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L’objectif général de cette première recherche réside en l’appréhension des représentations sociales du médicament au sein de la population française, en s’intéressant en premier lieu aux pratiques médicamenteuses. La littérature fournit à ce titre de nombreuses pistes d’exploration. Au-delà de la fameuse « exception française », qualifiant un usage généralement excessif de ce produit au sein de la population française, le comportement médicamenteux varie d’une population à une autre, révélant ainsi une diversité de consommation, en fonction de plusieurs variables, telles que l’âge, le sexe, ou encore la classe sociale.

Médicament et âge

Le progrès considérable de l’industrie pharmaceutique et une meilleure hygiène de vie ont entrainé une augmentation de la l’espérance de vie. Mais à quel prix ? Le nombre moyen de médicaments pris par jour augmente linéairement avec l’âge. A 60 ans, il s’élève à trois, puis quatre à 65 ans (Joël, 2002), et à 80 ans, 90% des personnes consomment dix médicaments par jour25. Il y aurait une véritable « pression à la demande » (Ankri, 2002, p.68) exprimée par les personnes âgées en consultation, qui s’attendraient généralement à ce que le rendez-vous médical aboutisse nécessairement à la prescription, quand bien même celle-ci n’est pas toujours justifiée.

24 La recherche I a donné lieu à la publication d’un article : Cohen, G., & Moliner, P. (2015). Consumption of

medicine in France: a social groups approach. Revue Internationale sur le Médicament, Hors-série (1), 25-38.

25 Les personnes âgées prennent trop de médicaments. (s. d.). Consulté 18 avril 2015, à l’adresse

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Médicament et genre

Ce sont les femmes, indépendamment de l’âge, qui sont les plus demandeuses de médicaments, comparé aux hommes (Joel, 2002). Il est admis que les femmes sont responsables de leur environnement social face aux questions de santé. En s’interrogeant sur le pouvoir que cette activité de soin donne aux femmes. Cresson (2001) constate que les activités sanitaires donnent un pouvoir sur les proches et l’environnement, bien qu’il s’agisse d’un pouvoir relatif, puisque cette activité est moins valorisée que d’autres capitaux. Si cette dernière est mal évaluée, les femmes persistent à réaliser des taches associées à cette activité et montrent ainsi une certaine forme de résistance, de « contre-pouvoir ».

Enfin, selon Aïach et al. (2001), les femmes ont une espérance de vie plus élevée que les hommes, mais déclarent plus de troubles et de symptômes, alors qu’elles développent moins de comportements à risque et qu’elles ont une pénibilité moins forte au travail. Ce serait, selon les auteurs, la sublimation de leur corps qui les conduirait à consulter plus souvent tout au long de leur vie. Une autre explication à propos du sujet vieillissant serait d’ordre psychologique : la femme, éprouverait le besoin moral de consulter plus souvent durant son temps de veuvage, se déroulant dans un contexte pénible où la santé s’amoindrit, et par conséquent, la qualité de vie aussi.

Médicament et classes sociales

Enfin, en ce qui concerne la classe sociale comme facteur de discrimination de la consommation médicamenteuse, on doit à Boltanski une étude portant sur le corps, dans laquelle il met en exergue l’inégalité des « chances de vie » (1971, p.210) entre cadres supérieurs, cadres moyens et employés. Cette chance de vie est corrélée à la perception des symptômes, qui varie

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105 d’une classe sociale à une autre. Boltanski montre que les membres des catégories socio- professionnelles élevées n’ont aucun mal à décrire leur état morbide alors qu’en revanche les moins aisés ont beaucoup plus de mal à localiser leur symptômes, en effet, « les membres des classes populaires, malhabiles à livrer ce qu’on imaginerait être leur « expérience vécue » de la maladie se contentent, le plus souvent, de renvoyer à l’enquêteur ce qu’ils ont retenu du discours du médecin ou encore de décrire ce que leur médecin leur a fait » (1971, p.212). L’expression du mal-être au médecin se révèle dépendante de la classe dans laquelle évolue le sujet malade, et de fait, c’est tout le processus de soin qui est radicalement différent.

