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Dès la pré-enquête, nous avons recensé une quantité importante de mots, adjectifs ou expressions issus de l’univers syntaxique, pour ne pas dire représentationnel, du médicament. Les participants ont été stimulés par l’évocation de l’objet social, avec près de onze mots induits par personne en moyenne. On notera que la plupart des mots évoqués sont le reflet de ce que Garnier a nommé « la chaîne du médicament », et plus particulièrement de la triangulaire « conception – commercialisation – consommation ». L’analyse de similitude a montré que les associations s’articulent autour du médecin, lui-même associé à l’idée de guérison, qui diagnostique la pathologie. La prescription présumée entraine le déplacement en pharmacie. Les évocations représentent le schème qui s’articule autour de la prise de médicament : à la suite d’un symptôme, il y a consultation chez le médecin, suivie de la prescription, puis après l’achat des médicaments à la pharmacie, le soulagement de la guérison fait suite à la prise de médicaments. L’analyse catégorielle nous a permis de confirmer l’idée selon laquelle la relation au médicament est

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118 médiatisée par un ensemble d’acteurs, puisque le quart des associations est relatif au corps médical, lien essentiel entre la pathologie et la guérison. Mais l’analyse du noyau central de la représentation sociale du médicament d’un groupe social à un autre permet de distinguer différents types de consommateurs.

En ce qui concerne la variable âge, nous avons pu montrer que le caractère inconditionnel de certains éléments se renforçait avec l’âge. En d’autres termes, plus les tranches d’âge sont élevées, plus le nombre d’éléments centraux augmentent, avec un record de seize éléments pour la tranche d’âge la plus haute. Ce constat fait écho aux données selon lesquelles l’avancée en âge entraine une augmentation de la consommation de médicament. On observe effectivement une étroite liaison entre l’âge, la consommation de médicament, et le nombre d’éléments centraux. Ceci corrobore une fois de plus le lien qui subsiste entre les représentations sociales et les pratiques, suggéré par Abric (1994c).

D’un point de vue plus qualitatif, ce sont les éléments caractéristiques de la dimension « légitimité de l’usage du médicament » qui sont privilégiés par les tranches d’âge les plus élevées. Les tranches d’âge les moins élevées se centrent principalement sur les aspects scientifiques et curatifs du médicament alors que les plus élevées marquent également l’aspect esthétique, les conséquences négatives d’usage et la nécessité du corps médical autour de la prescription et du lieu de vente. Tout se passe pour les tranches d’âge les plus hautes comme si le médicament devait nécessairement passer par le circuit institutionnel : la prescription du médecin ; l’achat en pharmacie, pour être consommé. Ce qui ne préoccupe guère les cadets, plus intéressés par l’effet immédiat ; caractérisé par le soulagement que peut apporter le médicament. Nous pouvons donc d’ores et déjà interpréter ce phénomène de différentes manières. Premièrement, les médicaments à destination des séniors ne sont généralement pas délivrés sans

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119 ordonnance. Il y a donc nécessité de recourir à la prescription, administrée par le médecin. Deuxièmement, on peut supposer que les plus âgés sont potentiellement les moins enclins à l’automédication à tout prix. Toutefois, ces deux interprétations ne suffisent pas à expliquer le caractère inconditionnel de la pharmacie comme lieu de vente, caractéristique de cette dernière tranche d’âge. On observe un paradoxe curieux : la pharmacie est au cœur des associations verbales liés à l’inducteur médicament, cependant elle ne revêt pas un caractère indispensable à sa représentation sociale. On peut donc inférer que pour les autres tranches d’âge, il s’agit du lieu incontournable pour acheter son traitement, mais qu’il n’est pas indispensable. Partant de cette interprétation, nous postulons que les usagers du médicament les plus réticents à la commercialisation du médicament en grandes surfaces sont probablement les séniors, qui intègrent la pharmacie dans le noyau central de la représentation sociale du médicament. Malheureusement, force est de constater qu’en dépit de sa place majeure dans le débat, la question ne mobilise pour l’instant que les politiques, les industriels et les professionnels de santé, et non le consommateur de médicament lui-même.

