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Chapitre 1. LA NON-VIOLENCE, PRINCIPES, MODE DE VIE ET ENJEU

1. NOTIONS CONCEPTUELLES

1.7 Synthèse

Les auteurs que Griffin a identifiés avaient comme cheval de bataille un changement situationnel qui impliquait une participation active d’une partie de la population. Cette initiative visant à changer le monde, ou une partie du monde, si petite soit-elle, est forcément empreinte d’une forme de calme, de force tranquille ou même de sérénité, parce que mûrie. Elle rejette la violence et fait appel résolument à l’imagination. Elle est aussi foncièrement patiente et accepte une forme de souffrance. Les auteurs envisagent même la mort, et à l’image du Christ, ne s’en effraient pas. Cette forme de non-violence contraste avec ce que propose Reinhold Niebuhr lorsqu’il affirme que la paix devient possible quand tout le monde constate que chacun a les outils qu’il faut pour faire sauter la planète plusieurs fois… Il y a chez Niebuhr une sorte de fatalisme qu’il ne faut pas prendre au pied de la lettre, les issues des démarches n’étant jamais totalement prévisibles. Nous sommes donc en présence d’opinions qui se confrontent les unes aux autres : tantôt Gandhi, King et Desroches disent qu’ils sont prêts à mourir, de l’autre côté, Niebuhr leur rappelle que ce n’est pas nécessaire ! Des auteurs disent qu’il faut prier intensément, alors que Niebuhr n’en parle pas. À tout le moins, ce que nous pouvons retenir d’une telle démarche, c’est que la non-violence, dans un intérêt commun, revêt un attrait indéniable qu’il faut explorer avant de recourir à la violence, mais qu’elle prend plusieurs tournures, propres à chacun des penseurs.

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La grille de lecture qui suit démontre qu’en lien avec les fins, les moyens et les caractéristiques se recoupent, qu’ils sont communs en fait, et qu’ils semblent avoir fait leurs preuves dans des démarches qui mettent en scène des actions non-violentes entreprises pour le bien commun. Cette grille sera particulièrement utile par la suite pour lire l’œuvre de David Griffin. Ce regroupement d’idées communes est très significatif, car il permet d’ouvrir sur l’œuvre de David Griffin de nouvelles perspectives, qui seront considérés dans les chapitres à venir.

La grille de lecture constitue aussi un modèle visuel des résultats obtenus jusqu’à présent à travers l’examen des textes de Niebuhr, Gandhi, King et Desroches. On y voit combien le bien commun est un objectif omniprésent, de même que la dimension théologique. Les acteurs de la non-violence sélectionnés se donnent un but, ils évaluent par quels moyens ils pourront y parvenir et quelle est la couleur de leurs actions, quelles en sont les caractéristiques. Cette dernière donnée est probablement ce que nous pourrions désigner comme étant la marque de commerce d’une action directe non–violente dont le but est le bien commun. La lecture est à rebours, comme une analyse des faits qui se sont produits et qui s’inscrivent comme autant de marqueurs ou de jalons dans ce processus de planification et d’actualisation d’une action directe non-violente.

À la fois grille de lecture et résultat de lecture, le modèle visuel présenté ci-après peut aussi servir de guide dans des lectures ultérieures, visant à déterminer le bien fondé d’une action directe non violente, si elle se réclame, par ses auteurs, effectuée dans un objectif de paix et de justice. Par conséquent, une action directe non-violente, actualisée pour le bien commun, devrait porter les caractéristiques qui sont décrites dans cette grille.

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Figure 1 : Grille de lecture

Le but poursuivi

Justice Agir comme Jésus Christ

Paix (localement ou globalement) Changer le monde

Devenir comme Dieu Redonner le pouvoir aux opprimés

Les moyens utilisés dans l’action directe non-violente Le leadership et le pouvoir du meneur L’écrit

La prise de parole La prière

Le jeûne

Les caractéristiques de l’action directe non-violente

Prend du temps Implique la réconciliation

Implique de la souffrance Commande l’amour des ennemis Conçoit l’interdépendance Débute par une prise de conscience Commande l’imagination et la créativité Conçoit une religion unique

Leadership et pouvoir charismatiques du meneur

S’adresse à un public vaste sinon à toute la population.

