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CHAPITRE IV. REPRESENTATION LEXICALE DES SEGMENTS ASSIMILES ET ACTIVATION

2. E XPERIENCE 7!: AMORÇAGE DES FORMES CANONIQUES ET ASSIMILEES

2.1.1. Pré-test!: Technique d’association libre

Afin de sélectionner des cibles sémantiquement associées aux 24 mots amorces test, nous avons utilisé la technique d’association libre simple (Ferrand & Alario, 1998). Cette technique est le plus souvent employée pour recueillir sur une population nombreuse des normes de réponses associatives, c’est-à-dire pour chaque mot-stimulus présenté, un ensemble de mots-réponses distincts évoqué dont chacun est donné par un certain pourcentage de la population.

Cinquante-huit participants, tou(te)s étudiant(e)s en troisième année de Psychologie à l’Université René Descartes (Paris 5), ont pris part au pré-test. La totalité de 48 associants (24 mots test et 24 mots de remplissage) était présentée sur une feuille en quatre colonnes.

Suivant Ferrand et Alario (1998), la consigne invitait les participants : 1 / à écrire le premier mot qui leur venait à l’esprit en face de l’associant, 2 / à ne donner qu’une seule réponse, 3 / à suivre l’ordre des associants, 4 / à ne sauter aucun mot, 5 / à aller le plus vite possible, 6 / à écrire lisiblement, 7 / à rester concentré et silencieux. Dans cette technique, la liberté de choix du participant est illimitée, puisqu’il peut répondre par n’importe quel mot du vocabulaire de sa langue. De plus, l’association est dite simple dans le sens où le sujet ne doit donner qu’une seule réponse. La présentation des mots était visuelle ; la réponse écrite ; la passation de l’épreuve collective ; le temps de réponse libre. Au total, la passation du pré-test durait environ 10 minutes.

Généralement, nous avons observé que les réponses à un mot stimulus présente une gamme très étendue de « fréquence culturelle », allant des réponses banales données par un grand nombre de participants aux réponses totalement originales (données par un seul participant).

Nous constatons que la plupart des mots donnait lieu à une unanimité dans les choix des mots associés. En moyenne, les MAA donnaient lieu à une réponse lexicale unanime dans 41.3%

des cas alors que le pourcentage moyen concernant les MNA était de 36.6%, (voir annexe 10 pour les résultats de tous les mots expérimentaux).

2.2. Sujets

Trente-huit sujets (34 femmes et deux hommes, âge moyen = 24 ans), pour la plupart étudiant(e)s de troisième année à l’Institut de Psychologie de l’Université René Descartes, ont pris part à l’expérience correspondant à la condition de mode de réalisation « canonique ».

Trente-six étudiant(e)s en deuxième année en Psychologie (six hommes et 30 femmes, âge moyen = 21 ans), ont pris part à l’expérience correspondant à la condition de Mode de réalisation « assimilée ». Ils / elles avaient tou(te)s une audition correcte et une vision correcte ou corrigée.

2.3. Procédure

Les participants étaient testés individuellement dans une salle sombre et silencieuse. Avant le déroulement de l’expérience proprement dite, les participants devaient remplir un questionnaire qui portait sur leurs connaissances linguistiques. L’expérience consistait en trois blocs expérimentaux : un premier bloc d’entraînement pendant lequel 10 paires amorce-cible étaient présentées. Après le bloc d’entraînement, le participant pouvait encore poser des questions. L’expérience principale était composée de deux blocs de 74 items chacun, après un bloc expérimental le déroulement s’arrêtait automatiquement afin que les participants puissent prendre une pause de quelques minutes. L’expérience était conçue de telle sorte qu’avant et après l’arrêt au milieu il y avait deux mots de remplissage.

Les amorces auditives étaient présentées par écouteurs (Sennheiser). A la fin du mot amorce, le mot cible apparaissait sur l’écran d’ordinateur pendant 3000 ms ou jusqu'à ce que le sujet donne sa réponse. Chaque sujet avait pour tâche de dire si la suite de caractères en lettres majuscules figurant sur l’écran correspondait à des mots français ou non. Les participants ont répondu avec leur main dominante. Le mot cible était en Arial 14 points, de couleur noire sur un fond d’écran blanc afin de rapprocher la situation expérimentale à une situation de lecture réelle. L’expérience a été effectuée avec le logiciel DMDX (Forster & Forster, 2003) sur un ordinateur PC. Les temps de réaction étaient calculés à partir du moment de l’apparition de la cible visuelle. Les réponses ont été enregistrées sur une manette de jeu Logitech Wingman. La durée moyenne de l’expérience était de 15 à 20 minutes.