Nous avions ensuite formulé l’hypothèse selon laquelle, en raison de leur relation très particulière à la santé, les femmes doivent également être plus attentives à la question du médicament, et par conséquent une représentation plus dense de cet objet que les hommes. Il apparait que seulement deux éléments font partie de leur noyau central parmi tous les vingt éléments proposés. En revanche, l’analyse de classification hiérarchique permet de voir une différence en ce qui concerne les connaissances liées au médicament, et plus particulièrement le processus de fabrication et de commercialisation de ce dernier. Les éléments de cette dimension n’ayant pas été intégré au noyau, nous supposons qu’ils sont présents dans la représentation sociale et de manière importante, cependant ils ne possèdent pas un caractère non négociable :

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120 ces éléments décrivent le médicament ; ils appartiendraient au pôle descriptif des éléments périphériques de la représentation sociale du médicament chez les femmes. Il est difficile d’estimer en revanche les éléments considérés comme importants par les hommes, puisque les éléments soumis au TIC est inadéquat avec leur représentation présumée.

Enfin, le critère niveau d’étude n’a pas permis d’observer le schéma attendu par l’hypothèse formulée. La densité des noyaux centraux n’est pas corrélée à l’importance du diplôme. C’est exactement l’inverse de notre hypothèse qui a été constaté. Si l’on s’intéresse au contenu de ce noyau, on constate que chez les participants possédant le plus haut niveau d’étude, le noyau ne contient qu’un élément, relatif au besoin de réponse de la plainte sommative, la nécessité de soulager, tandis que les groupes possédant un niveau d’étude moins élevé ont des noyaux centraux plus fournis, et dont les éléments sont plus évocateurs des connaissances, pour ne citer que les participants sans diplôme, qui reconnaissent aussi dans le soulagement une caractéristique non négociable de la représentation sociale du médicament, mais aussi d’autres données comme le fait que ce dernier soit le produit de la recherche médicale et pharmaceutique, qu’il contienne un principe actif ou encore qu’il soit vendu en pharmacie. Nous supposions que le niveau d’étude distingue les titulaires d’un diplôme supérieur, éprouvant la nécessité des certains attributs (le principe actif ou la recherche), et les non titulaires de diplôme ou d’un diplôme moins élevé, qui, de par manque d’informations liées au médicament ne verraient en cet objet qu’une substance curative telle que définie par le savoir commun, mais les résultats infirment notre hypothèse : ce sont les plus bas niveaux d’études qui ont des éléments centraux relatifs aux connaissances de l’objet tandis que les plus hauts niveaux possèdent des éléments liés au besoin d’efficacité du médicament. Ce phénomène pourrait être lié au degré d’information nécessaire à la compréhension des données médicales, corroborant alors les conclusions de Boltanski (1971)

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121 sur l’asymétrie de la relation patient-médecin médiatisée par le type de classe à laquelle appartient le patient. Plus elle est élevée, plus la relation est qualifiée de distante, plus elle est basse, plus la relation est étroite. Si les hauts niveaux préfèrent laisser les contraintes informationnelles aux experts médicaux, les moins hauts niveaux perçoivent la nécessité de se renseigner par d’autres moyens comme les média par exemple, qui regorgent de reportages sur la question. En d’autres termes, si les plus hauts niveaux voient dans le médicament une substance curative, telle que définie par les organismes de santé, les plus bas niveaux sont ceux qui développent le plus de relations matérielles et symboliques avec l’objet social.

Le caractère polymorphe du médicament est confirmé à travers cette première étude. Il n’y a pas une, mais presque autant de représentations sociales du médicament que de groupes sociaux. Les variables âge, genre et niveau d’étude ont permis de différencier différents types de consommateurs, confirmant l’idée selon laquelle la prise de médicament n’est pas une variable intraindividuelle mais possède une dimension sociale, régie par les représentations sociales du groupe. Les résultats encouragent l’exploration de ces univers représentationnels pour la suite de nos recherches. Mais nous devons noter la grande absente de cette étude préliminaire : la notice de médicament, qui n’a pas été associée une seule fois à l’inducteur, alors que cette dernière est supposée tenir le rôle de support lors de la prise médicamenteuse. Nous espérons la voir apparaître plus tard lors de la tâche d’association iconographique.

Des éléments possédant plusieurs niveaux d’abstraction ont été soumis au TIC. Pour savoir si ces éléments sont reproductibles sous des formes objectivables, un questionnaire de concrétude doit être effectué.

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Recherche II. Normes de concrétude, valeur d’imagerie,

fréquence subjective et valence émotionnelle pour une liste

de mots prototypiques du médicament.

