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Chapitre I. Le culte des eaux dans la littérature : état de l'art et

2. La perception du culte des eaux dans les sources littéraires qu

2.1 La création des concepts

2.1.1 XVI e , XVII e et XVIII e siècles

2.1.1.1 Premières monographies thématiques sur la religion gauloise

1727, J. MARTIN : LA RELIGION DES GAULOIS TIREE DES PLUS PURES SOURCES DE L'ANTIQUITE

Le document n’est pas anodin dans le sens où il figure parmi les premières compilations où la religion gauloise est employée comme thématique centrale et non envisagée comme un élément contextuel. Une nouveauté que J. Martin revendique avec insistance (MARTIN 1727 VOL. 1 : IV), ne reconnaissant la primauté d’une intention semblable qu’aux travaux d’E. Schedius sur les dieux des Germains

qui il rédigera quelques années plus tard le controversé Histoire des Gaules, et des

conquêtes des Gaulois, depuis leur origine jusqu'à la fondation de la monarchie françoise (BREZILLAC ET MARTIN 1752-1754).On retrouve de manière assez précoce chez cet ecclésiastique des concepts tels que l’universalisme de la relation au religieux et la prééminence des sentiments, dans le cadre d’une piété individuelle et populaire, par opposition à des rites sophistiqués qui seraient imposés par une caste dominante :

« Ce culte a pour principe une vérité imprimée dans le fond de notre âme, qu’il y a un Etre suprême […] Les idées plus ou moins claires que les hommes ont eu de cet Etre suprême, les ont déterminés à établir certaines cérémonies, qui servaient de règle à leur culte. Ces cérémonies particulières à chaque nation ont toujours fait le caractère distinctif des sentiments qu’elles avaient de la Divinité. Ce principe est incontestable, il est fondé sur une vérité qui embrasse également tous les temps » (MARTIN 1727 VOL.1 :2)

« On voit ici clairement d’un côté le gout du Peuple, qui ne se conduit que par les sens, et de l’autre celui des Prophètes, lequel plus épuré borne son culte à célébrer des mystères devant des globes et des sphères […] Il n’y a donc qu’à distinguer entre la Religion du Peuple et la Religion des Druides »

(MARTIN 1727 VOL.1:27)

Précédent de quelques décennies la naissance du mouvement romantique en Angleterre et en Allemagne, J. Martin soutient l’hypothèse que la religion gauloise est une religion naturiste. Le cheminement qui l’amène à cette conclusion est assez aisé à suivre.

Il exploite à son avantage les extraits des sources littéraires antiques et des débuts de l’ère chrétienne pour arriver à un premier constat : avant la Conquête les populations gauloises ne possèderaient pas de lieux de culte aménagés. Sujet auquel il consacre deux chapitres entiers : « Il n’y avait point de Temples proprement dits dans les Gaules, César en fit la conquête » et « Des lieux servaient de Temples au Gaulois, et où ils offraient leurs sacrifices avant la conquête des Gaules ».

Selon cet auteur, si les Gaulois n’ont pas de temples leurs pratiques prennent toutefois place dans des lieux sacrés assimilés aux espaces naturels. Il va le démontrer par l’extrapolation de fragments de texte sur les bois sacrés, sur les relations privilégiées que les druides entretiennent avec la nature et surtout dans le

cas du culte des eaux, la description du trésor légendaire du lac de Toulouse. Le récit sera introduit comme exemple à de multiples reprises et tend à prouver qu’il « est plus vrai de dire que les gaulois d’un côté se servant pour Temple des bords des étangs, des ruisseaux et des rivières, des bois, des bosquets, de certains lieux en rase campagne ; et des places publiques à la place des Temples ; et les enrichissant de vœux, de présents et d’offrandes, comme les autres Nations faisaient leurs temples » (MARTIN 1727 VOL.1 :121). De là, il n’y avait qu’un pas à franchir pour considérer que les « Gaulois encore divinisaient les Lacs et les Marais ; ce culte était une suite de celui qu’ils rendaient aux arbres, et fondé comme l’autre sur la délicatesse qu’ils avaient de ne vouloir pas avilir la majesté des Dieux par la grossièreté des idées, que les statues et faites de main d’hommes, présentaient à l’esprit […] Ils en usaient à l’égard des Lacs, comme ils faisaient à l’égard des arbres : ils leur donnaient à tous le nom d’un dieux » (MARTIN 1727 VOL. 1 : 113). On retrouve les mêmes exemples invoqués par l’abbé de Fontenu dans son essai Sur le

