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Profils vocaux et classes de jugements de personnalité

6. Expérimentation 3 : Impact de la voix sur autrui

6.2.3 Profils vocaux et classes de jugements de personnalité

Au vu de la tendance observée précédemment de la part des auditeurs naïfs à attribuer aux locutrices des traits de personnalité plus ou moins positifs sur l’ensemble des échelles, les classes de jugements issus des scores de personnalité cumulés peuvent donner un aperçu plus général des liens entre profils vocaux des locutrices et jugements de personnalité (Annexe 20, p.218).

Nous proposons donc une visualisation sous forme de boxplots de la distribution des valeurs des mesures acoustiques dans chacune des classes de jugement de personnalité établies à partir de ces scores : positif, médian et négatif.

De manière très générale nous observons donc que les voix jugées les plus positivement et donc très probablement considérées comme les plus attractives sont celles avec une f0 élevée, un débit syllabique rapide, ainsi qu’un HNR bas et un ZCR élevé.

En effet, grâce à nos catégories de jugement, nous pouvons tout d’abord observer pour ce qui est de la fréquence fondamentale moyenne qu’une f0 plus élevée est associée à un jugement plus positif de la personnalité (Figure 53).

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Figure 53 : Boxplots du score global de personnalité en fonction de la f0 moyenne

De la même manière, la durée moyenne de production d’une syllabe semble également être un facteur impactant de manière significative et intéressante nos traits de personnalité (Figure 54). Nous observons qu’une durée de production plus courte, et donc par extension un débit plus rapide, engendre des jugements de personnalité moins sévère sur tous les traits de personnalité.

Figure 54 : Boxplots du score global de personnalité en fonction de la durée moyenne de production des syllabes

133 Enfin, nous observons que le ZCR et le HNR ont un impact sur le jugement de personnalité (Figure 54 et Figure 55).

Figure 55 : Boxplots du score global de personnalité en fonction du rapport harmonique sur bruit

Figure 56 : Boxplots du score global de personnalité en fonction du taux de passage par zéro

Le résultat observé sur ces mesures, toutes deux supposément liées au degré d’apériodicité de la voix, met étonnamment en lumière que les voix qui contiennent plus d’apériodicités sont jugées de manière plus positive sur tous les traits de personnalité.

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6.3

Discussion

• La perception de la dysphonie par les naïfs est-elle consistante avec l’évaluation experte réalisée sur l’échelle GRBAS ?

Nos résultats indiquent que les jugements de sévérité du trouble vocal par les naïfs seraient principalement liés à la perception du grade de dysphonie (G) et de la raucité (R). Au-delà de cela, nos observations tendent à confirmer la capacité des auditeurs naïfs à percevoir les dysphonies même si ces dernières sont légères (G1).

Bien qu’il soit significatif, le coefficient de corrélation modéré (r=0.630) entre le grade de dysphonie attribué dans le cadre de l’évaluation experte et le degré de trouble vocal moyen donné par les naïfs à partir des mêmes échantillons de parole peut s’expliquer de plusieurs façons.

Tout d’abord, cela pourrait être le fait de notre population dysphonique, qui est majoritairement composée de pathologies légères. Il a déjà été démontré que la capacité de naïfs à percevoir des troubles dysphoniques légers (G1 et G2) est moindre que pour les troubles sévères (Ghio et al., 2011).

On peut également supposer que cela est le résultat d’une divergence de norme. Certains aspects vocaux peuvent en effet être jugés pathologiques par les experts et non par les naïfs. Dans une étude comparant les voix rauques de femmes anglophones en contexte de parole et de chant, les voix légèrement rauques ont été jugées attractives (Barkat-Defradas et al., 2013). De plus, cette dimension vocale pouvait être manipulée par la locutrice en voix chantée pour « sonner sexy ». Il est donc possible que cette corrélation modérée résulte d’une divergence d’interprétation entre experts et naïfs sur ce qui caractérise une voix pathologique. Ce deuxième aspect semble également se confirmer au vu de nos résultats acoustiques car nous avons pu mettre en évidence que les voix avec un ZCR élevé et un HNR bas sont jugées plus positivement, ces deux mesures acoustiques étant supposément liées à la perception de la raucité (Eskenazi et al., 1990; Ferrand, 2002; Krom, 1995; Yumoto et al., 1982).

