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Prototypes et représentations sociales

Chapitre II. Représentations sociales et prototypes

3. Prototypes et représentations sociales

Les notions de représentations sociales, approche structurale, catégorisation et prototype étant définies, nous allons à présent pouvoir apprécier les points communs mais également les disparités qui subsistent entre les différents concepts. A notre connaissance, une seule étude s’est intéressée directement à cette problématique sans toutefois l’aborder d’un point de vue méthodologique (Semin, 1989). Pourtant, les liens entre les deux concepts sont très étroits. Ce sont deux approches majeures lorsqu’il s’agit de s’intéresser aux processus psychologiques et sociaux mobilisés par les individus en situations individuelle ou collective. Ces deux concepts présentent la caractéristique d’être appliqués à plusieurs phénomènes, ce qui a permis d’affirmer leur caractère pluridisciplinaire. Il suffit en effet de consulter la littérature sur la catégorisation et les représentations sociales pour constater que ces deux concepts ne sont pas seulement utilisés en psychologie, mais également en linguistique, en histoire, en anthropologie ou encore en sociologie. Les représentations sociales, comme le concept de catégorisation, ont fait l’objet de plusieurs décennies de recherches qui ont abouti à l’élaboration d’outils théoriques aux perspectives d’applications multiples. Par ailleurs, il a été mis en exergue une méthodologie fondée sur une approche structurale ; noyau central pour l’un, prototypie pour l’autre. Nous proposons un tableau comparatif. Dans les lignes qui vont suivre, nous procèderons à l’analyse des représentations sociales et de l’approche prototypique telle que proposée par Rosch. Il aurait été intéressant de s’intéresser à la catégorisation pour nous permettre d’avoir une vision plus

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58 large, cependant l’approche prototypique est probablement celle qui apporte le plus de réponses lorsqu’il s’agit de mettre en exergue la structure des catégories.

Tableau 5. Représentations sociales et prototypes Représentations sociales Approche psychosociologique Prototype Approche cognitive Po in ts co m m un s

· Les éléments du noyau central et ceux des prototypes sont partagés par une communauté d’individus

· Cognitions activées lorsqu’un stimulus environnemental renvoie à l’univers du sujet · Fonction de simplification de l’environnement

· Maintien des connaissances et meilleure mémorisation · Interprétation subjective du réel

· Guide pour l’action

· Contribuent à la maitrise de l’environnement

· Accentuent les phénomènes d’assimilation et de contraste

· Phénomènes d’objectivation qui conduisent à la formation d’images mentales · Les éléments peuvent être polysémiques (images, mots)

· Les éléments font l’objet d’une hiérarchisation verticale et horizontale

Dif

fér

en

ce

s

· Etude des processus socialement élaborés par des groupes strictement définis par des intérêts communs

· L’objet doit remplir plusieurs conditions pour faire l’objet de représentation

· Légitiment les conduites sociales

· Hiérarchie verticale à deux niveaux : le noyau central et le système périphérique · Le noyau central contient des éléments

abstraits et concrets, le système périphérique des éléments concrets

· La centralité fut d’abord attribuée aléatoirement, puis soumise à l’indice Dmax

· Etude des processus cognitifs internes puis généralisés à des populations indifférenciées

· Tous les objets naturels sont potentiellement catégorisables

· Pas d’effet sur la légitimation des conduites

· Hiérarchie verticale à trois niveaux : catégorie superordonnée, niveau de base et catégorie subordonnée

· La catégorie superordonnée contient des éléments abstraits, le niveau de base des éléments concrets, et le niveau subordonné des éléments très concrets · La prototypie est établie à 75% de

consensualité

Plusieurs points convergents sont à relever. La prototypicalité comme les représentations sociales sont des processus cognitifs socialement construits et relativement normatifs, mobilisés

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59 par les individus dans une perspective de maitrise de l’environnement. Cela sous-tend plusieurs fonctions : une simplification par évocation d’exemplaires, une meilleure consolidation des objets et événements, et un guide pour l’action. Même si cela n’a pas été étudié, nous suggérons ici que les prototypes voient également leur genèse se faire dans les interactions sociales. Vygotsky précise à ce titre que :

« Toutes les fonctions mentales les plus élevées sont des relations sociales intériorisées (…) leur composition, leur structure génétique, et leurs moyens d’action (…). Même quand nous examinons les processus mentaux, leur nature demeure quasi-sociale. Dans leur propre sphère privée, les êtres humains conservent les fonctions d’interaction sociale » (1981, p.164).

Mais il apparait probablement aussi que le prototype ait une utilité dans les stratégies communicationnelles, à l’instar des représentations sociales. Car en effet, si les prototypes engendrent des phénomènes de consensualité, alors gageons qu’il suffise d’évoquer une catégorie pour avoir des objets prototypes similaires à l’esprit en l’absence de toute précision, et inversement l’évocation d’un prototype devrait renvoyer aux mêmes catégories. On retrouve donc au sein des deux concepts un principe « d’économie cognitive » tel que décrit par Rosch (1978). Malgré tout, il peut y avoir quelques malentendus, causés par les divergences des éléments centraux ou prototypiques, mais également dus à la polysémie des propos ou images employés. Les deux concepts provoquent des effets d’assimilation (intra-catégoriels ou intra- représentationnels) et de contraste (inter-catégoriels ou inter-représentationnels).

Nous l’avons précisé, les deux concepts sont méthodologiquement intéressants puisque les chercheurs ont dégagé une structure non commune mais analogue ; il est possible de mesurer les

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60 liens entre les catégories ; on parlera de hiérarchie horizontale, mais également les rapports d’importance, on parlera alors de hiérarchie verticale.

