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2. État de l’art

2.3 Perception de la voix par autrui

2.3.3 Voix et personnalité

Le mot « personnalité » dérive du mot latin « personare », que l’on peut traduire comme « résonner » (Kramer, 1964). Il semblerait que ce mot désignait un type de masque de théâtre équipé d'un dispositif servant à faire retentir la voix sur scène, autrement dit, à la faire « sonner » (« per sonare »).

D’après une revue historique de la littérature (Kreiman et al., 2011), le début des questionnements sur le lien entre voix et personnalité remonte au moins aux Grecs et aux Romains. Ainsi, selon les Grecs, une voix basse et tendue indiquerait la bravoure, tandis qu'une voix haute et détendue serait synonyme de lâcheté (Stanford, 1967). Il y aurait également eu un élan d’intérêt pour cette discipline dans les années 1930 en

40 Allemagne où quelques années plus tard, lors de la seconde guerre mondiale, les officiers étaient en partie sélectionnés sur des idéaux vocaux que les chercheurs associaient à un bon chef de guerre : les voix jugées comme chaleureuses étaient assimilées à des hommes sympathiques et émotionnels et les voix monotones avec une prosodie saccadée indiquaient du calme et une grande détermination (Diehl, 1960). Ainsi, la voix semble avoir depuis toujours un rôle important dans les représentations de la personnalité. Elle est effectivement porteuse de diverses informations et influe sur l’image que peut avoir un individu de son interlocuteur. Des auditeurs naïfs sont ainsi capables de reconnaitre avec précision des indices de personnalité dans des échantillons vocaux synthétisés sur ordinateur et donc non-naturels. Les manipulations de mesures acoustiques comme la fréquence fondamentale ou l’intensité sont perçues par les auditeurs et les amènent à juger différemment les voix sur le degré supposé d’extraversion ou d’introversion du locuteur (Nass et al., 2001). Une grande question posée par l’étude de la personnalité à travers la voix est de savoir si les tendances d’association sont biologiques et donc universelles, ou culturelles, et donc limitées à des groupes sociaux, des frontières géographiques… Il a été proposé que certains facteurs soient effectivement universels, comme la voix aigüe « enfantine », qui serait liée partout à un manque de maturité, car le principe même de vieillissement est universel (Montepare et al., 1987). Au Pays-Bas, lors d’entretiens d’embauche, les voix de femmes et d’hommes jugées comme trop « féminines » sont un handicap pour obtenir le poste (Ko et al., 2009). La féminité supposément décelée dans la voix est largement associée à l’enfance, et par extension, à la faiblesse et l’incompétence. Par conséquent, les candidats aux voix jugées « masculines » ont été considérés plus compétents et cela quel que soit le sexe effectif du candidat ou son curriculum vitae.

Dans la réalité des faits, bien que certains indices puissent être effectivement partagés entre différentes cultures, beaucoup d’autres amènent un jugement différent selon les pays. Comme le montrent les études sur la « voix enfantine », la f0 joue un rôle important dans la perception de la personnalité à travers la voix. C’est spécialement vrai pour les voix de femmes américaines pour qui une f0 plus élevée entraine la

41 catégorisation de la locutrice comme étant plus gentille, plus drôle, plus émotionnelle et enfin, plus immature (Aronovitch, 1976). Alors que de manière générale, une f0 élevée entraine des jugements positifs pour les voix de femmes, elle est généralement jugée sévèrement pour les hommes. Lorsqu’on synthétise des voix d’américains en augmentant ou abaissant de 20% leur f0 naturelle, les voix les plus hautes sont jugées comme appartenant à un individu moins sincère, moins puissant et plus nerveux (Apple et al., 1979).

Le débit de parole peut également engendrer différents types de jugement de personnalité. Il entraine des appréciations négatives chez les Américains et non chez les Coréens (Peng et al., 1993). Nous notons plus précisément qu’aux Etats-Unis, un débit de parole lent est associé à des locuteurs perçus comme moins dynamiques, moins puissants, moins extravertis et moins capables que les hommes avec un débit rapide (Apple et al., 1979).

L’intensité a aussi un impact sur la personnalité perçue chez des locuteurs de l’anglais américain (Page et al., 1978). En interaction homme-femme, si on augmente petit à petit l’intensité de la locutrice, cette dernière sera jugée par des auditeurs naïfs comme de plus en plus agressive, et de moins en moins sûre d’elle.

Pour ce qui est de la personnalité perçue à travers la voix dysphonique, il est observé que de manière générale, les voix dysphoniques induisent des jugements de personnalité plus sévères que les voix saines (Blood et al., 1979; Lallh et al., 2000; Ruscello et al., 1988). L’état d’esprit d’auditeurs face à des voix dysphoniques d’hommes et de femmes est très déséquilibré (Amir et al., 2013). Les locuteurs et locutrices témoins appariés sont évalués significativement plus positivement sur les douze traits de personnalité proposés que les dysphoniques. Il se trouve également que les femmes dysphoniques sont notées significativement plus sévèrement que leurs homologues masculins. Elles apparaissent ainsi comme plus stupides, plus passives, plus tendues, plus hésitantes et plus faibles.

Dans leur grande majorité, ces études ont recours à deux types de méthodes pour l’évaluation des traits de personnalités associés aux voix (Kreiman et al,. 2011) : le « Big 5 » et les échelles sémantiques différentielles.

42 Tout d’abord, le modèle de la théorie des 5 facteurs, aussi appelé « big 5 » (Goldberg, 1990; McCrae et al., 1985) est un modèle qui postule que l’ensemble des traits de personnalité peut être pris en compte correctement à l’aide de cinq dimensions indépendantes et uniques. Ces cinq facteurs fournissent une structure dans laquelle la plupart des traits de personnalité peuvent être classés et permet aux traits de covarier (John et al., 1999) :

• (I) L’extraversion « Extraversion » ;

• (II) Le caractère agréable « Agreeableness » ;

• (III) Le caractère consciencieux « Conscientiousness » ; • (IV) Le névrosisme « Neuroticism » ;

• (V) L’ouverture d’esprit « Openness ».

Il n’y a pas une unique méthodologie permettant d’évaluer le positionnement d’un individu sur chacun de ces cinq facteurs, de nombreuses variantes ont été proposées, dont des listes de 300 à 120 questions, donnant un score moyen par facteur aux sujets (Goldberg, 1999; Maples et al., 2014).

Quant à elles, les échelles sémantiques différentielles ne sont pas limitées en nombre (Osgood, 1952). Il s’agit d’échelles non-continues, avec des adjectifs antonymes à chaque extrémité et des échelons qui permettent d’évaluer le sujet avec la possibilité d’avoir un échelon médian (lorsqu’il y a un nombre impair de grade) ou non. Beaucoup d’études sur l’évaluation de la personnalité à travers la voix utilisent cette méthodologie (Allard et al., 2008; Amir et al., 2013; Aronovitch, 1976).

La principale critique que l’on puisse faire à la méthode des échelles sémantiques différentielles est la facilité de « manipulation » par le chercheur. Il a été mis en avant que de nombreuses recherches se contentent d’utiliser l’ensemble de 50 échelles proposées initialement en ajoutant subjectivement quelques échelles afin de répondre à leurs hypothèses personnelles (Kreiman et al., 2011). En effet, cette méthodologie peut facilement être orientée pour obtenir le résultat désiré, c’est pourquoi il est possible de commencer par réaliser une catégorisation par adjectifs libres des voix à évaluer, afin d’utiliser des échelles pouvant être considérées comme plus légitimes (Amir et al., 2013).

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