2.4. Résultats

Les données de deux participants de la condition « canonique » ont été écartées des analyses statistiques ultérieures. Des erreurs étaient survenues dans le fichier des données d’un participant, et un autre participant avait pour langue maternelle l’allemand (nombre de participants par liste expérimentale = 18). En revanche les données de tous les participants de la sous-expérience « assimilation » ont été retenues (nombre par liste expérimentale = 18).

En outre, les réponses erronées (3.19 % et 4.25 % pour les conditions « canonique » et

« assimilation » respectivement) ont été exclues des analyses, ainsi que les temps de réponse

en dessous de 300 ms et au-dessus de 1200 ms (1.72 % et 1.27 % pour les conditions

« canonique » et « assimilation » respectivement . Les temps de réponse moyens (ms) et les taux d’erreurs (%) sont présentés en fonction des facteurs et leurs modalités dans le Tableau 4.2. Etant donné les taux d’erreurs très faibles, nous n’avons effectué une analyse de variance que sur les temps de réponse avec pour facteurs principaux intra sujets Type de mot T2 à deux modalités (i.e., MAA vs. MNA) et Relation sémantique R2 entre l’amorce et la cible à deux modalités (sémantiquement relié vs. non relié), et pour facteur principal inter sujets Mode de réalisation M2 à deux modalités (« canonique » vs. « assimilation »). (Le facteur secondaire de contrebalancement Liste expérimentale dans les analyses par item ainsi que l’assignation à une liste (dans l’analyse par sujet) n’ont pas eu d’effet significatif (Fs < 1) et n’ont pas

Tableau 4.2. Expérience 7 : temps de réponse moyens (ms, écart types entre parenthèses) pour les cibles en fonction de l’ambiguïté lexicale (MAA vs. MNA) et relation sémantique (paire amorce-cible reliée vs. non reliée).

2.4.1. Analyse sur les temps de réponse24

Comme on peut le voir dans le Tableau 4.2, les temps de réponse au mot cible sont plus courts lorsque ce mot est précédé par des amorces associées que lorsqu’il est précédé par des amorces non reliées. Les différences numériques entre paires reliées et non reliées (condition canonique : 503 ms vs. 516 ms ; condition assimilation : 493 ms vs. 513 ms) montrent qu’il

24 Etant donné le taux d’erreurs très bas, nous ne rapportons pas ici les analyses de variance sur cette variable dépendante.

s’agit d’un effet assez faible, ce qui est généralement le cas dans la littérature (cf. Marlsen-Wilson & Zhou 1993 ; Moss, Tyler, Ostrin & Marslen-Marlsen-Wilson, 1995). L’effet de Relation sémantique est observé, quel que soit le mode de réalisation. Cet effet R2 est significatif par sujets F1(1, 70) = 8.9, p < .01 ; et par items F2(1,22) = 5.48, p < .0525. En revanche, ni le facteur Type de mots T2 (MAA vs MNA), ni le facteur Mode de réalisation M2 (canonique vs.

assimilation) ne se sont avérés significatif, ni par sujets, ni par items. Aucune interaction significative n’était observée entre les trois facteurs principaux .

2.5. Discussion

Les résultats de l’expérience d’amorçage sémantique ont révélé un effet classique de relation sémantique : les temps de réponse aux mots cibles étaient significativement plus courts lorsqu’ils étaient précédés par des mots amorces sémantiquement associés (bac – EXAMEN) que lorsqu’ils étaient précédés par des mots amorces non reliés (jupe – EXAMEN).

Contrairement à notre hypothèse de travail, cet effet d’amorçage sémantique, n’était pas modulé par la présence d’un mot compétiteur par assimilation. C’est-à-dire que l’effet d’amorçage était analogue pour les mots ambigus par assimilation (cf. bac avec pour compétiteur lexical bague par assimilation) et pour les mots non ambigus, i.e. des mots n’ayant pas de tel compétiteur généré par assimilation (e.g., jupe).

