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Chapitre V : Mécanismes d’action d’autres pathogènes bactériens sur les barrières

A. La voie transcellulaire 76

La majorité des pathogènes bactériens emploient une voie transcellulaire pour franchir les barrières tissulaire chez l’être humain. Pour le franchissement de la barrière épithéliale, plusieurs mécanismes impliquant une internalisation des bactéries ont été rapportés. Les pathogènes peuvent exploiter le fait que certaines cellules de l’hôte (les cellules M ou les cellules dendritiques) échantillonnent le contenu de l’intestin. Alternativement, certains pathogènes sont capables de provoquer leur entrée dans les cellules épithéliales non phagocytaires. Les différents mécanismes de franchissement de la barrière intestinale sont représentés dans la Figure 25. Pour franchir l’endothélium, certains pathogènes tels que S.

aureus ont développé une stratégie alternative : ils sont capables d’induire la formation de

tunnels dans les cellules endothéliales, ce qui leur permet d’accéder à la matrice extracellulaire sous-jacente par une voie transcellulaire n’impliquant pas une internalisation dans la cellule (Boyer et al., 2006; Lemichez et al., 2010).

a. Phagocytose par des cellules spécialisées

On trouve dans l’intestin des agrégats de follicules appelés « plaques de Peyer ». Ces follicules sont composés de cellules dendritiques et de lymphocytes B et T. Ils sont séparés de l’intestin par des cellules M, dont le rôle est de capturer des antigènes dans la lumière de l’intestin, de leur faire franchir la barrière épithéliale par endocytose puis de les présenter aux cellules immunitaires de la plaque de Peyer (voir Figure 23).

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Figure 23 : Organisation des plaques de Peyer Adapté de (Jain and Walker, 2015)

Plusieurs pathogènes bactériens tels que Salmonella, Yersinia ou Shigella flexneri peuvent exploiter le mécanisme d’endocytose des cellules M pour accéder aux tissus sous-jacents (Corr et al., 2008). Une fois dans les plaques de Peyer, ces pathogènes emploient différentes stratégies pour coloniser l’hôte : Salmonella typhimurium est phagocytée par les macrophages et les cellules dendritiques, à l’intérieur desquelles elle peut survivre et coloniser d’autres tissus (tactique du cheval de Troie, décrite ci-après). Yersinia reste extracellulaire en empêchant sa phagocytose par les macrophages. S. flexneri envahit les cellules épithéliales intestinales par leur côté basal et s’y développe, pouvant ensuite se déplacer de cellule en cellule par un mécanisme dépendant de l’actine (Corr et al., 2008).

Il est à noter que des cellules dendritiques peuvent également sonder directement la lumière de l’intestin (voir Figure 25). Ce mécanisme peut être exploité par S. typhimurium pour accéder aux tissus sous-jacents de l’épithélium (Ribet and Cossart, 2015).

b. Entrée dans les cellules non phagocytaires

Certains pathogènes bactériens sont également capables de traverser la barrière intestinale en provoquant leur internalisation dans des cellules épithéliales non phagocytaires. Deux mécanismes d’entrée dans les cellules sont documentés : le « trigger » et le « zipper » (voir Figure 24).

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Figure 24 : Mécanismes d'entrée des bactéries dans les cellules épithéliales (Ribet and Cossart, 2015)

i. Mécanisme « trigger »

En plus de sa capacité à envahir les cellules M, S. typhimurium peut provoquer son internalisation dans des cellules non phagocytaires par le mécanisme « trigger ». Pour cela, S.

typhimurium injecte des toxines via un premier SST3 (le SST3-1) dans le cytoplasme de la

cellule hôte, ce qui entraîne des réarrangements du cytosquelette d’actine et la formation de protrusions membranaires conduisant à l’internalisation de la bactérie. S. typhimurium peut alors proliférer à l’intérieur de la cellule ou la traverser pour accéder à la lamina propia (tissu conjonctif sous l’épithélium intestinal). Chacune de ces deux activités dépend du SST3-2, le deuxième SST3 de S. typhimurium (Muller et al., 2012). S. flexneri est également capable d’être internalisée par des cellules épithéliales en induisant sa capture par des filopodes de la surface apicale des cellules (Carayol and Tran Van Nhieu, 2013).

ii. Mécanisme « zipper »

Listeria monocytogenes est une bactérie à Gram positif capable de franchir les barrières

intestinale, hémato-encéphalique ou placentaire. Elle est capable de provoquer son internalisation dans les cellules épithéliales intestinales par le mécanisme « zipper », pour lequel l’interaction d’une adhésine bactérienne à une protéine de l’hôte déclenche l’internalisation de la bactérie.

Un des deux récepteurs utilisés par L. monocytogenes pour son entrée dans les cellules épithéliales est la E-cadhérine. Cette protéine est reconnue par une molécule de surface de la bactérie, InlA, qui fait partie de la famille des internalines. InlA interagit spécifiquement avec la E-cadhérine des cellules épithéliales, et induit le recrutement de facteurs d’endocytose ainsi

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qu’un remodelage du cytosquelette d’actine, conduisant à l’entrée de la bactérie dans la cellule (Pizarro-Cerda et al., 2012).

De manière intéressante, L. monocytogenes cible des points précis de l’épithélium pour cette internalisation. En effet, la E-cadhérine ne lui est en temps normal pas accessible, car elle est protégée par les jonctions serrées. Ainsi, ce pathogène cible des sites d’irrégularités de l’épithélium intestinal où la E-cadhérine est exposée. Les sites identifiés sont les zones d’extrusion de cellules épithéliales aux extrémités de villosités intestinales, les cellules caliciformes sécrétrices de mucus (Goblet cells) (voir Figure 25), et les replis de villosités intestinales (Pizarro-Cerda et al., 2012).

Figure 25 : Franchissement de la barrière intestinale par Salmonella, Shigella et Listeria (Ribet and Cossart, 2015)

c. Formation de tunnels transcellulaires

Certaines souches de S. aureus peuvent sécréter une exoenzyme, EDIN, qui induit la formation transitoire de larges tunnels transcellulaires appelés « macroapertures » dans des cellules endothéliales. La formation de ces tunnels, ayant un diamètre de l’ordre de la dizaine de micromètres, résulte d’une dissolution des filaments d’actine suite à une inactivation de la GTPase RhoA par EDIN. La formation de ces tunnels est associée à une augmentation de la

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perméabilité de l’endothélium, et permet l’accès et l’adhésion des bactéries à la matrice extracellulaire sous-jacente (Lemichez et al., 2010).

L’induction de la formation de ces tunnels transcellulaires a également été observée pour

Bacillus anthracis et Bacillus pertussis, indiquant que ce mécanisme peut être employé par

différents pathogènes bactériens (Maddugoda et al., 2011).

La voie transcellulaire est le principal mécanisme utilisé par les pathogènes bactériens pour franchir les barrières tissulaires de l’organisme. La majorité des pathogènes responsables de méningites sont capables de franchir la barrière hémato-encéphalique par ce mécanisme. On retrouve parmi ceux-ci : Escherichia coli, S. pneumoniae, N. meningitidis ou L.

monocytogenes. Cependant, certains de ces pathogènes pourront utiliser également une voie

paracellulaire (N. meningitidis) ou le mécanisme du « cheval de Troie » (L. monocytogenes) (Dando et al., 2014). Ces deux stratégies seront détaillées ci-après.