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Chapitre I. Le culte des eaux dans la littérature : état de l'art et

2. La perception du culte des eaux dans les sources littéraires qu

2.2 L’utilisation des concepts dans des études thématiques

2.2.3 Travaux universitaires récents

Les travaux universitaires offrent un complément intéressant pour évaluer l’état de la recherche à un moment donné et percevoir dans quelle mesure de nouveaux concepts se développent. En effet, par définition, une thèse est à mi-chemin entre passé et futur. Elle s’appuie sur un état de l’art censé intégrer les théories les plus récentes faisant autorité et tente ensuite de renouveler les recherches sur une thématique précise. Sans réanimer le débat superficiel du clivage entre historiens et archéologues, déjà critiqué dans un précédent paragraphe, on remarque que les trois principaux travaux universitaires sur la thématique du culte des eaux présentés ici ont été réalisés par des historiens. Un constat qu’on peut d’ores et déjà nuancer, car le travail de C. Bourgeois (BOURGEOIS 1991 ET 1992) correspond à la publication d’une thèse. Enfin, on doit aussi mentionner les travaux de S. Deyts focalisés sur les sanctuaires et cultes des divinités des sources à la période romaine en Bourgogne

(DEYTS 1967), mais ce travail sort du cadre chronologique que nous souhaitons évaluer.

2.2.3.1 1986, M.-D. Poncin, Le culte des sources dans la cité galloromaine des Leuques

DEMARCHE ET INFLUENCES

Le premier document universitaire que nous mettons en avant date du milieu des années 1980, une période charnière où les avancées de l’archéologie tendent à remettre en question une perception du monde religieux gaulois avec les répercutions que cela sous-entend sur les pratiques gallo-romaines. La thèse porte sur Le culte des

sources dans la cité gallo-romaine des Leuques (PONCIN 1986) et les conclusions qui en résultent sont résumées dans un article de synthèse publié l’année suivante

(PONCIN 1987). L’approche se veut donc encore une fois géographique, sur un territoire pour lequel la documentation, moins prolifique que celle des cités limitrophes, est considérée comme la « preuve d’une romanisation limitée » (PONCIN

1986 :31), ce qui se traduirait comme un espace propice pour étudier les anciennes pratiques religieuses qui auraient survécu au christianisme « principalement dans les

campagnes où les prêtres étaient moins nombreux, les populations moins instruites et plus proches des forces de la nature » (PONCIN 1987 : 137). En effet, le culte des eaux est encore présenté comme un ensemble de pratiques éminemment populaires et rurales replacées dans une cité où on postule l’indigence du fait urbain : « Même si les Leuques furent des paysans médiocrement romanisés » (PONCIN 1986 :248). Nous faisons face à une situation ambigüe où les écrits C. Jullian, C. Renel, J. Toutain, G. Drioux, C. Vaillat puis A. Grenier et E. Thevenot côtoient ceux de C. Bourgeois ou S. Deyts. Certaines théories sont déjà remises ouvertement en question : « Nous ne pensons pas que tous les divinités honorées auprès des sources étaient guérisseuses » (PONCIN 1986 :

32), alors que d’autres paraissent inébranlables, tel l’axiome de la poursuite des pratiques païennes sous couvert de la christianisation progressive du monde rural. On retrouve ici cette preuve « par défaut ». Argument salutaire lorsqu’aucun autre indice ne permet de démontrer l’omniprésence du culte des eaux dans un paysage sacré gaulois fantasmé. Nous avons vu à quel point G. Drioux faisait un usage excessif de cette méthodologie et il est présenté dans ce document comme une figure de référence (PONCIN 1986 :220).

COMMENTAIRE

Après une rapide introduction, les sites sont ordonnés en fonction de la nature et du nombre d’indices à disposition parmi les cinq catégories principales : épigraphie, iconographie, archéologie, toponymie et tradition chrétienne. Sur un total de 96 occurrences, 48 sont interprétées uniquement par l’existence d’indices liés à la toponymie et surtout, pour une écrasante majorité, au folklore chrétien (fig. 23 et 24). Les notices de site sont complétées par une série de synthèses évoquant tour à tour chacune des cinq catégories. Sans surprise, on remarque que l’analyse la plus développée concerne l’interprétation des pratiques religieuses gallo-romaines au travers du prisme des pratiques folkloriques. Quant aux données épigraphiques, iconographiques et archéologiques, elles se présentent plus comme des illustrations contextuelles que comme des outils d’analyse. Ce qui résulte sûrement de leur caractère très générique.