135 • Quelle est l’incidence du trouble dysphonique sur le jugement de personnalité ? De manière générale nos résultats tendent à confirmer ceux des études présentées dans notre cadre théorique (Amir et al., 2013; Blood et al., 1979; Ruscello et al., 1988). En effet, plus les voix des locutrices sont identifiées comme étant pathologiques plus les traits de personnalité qui leur sont associés sont négatifs.

Ainsi, l’attribution de traits de personnalité par notre population d’auditeurs semble bien confirmer le biais perceptif lié à un effet halo négatif (Thorndike, 1920). C’est-à- dire que la perception par l’auditeur de ce qu’il considère, à tort ou à raison, comme un trouble vocal induira par extension un jugement plus sévère de son interlocuteur.

• Quels indices acoustiques les auditeurs exploitent-ils pour juger la personnalité ?

Les auditeurs semblent se baser sur certains indices acoustiques pour élaborer leur jugement : plus précisément le registre moyen de f0, la durée moyenne de production syllabique, le rapport harmonique sur bruit (HNR) et le taux de passage par zéro (ZCR). Premièrement, revenons sur l’indépendance de ces mesures entre elles puisque cette inspection nous permet de penser que chacune de ces mesures a bien un impact propre sur l’évaluation de la personnalité des locutrices de notre panel. Nous observons tout de même une corrélation entre le HNR et le ZCR mais ce phénomène est attendu puisque les deux mesures permettent de quantifier les apériodicités du signal. Nous retrouvons aussi une corrélation entre le ZCR et la f0 pouvant s’expliquer par le fait que le ZCR n’est pas seulement influencé par le bruit mais aussi par la périodicité. Toutes les autres mesures étant décorrélées entre elles, nous pouvons conclure à la relativement bonne indépendance de chacune dans le cadre de l’attribution de traits de personnalité.

Les multiples études s’intéressant à la personnalité à travers la voix ont différents résultats quant à l’impact de la f0 et ces conclusions semblent être directement ancrées dans la culture de l’auditeur. Alors que de nombreuses études s’accordent sur le fait qu’une f0 élevée induit des jugements très négatifs pour les voix d’hommes dans différentes cultures (Apple et al., 1979; Kreiman et al., 2011; Quené et al., 2020;

136 Stanford, 1967), les résultats pour les femmes sont plus complexes. Les voix de femmes aigues sont principalement associées à une voix dite « enfantine », ce qui est socialement accepté et induit un jugement positif dans le cas de l’anglais américain (Berry, 1990). A l’inverse on peut observer que les Néerlandais préfèrent les voix de femmes ayant une f0 basse contrairement aux japonais qui favorisent, à l’instar des Américains, les plus hautes fréquences (van Bezooijen, 1995). Nos données indiqueraient que cette préférence pour les femmes avec une f0 élevée est partagée par les français. Ainsi, la hauteur de voix la plus « appréciée » semble être une réelle construction culturelle.

Pour ce qui est du débit phonatoire, il a déjà été montré qu’il entraîne, pour le locuteur masculin, différents types de jugement selon la culture concernée. Aussi nous observons qu’un débit de parole lent engendre des appréciations négatives chez les Américains et non chez les Coréens (Peng et al., 1993). Plus récemment, il a été mis en lumière, dans une population Néerlandaise, qu’un tempo rapide chez l’homme est évalué comme plus attractif par des femmes (Quené et al., 2020; Weiss et al., 2020). En revanche, l’impact de ce facteur sur le jugement de personnalité des locutrices féminines ne semble pas être précisément étudié. Nos résultats tendraient à montrer qu’une durée de production syllabique plus courte, et par extension un débit plus rapide, a une influence positive sur le jugement de personnalité de la locutrice. Nos résultats qui indiquent qu’un rapport harmonique sur bruit (HNR) bas et un taux de passage par zéro (ZCR) élevé conduisent à un jugement positif sont consistants avec une étude réalisée sur les voix de femmes anglophones. En effet, nous savons qu’une raucité chez la femme anglophone est jugée comme attractive (Barkat-Defradas et al., 2013). Nous avons ici deux mesures acoustiques partiellement liées à la perception de la raucité, qui laisseraient supposer que cette tendance à apprécier les voix rauques est également vérifiée pour les voix féminines françaises. En revanche, il semblerait que cela ne semble ne soit pas généralisable pour tous les pays d’Europe. Une étude menée en Ecosse montre que des voix modifiées de manière à « lisser » les apériodicités sont jugées comme plus attractives que celles avec un HNR naturel (Bruckert et al., 2010).

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