• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 La compréhension de l’oral en anglais L2

2.1. Le rôle des phonèmes

2.1.2. Phonèmes de l’anglais et apprenants francophones

2.1.2.2. Les voyelles

Les systèmes vocaliques du français et de l’anglais sont beaucoup plus différents que leurs équivalents consonantiques, comme nous le constatons dans le Tableau 2.2.

Voyelles du français Voyelles anglais RP Voyelles anglais GA antérieures i y e ø ɛ œ ɛ̃ a i: ɪ ɛ æ id RP

centrales ə ɜ: ʌ ə ɝ: ʌ ə/ ɚ

postérieures u o ɔ ɔ̃ ɑ̃ u: ʊ ɔ: ɒ ɑ: id RP (moins ɒ) diphtongues eɪ aɪ ɔɪ əʊ aʊ ɪə eə ʊə eɪ aɪ ɔɪ oʊ aʊ

Tableau 2.2 - tableau comparatif des voyelles du français et de l'anglais britannique et américain, classées par position de la langue et complexité (en gras, voyelles françaises qui n’existent pas en français, et inversement pour les voyelles

soulignées)

Les cellules du Tableau 2.2 sont organisées de la même façon que celles du tableau des consonnes, par position de la langue allant de l’avant vers l’arrière. Les voyelles du français présentent des contrastes qui n’existent pas en anglais : non arrondie/ arrondie, comme /i/ (voyelle antérieure haute non arrondie, comme dans « mis ») vs. /y/ (idem mais arrondie, comme dans « mû »), ainsi qu’un contraste orale/ nasale qui est également non phonémique en anglais (ɔ/ ɔ̃, « pote » vs. « ponte »). Quand plusieurs voyelles utilisent la même position

de la langue en français, elles sont indiquées dans le tableau de la façon suivante : la première est orale non arrondie, la deuxième arrondie et la dernière, le cas échéant, nasale.

Les voyelles de l’anglais comportent également des distinctions inconnues des francophones : d'une part, il existe un contraste voyelles simples / voyelles diphtonguées (met vs. mate), et d'autre part, un contraste voyelles longues/ courtes (meet vs. mitt), qui correspond aussi à des différences de qualité (parfois analysées comme des contrastes tendu/relâché10). On peut visualiser plus facilement les différences de qualité sur les trapèzes vocaliques suivants (Figure 2.2) représentant les voyelles non diphtonguées, tirés de Capliez (2016), avec le trapèze des voyelles du français à gauche et celles de l’anglais (britannique) à droite :

Figure 2.2 - trapèzes des voyelles simples du français (à gauche) et de l'anglais britannique (à droite), avec les contrastes problématiques entourés en bleu (voyelles antérieures fermées), en rouge (voyelles postérieures fermées), et

en marron (voyelles ouvertes centrales/postérieures)

A partir de ces deux représentations, on peut imaginer que les contrastes i:/ɪ et u:/ʊ correspondraient à des cas de Category Goodness Difference du PAM, avec un phonème (la voyelle longue ou tendue, respectivement i: et u:) correspondant à un « bon » exemplaire du phonème français correspondant (i et u), et la voyelle courte ou relâchée, (ɪ ou ʊ), correspondant à un « mauvais » exemplaire. La distinction devrait donc être possible mais difficile. Pour le contraste /ɑ:/ vs /ʌ/, il risque d’être plus difficile à percevoir si les deux phonèmes sont analysés comme des mauvais exemplaires du phonème français /a/. Enfin, on peut également s’attendre à une mauvaise discrimination entre les deux voyelles postérieures /ɑ:/ (palm) et /ɒ/ (pot) étant donné leur proximité en anglais britannique (cependant, le trapèze

n’indique pas si les voyelles sont arrondies ou non, ce qui peut aider à différencier ces deux voyelles dans la mesure où /ɒ/ est arrondie mais pas /ɑ:/). En anglais américain, la voyelle /ɒ/ n’est pas utilisée dans la plupart des dialectes sauf en Nouvelle Angleterre (Labov et al., 2005, p. 13), et le « o » de pot n’est pas arrondi pour la plupart des locuteurs (Wells, 1982). La question de la distinction entre /ɑ:/ et /ɒ/ ne se pose donc pas.

Les études sur la perception des francophones indiquent effectivement que la perception des phonèmes vocaliques de l’anglais est plus difficile que celle des consonnes. Iverson et ses collègues étudient l’effet d’un entraînement à haute variabilité sur la perception des voyelles britanniques par des sujets francophones (Iverson et al., 2012). L'entraînement à haute variabilité consiste à faire entendre aux sujets le même phonème dans différents contextes (différents mots), et prononcé par différents locuteurs anglophones. Ils trouvent que les contrastes les moins maîtrisés sont dans l’ordre croissant de réussite avant entraînement (nous avons gardé ceux réussis à moins de 70%) /ɒ/ vs. /ɔ:/ (pot et port), /i:/ vs. /ɪ/ (heel et hill), /ɑ:/ vs /ɒ/ vs. /æ/ (part, pot et pat), /ɒ/ vs. /ʌ/ (cot et cut), /ʌ/ vs /ɜ:/ (bud et bird), /əʊ/ vs /ɔ:/ (hole et haul). L’exercice proposé consiste à trouver l’intrus, comme dans les études sur les consonnes présentées plus haut. La paire /i:/ - /ɪ/, qui est souvent mise en avant, peut-être du fait de sa « charge fonctionnelle » (A. Brown, 1988), c’est-à-dire parce qu’elle permet de distinguer un grand nombre de paires minimales, n’est donc pas la seule paire de phonèmes vocaliques difficiles à différencier pour les locuteurs francophones. Cependant, dans l’étude d'Iverson et collègues, c’est la seule qui soit (beaucoup) moins bien réussie après entraînement qu’avant, attestant de sa difficulté résistante à l’expérience. Dans ce même article, un exercice d’identification est proposé aux auditeurs francophones, qui, entendant un mot de la forme /b V t/ (c'est-à-dire une voyelle précédée du phonème /b/ et suivie de /t/), doivent choisir à l’écran parmi un certain nombre de mots orthographiés, celui qui correspond à ce qu’ils ont entendu. Par exemple, ils entendent /bi:t/ et doivent choisir entre bit, beat, bot,

boot, bat, etc… (chacun de ces mots est accompagné d’un autre mot courant contenant la

même voyelle (bit est accompagné de hit, beat de meet, bot de hot, …), afin d'aider les sujets à se représenter le mot). Les voyelles les moins bien identifiées dans ce cas de figure sont /i:/, /ɑ:/, /ɜ:/ (20% de réussite), /əʊ/, /ɒ/ et /ɔ:/ (30%). Cependant, l’amélioration après entraînement à haute variabilité est nette pour tous ces phonèmes, avec un taux de réussite allant de 50% à plus de 60%. Les auteurs supposent qu’une partie au moins de cette amélioration est due à une meilleure acquisition de la correspondance graphie-phonie chez les sujets francophones.

Une autre étude récente (Krzonowski et al., 2016), avec des sujets correspondant mieux à notre public (étudiants francophones en première année de licence de langue étrangère LEA ou LLCER), confirme la difficulté de discrimination /i:/ vs /ɪ/ (moins de 70% de réussite), mais rajoute une paire encore moins bien réussie (60%) : /ɑ:/ vs /ʌ/, tandis que la paire /æ/ vs. /ʌ/ est bien réussie (80% de réussite environ), et ne sera probablement pas candidate à être incluse dans les tests de discrimination phonémique que nous allons construire.