• Aucun résultat trouvé

La volonté individuelle des amants peut être partagée par d’autres membres de la société de cour

III — La cour et les amants reposant sur deux identités conflictuelles, tous deux ont

B) Toutefois, la confrontation avec la cour peut se révéler positive Les amants adultères peuvent trouver des

1. La volonté individuelle des amants peut être partagée par d’autres membres de la société de cour

En théorie, la collectivité de la cour est censée condamner unanimement l’amour que se vouent les amants. Or dans les actes, il arrive très souvent dans nos textes que des voix dissonantes prennent le parti de soutenir leur individualité. Cela est symptomatique d’une conflictualité au sein même de cette société, dans laquelle les individus qui la composent peuvent eux-mêmes exprimer avec celle-ci des volontés contraires. Ces membres-ci de la cour vont s’associer aux amants et adopter leur marginalité, comme nous l’avons vu supra. Cette association s’opère de plusieurs façons, et diffère selon nos textes, tout autant qu’ils diffèrent dans l’intériorité même de nos textes.

Dans le Tristan de Béroul, Tristan et Iseult se trouvent beaucoup d’alliés absolus. Certains d’entre eux, comme Périnis, messager envoyé à la cour d’Arthur, sont caractérisés par leur discrétion : ils connaissent la relation des amants, et agissent en sous-main pour qu’elle se concrétise114. Le rôle qui est octroyé à Brangain dans ce texte est un rôle de soutien, en ce qu’elle

aide les amants à s’aimer à plusieurs moments du texte. Toutefois, l’allié le plus important que Tristan et Iseult se trouvent dans le texte de Béroul, c’est l’ermite Ogrin, qui leur permet de réintégrer le royaume de Marc à l’aide de son « bref » et de son « bel mentir ». Étendons-nous un instant sur les contrastes de la fonction d’Ogrin. Bien que celui-ci conteste fondamentalement l’adultère dans lequel s’impliquent les amants, il n’accepte de les aider à réintégrer la cour du roi Marc que s’ils se repentissent de leur amour. Ogrin leur sert donc de passerelle entre l’âpreté du Morois et la société de cour, et use du procédé marginal qu’est le mensonge pour aider à la réintroduction des amants. Mu par un désir d’acceptation plutôt que par un désir de châtier les

114Dans le même ordre d’idée, un des barons du roi Marc, dans le Tristan de Béroul, émet des réserves quant à la

amants, Ogrin veut joindre ce qui a été disjoint115, afin d’assurer la paix sociale en dépit des

disparités de tout un chacun. Et même si la volonté des amants adultères continue, plus loin, d’être contraire à celle de leur société de cour, Ogrin a cherché à ce que s’établisse la paix — que le nain Frocin a sciemment rompue en début de texte en provoquant le flagrant délit.

Dans le Tristan de Thomas, les amants trouvent aussi bon nombre d’alliés. Brangain est encore plus sacrificielle que dans le texte de Béroul. Dès le début du texte, elle donne littéralement de sa personne afin que le roi Marc ne se rende pas compte de la perte de virginité de sa maîtresse. Elle prend sa place dans son lit, et sacrifie sa virginité pour le bien être des amants adultères. De la même manière, Kaherdin, qui se sent d’abord outragé par Tristan, va petit à petit s’allier à lui, statuant qu’Iseult de Bretagne est beaucoup plus belle qu’Iseult aux Blanches Mains, et que ce n’est pas outrager son honneur que de l’aimer. Cette alliance avec les amants est telle, que Kaherdin et Brangain, à l’instar de leurs compagnons, vont s’unir dans la marginalité.

Dans Cligès, Thessala est celle qui va partager la marginalité de sa maîtresse, et est la première personne qui va favoriser l’union des amants. Son usage de la magie se révèle très utile pendant le voyage des héros, notamment grâce au double philtre qui empêche à Fénice d’être une nouvelle Iseult. De la même façon, Jehan, qui est le compagnon de Cligès, l’aide à s’isoler loin des yeux de tous en lui donnant accès à une tour invisible, dans laquelle l’amour qu’il voue à Fénice s’exprime dans le secret le plus total. Dans Le Chevalier à la Charrette, toutes les femmes que Lancelot croise sur son chemin le rapprochent de l’idéal qu’il poursuit, et favorisent l’avancée de sa quête.

Le fait que des personnes de la cour s’associent aux amants courtois est bien la preuve que la volonté de la société de cour n’est pas univoque, et que les nombreuses voix qui constituent sa collectivité dissonent. Les amants courtois sont les révélateurs de la volonté individuelle des membres de la cour, qui font le choix sacrificiel et dangereux pour l’ordre sociétal de prendre parti pour les amants. Quitte à mettre leur vie et leur honneur en péril au même titre que les amants en question.

En dépit de la nature marginalisante de leur amour adultère, les amants de nos textes vont ainsi trouver des appuis qui vont favoriser leur union. Toutefois, en parallèle à ces personnes qui soutiennent les amants de façon radicale, certains éléments de la société de cour vont se trouver marqués par une dichotomie de sentiments plus nette. Ils ne vont pas complètement partager la marginalité des amants, mais vont tout de même essayer de l’appréhender, que ce soit dans un sens

115Jean-Charles Huchet, Tristan et le sang de l’écriture, op. cit. p. 81 : « Le "bref" de l’ermite permettra donc de

renouer le lien conjugal distendu par l’adultère, le lien de parenté mis à mal par la rivalité sexuelle et œdipienne de l’oncle et du neveu, ainsi que le lien vassalique. ».

ou dans l’autre.

2. Le rôle qui est échu au membre le plus important de la société de cour

Outline

Documents relatifs