culte des divinitez des eaux (DE FONTENU 1740 :27) qui prend la forme d’une longue énumération de textes anciens où toutes les conceptions religieuses et toutes les époques sont mêlées sans distinction.

J. Martin se réapproprie un raisonnement soutenu de longue date par G. Postel qui, dès le XVIe siècle, affirmait que la religion profonde des gaulois était celle d’un dieu unique, transcendant et abstrait (POSTEL 1552). On peut replacer cet auteur dans un mouvement de pensée plus large, qui se développe aux XVe et XVIe siècles et qui tente d’établir l’antiquité du peuple gaulois. Les gaulois sont pour ainsi dire transformés en véritables « ancêtres de l’humanité » sous la plume de G. Nanni dit G. Da Viterbo

(NANNI 1498-1515) ou de J. Lemaire de Belges (LEMAIRE DES BELGES 1512). Les visées de ces auteurs sont évidemment plus politiques qu’historiques. Sans pouvoir encore parler véritablement de nationalisme ils s’efforcent de démontrer la parenté des royaumes d’Occident, dans un souci d’unité, afin de faire face aux menaces venues d’Orient. Peu de temps après la parution de l’ouvrage de G. Postel, deux références majeures sont publiées : l’Epitome de l’Antiquité des Gaules et de France par G. de Bellay (DE BELLAY 1556)et le De Prisca Celtopoedia, dans lequel J. Picard (PICARD

1556) tente de démontrer qu’il existait une civilisation gauloise, antérieure aux civilisations grecques et romaines qui s’en seraient inspirées.

1740, S. PELLOUTIER : HISTOIRE DES CELTES ET PARTICULIEREMENT DES GAULOIS ET DES GERMAINS, DEPUIS LES TEMS FABULEUX JUSQU'A LA PRISE DE ROME PAR LES

GAULOIS

Peu de temps après la publication des travaux de J. Martin, la thématique gauloise est de nouveau traitée dans un second document majeur : Histoire des Celtes et

particulièrement des Gaulois et des Germains, depuis Les Tems fabuleux jusqu'à la Prise de Rome par les Gaulois (PELLOUTIER 1740). Une version rééditée et augmentée sera ensuite publiée en 1771 (PELLOUTIER,CHINIAC DE LA BASTIDE ET QUILLAU 1771). Dans cet ouvrage la critique des écrits de J. Martin se révèle sans ambages :

« qu’on lui donnât [au lecteur] une juste idée des Mœurs & des Coutumes de Ces peuples, de leur manière de vivre, & surtout de leur Religion, représentée d’une manière, qui n’est ni exacte, ni même fidèle, dans un ouvrage Anonyme qui a pour Titre : La Religion des Gaulois, à Paris, chez Saugrain fils, 1727 […] La Religion, représentée par ce savant Bénédiction, n’est pas certainement celle des anciens Gaulois, mais une Religion altérée & corrompue en différentes manières par des cultes étrangers.

