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Une image vaut mille mots : politique et marketing

Chapitre III. Représentations sociales et images

3. Les images symboliques

3.1 Une image vaut mille mots : politique et marketing

Il a été exposé supra que les images visuelles qui nous entourent nous stimulent et font l’objet d’interprétations. C’est précisément ce point qui va nous permettre de justifier l’étude des images symboliques, car ce sont ces dernières qui sont le plus investies d’interprétations. Selon les propos de Peraya, « L’intuition de la force et de la prégnance de la vision, et donc de l’image, exprime le sentiment naïf ou naturel selon lequel les spectacles visuels sont, du point de vue de leur perception, bien plus efficaces que le langage verbal » (1995, p.122). Pour illustrer la force symbolique des images, nous allons prendre appui sur un événement politique majeur. Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu Président de la République. Onze jours plus tard, il veut marquer les esprits lors de son investiture. Un document INA nous permet de revivre la journée et de détailler les faits qui vont suivre20. Après quelques formalités dues à ses nouvelles fonctions,

20 Investiture François Mitterrand : l’après-midi. Consulté 2 avril 2015, à l’adresse

Chapitre III – Représentations sociales et images

79 on le voit dans un cortège très important entouré d’une foule immense, accompagné de personnalités politiques. La voix-off nous fait savoir que « François Mitterrand ressort de l’Hôtel de Ville, et remonte le boulevard Saint Michel ». A ce moment précis, on le voit se détacher des autres acteurs qui ont comme cessé d’avancer. Il marche seul. Le temps est suspendu. La commentatrice ajoute avec une voix grave « c’est à pieds qu’il va gravir la rue Soufflot qui le conduit au Panthéon. C’est le premier bain de foule du Président de la République. Regardez ». L’injonction laisse place au silence. L’ambiance devient sérieuse. Une caméra filme depuis l’intérieur du Panthéon, on voit le président y pénétrer. Elle poursuit après un long silence : « seul, deux roses à la main, il pénètre maintenant à l’intérieur du Panthéon. Il va se recueillir sur les tombeaux de Jean Moulin, Jean Jaurès et enfin Victor Schoelcher». Un long silence s’ensuit. On le voit cette fois-ci s’enfoncer dans la crypte et s’avancer vers le tombeau de Jean Moulin, alors qu’en fond une musique semble s’amplifier : la 9ème symphonie de Beethoven. Il a toujours la rose à la main. Il se tient droit, la caméra se focalise de plus en plus sur son visage. Il dépose ensuite la rose. Il déposera ensuite une seconde rose sur le tombeau de Jean Jaurès. Plus tard, après sa sortie du Panthéon, l’orchestre joue encore la 9ème symphonie, et terminera par la Marseillaise. La chanteuse Barbara, que l’on dit subjuguée par ce spectacle, composera quelques jours plus tard L’homme à la rose, dans laquelle elle y décrit la beauté du spectacle : « Et l’homme, une rose à la main, étoile à son destin, continue son chemin. (…) Regarde, au ciel de notre histoire, une rose, à nos mémoires, dessine le mot espoir… »

Mitterrand est entré dans l’histoire ce jour-là. Cette anecdote fera peut-être revivre à certains des émotions fortes ayant été ressenties ce jour-là. Pourtant, la scène semble théâtrale, orchestrée par Jack Lang et Christian Dupavillon, sous l’œil de Serge Moati. Intéressons-nous aux symboles mobilisés. Tout d’abord il y a la figure de l’homme seul. Lorsque Mitterrand se détache de la foule, il représente l’Homme providentiel face à l’Histoire. Il n’est pas rare en effet

Chapitre III – Représentations sociales et images

80 que le Président de la République ou autre personnalité incarne cette figure mythique, qui renvoie à son charisme, trait qui est propre aux qualités attendues d’un homme de son envergure pour guider le peuple (Weber, 1919 ; Brissaud-Le Poizat & Moliner, 2004). En se détachant de la masse d’individus qui l’entourent, il affirme ainsi sa domination et son paternalisme.

Ensuite il y a la rose. Depuis 1969, elle est sur le logo du Parti Socialiste. De couleur vive, cette rose rouge est l’allégorie de l’espoir. En la transmettant à ses prédécesseurs ; Jean Moulin figure de la résistance, Jean Jaurès pour le socialisme et Victor Schoelcher pour l’abolition de l’esclavage, Mitterrand établit un lien direct avec ces figures héroïques et s’inscrit d’ores et déjà dans la lignée de ces héros de l’histoire.

Enfin, ce sont tant de détails dans le reportage, comme les plans de caméras, la musique, et la gravité de la situation, qui font de cette investiture un moment qui est annoncé comme un tournant majeur de l’Histoire. La rose restera le symbole du socialisme. Même si le poing a laissé place à la mention « PS », la rose n’a jamais quitté le logo. On se souviendra plus récemment de ces roses rouges tendues vers le ciel sur la place de la Bastille après l’élection de François Hollande le 6 mai 2012.

McLuhan avance l’idée selon laquelle le médium est le message. Pour l’auteur, les média se définissent comme « toute technique, quelle qu’elle soit, susceptible de créer des prolongements du corps humain ou des sens, depuis le vêtement jusqu’à l’ordinateur » (1964, p.35). Dès lors, tout objet est potentiellement porteur d’un message. La rose pour le parti socialiste, le marteau et la faucille pour le communisme. C’est un principe bien connu des hommes politiques mais également des entreprises, qui n’hésitent pas à faire appel à des graphistes pour renforcer leur image de marque, en personnalisant la typographie, les couleurs et les images relatives à leurs logotypes et à leurs publicités.

Chapitre III – Représentations sociales et images

81 Un exemple dans le domaine du marketing est la campagne menée par Benetton. Considérée comme l’un des plus beaux symboles des années 80, elle est régie sous le slogan « United Colors » (les Couleurs Unies) et met en scène des personnes issues de différentes ethnies, cultures, et de différentes tranches d’âge qui s’enlacent. La marque joue sur le rapport entre la multiplicité des couleurs offertes par la marque, mais aussi la mixité sociale. Au-delà du racisme, la marque évoquera d’autres sujets sensibles sous le thème « unHate » ; la religion, le sida, la peine de mort… Ces thèmes ont pour dénominateur commun d’être présentés à travers une photo choc unissant plusieurs symboles. Chacun d’entre nous se souviendra du photomontage paru en 2011 représentant le Pape Benedicte XVI et l’Imam Sheik el-Tayeb s’échangeant un baiser. Bien que la photo ait été censurée, la marque a bénéficié d’une publicité considérable puisque les média internationaux ont relayé l’information.

La figure symbolique est porteuse de sens et l’interprétation de l’image devient le produit d’un trajet anthropologique (Durand, 1960) utilisé par les publicitaires. Pour Vidal, « la publicité est depuis la fin de la réclame entrée dans l’ère du symbolique » (2009, p.34). La symbolique, ce rapport entre le réel et l’imaginaire a fait l’objet de plusieurs définitions. Il est décrit comme le rapport signifiant / signifié pour De Saussure (1916), ou encore cliché / archétype pour McLuhan et Watson (1970).

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