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Chapitre 2. 40 ANS DE TERREAU THÉOLOGIQUE ENTRE DEUX CONFLITS

3. LA GUERRE D’IRAQ : PRÉDATION OU DÉMONSTRATION DE FORCE ?

3.3 Voix discordantes sur l’hyperpuissance

L’auteur Emmanuel Todd, dans son livre Après l’Empire. Essai sur la décomposition de

système américain , affirme que l’empire redouté ne se réalisera pas à cause de la

vastitude du monde, de la pluralité des cultures et des nations.

Le monde est trop vaste, trop divers, trop dynamique pour accepter la prédominance d’une seule puissance. L’examen des forces démographiques et culturelles, industrielles et monétaires, idéologiques et militaires qui transforment la planète ne confirme pas la vision aujourd’hui banale d’une Amérique invulnérable. Les États-Unis étaient indispensables à l’équilibre du monde; ils ne peuvent aujourd’hui maintenir leur niveau de vie sans les subsides du monde. Par leur activisme militaire de théâtre dirigé contre les États insignifiants, ils tentent de masquer leur reflux. La lutte contre le terrorisme, l’Irak et l’axe du mal ne sont plus que des prétextes. Parce qu’elle n’a plus la force de contrôler les acteurs économiques et stratégiques majeures que sont l’Europe et la Russie, le Japon et la Chine, l’Amérique perdra cette dernière partie pour la maîtrise du monde. Elle redeviendra une grande puissance parmi d’autres. (Todd, 2005, pp. 285-293)

Charles-Philippe David partage cet avis : il croit que les États-Unis ne jouiront plus dorénavant du statut d’hyperpuissance. Ils conserveront celui de grande puissance ou de puissance prédominante, mais il y voit les effets démographiques d’une population déclinante et vieillissante doublés d’un affaiblissement de l’opinion publique unifiée derrière une cause. Il conçoit également que les pays à l’économie émergente viennent changer le paysage.

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Aujourd’hui, les États dépendent les uns des autres. Leurs économies se mondialisent, leurs rapports sont démultipliés. Ils sont à la fois formels et informels. Dans ce contexte, la domination pure et simple d’un État ou même de l’hégémon sur un autre État devient difficile, sinon impossible. (…) Voilà pourquoi les États-Unis, malgré leur puissance inégalée dans toute l’histoire, demeurent vulnérables et dépendants. (…) leur économie, bien qu’elle soit la plus importante au monde, dépend de tous les producteurs et consommateurs de la planète. C’est donc un Gulliver, certes, mais qui est attaché au sol et qui peut aisément s’empêtrer. Même les réseaux terroristes, de véritables lilliputiens, parviennent à l’ébranler. (…) Personne ne peut donc contester que les États- Unis forment la nation la plus puissante. Mais, contrairement aux empires d’antan, elle ne peut tout faire seule. (Légaré-Tremblay, 2008, p.19)

L’idée même de polarité, unique ou multiple, est aussi battue en brèche par l’émergence des acteurs non étatiques. Les réseaux terroristes, les trafiquants de drogue ou (…) les multinationales remettent en question la conception classique de l’État-nation comme seul détenteur de la puissance. (Légaré-Tremblay, 2008, p. 29)

Pour Jean-François Revel, le statut des États-Unis tient d’avantage d’un besoin mondial d’une superpuissance. Il atténue la démonisation qu’en fait Griffin. Revel accepte l’idée de l’empire dans la mesure où celui-ci constitue un pôle de référence et la transpose à l’Amérique :

Athènes, Rome, l’Italie de la Renaissance, l’Angleterre et la France au XVIIIe siècle, ont été successivement une de ces sociétés-laboratoire, non pas du fait d’un quelconque processus, mais du fait de l’action des hommes. Au XXe siècle, ce fut le tour des États-Unis de le devenir. Ce n’est donc pas sans motif, même si c’est au prix d’une exagération manifeste, que, pour des milliards d’êtres humains, au début du XXIe siècle, mondialisation libérale est synonyme d’américanisation. Dans quelle mesure doit-on attribuer cette évolution à la seule Amérique et à son hyperpuissance? Les États-Unis ont-ils assumé volontairement ou involontairement cette fonction de laboratoire? Est-elle due à leur « impérialisme », à leur « unilatéralisme », ou à la vigueur de leur capacité d’innovation ? Le modèle américain n’est-il pas la créature au moins autant que le créateur d’un besoin mondial ? (Revel, 2002, p. 33)

Ainsi, si l’intuition de Revel est plausible, ce besoin mondial d’un gouvernement planétaire, peu importe qu’il soit de type post-moderne constructiviste comme le souhaiterait Griffin, ou d’un autre type, ne serait-il qu’une projection tout à fait humaine

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d’un besoin d’être dirigé ? Serait-il possible que globalement, les nations tendent, dans l’évolution humaine, à une telle globalisation ? Ce phénomène serait alors peut-être inévitable.

Henry Kissinger ne croit pas cela possible. Pour lui, et il rejoint David et Todd, les disparités mondiales sont trop grandes pour qu’un tel phénomène se produise. À l’intérieur même des nations, les disparités sont si importantes qu’un consensus national devient de plus en plus aléatoire. Parlant des sociétés :

(…) les élites mondialisées – qui vivent souvent dans des quartiers résidentiels fortifiés à l’écart des villes – sont liées par des valeurs et des technologies communes, alors que la grande masse de la population urbaine est attirée par le nationalisme, par le repli sur l’identité ethnique et par un certain nombre de mouvements qui lui font miroiter l’espoir de s’affranchir de l’ « hégémonie » mondialisée, souvent associée à la domination américaine. L’élite globale en réseau maîtrise parfaitement le fonctionnement d’une économie reposant sur la technologie, alors qu’une majorité, surtout hors des États-Unis, de l’Europe occidentale et du Japon, ne partage pas cette expérience et n’est pas nécessairement disposée à en accepter les conséquences, surtout en période de difficultés économiques. Dans un tel contexte, les attaques contre la mondialisation pourraient s’accompagner d’un nouvel extrémisme idéologique, notamment dans les pays où l’élite au pouvoir est réduite et où l’écart entre les riches et pauvres ne cesse de se creuser. On risque de voir apparaître, notamment dans les pays en développement, une classe très défavorisée permanente, un phénomène qui ne pourra que compromettre l’instauration du consensus politique dont dépendent la stabilité intérieure, la paix internationale et la globalisation elle-même.(Kissinger, 2003, p. 257)

Dans l’éventualité où Kissinger verrait juste, cela rendrait inconséquents les agissements des États-Unis dans la mesure où Chossudovsky les interprète, car ceux-ci concourent à appauvrir les nations fragiles économiquement et ne contribuent pas à stabiliser la répartition des ressources sur la planète dans le but d’en globaliser son gouvernement.