• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 : Le mélanome uvéal, un cancer totalement différent du mélanome cutané

4) Voies de signalisation

La découverte des acteurs moléculaires clés opérant essentiellement dans la voie des RCPG (GNAQ, GNA11, PLCB4, et CYSLTR2), dont les mutations sont mutuellement exclusives, a mené à l’identification des voies de signalisation impliquées dans le MU.

La liaison d’un ligand aux RCPG, comme CYSLTR2, induit un changement conformationnel du récepteur menant à la liaison de GNAQ/11 au GTP et à la libération des sous-unités β-γ qui transfèrent alors le signal du récepteur aux effecteurs en aval tels que le facteur 6 d’ADP- ribosylation (ARF6). Ces effecteurs vont stimuler plusieurs voies de signalisation incluant la phospholipase C β (PLCβ)/PKC, la cascade des MAPK (mitogen-activated protein kinase) qui contrôle la prolifération cellulaire, la voie PI3K/AKT, la voie des Rho GTPases impliquée dans la réorganisation du cytosquelette et YAP (yes-associated protein), un acteur clé de la voie Hippo (Figure 5).

Figure 4 : Principales altérations génétiques associées au mélanome uvéal

Les mutations activatrices du MU font partie de la voie des récepteurs couplés aux protéines G (RCPG) et des mutations secondaires déterminent le risque métastatique.

Nomenclature acides aminés : Q : Glutamine, R : Arginine, D : Aspartate, L : Leucine.

(Van Raamsdonk et al. 2009b, 2010; Robertson et al. 2017; Johansson et al. 2016; Harbour et al. 2010, 2013; Martin et al. 2013)

33 - ARF6

La petite GTPase ARF6 est un effecteur direct de la signalisation oncogénique GNAQ et il a été montré récemment que ARF6 agit comme l’embranchement central de la signalisation GNAQ en activant toutes les voies en aval (Yoo et al. 2016). Les auteurs montrent que GNAQQ209L forme un complexe avec GEP100 (ARF-guanine Nucleotide

exchange) activant ARF6 qui redirige GNAQ de la surface de la cellule aux vésicules cytoplasmiques, et induit l’activation des voies PLC/PKC et Rho/Rac, menant à l’expression des facteurs de transcription AP-1 et YAP/TEAD. L’activation d’ARF6 mène également à la libération de la β-caténine et à sa translocation dans le noyau où elle induit la transcription et participe à la prolifération cellulaire du MU. Yoo et al. ont également montré que l’inhibition d’ARF6 diminue la prolifération et la tumorigénèse dans un modèle de xénogreffe de MU.

ARF6 est un acteur important de la prolifération, la migration, l’invasion et le développement de métastases dans de nombreux cancers (Morishige et al. 2008; Grossmann et al. 2013; Hu et al. 2009)

- La voie des MAPK/ERK

La cascade des MAPK est suractivée dans 45% à 86% des MU primaires, présentant une augmentation de la phosphorylation des protéines effectrices ERK1/2 (Pópulo et al. 2011; Zuidervaart et al. 2005). L’expression ectopique de l’oncogène GNAQQ209Lstimule la

phosphorylation de ERK1/2 dans les mélanocytes, et les mutants GNAQ/11 présentent une stimulation de l’activité MAPK/ERK via l’induction de la PLCβ et l’activation de PKC (Van Raamsdonk et al. 2009b). Il a été montré que l’inhibition pharmacologique de PKC inhibe la prolifération des cellules de MU en ciblant la voie PKC/ERK1/2 (Wu et al. 2012). La PLCβ, effecteur de GNAQ/11, hydrolyse PIP2 (phosphatidylinositol(1,4,)bis-phosphate) pour générer les messagers secondaires IP3 (inositol trisphosphate) et diacylglycerol (DAG). Le DAG active la voie PKC, qui à son tour active RasGRP3 (guanyl-releasing protein-3) qui active RAS et la voie MAPK (Chen et al. 2017b). L’activation de la voie PKC-ERK par GNAQ/11 survient généralement dans des tumeurs de mauvais pronostic ayant perdu BAP1 (Robertson et al. 2017). L’IP3 est libérée dans le cytoplasme et se lie aux récepteurs IP3R, ce qui déclenche la libération du calcium du réticulum endoplasmique vers le cytoplasme, les mitochondries et les lysosomes. Le flux de calcium entre les différents compartiments cellulaires entraine alors des cascades cellulaires impliquées dans de multiples processus, incluant la mort et la survie cellulaires. Une augmentation de calcium dans les mitochondries entraine l’apoptose. La régulation de l’IP3 et de l’activité des IP3R est donc essentielle au bon déroulement de ces processus cellulaires.

