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La voix de Dieu est une promesse de vie et de jouissance éternelles :

A l'époque infantile, le mystique nous dit qu'il a été sourd à la voix de Dieu. En effet, il vivait dans un état auto centré, de fusion à l'Autre. Par la suite, l'accession à la parole le délivre de la volupté de l'oreille, il y a donc la création d'un point sourd qui lui permet d'entendre le Verbe de Dieu.

Cependant, ce que souhaite le religieux après avoir pu s'actualiser en tant que sujet manquant et désirant est d'entendre la voix de Dieu. Il ne s'agit pas des paroles portées par son Verbe, bien que Dieu appelle l'homme par ses paroles : « je suis la voie, la vérité, la vie »342. Pour lui, la parole de Dieu s'est incarnée dans la chair en la personne du Christ pour promulguer la sagesse du Divin et qu'elle nourrisse les hommes. Le Verbe de Dieu, n'est pas un homme, bien qu'il en ait le corps et sa chair, mais il est Dieu lui-même. Il se fait voix au travers d'une enveloppe corporelle.

En effet, il distingue les voix humaines, de celle de Dieu.

Pour lui, les voix humaines commencent et finissent, elles sont inscrites dans le temps. Il souhaite entendre celle du Divin, que Dieu parle, un Dieu éternel, tout comme sa voix, contrairement à celle de l'homme. « Et qu'il parle lui seul, non par ses créatures, mais par lui-même, et que son verbe nous parle, non plus par la langue charnelle, ni par la voix de l'ange, ni par le bruit de la nuée, ni par l’énigme de la parole, mais qu'il nous parle lui seul que nous aimons en tout, qu'en l’absence de tout, il nous parle »343.

Dieu parle a Saint Augustin. Il lui dit que la parole de Dieu provient des écritures, « qu'elle parle dans le temps ; et le temps n'atteint pas jusqu'à mon Verbe qui demeure en moi dans mon éternité. Ce que tu vois par mon esprit, c'est moi qui le vois, et ce que tu dis par mon esprit, c'est moi qui le dit, mais tu vois dans le temps que je vois, tu parles dans le temps et ce n'est pas dans le temps que je parle. »344

Cette voix hors mots, hors temps, pure continuité, l'appelle et l'attire, elle lui promet la vie éternelle. Ainsi, Saint Augustin est à la recherche de Dieu, un Dieu plein de promesses, mais aussi une figure archaïque.

Il le cherche, l'appelle, l'invoque, car ce que véhicule la parole de Dieu chez le mystique est justement cette promesse de vie éternelle. « Nous ressusciterons tous sans néanmoins être tous changés »345, n'est-ce pas là alors, la promesse de cette parole ?

A l'instar d'Ulysse qui s'est attaché au mat de son bateau et a enduit les oreilles de cires de ses 342 Saint Augustin. Les confessions. Livre 7 chapitre 18. Format Kindle, 2000, (397-401).

343 Ibid, Livre 9 chapitre 11. 344 Ibid, Livre 13 chapitre 29. 345 Ibid, Livre 2 chapitre 9.

marins afin d'entendre les voix des sirènes pour ne pas succomber à leurs tentations sous peine de disparaître en tant que sujet, Saint Augustin hésite à aller vers ce trop-plein de jouissance, à répondre à cette parole de vie éternelle dans laquelle Dieu lui dit « lève toi, toi qui dors, lève-toi d'entre les morts et le christ t'illuminera »346. Le religieux nous dit ne pas savoir quoi y répondre. Il y répond « tout à l'heure ! Encore un instant! Laisse-moi un peu ! »347. Cette réticence n'est-elle pas le signe d'un danger pour le sujet ? En effet, il énonce : « si je demeure en lui, je ne saurais demeurer en moi »348.

Cette voix, en tant que sujet désirant, il ne peut s'empêcher de la rechercher. Cependant, s'il la réintègre il disparaît en tant que sujet. S'il ne « demeure » plus en lui, c'est qu'il est en Dieu, dans un état de fusion à l'Autre, un temps avant la création du sujet où ils ne font plus qu'un.

Cette voix et cette parole interrogent Saint Augustin, il tente de la définir. Pour lui, la parole de Dieu est créatrice, elle crée le monde et toutes les choses. Il est le créateur de toutes les créatures, « que la lumière soit, et la lumière fut »349 , « et vous avez parlé, et cela fut, et votre seule parole à tout fait »350.

Saint Augustin s'interroge sur ce qu'est la parole de Dieu. Selon lui, la voix de Dieu laisse place au silence. Mais avant cela, « elle commence et finit, ses syllabes résonnent et s'évanouissent, la seconde après la première, la troisième après la seconde, ainsi de suite, jusqu'à la dernière, et le silence après elle »351. Dès lors, cette voix qui n'est pas éternelle, mais s’évanouit peu à peu est l'expression d'une créature dotée d'un corps qui provient de la volonté de Dieu. Ainsi, une créature transporte sa voix en parole et l'inscrit dans la temporalité humaine. La voix « Autre » devient une voix « autre », prise dans le sens et l'énonciation, une voix discursive.

Le corps, par « son oreille extérieure »352 porte les paroles à l'âme qui possède « une oreille intérieure »353 qui s'approche selon lui, du Verbe éternel et donc de la voix hors temporalité de Dieu. Ainsi, l'oreille humaine est uniquement capable de percevoir la parole de Dieu portée par une créature issue de ce dernier, par une voix temporelle. L'âme, elle, est proche de la voix éternelle de Dieu, une voix silencieuse. Elle est « sans fin, sans successions, sans écoulement »354, elle est 346 Saint Augustin. Les confessions. Livre 8 chapitre 1. Format Kindle, 2000, (397-401).

