisaient les montagnes, les forêts et les arbres, les sources, les cours d’eau, les étangs et les lacs » (TOUTAIN 1920 :293), « la nature était pour eux remplie d’êtres divins […] Ainsi, à travers et par-delà les divinités indigènes, nationales ou locales, de la Gaule romaine, nous apercevons un panthéon gaulois d’une remarquable richesse, d’une naïveté souvent grossière, d’une sincérité fruste et réaliste. L’influence de la civilisation gréco-romaine, dans le domaine religieux, ne détourna pas les provinciaux des sanctuaires de leurs divinités ancestrales, ne leur fit pas oublier les rites longtemps pratiqués par lesquels ils leur rendaient hommages » (TOUTAIN 1920 :330-331).

Ainsi, on comprend immédiatement le problème auquel est confronté J. Toutain et qui est énoncé dès la préface du premier livre : « Nous nous sommes enfermés de propos délibéré dans les limites géographique et chronologiques du sujet que nous avons choisi » (TOUTAIN 1907 :IV). Il s’enferme dans le cadre chronologique de la période romaine tout en exploitant un arrière-plan religieux jugé déterministe, mais qui ne bénéficie pas de la même rigueur méthodologique qu’il s’efforce d’appliquer à l’analyse des données de la période romaine.

Les positions de J. Toutain resteront constantes, voire s’affirmeront entre la publication de 1907 et, par exemple, les Nouvelles études de mythologie et d'histoire

des religions antiques (TOUTAIN 1935)parues en 1935. Dans ce document, il justifie l’emploi de la notion de « dieux nationaux », synonyme du « culte national » récurrent dans les travaux que nous avons passés en revue. Par ce biais, il réaffirme à la fois son intérêt pour la phénoménologie religieuse car « l’origine du sentiment religieux doit être cherchée dans l’impression que l’homme a éprouvée devant le spectacle de la nature » (TOUTAIN 1935 :113), ainsi que sa foi en la lecture évolutionniste :

« Par conséquent, de même que dans la conception du monde qui entoure l’homme, l’évolution s’est faite depuis les forces impersonnelles sur lesquelles on agit par des incantations, des conjurations et des gestes, jusqu’à l’idée d’un Dieu personnel à la fois humain et surhumain, de même dans le caractère et la physionomie de la divinité, l’homme s’est élevé progressivement de la notion d’êtres divins, occupés spécialement de lui-même ou de son groupe restreint,

à la notion d’un Dieu unique, universel, veillant sur le genre humain tout entier » (TOUTAIN 1935 :125)

J. Toutain aborde le « culte national » de façon prosaïque. Pour lui, ce sont les divinités invoquées en de nombreuses régions de la Gaule souvent forts éloignées les uns des autres (TOUTAIN 1920 :196), par opposition à un « culte local » associé à des divinités dont le domaine était le plus souvent « restreint à quelques cantons de médiocre étendue » (TOUTAIN 1920 :197).

Sous la Troisième République, cette inlassable quête identitaire où se mêlent considérations historiographiques, génétiques et psychologiques va favoriser l’essor de l’idéologie raciale, née du désir forcené d’attribuer aux Celtes et au Gaulois une identité univoque qui fît d’eux la préfiguration des Français (LEWUILLON 2011).

1932,C.VAILLAT :LE CULTE DES SOURCES DANS LA GAULE ANTIQUE

C. Vaillat est un historien issu de l’École des Hautes Études où il fut élève de J. Toutain. La filiation entre les deux auteurs est évidente, ne serait-ce que lorsqu’on s’attarde sur leurs références bibligoraphiques communes : J.-B.B. d’Anville (ANVILLE 1760), H. Arbois de Jubainville (ARBOIS DE JUBAINVILLE 1884), A.C.P. DE

CAYLUS (CAYLUS 1752-1767),J. Rhys (RHYS 1892), G. Dottin (DOTTIN 1904), C. Renel

(RENEL 1906), C. Jullian (JULLIAN 1920), E. Lavisse (LAVISSE ET BLOCH 1911 : 47)et même J. Martin (MARTIN 1727).

L’étude de C. Vaillat est donc consacrée au culte des sources en Gaule. J. Toutain portait un intérêt tout particulier aux modalités de transition entre polythéisme et monothéisme chrétien, reléguant par la même au second plan les transformations du paysage religieux qui s’opèrent postérieurement à la Conquête. À l’inverse, C. Vaillat exprime son intention de démontrer ce que le célèbre historien considérait comme acquis, c’est-à-dire que le culte des eaux en Gaule serait un phénomène antérieur à la conquête romaine (VAILLAT 1932 :13).

L’analogie avec notre propre travail est frappante. La démarche se veut méthodique, basée à la fois sur les faits historiques et archéologiques, mais la comparaison s’arrête aux intentions car le contenu du travail de C. Vaillat est fermement ancré dans le

contexte intellectuel de son temps et est limité par les découvertes archéologiques disponibles pour illustrer son sujet. L’introduction vise à justifier de l’universalité du sentiment religieux de l’Homme face à la nature avec une succession de brefs exemples.

