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Vitesse temporelle du changement et processus d’adaptation

La Figure 2.7 permet de faire la synthèse des résultats portant sur la vitesse des zones climatiques. Dans le cas où aucune mesure d’atténuation n’est mise en oeuvre durant le 21èmesiècle (i.e. en suivant le scénario RCP8.5), plusieurs espèces n’auront pas la capacité suffisante de s’adapter et de se déplacer dans des zones où les conditions seront considérées clémentes à leur survie (Settele et al., 2014). On peut noter comme exemples la plupart des arbres et des herbacées, les rongeurs ou encore les primates.

La vitesse spatiale ne correspond pas systématiquement à un décalage vers les pôles. Burrows et al. (2011) le montrent dans les océans et Dobrowski et al. (2013) ont des conclusions similaires sur le continent américain où, lorsque les variables climatiques liées au cycle hydrologique sont prises en compte, des effets divergents de la direction du déplacement se compensent.

2.2 Vitesse temporelle du changement et

pro-cessus d’adaptation

« While noting the need for adaptive response strategies, it should also be recognized that adaptation to climate is at least as old as the human species. »

(IPCC, 1990, p.174)

En une phrase, tout est dit. Il y a maintenant 26 ans de cela que le troisième groupe de travail du GIEC, alors focalisé sur les stratégies à mettre en place pour lutter contre le changement climatique, renvoyait l’adaptation à un réflexe intrinsèque à l’espèce humaine. Elle ne méritait donc pas un intérêt particulier de la part de la communauté scientifique. Pourquoi n’arriverons-nous pas à nous adapter à l’augmentation de la température actuelle, alors que nous le faisons depuis toujours ? Après le succès du protocole de Montréal en 1987, la communauté internationale pensait pouvoir régler la problématique du changement climatique simplement en s’attaquant à ses causes et en ignorant la question de ses impacts encore considérés comme hypothétiques à cette époque (Simonet, 2015).

Bien sûr, l’adaptation a depuis le début eu une place au sein des négociations climatiques. Mais ce n’est que huit ans après la parution du premier rapport du GIEC (FAR, First Assessment Report en anglais) que Pielke (1998), entre autres, affirme que les mesures d’atténuation au changement climatique ne suffisent plus pour assurer notre avenir. Des mesures d’adaptation doivent les compléter et sont considérées comme une very powerful option. En 1996, le GIEC parle pour la première fois d’un réel « besoin d’adaptation ». Pourtant, peu d’efforts ont été entrepris sur une possible interaction entre les deux enjeux (se référer au deuxième rapport du GIEC, SAR). Et ce n’est seulement qu’à partir de l’écriture du TAR qu’on parle d’adaptation.

À partir de ce moment-là, le constat grandissant de l’inefficacité des politiques de réduction des émissions de GES et la volonté quasi-unanime de maintenir une

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forte croissance économique ont permis au concept d’adaptation de prendre son envol (Marquet et Salles, 2014). Certains y voient même l’émergence d’un champ de recherche à part entière (e.g. Patt, 2013). Dans un premier temps considérée comme une variable d’ajustement, l’adaptation devient un vecteur de profonde transformation de la société (Eyzaguirre et Warren, 2014; Simonet, 2015). En ce sens, l’AR5 est clairement en rupture avec les rapports précédents en s’orientant nettement sur l’aspect « transformation » de l’adaptation. Dans cette optique, il serait alors intéressant que des recherches climatiques fassent directement l’ob-jet de problèmes d’adaptation, comme c’est déjà le cas à court terme pour les prévisions décennales (Kirtman et al., 2013).