347 I bid.

348 Ibid, Livre 6 chapitre 11. 349 Ibid, Livre 13 chapitre 10. 350 Ibid, Livre 11 chapitre 5. 351 Ibid, Livre 11 chapitre 5. 352 Ibid.

353 Ibid.

infinie. Si cela n'était pas ainsi, Dieu ne serait pas éternel. Les paroles du Seigneur créatrices, portés par ses créatures sont passagères, tout comme ses créations.

Il s'interroge alors, mais de quelle parole de Dieu s'est-il servi pour « produire le corps »355dont les paroles créatrices sont sorties ?

Ainsi, il différencie la parole de Dieu et sa voix. La parole du Seigneur est portée par un être humain. Le Divin a besoin d'un sujet pour porter ce qu'il énonce. Il ne peut le faire lui-même. Dieu n'est pas en place de sujet, mais de grand Autre. Il est ce à quoi l'infans à du renoncer pour s'actualiser en tant que sujet, il est ce à quoi le sujet n'a pas accès, ce qui échappe.

En effet, si la parole de Dieu prend forme dans le langage humain, c'est qu'elle est portée par un autre, Jésus-Christ qui s'est détaché du grand Autre, à savoir Dieu, mais qui est appelé à y retourner. Ceci, tout comme le sujet, pour accéder à la parole doit se détacher de l'Autre, son désir s'oriente alors sur ce à quoi il a dû renoncer pour s'actualiser. Tout comme Saint Augustin qui est appelé par la voix de Dieu à retourner vers cet état de jouissance pleine.

L'homme devient objet de la voix du Seigneur, il porte sa parole. Cependant, si la parole de l'être suprême provient d'un sujet, d'un être humain, elle est donc trouée, elle ne peut pas tout dire.

Pour Lacan, quand le sujet se constitue en accédant au symbolique et au langage, il perd quelque chose de fondamental, sa vérité.

Le langage est pris dans le signifié, le symbolique, hors signifiant, hors réel. C'est dans ce réel que vient se loger la voix du Seigneur. Dieu est plein, non barré, il est l'Autre, il est le signifiant. Il représente ce réel inaccessible au sujet. Pour que sa voix se transforme en parole, elle doit s'inscrire dans un sujet divisé, son Verbe s'est donc fait chair.

Saint Augustin tente malgré tout de décrire cette voix hors mots, hors langage, hors temps, pure continuité. Pour cela, tout comme quand il a voulu décrire l'être de Dieu, il emploie toute une série de vocables. Dieu parle, mais il ne peut dire comment : « Selon lui la vérité de Dieu parle mais pas avec l'organe de la voix, elle est sans syllabes. Le Verbe « prononce tout et de toute éternité, une parole sans fin, sans succession, sans écoulement, qui dit éternellement, et tout à la fois, toutes les choses »356.

Il y a donc un réel de la voix du Divin qui lui échappe. Elle a pour Saint Augustin le statut de la voix de l'Autre.

355 Saint Augustin. Les confessions. Livre 11 chapitre 6. Format Kindle, 2000, (397-401). 356 Ibid, Livre 11 chapitre 7.

Ainsi, Saint Augustin a été appelé à Dieu, il a été invoqué. « Il me pressait de me retourner et d'appeler à moi, celui qui m'appelait à lui. »357. Il dit avoir entendu, la voix de Dieu le « rappeler »358.

Si Dieu le rappelle, c'est qu'il l'a déjà appelé . Il a été invoqué, convoqué par Dieu et peut à son tour l'invoquer en lui demandant de répondre à cet appel.

Saint Augustin, nous dit avoir invoqué Dieu dès son enfance. « Tout enfant, je vous priais »359. Par son invocation, il demande à Dieu de le délivrer, de le protéger, tout comme l'enfant qui attend la protection de ses parents. Il invoque Dieu par la prière.

Tout comme la mère avec l'enfant, Dieu appelle, invoque Saint Augustin. Il l'appelle par ces paroles « je suis la voie, la vérité, la vie » 360. Le Seigneur lui a dit à l'oreille du cœur qu'il est éternel, insoumis à la temporalité, il lui a dit d'une « voix forte »361, que Dieu est le créateur de « toutes les natures, de toutes les substances »362. Il n'y a pas d'autre volonté que celle de Dieu. Dieu voulait créer le monde, l'homme et Saint Augustin. Cela s'inscrit dans une volonté, donc dans un désir. Tout comme l'enfant qui est le désir de ses parents, de sa mère. Il dit : « Je vous ai invoqué, et vous m'avez entendu »363.

Dieu a invoqué Saint Augustin, il l'inscrit donc dans un désir. Tout comme la mère qui inscrit son enfant dans son désir.

Ainsi, ce Dieu pure voix, pure jouissance sans fin, promettant la vie éternelle, serait-il en lien avec la mère archaïque ?

La voix, les paroles, l'appel, le désir de la divinité comme nous l'avons vu, enjoignent le mystique à revenir en Dieu, dans un état où le sujet disparaît. Mais est-ce vraiment le désir de ce grand Autre non barré ? Il ne semble pas, si le grand Autre était barré, il deviendrait manquant. Or, le Dieu de Saint Augustin est plein, il est non manquant. Il semble plus juste de penser que Saint Augustin projette son désir d'être désiré par Dieu, ce qui implique de retourner à la jouissance pleine de l'Autre archaïque.

357 Saint Augustin. Les confessions. Livre 13 chapitre 1. Format Kindle, 2000, (397-401). 358 Ibid, Livre 12 chapitre 10.

359 Ibid, Livre 1 chapitre 7. 360 Ibid, Livre 7 chapitre 18. 361 Ibid, Livre 12 chapitre 11. 362 Ibid.

6 - Dieu ou un retour à la mère archaïque, un retour à l'Autre :