La démonstration débute par une présentation de pratiques issues des cultures égyptiennes et babyloniennes, puis s’étend jusqu’aux pratiques superstitieuses du Royaume-Uni moderne. Ensuite, la première partie présente le culte des sources en Gaule romaine. L’auteur fait l’inventaire des divinités topiques qui relèvent de façon plus ou moins assurée d’une source, avant de dresser la liste des sites potentiels où les activités cultuelles en rapport avec une source n’ont pas livré de théonyme. Enfin, la seconde partie vise à démontrer les origines préromaines du culte de sources en Gaule, mais ne repose sur aucun indice solide. Les preuves archéologiques pourtant mises en avant sont de loin les plus faibles. À partir de quelques exemples mal documentés, l’auteur envisage l’origine préhistorique du culte des eaux, puis sa perpétuation à la période romaine. À partir de là, il extrapole la continuité de ces pratiques entre les deux périodes concernées, malgré l’absence d’indices pour la période gauloise. Un constat qui figure pourtant en toutes lettres au début du paragraphe : « le défaut absolu de tout vestige […] si modestes fussent-ils » (VAILLAT

1932 :96). La suite de l’exposé repose sur des arguments linguistiques (onomastique et toponymie) et sur le folklore, pour lequel l’auteur insiste bien sur la prudence de rigueur face à ce type de données.

Une mise en garde renouvelée sans détours par J. Toutain dans la préface, « il n’en ressort pas que les pratiques d’aujourd’hui reproduisent les rites d’autrefois et qu’on soit autorisé à conclure de celles-là à ceux-ci » (VAILLAT 1932 :XIX) et étendue aux excès des études comparatives, tant il est dangereux de « vouloir expliquer tel rite pratiqué par les Gaulois et le Gallo-romains près de leurs sources sacrées par des cérémonies célébrées aujourd’hui dans l’Inde ou l’Afrique centrale » (VAILLAT 1932 :XX).

Des préceptes sensés, qui gagneraient à être appliqués aujourd’hui à la mise en relation entre pratiques religieuses gauloises et gallo-romaines, alors même que l’idée était difficilement envisageable à l’époque. Plus que les apports de l’étude elle-même, qui ne se présente que comme le prolongement des travaux de J. Toutain dans une thématique bien précise, c’est l’incitation à réfléchir sur notre propre travail qui en fait tout l’intérêt. Comme C. Vaillat à son époque, nous sommes tributaires du

contexte intellectuel au sein duquel se développent nos réflexions, et l’attention doit se porter tant sur la nécessité de ne pas reproduire les erreurs du passé que sur notre capacité à ne pas en générer de nouvelles.

2.1.3.2 Un « mythe gaulois » encore bien enraciné après-guerre mais peu à peu remis en question grâce aux progrès de

l’archéologie

1960, A. GRENIER : MANUEL DARCHEOLOGIE GALLO-ROMAINE, MONUMENTS DES EAUX :VILLES D'EAU ET SANCTUAIRES DE L'EAU

On connaît A. Grenier l’historien, mais peut-être moins l’archéologue de terrain émérite. Avant même d’intégrer l’école française de Rome en 1904, il avait déjà parcouru la Lorraine pour son mémoire de l’école supérieure des hautes-études sur les habitations gauloises et villas latines dans la cité des Médiomatrices. Son retour en France passe par l’université de Strasbourg à partir 1919. Dans ce contexte, il va fédérer les érudits locaux et soutenir les échanges scientifiques outre Rhin. Au début des années 1930 (GRENIER 1931), il reprend l’aventure du manuel d’archéologie, après avoir déjà poursuivi le travail engagé par J. Déchelette dont le Manuel d’archéologie

préhistorique et celtique s’arrêtait au second âge du Fer. Un engagement scientifique

qui lui vaut de succéder à C. Jullian en 1936 à la chaire d’Antiquités nationales du Collège de France, après l’avoir déjà suppléé entre 1932 et 1933.

A. Grenier est le continuateur des idées de C. Jullian, sa personnalité discrète lui a souvent valu de rester dans l’ombre du maître alors qu’on lui doit beaucoup, notamment la fondation de la revue Gallia ou les lois archéologiques de 1941-1942. Sans surprise la question de l’identité nationale est plus que jamais au cœur des débats. « Ce patriotisme romain ne fait pas tort au vieux sentiment national celtique »

(GRENIER 1931 : IV). C’est en ces termes que A. Grenier résume le paradoxe du « mythe gaulois » développé à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Le régime de Vichy va tenter de se le réapproprier, soulignant ainsi que d’une défaite acceptée peut naître un grand bien et que l’association au régime nazi pourrait être l’occasion de renouer avec les valeurs qui fondent une identité nationale fantasmée. On atteint ici le paroxysme de l’instrumentalisation du « mythe gaulois », ce qui va contribuer à sa remise en question progressive au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Le dernier volume de la série du Manuel d’archéologie gallo-romaine (GRENIER 1960) nous concerne au premier titre car il traite des monuments des eaux : Villes d'eau et

sanctuaires de l'eau. Nous sommes alors en 1960 et force est de constater que la

perception des phénomènes naturels au sein de la religion gallo-romaine n’a pas beaucoup évoluée depuis C. Jullian et J. Toutain.

Pour A. Grenier, la « source est sainte, la vertu de son eau est d’origine divine ; l’eau elle- même est divinité […] Lorsque l’eau jaillit chaude ce miracle suscite une vénération