De fait, on se retrouve confronté à un problème assez similaire à celui mis en évidence pour la publication de J.-G. Bulliot et F. Thiollier : on brosse un vague tableau de tous les sites auxquels on peut associer une activité cultuelle, antique ou

moderne et situés à proximité de l’élément aquatique. Le principal problème vient du fait qu’on ne s’interroge jamais réellement sur le sens à donner au culte des eaux. Au cœur du concept, on envisage un noyau symbolique nébuleux, réceptacle commode de toutes les théories attenantes aux religions gauloises, romaines et paléochrétiennes, dont la mesure varie selon les auteurs et les époques. Un noyau dont les contours sont d’une remarquable élasticité et que chacun étire jusqu’au point de rupture afin de légitimer ses hypothèses. Dès lors, le culte des sources est souvent exposé dans son expression la plus simple, voire la plus simpliste, comme le culte de

« toutes les divinités honorées auprès des sources » (PONCIN 1986 :32).

Figure 23 : Carte des sites mentionnés dans la publication : 1986, M.-D. Poncin, Le culte

2.2.3.2 2003, S. Szatan, Le culte de l’eau dans le nord-est de la Gaule

DEMARCHE ET INFLUENCES

Nous faisons un bon en avant à la fois dans le temps et dans les concepts pour ce second travail universitaire, Le Culte de l’eau dans le nord-est de la Gaule. Une thèse réalisée par S. Szatan et soutenue en 2003. L’auteur s’est rapidement trouvée confrontée aux mêmes problèmes que ceux signalés dans notre propre étude. Le culte des eaux est un phénomène nébuleux qui ne peut être envisagé que dans le cadre d’une approche exhaustive, réduite ensuite progressivement à ses éléments les plus pertinents. Une approche exhaustive qui va de pair avec une importante hétérogénéité dans les informations livrées par les sites et qui bien souvent s’accommode mal d’une terminologie religieuse moderne peu flexible. En particulier lorsqu’il s’agit de définir à quoi correspond un sanctuaire. Dans ce contexte, cette thèse se focalise sur « les lieux où l’eau est l’objet du culte » quelle que soit sa nature, son envergure, son mode d’exploitation, ou ses vertus (SZATAN 2003,VOLUME 2 :12). La plupart des a priori historiographiques ont disparu et sont même critiqués :

« Toute eau peut donc être l'objet d'un culte. Pour autant un culte n'a pas été organisé autour de tous les points d'eau » (SZATAN 2003,VOLUME 2 :8). Pourtant, on remarquera qu’un certain flou pèse toujours sur les activités qui précèdent et succèdent au culte des eaux dans sa formulation gallo-romaine. En effet, il est parfois envisagé comme la poursuite d’un culte rendu à l’eau à la période gauloise ou pérennisé dans une adaptation paléochrétienne qui survivrait dans le folklore moderne (SZATAN 2003,

VOLUME 2 : 18). Enfin, l’influence de J.J. Hatt est palpable dans les interprétations théoriques relatives à certains pans des religions gauloise et gallo-romaine.

COMMENTAIRE

Le premier volume regroupe les notices de 190 communes pour 200 sites recensés (fig. 25 et 26). Ils sont hiérarchisés et référencés comme sites majeurs ou mineurs selon la qualité et la quantité des informations disponibles. L’analyse à proprement parler est présente dans les second et troisième volumes. Elle prend la forme d’une analyse thématique en trois volets qui évoque tour à tour les « Sanctuaires », c’est-à- dire les espaces du culte, les « Pratiques », qui correspondent à l’étude du mobilier et