Des différences importantes sont également à relever. Si les deux processus ont des utilités communes, c’est par leur mode de fonctionnement qu’ils divergent. Pour fournir une explication première, l’un appartient au champ de la psychologie sociale, l’autre à la psychologie cognitive, ce qui engendre des différences méthodologiques ; le premier s’interrogeant sur les phénomènes de groupes, le second sur les cognitions individuelles, éventuellement consensuelles. Les représentations sociales sont partagées par des groupes sociaux qui doivent répondre à des critères strictement définis (Moliner, 1993a) alors que les prototypes sont potentiellement partagés par une communauté large, la seule restriction étant la variable culturelle. Lorsque l’on s’intéresse à l’objet représentationnel ou prototypique, on se rend compte que là aussi l’objet est régulé dans un cas et non dans l’autre. Si l’on reprend l’objet fruit, il est peu probable qu’il fasse l’objet de représentations sociales, contrairement à l’alimentation qui elle peut faire l’objet d’enjeux importants d’un groupe à l’autre (les sportifs, les étudiants…) en revanche, le fruit est prototypique et immédiatement il est possible de mobiliser tout un panel d’exemplaires. Si les deux processus guident l’action, le premier seulement la légitime. Il existe bien des hiérarchisations et des niveaux de concrétude au sein des deux concepts, cependant le premier se distingue par un double système et le second par un triple système, enfin les degrés concrétude se situent en des lieux différents.

La question que nous nous posons à ce stade de nos considérations théoriques est la suivante : est-il possible de mettre en lien les apports considérables dont ont fait l’objet l’approche structurale des représentations sociales et l’approche prototypique de la catégorisation ? Au-delà des différences considérables qui subsistent entre les deux concepts, ils

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61 présentent tous deux de nombreuses convergences qui ont été soulignées supra. Dans les recherches portant sur l’identité sociale, une passerelle proposant de transférer les propositions de Rosch (1978) concernant la dimension verticale des catégories à la psychologie sociale a déjà été établie par Turner, Hogg, Oakes, Reicher et Wheterell (1987) avec la théorie de l’auto- catégorisation13. Après un examen attentif de ces deux concepts, il parait envisageable d’emprunter les bases méthodologiques du concept de prototypicalité avec le cadre théorique des représentations sociales. Attention toutefois, quelques précautions sont à envisager :

L’objet. Bien que le panel d’objets étudiés sous l’angle des représentations sociales soit très conséquent, « il existe des objets sans représentations » (Moliner, 1996, p.35). Il est possible en effet d’étudier des pratiques sociales, des objets physiques, des concepts, mais les représentations sociales posent comme condition principale à la formation d’une représentation d’un objet son caractère polymorphe, autrement dit, pluri-facettes. Cela n’est pas corrélé à la polysémie terminologique, mais plutôt aux différentes propriétés que possède l’objet. Et plus il en a, plus le tri sélectif va permettre de rendre compte de l’appropriation de l’objet social au sein du groupe. Par exemple, s’il est possible que des groupes aient des représentations différentes de l’alimentation (Lahlou, 1995), il est difficile d’imaginer des représentations différentes à propos du fruit.

Le groupe. Les représentations sont « collectivement produites et engendrées » (Moscovici, 1961). Toutefois, il faut identifier un ensemble de personnes en situation d’interaction relativement commune et consensuelle avec un objet donné. En d’autres termes, si nous

13Turner et al. (1987) inscrivent leur recherche dans les théories de l’identité sociale. Selon ces derniers, le processus

de catégorisation du soi s’inscrit dans les trois niveaux tels que proposés par Rosch (1978). Le niveau supra-ordonné est l’inscription abstraite au sein de la catégorie être-humain. L’individu réalise alors des comparaisons entre les autres être-humains et éventuellement d’autres espèces. Dans le niveau de base, également appelé intermédiaire, l’individu s’inscrit en tant que membre d’un groupe. La comparaison qui en découle est alors qualifiée d’intergroupale. Dans le niveau subordonné, l’individu s’inscrit en tant que personne à part entière, les comparaisons sont donc individuelles, entre lui et autrui. Turner et al. considèrent que le niveau de base renforce l’identité sociale, tandis que le niveau subordonné renforce l’identité personnelle.

Chapitre II - Représentations sociales et prototypes

62 souhaitons appliquer l’approche prototypique aux représentations sociales, il faudra se limiter à un groupe particulier de personnes et non indifférencié comme cela est souvent le cas dans les tâches de catégorisation en psychologie cognitive.

En privilégiant un objet social susceptible de représentations, et un groupe social préalablement défini, il doit être possible d’appliquer le concept de catégorisation prototypicaliste sur une représentation sociale donnée. Ce postulat fera l’objet d’une vérification ultérieure.

Synthèse du chapitre II

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Synthèse du chapitre

II

- Le concept de catégorie est tout

d’abord une conception

philosophique d’Aristote qui

s’intéresse à la façon dont les individus tendent à ordonner leur environnement social.

- La catégorisation est régie par des

conditions nécessaires et suffisantes

permettant d’offrir un cadre

d’insertion sélectif à ses éléments mais également des bordures imperméables.

- La taxinomie scientifique a permis

de rendre compte de différents niveaux de catégorisation.

- L’approche prototypique proposée

par Rosch (1975) assouplit le modèle précédent en offrant une perméabilité plus grande aux

catégories. Elle apporte une

dimension hiérarchique aux

éléments des catégories mais met en évidence la centralité de certains membres de la catégorie ; les prototypes.

- Il est proposé une comparaison

entre représentations sociales et approche prototypique, qui souligne des similitudes qui seront mises à l’épreuve ultérieurement.

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