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Chapitre 1 Introduction

1.2 Virus du papillome humain

1.2.1 Pathologies associées aux VPH anogénitaux

1.2.1.2 VPH à haut risque oncogénique

Le lien de cause à effet entre le VPH et le développement du cancer du col de l’utérus a été initialement établi par le Dr zur Hausen, ce qui lui a valu le « prix Nobel de physiologie ou médecine » en 2008 (zur Hausen, 1976). Ce lien cause à effet n’a toutefois pas toujours été si bien accepté.

La première preuve que le cancer cervical consistait en une pathologie transmise sexuellement provient d’une étude réalisée en 1842 par le Dr Rigoni-Stern (Rigoni, 1987). À l’époque, l’analyse du certificat de décès de plusieurs femmes avait permis de déterminer que le cancer du col de l’utérus était détecté chez les femmes mariées et les prostituées, mais pas chez les femmes vierges et les religieuses. Depuis, les avancées scientifiques ont permis de démontrer que l’infection de la région anogénitale par les VPH à haut risque oncogénique est une cause essentielle du développement du cancer du col de l’utérus. Historiquement, trois découvertes majeures ont permis d’établir le rôle de l’infection dans le développement de tumeurs. Tout d’abord, on a découvert que l’expression des protéines virales E6 et E7 des VPH à haut risque était seulement détectée dans les kératinocytes provenant de cancers du col de l’utérus et non dans celles provenant d’un col de l’utérus sain (Schwarz et al., 1985; Yee et al., 1985). Une série de découvertes a ensuite permis de déterminer que l’interaction de ces protéines avec les protéines cellulaires p53 et pRb était suffisante pour immortaliser les kératinocytes et que ces interactions étaient responsables du phénotype néoplasique des cellules du cancer cervical (DiPaolo et al., 1986; Durst et al., 1987; Dyson et al., 1989; Pirisi et al., 1987; von Knebel Doeberitz et al., 1994; von Knebel

Doeberitz et al., 1992; Werness et al., 1990). Finalement, deux études épidémiologiques de grande envergure ont permis de confirmer que l’infection au VPH à haut risque oncogénique est le facteur de risque principal pour le développement du cancer du col de l’utérus (Bosch et al., 1995; Munoz et al., 1992).

Les VPH à haut risque oncogénique sont présents dans plus de 95 % des cancers du col de l’utérus ainsi que dans plusieurs cancers anogénitaux. Une monographie du IARC (International Agency for Research Cancer) publiée en 2007 stipule que suffisamment de preuves ont été obtenues chez les humains pour démontrer la carcinogénicité des VPH 16, 18, 31, 33, 35, 39, 45, 51, 52, 56, 58, 59 et 66 dans le cancer cervical du col de l’utérus (IARC, 2007). D’ailleurs, suite à cette monographie, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a reconnu officiellement le VPH comme un carcinogène. Les VPH sont retrouvés en différentes proportions dans les cancers du col de l’utérus. Ainsi, les VPH de types 16 et 18 sont retrouvés dans plus de 70 % des cancers de ce type, tandis que les VPH de types 31, 33, 35, 45, 52 et 58 sont retrouvés dans environ 20 % d’entre eux. Les VPH de types 35, 59, 56, 51, 39, 73, 68 et 82 sont quant à eux responsables des 5 % restants, avec une proportion variant pour chacun de 0,2 à 2 % des cas de cancer du col de l’utérus (Bosch et al., 2002; Bosch et al., 1992; Munoz et al., 1992; Schiffman et al., 2007). Le lien de causalité entre l’infection au VPH et le développement des cancers anogénitaux autres que le cancer du col de l’utérus n’est pas encore clairement établi. Il est cependant important de noter la présence de VPH à haut risque oncogénique dans 60 à 90 % des cancers de types anaux et vaginaux et dans plus de 50 % des cancers du pénis et de la vulve (Bezerra et al., 2001a; Bezerra et al., 2001b; Frisch et al., 1999; IARC, 2007; Ikenberg et al., 1983; Madsen et al., 2008a; Madsen et al., 2008b; Rubin et al., 2001). De plus, plusieurs études cliniques ont démontré que l’infection au VPH de type 16 est un facteur de risque important pour l’apparition des cancers de la vulve, du vagin, du pénis, de l’anus, des cavités orales ainsi que du cancer de l’oropharynx (IARC, 2007).