les « Divinités », examinées au travers des données épigraphiques et iconographiques. Dans la première partie, les sanctuaires sont hiérarchisés selon leur degré de monumentalisation comme l’avait déjà proposé C. Bourgeois. La principale conclusion de l’auteur vient confirmer ce qui était déjà pressenti. Il n’y a pas d’architecture ou d’aménagement type du culte des eaux. Par extension, il ne transparaît pas de mobilier type même si certaines pratiques semblent plus représentées que d’autres, notamment les éléments relatifs au domaine de la santé. L’auteur fait d’ailleurs remarquer que « Aucun autel commémoratif, pourtant si nombreux ailleurs, figurant ou relatant une cérémonie relative au culte de l’eau, n’a été mis au jour [en Gaule] » (SZATAN 2003,VOLUME 2 :256). Enfin, en ce qui concerne les divinités, on retiendra surtout que le panthéon, tel qu’il apparaît au travers des données épigraphiques et iconographiques, ne révèle pas de hiérarchie pertinente.

Figure 25 : Carte des sites mentionnés dans la publication de : 200 3, S. Szatan, Le culte de

Ces conclusions, certes justifiées et argumentées, souffrent pourtant d’une faiblesse commune. Elles sont la conséquence directe d’une approche moderne des religions antiques. C’est-à-dire la volonté de proposer une image rationnelle du paysage religieux pour l’observateur contemporain alors qu’elle cristallise de façon irrationnelle, pour les populations antiques, un ensemble d’activités hétéroclites. Il s’agit, en effet, de cette idée lancinante d’envisager le culte des eaux comme un phénomène religieux à part entière. Comme si le fait d’insister sur ce qui n’est finalement qu’une étiquette moderne bien commode, et sans équivalent sémantique dans le monde antique, allait altérer la réalité et contribuer à mettre de l’ordre dans des données si disparates. Or, la conclusion de ce travail universitaire est sans ambages à ce sujet, si le culte des eaux peut être employé comme une sorte de trame générale, la quête d’éléments structurants passe inévitablement par des regroupements thématiques selon des approches plus précises.

2.2.3.3 2004, M.-C. Lhote-Birot, Les divinités des eaux et leurs dévots en Gaule Narbonnaise et dans les trois Gaules

DEMARCHE ET INFLUENCES

Le dernier travail universitaire présenté, Les divinités des eaux et leurs dévots en

Gaule Narbonnaise et dans les trois Gaules par M.-C. Lhote-Birot (LHOTE-BIROT

2004), diffère des deux précédents par son approche ouvertement centrée sur les aspects épigraphiques. De ce point de vue, les principales influences proviennent de chercheurs allemands et en particulier L. Weisgerber, ainsi que des travaux de M. Dondin-Payre et M.-T. Raepsaet-Charlier. En ce qui concerne le culte des eaux et l’archéologie, les noms de G. Drioux, C. Vaillat, A. Grenier, C. Bourgeois et S. Deyts ne nous sont pas inconnus. Le constat est le même que pour le document précédent, on distingue une volonté manifeste de ne pas reproduire les interprétations fautives de l’historiographie, que ce soit les excès d’attribution d’une fonction thérapeutique ou la poursuite systématique des pratiques religieuses antiques à la période paléochrétienne.

On remarque que les données archéologiques et dans une moindre mesure le folklore ne sont traités que comme des informations contextuelles, si bien que l’étude dépend presque entièrement de la capacité de l’auteur à identifier les divinités de l’eau au travers des mentions épigraphiques, ce qui se révèle gênant lorsque M.-C. Lhote- Birot est amenée à conclure que « le premier critère, d’ordre épigraphique, ne permet pas de définir de formule spécifique permettant d’identifier avec certitude, un dieu ou une déesse des eaux » (LHOTE-BIROT 2004 : 34). La marge d’erreur dans la capacité d’identification est donc non négligeable, ce qui est d’autant plus fâcheux lorsque cette difficulté se voit cumulée avec les écueils inhérents aux monuments épigraphes, en particulier le problème récurrent du réemploi.