2. Pré-enquête

2.1 Population

Un total de 54 participants âgés de 21 à 44 ans (Mâge = 23.6, SD = 3.5) ont répondu à notre enquête. Notre population est composée de 20 hommes et 34 femmes, tous recrutés sur des forums de discussion26. Le choix de l’internet a été effectué dans le but d’avoir accès facilement et rapidement au tout venant, en milieu écologique (chez eux) et donc potentiellement plus enclins à répondre. En outre, la passation sur internet permettrait l’expression d’éléments non verbalisés face à l’expérimentateur (Schober & Conrad, 2008). Cette méthodologie sera donc employée lorsque les recherches ultérieures justifieront sa nécessité.

2.2 Procédure

Notre instrument de recueil de données a été conçu sur la plateforme de Google Surveys. Il s’agit d’une tâche d’association verbale qui consiste à demander aux sujets de produire entre 1

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106 et 16 mots, adjectifs ou expressions sur la base du mot inducteur médicament (cf. annexe 1, p.250-251). Le participant devait écrire dans l’ordre tous les éléments associés à l’idée de médicament. Il devait ensuite noter son âge, son sexe, son niveau d’étude, et cliquer sur « envoyer ».

2.3 Hypothèses

Connu comme une substance curative avant tout, nous considérons que le médicament, au cœur de multiples relations, est aussi un objet qui possède la caractéristique d’être polymorphe. En regard des inégalités de genre, d’âge ou encore de classe sociale face à la santé, nous supposons que le médicament, objet intermédiaire de la relation sociale entre le professionnel de santé et le consommateur, mais aussi objet de lien corporel entre la maladie et la guérison, doit refléter un certain nombre de ces relations au sein de différents groupes. Plus précisément, nous pensons que :

H1 : En raison de leur consommation importante de médicaments, les personnes âgées ont un noyau central de la représentation du médicament plus dense que les autres tranches d’âge. H2 : Idem pour les femmes, qui en raison de leur tendance à consulter plus souvent, et à prendre en charge les activités sanitaires, doivent posséder plus d’éléments centraux que les hommes. H3 : Enfin, la variable niveau d’étude doit également montrer des différences représentationnelles allant dans le sens d’une connaissance plus fine du médicament chez les hauts niveaux d’études en comparaison aux bas niveaux d’études.

2.4 Résultats

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107 Les 54 participants ont produit un total de 587 mots (Mmot = 10.87, SD = 4.08). Une fois les répétitions ôtées, on obtient un total de 194 mots uniques. La moyenne générale des rangs est de 6,64. La première analyse des associations est l’analyse de similitude. Pour cela, nous avons extrait les mots cités par au moins 20% de la population interrogée et avons réalisé graphiquement un arbre maximum de similitude à l’aide du logiciel Iramuteq. Cette technique, présentée lors des considérations théoriques (cf. Chapitre I, §4.1, p.32), nous permet d’avoir une vision globale des liens régissant les associations au médicament.

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108 La principale articulation de l’analyse de similitude est la liaison schématique entre le médecin, la maladie, et la pharmacie.

En ce qui concerne le médecin, les participants lui associent plus particulièrement les notions d’hôpital (.14), d’ordonnance (.13), de sécurité sociale (.09) et de guérison (.05). A propos de la maladie, les mots-liaison sont le soin (.14) et les antibiotiques (.11). Enfin, à propos de la pharmacie, ce sont les mots génériques (.10), traitement (.09), être malade (.08), cachet (.07) et Doliprane® (.05) qui lui sont reliés.

2.4.2 Analyse catégorielle

Au regard de la faible taille du corpus, et ne s’agissant uniquement d’une phase préliminaire, nous n’effectuerons pas d’analyse prototypique pour le prétest. Nous avons recensé toutefois les éléments verbaux afin de créer des catégories qui vont nous permettre la construction de notre questionnaire. L’exercice de l’analyse catégorielle est délicat car il nécessite le respect d’un certain nombre de règles (Bardin, 1977). Nous nous sommes inspirés des catégories créées par Kohler et al. (2009) dans leur étude sur le rôle des connaissances préalables à l’utilisation d’un médicament, dont le corpus se rapprochait de celui obtenu dans cette étude, que nous avons réadapté en fonction de nos données. Le tableau 6 présente, par fréquence d’évocation, les éléments recensés lors de la tâche d’association verbale.