L’infection par les VPH à haut risque peut mener à l’apparition de lésions malignes variant de lésions précancéreuses à des lésions de type CIN3 (CIN, Cervical Intraepithelial

Neoplasia) (décrites ci-dessous), et peut progresser jusqu’à un cancer invasif (Schlecht et al., 2001). La gravité des lésions retrouvées sur le col de l’utérus est classifiée selon le niveau de dysplasie observé, c'est-à-dire à la proportion de l’épithélium qui est envahie par des cellules non différenciées qui devraient habituellement se retrouver au niveau de la couche basale. Ainsi, la composition cellulaire d’un épithélium varie entre un col de l’utérus sain, un col contenant des lésions intraépithéliales squameuses de bas ou de haut grade (Squamous Intraepithelial Lesion, SIL), et un col contenant un cancer invasif (Fig. 1.5). Dans les SIL de bas grade, la dysplasie est confinée au premier tier de l’épiderme. Cette dysplasie bénigne est appelée CIN1. Les SIL de haut grade sont quant à elles composées des CIN2 et 3 qui sont des dysplasies couvrant respectivement les deux tiers et plus des deux tiers de l’épithélium. Dans certains cas, la dysplasie du CIN3 couvre totalement l’épaisseur de l’épithélium et est considérée comme un carcinome in situ (localisé). Les lésions retrouvées sur les autres sites anogénitaux suivent le même type de classification que celle utilisée pour le col de l’utérus. Ainsi, on classe les dysplasies du vagin (VAginal Intraepithelial Neoplasia, VAIN), de la vulve (Vulval Intraepithelial Neoplasia, VIN), de l’anus (Anal Intraepithelial Neoplasia, AIN) et du pénis (Penile Intraepithelial Neoplasia, PIN) selon un grade allant de 1 à 3. Comme la présence et la différence entre ces différents grades de lésion ne sont pas aussi faciles à détecter que l’apparition de verrues génitales causées par les VPH à bas risque, la variation de la morphologie de l’épiderme est utilisée comme moyen de détection de dysplasies du col de l’utérus.

Figure 1.5. Morphologie de l’épithélium associée aux différents stades de progression de la carcinogénicité du virus du papillome humain.

Cette figure représente les différents stades de néoplasie observés dans l’épithélium des muqueuses à la suite d’une infection par le VPH à haut risque oncogénique. Les différents stades de néoplasie sont indiqués au-dessus de l’épithélium. Les noyaux des cellules non infectées sont représentés en bleu, tandis que ceux des cellules maintenant une forme épisomale ou intégrée du génome viral sont respectivement représentés en violet et en rouge. Dans les cellules maintenant l’épisome, l’expression des gènes précoces (E1, E2, E1^E4, E5, E6, E7 et E8^E2C) et tardifs (L1 et L2) est contrôlée à partir de la longue région de contrôle (LCR) et permet la production de nouveaux virions. Dans les cellules où le génome est intégré, la perte de contrôle de l’expression des oncogènes viraux E6 et E7 induit une hyperprolifération pouvant mener à l’apparition d’un cancer invasif. Cette

figure a été adaptée de Woodman et al. (2007) Nature Reviews Cancer (Woodman et al., 2007).