Au moment d’élaborer cette grille de lecture, les faits et caractéristiques s’inscrivaient d’eux-mêmes en droite ligne avec les paroles et les écrits des auteurs. La pratique est donc ajustée à leurs paroles et leurs écrits. Cette caractéristique commune a suscité la réflexion que si les grands esprits se rencontrent comme le dit si bien l’adage, il est dès lors, fort possible que de nombreux autres points communs puissent être identifiés et isolés pour fins d’analyse par la suite. Notre démarche vise également à déterminer s’il est possible d’assimiler David Griffin à ces auteurs qui sont des figures majeures de la non-violence.

Afin de s’assurer que les figures majeures de la non-violence sont en lien avec le courant dominant de ce qu’est la non-violence et non qu’ils constituent une catégorie à part, les ouvrages de Gene Sharp ont été auscultés de manière à les confronter aux auteurs.

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L’on remarquera que Niebuhr est peu loquace et, de fait, il n’a pas participé à des actions directes non-violentes. Il affirme cependant, en plusieurs moments, que l’utilisation de la guerre et de la force ne devraient se faire qu’en dernière instance. (Niebuhr, 1958, p. 115) et (Niebuhr, 1944, p.174) Les autres auteurs se rejoignent en maintes occasions, ce qui indique qu’un modèle pourrait être tiré de cette mise en commun. On y voit aussi les points d’accord entre Sharp, le théoricien, et les auteurs, ce qui mène à croire que l’action directe non-violente pour le bien commun fait bien partie des actions non-violentes usuelles : elles ne se classifient pas à part.

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Tableau 1 – A : Éléments communs de définitions

Desroches M.L. King Jr. R. Niebuhr Gandhi Sharp Les moyens utilisés

La parole ● ● ●  Les écrits ● ● ●  Les actions ● ● ● ●  La prière ● ● ● Le jeûne ● ● Le leadership  Le but poursuivi Justice ● ● ● ●

Paix dans le monde ●

Devenir comme Dieu ●

Agir comme Jésus ● ●

Accéder à

l’autodétermination (empowerment)

● Changer le monde

(nouvel ordre mondial) ● ● ● ●

Caractéristiques de la non-violence Prend du temps ● ● ●  Implique la réconciliation Implique de la souffrance ● ● ●  Commande l’amour des ennemis ● ● ● Conçoit l’interdépendance ● ● ●

Débute par une prise

de conscience ● ● ●

Commande

l’imagination et la

créativité ● ● 

Conçoit une religion

unique ●

Leadership et pouvoir

charismatiques du

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Parmi les points saillants du tableau-synthèse, nous pouvons en mettre quelques-uns en exergue :

a) Une grande variété de moyens d’expression sont valides et possèdent une efficacité relativement grande dans un but de sensibilisation.

b) La justice et la modification des conditions de vie actuelles rallient la majorité des auteurs. Garante de la paix, la justice est d’abord une première destination qui permettra, une fois atteinte, de gagner la paix. Ce n’est pas tant pour ressembler à Dieu, ni agir comme lui que les activistes travaillent : c’est d’abord pour leurs semblables et pour changer leur monde.

c) À l’exception du fait religieux et du pouvoir, les caractéristiques sont partagées par tous les auteurs. Seul Gandhi jusqu’à présent s’est exprimé sur une religion unique comme caractéristique, lorsqu’il abordait la question de l’interrelationalité.

d) Niebuhr n’a pas travaillé ces questions, se limitant à affirmer que la lutte doive se mener dans l’action afin que l’issue en soit une de justice et de paix, dans l’objectif commun mentionné ci-haut. Il déplore l’absence d’une instance de droit international qui pourrait médier les litiges.

e) Dans une perspective plus théologique, l’ascèse n’est pas nécessaire dans le cadre d’une action directe non-violente. (Deux auteurs sur 5 préconisent le jeûne.)

« Action », «justice », «paix », «changer le monde ». La non-violence chez les auteurs comporte ces 4 caractéristiques communes, la plus éloquente d’entre elles étant l’action, indispensable à toute possibilité de démarche. Cette conviction, cette preuve que l’action soit nécessaire, et non l’inaction qu’il faut rejeter, fait appel à l’imagination et à la créativité. Ces deux facteurs sont la base même de la dynamique processuelle. Ce positionnement central de l’actualisation viendra appuyer les arguments d’herméneutique

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processuelle du chapitre 4 où l’on découvre une interprétation nouvelle de la non- violence.

Avant de mener graduellement le lecteur vers cette compréhension ultime, il est nécessaire de définir la non-violence dans un contexte « séculier ».