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CHAPITRE 2 : Le mélanome uvéal, un cancer totalement différent du mélanome cutané

5) Altérations cytogénétiques

Comme vu précédemment, le risque métastatique du MU dépend de la présence de certaines mutations principales (BAP1, EIF1AX, SF3B1), et d’altérations cytogénétiques qui sont également capitales pour le pronostic. Ces aberrations chromosomiques ont été mises en évidence grâce à la technique d’hybridation génomique comparative (CGH) reposant sur l'hybridation simultanée et compétitive de l'ADN tumoral et d'ADN témoin, marqués à l'aide de fluorochromes différents, et permettant d'analyser les variations du nombre de copies dans l’ADN. Ces anomalies, du nombre, ou de la structure des chromosomes peuvent altérer, soit l’ensemble du chromosome, soit le bras court (p), soit le bras long (q) (Figure 6).

Dans le MU, les aberrations chromosomiques incluent principalement une monosomie du chromosome 3 (M3), et un gain des chromosomes 6p et 8q (Trolet et al. 2009b). La monosomie du chromosome 3 apparait comme un évènement précoce, présent dans 50% des tumeurs et est souvent associée à un gain du 8q. L’association monosomie du chromosome 3 et polysomie du 8q sont corrélés à un haut risque métastatique et un mauvais pronostic et sont associés aux autres facteurs de risque cliniques et histologiques connus (Damato et al. 2009; Versluis et al. 2015). La monosomie du chromosome 3 est le facteur de risque le plus utilisé pour prédire le développement métastatique du MU (van den Bosch et al. 2012), permettant de classer les tumeurs en deux classes, celles avec une disomie du 3 (D3), de bon pronostic, et celles avec une monosomie du 3, de mauvais pronostic. La plupart des tumeurs métastatiques montrent une monosomie complète du chromosome 3, mais il existe certains cas dans lesquelles apparaissent des délétions partielles du chromosome associées à un pronostic moins mauvais que lorsque la perte est complète (Shields et al. 2011).

De nombreuses études ont été effectuées afin de trouver un gène suppresseur de tumeur localisé sur le chromosome 3, dont l’inactivation pourrait corréler avec la perte d’hétérozygotie du chromosome 3 (Blasi et al. 1999; Tschentscher et al. 2001). Harbour et al, ont identifié des mutations somatiques dans le gène BAP1, comme mutations récurrentes dans les MU avec une M3 (Harbour et al. 2010).

De manière intéressante, MITF, qui contrôle la différenciation mélanocytaire et qui est impliqué dans la réplication et la réparation de l’ADN dans les mélanocytes cutanés, est localisé sur le chromosome 3. La monosomie du chromosome 3 dans le MU pourrait donc entrainer une diminution des niveaux de BAP1 et MITF, impliquant une réduction des réparations des dommages à l’ADN, favorisant ainsi une instabilité chromosomique dans le développement du MU. Cette hypothèse peut être soutenue par le fait que les tumeurs avec une disomie du 3 présentent moins d’anomalies chromosomiques, peu de métastases et un meilleur taux de survie (Onken et al. 2010a; Shields et al. 2011). De plus, l’haploinsuffisance de MITF pourrait favoriser un switch d’un phénotype différencié vers un phénotype indifférencié, contribuant, comme dans le mélanome cutané, au développement métastatique.

38 Au contraire, le gain du 8q peut influencer le développement du MU à travers la surexpression de gènes pro oncogéniques, localisés sur le chromosome tels que MYC (8q24) (Parrella et al. 2001), NBS1 (8q21) ou ASAP1 (8q24). NBS1 joue un rôle critique dans la réparation des cassures double brin de l’ADN et son expression est associée à la gravité de la tumeur et la mort métastatique dans le MU (Ehlers and Harbour 2005). ASAP1 (ArfGAP With SH3 Domain, Ankyrin Repeat And PH Domain 1), aussi appelé DDEF1, est surexprimé dans les MU présentant un gain du 8q et augmente la motilité cellulaire (Ehlers et al. 2005). De manière intéressante, ASAP1 est une ARF GAP spécifique d’ARF1, mais peut également activer ARF6 (Randazzo et al. 2000), qui est, comme nous l’avons vu, un effecteur principal de la signalisation du MU. Le gain du 8q peut, dans certains cas, survenir dans les disomies du chromosome 3, augmentant le risque métastatique par rapport aux tumeurs présentant un chromosome 8 normal (Robertson et al. 2017). Le gain du 8q dans les mélanomes uvéaux serait un événement plus tardif qui apparaîtrait après l’altération des chromosomes 3 ou 6. En effet, dans plusieurs études, cette altération est rarement observée seule, et les tumeurs présentant une altération sur le 8 sont dans la plupart des cas également altérées sur le 3 ou le 6 (Parrella et al. 1999; Ehlers et al. 2008).

Des anomalies du chromosome 6 sont également fréquentes dans le MU, avec notamment une perte du 6q mais aussi un gain du 6p. La perte du 6q est corrélée à la monosomie du chromosome 3 et au gain du 8q, et est associée à un très haut risque métastatique et un faible taux de survie. En revanche, les tumeurs présentant un gain du 6p sont dans la majorité des cas associées à la disomie du chromosome 3 et donc à un meilleur taux de survie (Aalto et al. 2001; Robertson et al. 2017)(Figure 6).

Le chromosome 1 est altéré dans environ 30% des MU, avec essentiellement une perte du 1p. Cette anomalie est enrichie dans les tumeurs métastatiques et est associée à un mauvais pronostic (Trolet et al. 2009b; Kilic et al. 2005), même si la perte du 1p ne constitue pas un marqueur indépendant de la survie et n’est pas systématiquement pris en compte dans les classifications basées sur la cytogénétique.

D’autres anomalies du nombre de copies d’ADN sont également caractérisées dans le MU touchant notamment le chromosome 10 contenant le gène suppresseur de tumeur PTEN, les chromosomes 9 (perte 9p), 11, 7 (gain), 13 et 16 (perte 16q), mais leur fréquence est faible et leur corrélation avec le pronostic n’est pas claire (Scholes et al. 2001; Royer- Bertrand et al. 2016).

Finalement, le MU est caractérisé par un faible niveau d’instabilité chromosomique contrairement à d’autres tumeurs comme le cancer du sein, ou le mélanome cutané, qui présentent des caryotypes très complexes. Le MU présente des anomalies chromosomiques récurrentes, utilisables pour le pronostic et le suivi des patients permettant d’identifier les patients à haut risque métastatique.

39 Figure 6 : Principales altérations cytogénétiques associées au

pronostic dans le mélanome uvéal

(A) Fréquence des principales aberrations chromosomiques dans le MU. (B) Acquisition d’altérations génétiques menant à différents profils de risque métastatique (Royer-Bertrand et al. 2016; Robertson et al. 2017). Adapté de (Park et al. 2018).

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