1. Vue d’ensemble

Le phénomène d’imagerie mentale a été particulièrement étudié en psychologie développementale (Piaget & Inhelder, 1966) et en psychologie cognitive (Paivio, 1969). Une des problématiques relatives à l’étude de ce processus cognitif, qui nous intéresse particulièrement dans le cadre de ce travail de recherche, est de comprendre le lien entre le langage et la formation des images mentales. C’est le niveau de concrétude, à savoir la qualité perceptive des mots évoqués, qui va permettre ou non l’expression de ces images. Plus il est élevé, plus la formation des images est rapide et fournie. Divers outils ont été élaborés pour permettre de créer une norme de concrétude. Nous retiendrons celui de Bonin et al. (2003), qui permet de plus l’inclusion de la valeur d’imagerie, la fréquence subjective et la valence émotionnelle (cf. Chapitre III, §2.2, p.76- 77).

Si quelques chercheurs en psychologie sociale encouragent l’iconographie pour comme méthode d’étude des représentations sociales (Moliner, 1996 ; De Rosa & Farr, 2001 ; Moliner & Guimelli, 2015 ; Moliner, 2016), la production iconographique se heurte à une difficulté dont il est difficile de faire fi : si la production modale résiste aux effets de concrétude, l’image mentale est en revanche fortement dépendante de cette dernière. Comme nous l’avons vu avec Shepard et Chipman (1970), certaines images sont très difficiles à former. Il est par exemple très facile de former l’image mentale d’une cigarette, en revanche il est plus difficile de se faire une image de la nicotine contenue dans cette dernière. L’objectif de cette présente étude est de vérifier la

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123 viabilité de notre matériel méthodologique, à savoir les vingt éléments issus de l’analyse prototypique créée sur la base du corpus issu de la tâche d’association verbale sur la base de l’inducteur médicament. Dans l’hypothèse où un certains de ces items apparaissent facilement reproductibles sous la forme d’images pour les participants de l’étude à suivre, alors nous pourrons envisager une tâche d’association iconographique, qui nous permettra de constater si l’on retrouve les éléments évoqués en tâche d’association verbale.

2. Population

118 étudiants inscrits en Licence 1 de Psychologie de l’Université Paul Valéry à Montpellier ont accepté de participer à cette étude. Notre échantillon est composé de 194 filles, et 24 garçons, âgés en moyenne de 19 ½ ans. Ils n’ont bénéficié d’aucune gratification pour leur participation à l’étude.

3. Procédure

Le protocole expérimental de cette étude est largement inspiré de la recherche de Bonin et al. (2003). Nous avons repris les vingt mots précédemment soumis au TIC (cf. annexe 3, p.256- 270), pour rappel : recherche, soulagement, principe actif, symptôme, fonction définie, pharmacie, boite, danger, contrainte, abus, soin, guérison, marque, cout, gout, nombre, prescription, maladie, sécurité sociale et hôpital. Nous avons aussi soumis au participant le mot médicament pour nous permettre de prédire par avance la valeur d’imagerie qui lui était associé pour la tâche d’association iconographique. Chacun des mots était présenté individuellement, cependant l’évaluation était commune, puisque pour chacun des termes, il était demandé d’apprécier :

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124 - le degré de concrétude, c’est-à-dire la possibilité de toucher, sentir, voir, entendre ou

goûter l’élément (1 « très peu concret » à 5 « très concret »).

- la valeur d’imagerie, à savoir la possibilité de produire des images mentales à partir du mot évoqué (1 « évoque une image mentale avec difficulté, lentement ou aucune » à 5 « évoque une image mentale très facilement, très rapidement, et spontanément »).

- la fréquence subjective, ou en d’autres termes l’usage du mot présenté dans la vie de tous les jours, sous forme écrite ou verbale (1 « nom inconnu dans la langue parlée ou écrite » à 5 « nom utilisé très fréquemment dans la langue parlée ou écrite »).

- la valence émotionnelle, qui signifie la sensation que le mot procure au participant (1 « très désagréable » à 5 « très agréable »).

Les étudiants ayant accepté de participer à cette étude se sont vu distribuer le questionnaire relatif à l’évaluation des différents termes en salle d’expérimentation. La passation durait en moyenne dix minutes. Les participants étaient ensuite remerciés.

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