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Le rôle qui est échu au membre le plus important de la société de cour est ambigu, entre compréhension et acceptation

III — La cour et les amants reposant sur deux identités conflictuelles, tous deux ont

B) Toutefois, la confrontation avec la cour peut se révéler positive Les amants adultères peuvent trouver des

2. Le rôle qui est échu au membre le plus important de la société de cour est ambigu, entre compréhension et acceptation

Le rôle de certains éléments de la cour est teinté d’une ambiguïté fondamentale, dans laquelle il est souvent compliqué de trancher. Cette pluralité de façons dont le couple adultère est saisi par la cour est symbolisée par un personnage qu’on a tendance, paradoxalement, à oublier : celui que l’union adultère rend cocu. En effet le point commun de tous nos textes est de faire du cocu un grand seigneur dont la volonté est tiraillée, tout autant que celle des amants, entre l’individualité de ses propres émotions et celle de la collectivité de la cour.

Cette dualité fondamentale peut s’exprimer sous un versant positif, qui est représenté par le roi Marc dans le Tristan de Béroul. En effet, lors de l’épisode de l’échange des épées et des alliances dans la forêt du Morois, Marc cesse pendant l’espace d’un instant d’être le roi de sa communauté : il exprime sa volonté particulière aux côtés des amants endormis, en se réappropriant leurs signes. Symboliquement, en donnant à Tristan sa propre épée, et en donnant à Iseult sa propre alliance, le roi Marc se défait de ses attributs royaux. Il se réapproprie leur rhétorique, usant de la maîtrise langagière qui les caractérise afin d’accéder à leur subjectivité. Même si le roi Marc, outragé par son neveu et sa femme, aurait eu la légitimité collective de les mettre à mort, il les légitime, et cherche à comprendre cette réalité qui le dépasse. « Venu dans la forêt pour tuer, Marc accepte symboliquement la mort et fait sienne la vérité qui résonnait déjà dans le nom du bois : Mor-rois, "mort au roi"116 ». Le roi Marc, en voyant les deux amants dans la forêt, et ce même s’ils

sont habillés et séparés par l’épée de Tristan, aurait compris que son règne tenait à peu de choses. Il voit devant ses yeux la vérité de l’amour qui unit son neveu et son épouse, et souffre autant de ne pas la comprendre que de ne rien pouvoir y faire. Incapable de les tuer sans outrager leur honneur, incapable de les comprendre sans remettre en question sa propre légitimité, il part loin d’eux, tout en leur laissant un signe témoignant de son envie de les comprendre. L’attitude du roi Marc dans le

Tristan de Béroul est particulièrement ambiguë, et est si diversement interprétable qu’il est

impossible d’en donner une description dogmatique. Contentons-nous simplement d’y voir un clivage en action : celui de la collectivité de la société de cour et de la particularité de ses individus. En effet, entre la collectivité de la société et la particularité du roi Marc, il s’opère un clivage qui est particulièrement symptomatique du rapport double qu’entretient le cocu avec les amants. Surtout que le roi Marc, une fois de retour dans la collectivité de la cour, affirme de plus en plus son

indépendance envers les barons peu après cet épisode. Il semble avoir trouvé, dans l’expression individuelle des amants, un besoin d’exprimer sa propre individualité, alors qu’auparavant il la faisait taire — comme nous l’avons vu supra.

Cette dualité fondamentale, telle qu’elle est vécue par le roi cocu, peut aussi s’exprimer de façon négative. Quand Alix apprend le déshonneur que lui a infligé son neveu — lors d’une déclaration publique de son compagnon Jehan — il s’organise dans le seul but d’essayer de le tuer. Toutefois, il est incapable de se venger de son outrage : même s’il cherche les amants pendant « la quinzainne entire » (v. 6576), les amants sont cachés de la fureur d’Alix grâce à la magie de Thessala. Puisque Cligès finit par trouver du soutien dans le royaume du roi Arthur, qui est prêt à aller jusqu’à Constantinople pour régler la querelle familiale qui le lie à Alix, celui-ci meurt de chagrin. La rage de ne pas avoir trouvé son neveu était trop forte pour qu’il puisse l’endurer. Pourtant, en dépit de cette colère insoutenable, force est de constater qu’avant la révélation de l’adultère, Alix entretenait une bonne entente avec Cligès. Jusqu’aux révélations de Jehan, celui-ci avait accepté Cligès dans son entourage le plus proche ; et maintenait, en dépit de sa promesse non tenue de ne pas se marier, une amitié plus que certaine avec lui. Aussi, la dualité qu’entretient Alix avec Cligès est négative, en ce qu’elle ne tolère aucune sorte de compréhension, ni d’acceptation. Le déshonneur que lui cause la relation adultère est tel qu’il va jusqu’à en mourir, essayant avant cela d’annihiler les amants.

De façon moins évidente, cette dualité fondamentale peut s’exprimer sous un versant neutre. C’est précisément par cette dualité qu’est mû le roi Arthur dans Le Chevalier à la Charrette, où celui-ci ne semble pas éprouver tant de considération que cela pour Lancelot. Rien n’indique de façon explicite que celui-ci est au courant de la relation adultère que celui-ci entretient avec sa femme. Toutefois, certains détails laissent supposer que les sentiments d’Arthur envers son champion sont plus que contrastés. Dans l’épisode des fausses nouvelles, dans lequel le roi Arthur apprend qu’il a été trompé par une fausse lettre et que Lancelot est en danger, sa réaction est étonnante de neutralité :

Ceste chose le roi desplest

Et molt l’an poise et molt l’an grieve. Mes joie le cuer li sozlieve

Qu’il a si grant de la reïne Que li diax por la joie fine, Quant la rien a que il plus vialt Del remenant petit se dialt117.

En dépit du danger encouru par Lancelot, et ce malgré tous les faits d’armes qui ont été

racontés à Arthur plus tôt dans le texte, celui-ci traite sa disparition avec détachement. La peine qu’il ressent ne dure que deux vers, très vites noyés par le plaisir de savoir la reine vivante. Lui qui a même été mis au courant des circonstances de sa capture s’implique complètement dans la « joie fine » que lui procure la bonne santé de la « reïne ». De la même façon, Lancelot est désigné par la voix narrative, par le terme peu flatteur de « remenant », comme si sa disparition n’était qu’un événement anecdotique parmi tant d’autres. Peu de raisons sont capables d’expliquer le détachement éprouvé par Arthur. Nous pourrions néanmoins supposer qu’Arthur est au courant de la relation adultère qu’entretiennent sa femme et Lancelot, et qu’il ne trouve aucunement nécessaire de venir à son secours. C’est ici par l’indifférence que s’exprimerait la dualité entre collectivité et particularité ressentie par le suzerain. En dépit de l’héroïsme collectif de Lancelot, Arthur déciderait, par son envie particulière, de ne faire attention qu’à la reine. Il ne voudrait pas s’embêter à sauver Lancelot, dont il connaîtrait la nature adultère.

Il est ainsi intéressant de constater que dans les sociétés de cour de nos textes, le suzerain, qui en est pourtant la figure la plus solide, est lui-même tenaillé entre la collectivité de la cour et sa propre subjectivité.

3. Cette ambiguïté fondamentale, qui touche les suzerains de nos sociétés

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