Comme l’ont montré O’Neill et Oppenheimer (2004), les impacts du change-ment climatique dépendent fortechange-ment de la trajectoire des émissions anthropiques en vue d’une stabilisation des concentrations. L’important n’est donc pas l’objec-tif final, mais plutôt comment on arrive à l’atteindre. La vitesse des changements climatiques futurs aura une influence très probable sur la demande et les coûts des mesures d’adaptation (Klein et al., 2014). Bien que des incertitudes subsistent quant à la capacité de certaines espèces à s’adapter à des vitesses de changement élevées, la multiplication de changements rapides peut contraindre le déplacement et l’adaptation de certains écosystèmes (Hoegh-Guldberg, 2008; Gilman et al., 2008; Malhi et al., 2008; Thackeray et al., 2010; Lemieux et al., 2011; Settele et al., 2014, Section 2.1.2). Ce phénomène peut même s’amplifier en présence d’autres pressions environnementales (Brook et al., 2008). Une intensification de la vitesse des changements peut également rendre obsolètes certaines options d’adaptation (New, 2010; Stafford Smith et al., 2010; Peters et al., 2013). D’un autre côté, cette intensification peut engendrer une nouvelle motivation à s’adapter, menant à une implémentation plus rapide des mesures d’adaptation (Travis et Huisenga, 2013). En résumé, l’étude approfondie de l’évolution future de la vitesse tempo-relle des changements climatiques peut apporter des éléments supplémentaires aux décideurs et aux communautés scientifiques liées à l’adaptation.

Simultanément à mon travail de thèse, quelques études se sont focalisées sur la quantification de la vitesse temporelle du changement climatique actuel, et plus particulièrement de la vitesse de réchauffement. Ji et al. (2014) se sont penchés sur l’évolution de cette vitesse au cours du 20ème siècle et sur son comportement non-uniforme sur les différentes régions du globe. À partir de la moitié du siècle, le réchauffement s’étend sur toutes les zones continentales et s’accélère jusqu’à la fin du siècle. Le réchauffement le plus rapide durant les décennies les plus récentes se concentre dans les moyennes latitudes de l’hémisphère Nord et est de l’ordre de 0.4°C par décennie. Apparu d’abord dans les régions subtropicales et subpolaires de l’hémisphère Nord, ce réchauffement s’est étendu aux régions subtropicales de l’hémisphère Sud. Les bandes de réchauffement subtropicales et subpolaires au Nord se sont rejoint aux alentours de 1985 pour s’étendre sur tout l’hémisphère. La Figure 2.8 montre la vitesse du changement de la température en 1960 et en 2000. Des zones de refroidissement et de réchauffement se partageaient la globalité des zones continentales en 1960, alors qu’une tendance très nette au réchauffement s’est propagée sur l’ensemble du globe à l’horizon 2000. L’étude de Smith et al. (2015) a permis de montrer que le système climatique est en train d’entrer dans un

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régime de vitesse de réchauffement encore inégalé durant le dernier millénaire. En se basant sur divers proxy de la vitesse de réchauffement, les auteurs montrent en effet qu’à partir des années 2000, la vitesse moyenne en hémisphère Nord atteint 0.2°C par décennie (Figure 2.9). Selon les simulations CMIP5, cette vitesse atteint même 0.25°C par décennie en moyenne sur l’hémisphère Nord en 2020. Cette moyenne est plus élevée que tous les maxima de vitesses du dernier millénaire. Ces deux études définissent la vitesse comme une dérivée de la température sur deux ou quatre décennies. Elles ne traitent par contre pas des projections climatiques à long terme et ne se focalisent pas sur d’autres variables que la température de surface.

Figure 2.8 :Vitesse de réchauffement sur l’ensemble des zones continentales selon la tempéra-ture à la surface (a) en 1960 et (b) en 2000 (se basant sur la figure de Ji et al., 2014).

Figure 2.9 :Vitesse de changement de température sur des périodes de 40 ans pour plusieurs reconstructions climatiques qui couvrent la plupart de l’hémisphère Nord. En noir, il s’agit de la vitesse donnée par le jeu d’observations de température à la surface HadCRUT4 (Morice et al., 2012). Les vitesses sont des tendances linéaires finissant durant l’année donnée (tiré de Smith

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