• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE III. LE TRAITEMENT PERCEPTIF DES SEGMENTS PLUS OU MOINS FORTEMENT

2. E XPERIENCE 4!: CATEGORISATION DES PHONEMES ASSIMILES

Un pré-test était nécessaire afin d’évaluer les degrés d’assimilation des mots stimuli utilisés dans les deux expériences principales. Nous avons voulu nous assurer que les stimuli couvraient un continuum de degrés d’assimilation. Dans le chapitre précédent, nous avons déjà montré que les mots non voisés sont plus fréquemment et complètement assimilés que les mots voisés. Afin de garantir que les décisions des participants n’étaient pas influencées par les contextes donnant lieu aux assimilations, seuls les mots critiques étaient présentés auditivement (i.e. sans contexte droit).

2.1. Matériel expérimental

Trente-six mots non voisés et 36 mots voisés, tous monosyllabiques, ont été sélectionnés avec des fréquences moyennes logarithmiques de 1,44 et de 1,12 respectivement. Les fréquences ont été transformées en valeurs logarithmiques afin de réduire l’étendue de distributions des fréquences (cf. Baayen, Tweedie, Schreuder, 2002). En outre, il a été démontré que les temps de réponse en décision lexicale sont corrélés au logarithme de leur fréquence (voir e.g., Rubenstein & Pollack, 1963). Il y avait douze mots par catégorie de plosives en position finale /p, t, k, b, d, g/. Les mots étaient toujours non ambigus dans la mesure où tout changement induit par assimilation a donné lieu à un non-mot en français (e.g., la forme assimilée de jupe [Zyb] ne représente pas un mot en français). Les 72 mots ont tous été contrôlés en termes de propriétés phonologiques et insérés dans des syntagmes nominaux de type Det-NOM-Adj dont la plausibilité sémantique a été jugée par trois locuteurs natifs du français. Les contextes donnaient lieu à des assimilations (une jupe [Zyb] grise) ou pas (une jupe [Zyp] serrée). Le contexte phonémique induisant une assimilation n’était jamais identique à la consonne assimilée afin de pouvoir éviter la création des consonnes géminées.

A part les mots stimuli, nous avons rajouté 72 mots contrôles non reliés aux cibles visuelles afin d’obtenir un temps de réaction à partir duquel nous avons calculé les effets d’amorçage.

Ces mots contrôles étaient également insérés dans des contextes (cf. Annexe 6 pour la liste complète du matériel expérimental).

Les 216 mots stimuli (72 mots insérés dans des contextes non assimilatoires, 72 mots identiques insérés dans des contextes assimilatoires et 72 mots dans des contextes neutres) ont été produits par un locuteur masculin de la région parisienne. Nous avons demandé à notre locuteur de prononcer les syntagmes de façon continue et fluide, sans laisser de silence entre

les mots au sein de chaque syntagme, (il pouvait toutefois laisser des pauses entre les séquences). Le locuteur était au courant des règles d’assimilation pour les obstruentes en français et nous lui avons demandé de produire délibérément des assimilations là où il y avait lieu d’en avoir. La production était directement enregistrée et digitalisée (20 kHz) sur ordinateur à l’aide du logiciel PRAAT (Boersma & Weenink, 2004). La fin du mot amorce était identifiée par l’analyse des spectrogrammes avec le même logiciel (voir section 2.4, chapitre 2, pour plus de détails sur les mesures acoustiques).

2.2. Sujets

Vingt étudiants de l’Institut de Psychologie de l’Université René Descartes (Paris 5) ont participé à cette expérience. Tous les sujets étaient de langue maternelle française et ils avaient tous une audition correcte et une vision correcte ou corrigée.

2.3. Procédure

L’expérience a été effectuée avec le logiciel PRAAT (Boersma & Weenink, 2004) sur un ordinateur PC. Les participants étaient assis devant l’écran dans une salle silencieuse. Les instructions étaient données par écrit et oralement. Tous les stimuli étaient ensuite présentés auditivement à l’aide d’écouteurs (Sennheiser). Pendant la phase d’entraînement, les participants devaient catégoriser la consonne en position finale d’items non-mots qui respectent les règles phonotactiques du français. Nous avons choisi de présenter des non-mots afin de décourager l’utilisation des connaissances lexicales. Les participants devaient répondre en cliquant à l’aide de la souris sur une des six cases présentées visuellement, qui représentaient chacune des plosives /b, d, g, p,t, k/. La phase test consistait en une catégorisation forcée à deux alternatives (two forced-alternative choice task) de la consonne finale du mot test. Par exemple, chaque sujet avait pour tâche de choisir entre /b/ et /p/ après avoir entendu le mot jupe extrait du contexte assimilatoire une jupe grise. De plus, les participants devaient fournir un jugement subjectif sur le choix phonémique effectué sous forme d’une note sur une échelle de confiance de 1 – à – 5. Ce jugement indiquait si la correspondance entre le son entendu et la réponse était de très bonne (5) à très médiocre (1).

L’expérience a duré environ 20 minutes.

2.4. Résultats et Discussion

Les résultats pour la tâche de catégorisation phonétique sont résumés dans le Tableau 3.2. Les taux de réponses (%) des participants correspondent à la forme de surface (i.e. la forme assimilée).

[-voisé] [+voisé]

/p/ /t/ /k/ /b/ /d/ /g/

% surface 66 (26.8) 95 (5) 95 (6) 70 (18.6) 62 (29.4) 46 (33.7) confiance 3.3 (0.5) 4.2 (0.4) 4.1 (0.4) 3.5 (0.5) 3.6 (0.5) 3.6 (0.4)

Tableau 3.2. Taux de réponses (%) et jugements subjectifs (sur une échelle de 1-5, écart types entre parenthèses) correspondant à la forme de surface pour la tâche de catégorisation phonétique.

Comme nous pouvons le constater à partir du Tableau 3.2, les mots contenant les consonnes non voisées présentées sous forme assimilée ont donné lieu à des réponses voisées dans 85 % des cas en moyenne. En revanche, les mots contenant des consonnes voisées présentées sous forme assimilée ont donné lieu à des réponses non voisées dans 59 % des cas en moyenne.

Ces résultats confirment que les auditeurs ont eu plus facilement accès à la forme sous-jacente des consonnes voisées qu’à celles des consonnes non voisées quand ces formes étaient extraites des contextes assimilatoires.

En résumé, quand les mots assimilés avaient pour consonne terminale une plosive non voisée, ces consonnes ont été très majoritairement perçues par les auditeurs comme étant des voisées.

En revanche, quand les assimilés avaient pour consonne finale une plosive voisée, ces consonnes ont été perçues tantôt comme des voisées, tantôt comme des non voisées. Ces résultats perceptifs sont compatibles avec les données acoustiques que nous avons présentées en chapitre 2. De nouveau, d’un point de vue perceptif (et acoustique), il y a une asymétrie au niveau des degrés d’assimilation entre les segments non voisés et voisés. Cette observation, qui confirme nos résultats antérieurs, nous permet d’opérationnaliser le degré d’assimilation par le voisement sous-jacent. De façon approximative, les plosives non voisées (/p, t, k/) correspondront aux segments fortement assimilés. Quant aux plosives voisées (/b, d, g/), elles correspondront aux segments partiellement assimilés.

3.

EXPERIENCE

5!:

AMORÇAGE SANS CONTEXTE DROIT