Ces écarts de l’Auteur viennent principalement de ce que n’ayant pas commencé par poser les principes, il marche toujours en tâtonnant, sans savoir où il va ; élevant d’une main ce qu’il est bientôt obligé de renverser de l’autre. »

(PELLOUTIER,CHINIAC DE LA BASTIDE ET QUILLAU 1771 :LIVRE IXXXV ET

LIVRE IIXXXI-XXXII)

S. Pelloutier se réfère lui aussi à un « Dieu suprême [qui] présidait à tout, & était par conséquent le Dieu des Armées aussi bien que de toute le reste » (PELLOUTIER,CHINIAC DE LA BASTIDE ET QUILLAU 1771 :LIVRE III97). L’auteur ne se prive d’ailleurs pas de dresser des parallèles récurrents avec la religion chrétienne. Une religion gauloise des « origines » qui serait corrompue, puis remplacée par la religion superstitieuse des conquérants, le polythéisme romain :

« Les Gaulois avaient pensé jusqu’alors que le Seigneur du Ciel & de la Terre n’habite point en des temples bâtis par des hommes, mais peu après la conquête des Romains, ils se piquèrent de bâtir des Temples très- magnifiques. C’est ainsi que la superstition Romaine triompha de la Religion Gauloise »

(PELLOUTIER,CHINIAC DE LA BASTIDE ET QUILLAU 1771 :LIVRE III103)

Ce document est plus engagé, plus critique et surtout plus méthodique que celui de J. Martin alors même que l’auteur avoue dès la préface qu’il ne l’a « entrepris que comme un amusement » (PELLOUTIER, CHINIAC DE LA BASTIDE ET QUILLAU 1771 : LIVRE I

XXXIV).Toutefois, son écho sera beaucoup moins important dans les milieux qui nous intéressent et pénètrera essentiellement la sphère intellectuelle germanique.

2.1.1.2 La celtomanie et le discours révolutionnaire

La fin du XVIIIe siècle est marquée par un regain d’intérêt croissant pour le monde celtique : la « celtomanie ». La thématique celtique va s’exporter plus largement dans les milieux intellectuels, contrastant avec les domaines où elle était confinée jusqu’alors. Phénomène de mode, mais aussi mouvement littéraire et artistique, les gaulois sont partout et se parent de toutes les vertus. Ils deviennent les représentants du peuple et un emblème de liberté, face à un régime monarchique vacillant dont l’autorité est fondée sur des privilèges qu’on rattache aux ancêtres francs (PECHOUX

2011 : 9-23). La supercherie littéraire de J. Macpherson va jouer un rôle clef dans l’émergence de la ferveur pour le monde celte qui éclot dans les dernières décennies du XVIIIe siècle. Son épopée d’Ossian, barde-héro calédonien du IIIe siècle, paraît en 1763 (MACPHERSON 1763). On doit les premières traductions françaises au marquis de Saint-Simon en 1774 (SAINT-SIMON 1774), puis à P.-.P.-F. Le Tourneur en 1777 (LE

TOURNEUR 1777). Ossian atteint son apogée à la Révolution lorsqu’il devient une incarnation symbolique de la lutte politique. L’engouement populaire pour le monde celtique va se poursuivre au XIXe siècle, tant comme symbole politique d’une rupture avec les anciennes dynasties, qu’on se plait à légitimer grâce à cet ancrage historique dans le passé, que comme un sujet exotique qui inspire une rêverie dont le courant de pensée romantique va s’emparer.

Les idées de J. Martin ou S. Pelloutier se révèlent alors en parfaite adéquation avec le contexte de mépris religieux qui règne à cette époque. On se réapproprie cette hypothèse insistante des cultes naturistes : avant l’avènement de la Conquête romaine et l’avilissement de la sphère religieuse, les gaulois n’avaient ni temples ni effigies divines et vénéraient un être suprême. D’ailleurs, l’aspect religieux n’est qu’une facette du tableau idéalisé que représente le monde ossianique, un thème développé en particulier par P.-. P.-F. Le Tourneur. Dans ces conditions, on comprend qu’à l’articulation des XVIIIe et XIXe siècles, toute l’attention se porte sur la fabrication du monde celtique afin de répondre aux aspirations populaires, qu’elles soient d’ordre politique ou artistique. La religion gallo-romaine n’est alors que le pâle

reflet d’une religion gauloise fantasmée, puis passée sous le prisme d’une religion romaine imposée par les conquérants. Le fond naturiste persisterait et ce ne serait finalement que la forme qui changerait.