Dans les pays industrialisés, la présence de cellules anormales est détectée au cours d’un test annuel, le test Papanicolaou, aussi connu sous le nom de test de Pap (Papanicolaou, 1942; Traut and Papanicolaou, 1943). Élaboré au début des années 1940, ce test utilise la microscopie pour déterminer si les cellules recueillies lors d’un frottis du col de l’utérus ont une morphologie normale ou dysplasique, une morphologie dite « koïlocytaires » (noyau atypique et formation d’un halo périnucléaire caractéristique de la formation d’une vacuole autour du noyau (Koss and Durfee, 1955)). Selon le National Cancer Institute (NCI), plus de 90 % des femmes âgées de 18 ans et plus ont passé un test de Pap depuis 2008, ce qui a permis de diminuer l’incidence du cancer du col de l’utérus de plus de 70 % dans les pays industrialisés. À la suite d’un test de Pap positif, la présence de lésions précancéreuses est confirmée par une inspection visuelle ou par une colposcopie du col de l’utérus préalablement traité avec de l’acide acétique dilué pour colorer en blanc les cellules dysplasiques. Finalement, puisque les analyses visuelles, cytologiques et histologiques des lésions précancéreuses ne permettent pas de déterminer si les cellules dysplasiques sont infectées par le VPH, les techniques de détection d’acides nucléiques virals (ADN ou ARN) sont utilisées pour confirmer l’infection (révisé dans (IARC, 2007)). Actuellement, les deux techniques les plus utilisées sont la version 2 du Hybrid CaptureTM,

qui permet de détecter un grand nombre de spécimens, et la PCR (Polymerase Chain Reaction) qui, contrairement au Hybrid CaptureTM, discrimine les types de VPH retrouvés dans les spécimens.

Plusieurs types de facteurs peuvent influencer la progression de la pathologie causée par un VPH à haut risque. Parmi ceux-ci, on retrouve les facteurs environnementaux tels que la consommation de cigarettes, l’utilisation prolongée de contraceptifs oraux ainsi qu’un nombre fréquent de grossesses. La progression de la pathologie peut aussi être influencée par la présence d’autres types d’ITS telles que l’infection par le VIH, par le VHS2 (Virus de l’Herpes Simplex) ou par la bactérie Chlamydia trachomatis. Tel que

mentionné à la section 1.1.2.2, l’expression des oncogènes viraux E6 et E7 au cours de l’infection au VPH est nécessaire à l’immortalisation cellulaire. Cependant, elle n’est pas suffisante pour induire le développement d’un cancer. Ainsi, tout facteur favorisant l’accumulation d’altérations génétiques chez le patient infecté par le VPH, par exemple la consommation de cigarettes (contient beaucoup de carcinogènes), favorise la progression de la maladie (Castellsague et al., 2002; IARC, 2007; Munoz et al., 2006; Rajkumar et al., 2011). En plus des facteurs externes favorisant le développement de pathologies sévères, l’intégration de l’ADN viral dans le génome de l’hôte serait aussi un facteur de risque (Collins et al., 2009; Cricca et al., 2009; Daniel et al., 1995; Schwarz et al., 1985). Tel que mentionné précédemment, la surexpression des oncogènes E6 et E7, qui est induite par la destruction du gène E2 au cours de l’intégration, serait à l’origine de cet effet (Fig. 1.5) (Cricca et al., 2009). Dans le même ordre d’idées, la méthylation des E2BS contribuerait également à la progression de la pathologie en empêchant la liaison de E2 à ceux-ci, causant ainsi la dé-répression de la transcription des gènes E6 et E7 (Kim et al., 2003; Sanchez et al., 2008). En accord avec cette hypothèse, des études suggèrent que dans les cas de cancer du col de l’utérus où le cadre de lecture de la protéine E2 n’est pas détruit, le génome viral serait plus méthylé (Bhattacharjee and Sengupta, 2006; Daniel et al., 1995; Kalantari et al., 2004; Schwarz et al., 1985).

Tel que mentionné précédemment, l’utilisation du test de Pap depuis les 50 dernières années a grandement contribué à la réduction des nouveaux cas de cancers cervicaux dans les pays industrialisés. Cependant, plus de 12 000 nouveaux cas de cancers invasifs du col de l’utérus sont encore répertoriés chaque année aux États-Unis et près de 4000 décès y sont associés (ACS, 2010; IARC, 2008). Le taux de mortalité annuel associé à ce type de cancer est encore plus élevé dans les pays en voie de développement où les méthodes de dépistage sont virtuellement absentes. On estime que le nombre de femmes mourant d’un cancer du col de l’utérus s’y élève à plus de 200 000 par année (ACS, 2006; Batson et al., 2006).