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109 Tableau 6. Analyse catégorielle des mots évoqués par l'inducteur médicament.

Cadre médical (structure, corps médical, supports)

Pharmacie, médecin, hôpital, docteur, ordonnance, recherche scientifique, Sécurité sociale, laboratoire, médecine, carte vitale, mutuelle, pharmacien, industrie pharmaceutique, pharmaceutique, protocole, clinique, certificat, infirmier, urgences, chirurgie, officine, médical, patient, test, médecine chinoise, expériences, thérapie, brevet.

Symptômes et Maladies

Malade, mal / maux, douleur, virus, fièvre, mal à la tête, rhume, toux, allergie, grippe, maladie, symptômes, infection, staphylocoque, pathologie, microbe, migraine, gastro, inflammation, cancer, courbatures, infection, blessure, fatigue, infection, angine.

Conséquences négatives d’usage

Drogue, effets secondaires, dangereux, dépendance, exigences, être différent, suicide, addiction, inutile, toxique, entre la souffrance et le réconfort, isolement, oublier de les prendre, mort, sur-médication, trafic, usage excessif, abus, grave, test sur animaux, dopage, manque d'information, corruption, contrainte.

Aspects esthétique et gustatif

Cachet, boite, blanc, boites carrées, ronds, plaquette, poison, trop, forme galénique, formes, tablette, pas bon mauvais goût, pas bon, bizarre, gout bizarre, solution, désagréable, comprimé trop gros, amertume, dégueu, naturel, artificiel.

Mode de présentation

Pilule, avaler, sirop, homéopathie, gélule, aspirine, anti douleur, effervescent, poudre, vaccin, viral, sachet, piqure, produit, seringue, pansement, intraveineuse, pastille, comprimé.

Soin Soin, traitement, guérison, santé, guérir, prescription, remède, soigner, soulagement,

automédication, posologie, sevrer, rémission, voie d'administration, rétablissement, cure, se sentir mieux, consultation, observance, dépistage, aller mieux, sauver, survivre, survie, arrêt.

Principe actif / marque

Générique, antibiotiques, Doliprane®, molécule, placebo, vitamines, plante, DCI, analgésique, Prozac, Médiator, Aspégic, antidépresseur, Aspirine, Efferalgan®, Boiron, Sanofi, alicament, paracétamol, anti-inflammatoire, solution active.

Aspect financier Remboursement, argent, cout, payant, prix

Divers Chimie, chimique, « les antibiotiques c’est pas automatique », anticorps, eau, bactérie,

hiver, médoc, aliter, inconnu, science, on peut s'en passer le plus souvent, génie humain, globules blancs, sport, nécessaire, aide, non merci, choix, prévention, derniers recours, mieux vaut prévenir, ptérodactyle, verre.

Le diagramme circulaire permet d’avoir une idée du poids de chacune des catégories sur le discours de l’ensemble des participants. Ainsi, il apparait que le cadre médical est représenté dans plus d’un quart des discours (27%), suivi du soin (18%), représenté à part égale avec la maladie (17%). Vient seulement ensuite la catégorie plus spécifique des principes actifs et marques, citée dans 12% des discours, puis le mode de présentation (9%), l’esthétique et le goût (6%), les conséquences négatives d’usage (5%) et le pan économique avec l’aspect financier (1%). Compte tenu de la difficulté de certains éléments à s’insérer au sein de ces catégories, 5% des éléments ont dû être placés dans la catégorie divers.

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110 Graphique 1. Représentation graphique des catégories issues de la TAV

Ces données vont nous permettre à présent d’élaborer notre questionnaire. Nous prendrons les items les plus prépondérants de chacune des catégories (hormis la catégorie divers) en respectant la proportion des catégories.

3. Repérage des éléments centraux de la représentation sociale du médicament

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