• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 La compréhension de l’oral en anglais L2

2.4. Intégration : connaissances phraséologiques et morphosyntaxiques

2.4.2. Reconnaissance des mots fonctionnels

En parlant des connaissances lexicales, nous avons traité tous les mots de la même façon, mais il est possible d’isoler une classe de mots qui présentent une utilisation grammaticale spécifique : il s’agit des mots grammaticaux ou « fonctionnels » (function words, Fries, 1952). Ce sont typiquement des déterminants (the, a, …), des auxiliaires (is, will,…), des pronoms (you, them, …) ou des conjonctions (and), ainsi que des prépositions (of). Les auteurs de la grammaire Longman Grammar of Spoken and Written English (Biber et al., 1999) présentent les spécificités de ces mots dans un tableau que nous reproduisons ici (Tableau 2.8). Par rapport aux autres mots du lexique (qu’ils appellent « mots lexicaux », mais qui sont parfois désignés sous le terme de « mots à contenu » (content words, Field 2008) ou, chez Quirk et al. (1989), « mots à classe ouverte », open-class items, ou encore « mots référentiels » en psycholinguistique), les mots fonctionnels sont plus fréquents, plus courts, beaucoup moins nombreux (D. Brown, 2017, en compte 446 en anglais)20 et moins accentués, ils sont souvent invariables (même si ce n’est pas le cas des auxiliaires anglais, qui ont parfois, dans le cas de

be, plus de formes que les verbes lexicaux) et ont un sens moins facilement définissable. De

plus (comme l’indique leur étiquette dans la grammaire de Quirk et al. (1989), closed-class

items), ils ne sont pas productifs, c’est-à-dire qu’il est rare que de nouveaux éléments soient

intégrés à leur catégorie, qui est assez « fermée » (parce que l’apparition de nouveaux éléments fait suite à un processus de grammaticalisation qui a lieu sur le long terme). Il est ainsi beaucoup plus facile d’imaginer la création d’un nouveau nom (catégorie ouverte) que d’un nouveau pronom (catégorie fermée).

caractéristiques mots lexicaux mots fonctionnels

fréquence basse haute

longueur longs courts

sens lexical oui non

morphologie variables invariables

productivité oui (classe ouverte) non (classe fermée)

nombre nombreux peu nombreux

accentuation accentués désaccentués

Tableau 2.8 - différences entre mots lexicaux et mots fonctionnels en anglais, d'après Biber et al. (1999, p.55)

Deux caractéristiques qui nous intéressent particulièrement pour la compréhension de l’oral sont la brièveté des mots fonctionnels et leur prononciation généralement désaccentuée (et très fortement neutralisée en anglais oral). Cela peut les rendre particulièrement difficiles à reconnaître dans le flux de la parole malgré leur haute fréquence (qui devrait normalement aider à leur reconnaissance) :

As closed-class words are often pronounced as weak syllables, they are likely to have short, centralized vowels or no vowel at all as well as reduced, imperfectly articulated consonants. The set of lexical competitors activated by such poor input could be quite large and yet, because the acoustic evidence is so poor, have no clear front runners.

(Shillcock & Bard, 1993, p. 182, cités par Field 2008, p. 416)

Le Manuel de phonologie anglaise de Michel Viel (2003, p. 86‑88), par exemple, présente sous forme de tableau une liste des mots à forme réduite à l’oral, qui sont tous des mots fonctionnels : 20 auxiliaires (dont 3 formes de have, et 8 de be), 6 prépositions, 16 pronoms, 6 déterminants et 7 conjonctions. Nous reproduisons ci-dessous (Tableau 2.9) la première ligne de chaque sous-catégorie proposée dans le tableau de ce manuel (nous avons conservé la colonne « ne réduisent pas » parce que paradoxalement, elle contient la forme réduite de l’adverbe négatif not, non mentionnée par ailleurs dans le tableau). Nous constatons que certaines de ces formes réduites perdent leur voyelle (/v/ pour have, /n/ pour and) et ne forment plus alors une syllabe indépendante. Ils deviennent des clitiques qui s’accrochent au mot qui les suit ou qui les précède et sont donc d’autant plus difficiles à détecter.