34 - La voie PI3K/AKT

Le rôle de la voie PI3K/AKT dans le développement du MU n’est pas encore bien compris. La phosphoinositide 3-kinase (PI3K) convertit PIP2 en PIP3 (phosphatidylinositol(1,4,5)tris-phosphate). PIP3 active la protéine kinase AKT impliquée dans des voies de prolifération et de survie cellulaires. La voie PI3K/AKT est inhibée par PTEN (phosphatase and tensin homolog protein) qui convertit PIP3 en PIP2. Il a été observé que les cellules de MU mutées GNAQ/11 ne présentent pas de mutation de PTEN, ou d’activation de PI3K ou AKT contrairement au mélanome cutané (Griewank et al. 2012). Cependant la voie PI3K/AKT est activée dans plus de 50% des MU, souvent lorsque la voie MAPK est suractivée (Saraiva et al. 2005). Il a été suggéré que la déplétion de PTEN joue un rôle dans la tumorigénèse du MU avec l’observation d’une corrélation entre une faible expression de PTEN et une survie réduite. Des micro délétions du gène de PTEN seraient à l’origine de la diminution de l’expression de PTEN (Abdel-Rahman et al. 2006). Les voies PI3K/AKT et MAPK coopèrent pour promouvoir le développement du MU et il est nécessaire de combiner l’inhibition de ces deux voies pour induire l’apoptose des cellules de MU mutées GNAQ/11 (Khalili et al. 2012).

- La voie des RhoGTPases

La signalisation GNAQ/11 induit également l’activation des Rho GTPases RhoA et RAC1 menant au remodelage du cytosquelette d’actine et à la prolifération. GNAQ/11 stimule l’activité des Rho GTPases par l’intermédiaire de facteurs d’échange nucléotidiques RhoGEF (guanine nucleotide exchange factor). Une étude a mis en évidence le rôle essentiel du facteur RhoGEF TRIO dans l’activation des Rho GTPases. TRIO contient deux domaines GEF permettant l’activation simultanée de RhoA et Rac1, qui vont à leur tour activer les kinases JNK et p38 et le facteur de transcription AP-1, induisant la prolifération et la migration cellulaires (Vaqué et al. 2013). La signalisation TRIO/Rho/Rac induit l’activation des coactivateurs de la transcription YAP (Yes-Associated Protein) et TAZ (Transcriptional coactivator with PDZ-binding motif).

- La signalisation YAP

La signalisation Hippo/YAP a récemment été découverte comme une autre voie clé de la tumorigénèse du MU. Les principaux acteurs de la signalisation Hippo sont représentés par une cascade de kinases comprenant MST1/2 et LATS1/2. Les kinases LATS1/2 phosphorylent et inactivent YAP et TAZ, deux coactivateurs homologues de la transcription, en les retenant dans le cytoplasme. Lorsque la voie Hippo est inactivée, il y a déphosphorylation et translocation de YAP et TAZ dans le noyau. . Le complexe YAP/TAZ peut alors activer les facteurs de transcription TEAD et SMAD, jouant un rôle critique dans la prolifération et la transformation cellulaires. Il a récemment été montré que la voie Hippo

35 est fortement régulée par les mutants GNAQ/11 (Yu et al. 2012, 2014) Il a également été montré que GNAQ/11 peut activer le complexe de transcription YAP/TAZ indépendamment de la voie Hippo (Feng et al., 2014). En effet, les mutations activatrices de GNAQ/11 activent les coactivateurs transcriptionnels YAP et TAZ en déclenchant leur déphosphorylation et leur translocation dans le noyau, via la signalisation TRIO/RhoA/Rac1 et la polymérisation de l’actine. Le complexe YAP/TAZ peut alors interagir avec TEAD et SMAD, et activer la transcription. La vertéporfine, un inhibiteur pharmacologique de YAP, empêche la prolifération des cellules de MU mutées GNAQ in vitro et in vivo (Feng et al. 2014).

Un modèle de souris transgénique a récemment été mis au point afin de pouvoir étudier la voie YAP directement dans des mélanocytes uvéaux de souris. Pour cela, un vecteur viral Cre, spécifique des mélanocytes, est directement injecté dans la choroïde de la souris. Cette méthode est ensuite utilisée pour délivrer la recombinase Cre dans la souris adulte, portant des allèles « floxés » pour les différents acteurs de la voie YAP/TAZ, permettant de manipuler leur activité dans les mélanocytes uvéaux spécifiquement (Li et al. 2019). Ce modèle montre que l’activation de la voie YAP/TAZ coopère avec la voie MAPK/ERK dans l’initiation et la progression du MU, et suggère que l’inhibition combinée des voies YAP et MAPK pourrait être exploitée comme nouvelle stratégie thérapeutique.

De manière intéressante, une étude a montré un lien entre la perte de BAP1 et la voie Hippo/YAP dans l’adénocarcinome du pancréas. Les tumeurs du pancréas déficientes pour BAP1 présentent une dérégulation de la voie YAP, tout comme le MU. Les auteurs suggèrent que BAP1 pourrait limiter la progression tumorale en stabilisant LATS, un acteur de la voie YAP, et ainsi promouvoir l’activité suppresseur de tumeur de la voie Hippo/YAP (Lee et al. 2020).

36 Figure 5 : Principales voies de signalisation impliquées dans le développement du MU

La liaison du ligand à son RCPG entraine l’activation de GNAQ/11. La mutation Q209L active de façon constitutive ARF6 qui stimule les voies Rho/Rac, YAP, et MAPK menant à des prolifération et migration cellulaires aberrantes. La mutation perte de fonction de BAP1 altère l’intégrité du génome et participe au développement du MU. Les mutations sont indiquées en rouge. (Yoo et al. 2016; Pandiani et al. 2017b; Bononi et al. 2017; Jager et al. 2020).

37