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2. État de l’art

2.2 Professeures des écoles et trouble vocal

2.2.1 Population à forte prévalence

Les professeurs des écoles (PE) sont des professionnels de la voix, hautement touchés par les dysphonies.

Une revue de la littérature réalisée pour l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) met en lumière que les dysphonies sont très significativement plus présentes chez les professeurs des écoles que dans le reste de la population générale. C’est tout particulièrement vrai pour les femmes, qui sont très majoritaires dans ce métier, elles constituaient 83% des entrants en 2000 (INSERM : Expertise Collective, 2006).

Il y a une « overdose » vocale chez les professeurs des écoles (Titze, 1999) : les enseignants donnent 6 à 7 heures de cours par jour et cela 5 à 6 jours sur 7, ce qui engendre des temps de repos beaucoup trop courts pour les plis vocaux. Ainsi, d’après des calculs basés sur les normes de la médecine du travail, les PE ont une utilisation tellement excessive de leur voix que le risque de dommage des tissus causé par les vibrations est parmi les plus élevés.

Pour les femmes professeures des écoles de maternelle, en moyenne 17% de la journée de travail est un temps de phonation, ce qui est considéré comme élevé en comparaison des 5% moyen d’autres professionnels de la voix (Södersten et al., 2002). De plus, ces PE parleraient plus fort de 9.1dB et avec une fréquence plus élevée de 45Hz au travail

31 par rapport à la vie courante, augmentant encore plus le risque de dysphonie. La charge vocale des enseignantes est plus élevée en maternelle qu’en primaire sur des mesures de « distance dose », qui représente la distance totale parcourue par les plis vocaux lors de leur vibration et de « cycle dose », c’est-à-dire le nombre de cycles vibratoires accomplis sur une durée déterminée (Remacle et al., 2014).

Les professeurs débutants seraient également plus particulièrement touchés, dans un panel de 402 enseignants, comprenant 310 femmes et 92 hommes, 34% se plaignent de problèmes vocaux dès le premier mois de travail. Un examen laryngoscopique montre que 21% des patients concernés par ces plaintes ont des nodules sur les plis vocaux (Simberg et al., 2000).

D’après les examens laryngés de 1046 professeurs des écoles sélectionnés au hasard, réalisés par vidéo-laryngo-stroboscopie, 218 d’entre eux (soit 21% de la population totale testée) sont touchés par des formes organiques de dysphonie (Urrutikoetxea et al., 1995). Ces atteintes organiques sont plus particulièrement des nodules vocaux (43%) et des œdèmes de Reinke (18%). Une étude révèle également que les femmes professeures des écoles sont trois fois plus touchées que les hommes PE par des lésions organiques et plus précisément des atteintes nodulaires (Preciado-López et al., 2008). D’après une enquête destinée à connaitre les types de symptômes ressentis par 237 femmes professeures des écoles durant leur carrière, il a été observé que 51% des locutrices avaient subi de multiples troubles vocaux : gorge sèche, fatigue vocale, sensation d’irritation, aphonie, sensation de brûlure et enrouement font partie de ceux qui reviennent massivement (Sapir et al., 1993).

D’après des enquêtes à grande échelle, ce phénomène de surreprésentation des PE parmi les patients atteints de dysphonie se répète dans différents pays :

• En Australie, sur un panel de 877 PE sondés (comportant 564 femmes), 55% considèrent avoir eu des problèmes de voix durant leur carrière et 16% le jour précis de l’étude (Russell et al., 1998). Les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes : seules 11% d’entre-elles considèrent ne jamais avoir eu de problèmes vocaux au cours de leur carrière, contre 21% des hommes.

32 • Aux États-Unis, un groupe de 1243 enseignants a été comparé à un groupe de 1288 témoins, laissant apparaitre significativement plus de problèmes vocaux chez les PE, avec 58% du total des individus auto-déclarant des troubles vocaux (Roy et al., 2004). Les femmes sont plus touchées que les hommes par des problèmes vocaux persistants, mais aussi chroniques.

• Au Brésil, 2013 femmes professeures des écoles ont été interrogées et seulement 33% d’entre elles considèrent ne pas avoir eu de problèmes vocaux au cours des 15 jours précédant l’étude (de Medeiros et al., 2008).

• En Suède, dans une période de 6 mois et d’après les données de 8 hôpitaux, les professionnels de l’enseignement sont ceux qui vont le plus consulter pour des problèmes vocaux, plus particulièrement à cause d’aphonie, d’œdèmes, de polypes et de nodules (Fritzell, 1996). À l’intérieur du groupe des PE, les enseignants de classes maternelles sont les plus touchés.

• En Allemagne, parmi 1800 enseignants, les hommes rapportent significativement moins de problèmes vocaux que les femmes durant leur carrière. Les enseignants atteints de dysphonie ont manqué deux fois plus de jour de travail pour cette raison que les témoins exerçant d’autres métiers en tant que professionnels de la voix (de Jong et al., 2006).

• Enfin, en 2014 en France, d’après des questionnaires proposés par la MGEN (Mutuelle Générale de l'Éducation Nationale), dans une population de 1012 enseignants, dont 81% de femmes, 59% affirment avoir déjà eu des problèmes vocaux dans l’exercice de leur carrière (Caetano et al., 2017).

Toutes ces souffrances vocales ont un impact direct sur la qualité de vie des professeurs des écoles. Il y a un niveau d’anxiété significativement plus élevé chez les PE se plaignant de fatigue vocale que dans un groupe témoin (Gotaas et al., 1993). Il s’avère qu’une formation vocale est bénéfique et peut prévenir ces troubles. Les enseignants qui connaissent le système vocal et la manière de l’utiliser convenablement ont moins de problèmes vocaux (Sapir et al., 1993). Toutefois, ces formations sont très peu dispensées auprès des PE, alors qu’elles le sont couramment pour certains autres professionnels de la voix comme les journalistes, les politiques ou

33 encore les comédiens. Effectivement, seulement 46% des établissements proposant des formations à l’intention des enseignants donnent des conseils en matière de gestion vocale (Bufton, 2000; cité par Rogerson et al., 2005).