Formes pleines Formes réduites Ne réduisent pas

Auxiliaires have hæv həv > əv, v haven’t ˈhævnt

Prépositions at æt ət

Pronoms me mi: mi, mə

Déterminants a ə

Conjonctions and ænd ənd, ən > nd, n

Tableau 2.9 - exemples de formes réduites des mots fonctionnels anglais par catégorie (d'après Viel 2003)

Trois autres caractéristiques jouent cependant en faveur des mots fonctionnels en reconnaissance : le fait qu’ils soient fréquents (et donc rencontrés souvent par les apprenants), que la plupart d’entre eux aient une morphologie invariable (il n’y a donc pas besoin d’apprendre à identifier les différents membres de leur famille puisqu’ils n’ont pas de formes dérivées, sauf les auxiliaires qui ont des formes fléchies), et qu’ils soient peu nombreux à l’intérieur de leur catégorie (ils ont donc moins de concurrents potentiels). Pour savoir si les caractéristiques favorables ou défavorables priment lors de l’écoute, Field (2008b) compare la reconnaissance des mots lexicaux et celle des mots fonctionnels en anglais chez des natifs et non natifs de différents niveaux. Il utilise une tâche de transcription où les sujets écoutent un texte et où, à chaque fois que l’enregistrement s’arrête, ils doivent noter les 4 ou 5 derniers mots entendus. Les natifs sont au plafond (même s’ils reconnaissent légèrement mieux les mots à contenu), mais les apprenants L2 ont un écart de 20% de réussite entre la transcription des mots fonctionnels et celle des mots à contenu, à l’avantage de ces derniers. Les mots fonctionnels sont donc effectivement problématiques en contexte.

Sosa et MacFarlane (2002) tentent d’expliquer pourquoi la fréquence n’aide pas forcément à la reconnaissance de certains éléments. Ils étudient la reconnaissance de la préposition of à partir de phrases tirées d’un corpus de conversations authentiques. Ils constatent tout d’abord (avec des auditeurs natifs) que moins de la moitié (45%) des occurrences de of dans leur corpus sont repérées. D’autre part, les temps de réaction sont plus courts et le nombre d’erreurs moins élevé quand of fait partie d’expressions moins courantes (care of, much of), alors que les collocations très courantes (sort of, lot of) entraînent plus d’erreurs et des temps de réaction plus longs (ils remarquent d’ailleurs que les temps de réaction toutes fréquences confondues sont deux fois plus longs que dans les expériences classiques avec des stimuli artificiels). L’explication avancée est que les collocations très fréquentes sont « groupées » (chunked) et que le mot fonctionnel of perd alors son individualité. Sa reconnaissance devient plus difficile et plus longue parce qu’il faut d’abord le « désemballer » (unpack) de la collocation dans lequel il est inséré et qui est reconnue comme un tout (Erman & Warren, 2000).

Tout ceci explique en partie pourquoi ces mots sont peu utilisés dans les tests de vocabulaire (Kremmel, 2016, p. 981), bien qu’ils soient très présents au tout début des listes de fréquence (par exemple, les 20 premiers mots de la liste non lemmatisée de Brysbaert et New (2009) sont the, to, a, you, and, it, ‘s, of, for, I, in, on, is, that, what, be, have, are et this, et les 20 premiers lemmes du British National Corpus sont the, be, of, and, a, in, to, have, it, to, for, I,

that, you, he, on, with, do, at, by). En effet, les tests de vocabulaire présentent souvent les

mots à tester de façon isolée. Or, la prononciation isolée des mots fonctionnels (leur « forme du dictionnaire » ou forme de citation) est très différente de leur prononciation en contexte, et ne nous informe pas sur la capacité des auditeurs à les reconnaître en conditions réelles. L’autre difficulté qui peut expliquer l’absence de mots fonctionnels dans les tests de vocabulaire est qu’ils ont souvent un sens abstrait et difficile à définir (absence de « sens lexical » selon le bilan présenté dans le Tableau 2.8). Pour the, par exemple, on trouve dans le dictionnaire (Longman 1991) non une définition, mais une explicitation de l’usage : « used

before nouns when the referent has been previously specified by context or by circumstance ».

Pour ce même mot, les grammaires de l’énonciation francophones, qui cherchent à dégager une valeur centrale invariante qui couvre tous les usages, proposent par exemple « l’indication d’un travail perceptif et interprétatif antérieur » (Lapaire & Rotgé, 1991, p. 110), ou « une sorte de décrochage par rapport au réel » (Adamczewski & Delmas, 1982, p. 208). Ces propositions sont très abstraites, et il n’est pas possible de les inclure dans un test de vocabulaire au milieu de définitions de mots à sens plein. Il est ainsi difficile d’intégrer ces mots dans un test de reconnaissance (QCM) ou de production du sens. C’est pourquoi nous avons choisi d’inclure la reconnaissance des mots fonctionnels dans un test grammatical où ils seront contextualisés à l’intérieur de phrases complètes.