Nous nous attendions à une différence d’effet d’amorçage entre les mots ayant des compétiteurs lexicaux générés par assimilation et ceux qui n’en ont pas. Il était supposé que les mots dérivés après assimilation (soude dérivé de soute) allaient activer le réseau lexico-sémantique correspondant à la forme assimilée alors qu’une telle activation ne pourrait avoir lieu pour les formes assimilées des mots non ambigus, car cette forme (e.g., jube) ne correspond pas à un mot de la langue. Des études ont montré que la présence des compétiteurs lexicaux provoque une activation partielle de leur réseau lexico-sémantique, ce qui diminue, d’après certains auteurs, l’ampleur des effets d’amorçage pour les mots canoniques (cf.

Andruski et al., 1994 ; Misiurski et al., 2004). Or, nos résultats n’ont pas révélé une telle interaction, ce qui suggère que la forme assimilée soude [sud] dérivée du mot d’origine soute, active toutefois le réseau lexico-sémantique propre à ce mot source. Il semblerait donc

25 Nous avons effectué des t-tests au sein de chaque condition (« canonique » et « assimilation ») entre les modalités du facteur Relation R2 (paires reliées vs. non reliées). Pour ce qui est de la condition « canonique », l’effet de Relation n’était pas significatif (p = 0.29) alors que pour la condition « assimilation », l’effet ne faisait qu’effleurer le seuil de significativité (p = 0.09).

que la désignation « ambigu par assimilation » ne soit pas très appropriée dans la mesure où ces mots-là ne sont pas traités différemment des mots non ambigus en ce qui concerne l’activation du réseau lexico-sémantique de leur forme sous-jacente. On observe un effet d’amorçage facilitateur, quel que soit le type d’amorce (MAA ou MNA) et quelle que soit le type de mode de réalisation (canonique ou assimilée). Cependant, il est à noter que l’absence de différence entre les deux conditions canonique et assimilation devrait être interprétée avec prudence dans la mesure où deux groupes de sujets différents ont participé à ces deux conditions. Si ces résultats sont en désaccord avec certaines études rapportées dans la littérature, ils s’accordent toutefois avec l’hypothèse que nous avons d’ores et déjà proposée dans les chapitres précédents. En dépit de toute variation dans la forme de surface, il semblerait que les segments assimilés en français contiennent suffisamment de traces acoustiques permettant à l’auditeur d’avoir accès à sa forme sous-jacente.

Afin de valider l’interprétation d’après laquelle l’activation du mot source est due à la présence des indices acoustiques dans la forme assimilée, une expérience contrôle s’imposait.

Dans l’expérience contrôle, les formes de surfaces dérivées des mots assimilés sont produites et présentées sous leur réalisation canonique. A titre illustratif, le mot dérivé par assimilation du mot canonique soute est maintenant réalisé sous la forme canonique de soude [sud], c’est-à-dire sans aucune trace acoustique d’assimilation de (dé-)voisement. Ces mots amorces sont suivis par les mêmes cibles que celles de l’Expérience 7, (cf. soude est suivi par la cible BAGAGE, qui est sémantiquement reliée à soute). Si la forme assimilée de soute prononcée [sud] et la forme canonique soude sont traitées de façon similaire par les auditeurs du seul fait qu’ils sont proches phonologiquement, alors le mot soude réalisé de façon canonique devrait amorcer BAGAGE tout autant que la forme assimilée [sud]. Si, au contraire, nous n’observons pas d’effet d’amorçage pour la paire soude [sud] – BAGAGE, alors on pourra en conclure que la forme assimilée de soute [sud] et la forme canonique (soude [sud]) sont traitées différemment d’un point de vue perceptif. L’effet d’amorçage sémantique obtenu pour la paire soute [sud] – BAGAGE (cf. Expérience 7) ne pourrait être dû qu’à la présence des traces acoustiques, exploitées par l’auditeur lors de l’accès au lexique. Bien entendu, ce point ne considère que les amorces MAA, car la réalisation canonique correspondant à la forme de surface des mots MNA (e.g., jube [Zyb]) ne correspond pas à un mot de la langue française.

3. E

XPERIENCE

8!:

AMORÇAGE DES FORMES CANONIQUES DERIVEES