Toutefois, on doit reconnaître que l’originalité de l’approche permet de passer outre le problème de l’hétérogénéité des données archéologiques et d’avoir un aperçu de la situation à grande échelle, même s’il est étonnant dans une étude qui porte sur la Gaule dans son ensemble de se couper des territoires Lingon, Helvète, Rauraque, Séquane, Triboque, Vangion et Nemète, exclus à cause d’un caractère militaire « trop

marqué » (LHOTE-BIROT 2004 : 2). Nous avons-nous-mêmes laissé de côté certains territoires dont l’intégration était trop complexe compte tenu des perspectives modestes qu’ils laissaient présager. L’étude « sociale » des dévots est aussi une thématique précieuse, mais rarement abordée parce qu’elle requiert un échantillon suffisamment important. Sur un espace géographique aussi vaste l’auteur dénombre 218 monuments épigraphes jugés pertinents.

COMMENTAIRE

Au travers de l’approche sociale, c’est le processus de romanisation qui est abordé, une problématique qui n’est pas étrangère à notre travail. M.-C. Lhote-Birot conclue à des particularismes régionaux marqués. Ainsi, « en Gaule Narbonnaise les témoignages écrits prédominent et les cultes des dieux romains sont tout aussi importants que ceux voués aux divinités indigènes. Le même phénomène peut s’observer à propos de la Gaule Belgique. Dans ces deux provinces, les ex-voto anatomiques sont rares, inexistants en Gaule Narbonnaise, plus rares en Gaule Mosellane » (LHOTE-BIROT 2004 : 199-200). Elle envisage donc la possibilité de territoires mieux romanisés, où l’expression religieuse se traduit préférentiellement par des monuments épigraphes, comparativement à d’autres où on privilégierait des offrandes anatomiques. On se doit toutefois de relativiser la portée de cette hypothèse pour plusieurs raisons. Toute d’abord, elle concerne principalement des sites à caractère thérapeutiques. De plus, elle est très réductrice vis-à-vis de l’évolution des pratiques cultuelles dans le temps. N’oublions pas que ces ex-voto spécifiques sont eux-mêmes une nouveauté qui apparaît dans le paysage religieux aux alentours du changement d’ère et de fait pourraient témoigner d’une étape importante du processus de romanisation. Enfin, à l’intérieur du corpus épigraphique l’auteur concède que l’orthographe du nom des divinités varie de façon notable entre les sites, voire même au sein d’un même site, ce qui est interprété comme le « signe d’une population faiblement romanisée ou tout au moins de personnages maîtrisant moins bien la langue latine » (LHOTE-BIROT 2004 :161). Dans ces conditions, se serait donc moins un témoignage du niveau réel de romanisation, que de la volonté des populations à reproduire le modèle romain. Une idée qui viendrait corroborer la dispersion des individus dans les différents groupes sociaux. Parmi les 153 dédicaces où l’appartenance a pu être identifiée, 84 seraient des citoyens, 32 seraient des pérégrins, 12 des affranchis et enfin 25 se rattacheraient au milieu servile. Si les

citoyens sont très bien représentés, comme on pouvait s’y attendre pour des offrandes de cette nature, la mention de gentilices prestigieux reste rare, tout comme celle de gentilices à connotation indigène. La norme est au gentilice latin associé à un surnom, ce qui viendrait corroborer cette hypothèse d’une romanisation qu’on pourrait qualifier d’intermédiaire. Il émane une réelle volonté de se tourner vers le modèle romain, sans toutefois que l’intégration soit complète.

À la lumière de ce témoignage intéressant, mais dont on ne doit une nouvelle fois pas surestimer la portée compte-tenu de l’échantillon considéré, il nous appartient aussi de relativiser un poncif de l’historiographie. Celui d’un culte « populaire » avec une connotation péjorative. Populaire, il l’était sans doute, dans le sens où les différents témoignages historiques nous renseignent sur son succès dans les différentes provinces de la Gaule, mais il n’était certainement pas « populaire », c’est-à-dire limité aux populations rurales et les plus modestes de la société. Au contraire, on doit reconnaître la diversité des situations regroupées sous l’étiquette du culte des eaux : des gestes individuels et occasionnels les plus modestes, aux lieux de cultes, tantôt privés tantôts publics, dont le rayonnement s’étend sur des territoires et des communautés à l’envergure variable.

2.2.4 Que retenir de la perception du culte des eaux gallo-