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Le vitalisme et la chimie : réfutation et mythe

concept d’émergence

III. Les philosophes, l’émergence et la chimie

3.2 Contexte d’apparition des premiers travaux émergentistes

3.3.1 Le vitalisme et la chimie : réfutation et mythe

Broad utilise les connaissances chimiques, en particulier à propos de l’isomérie, pour remettre en question l’existence des entéléchies. Ce faisant, il donne des exemples précis de

composés isomères et construit tout un raisonnement dont je proposerai une analyse dans les

prochains paragraphes. Il ne glorifie pas pour autant la synthèse de l’urée pour partir en croisade contre les vitalistes, pas plus qu’il n’insiste sur la possibilité de recréer en laboratoire

des substances extraites du vivant à partir de matières minérales inertes. Comment expliquer cette absence de recours aux exemples « historiques » de la synthèse organique ?

Par ignorance ? Je ne pense pas, Broad connaît bien les principales expériences chimiques de son époque tandis que Mill étudie minutieusement le raisonnement proposé par Liebig

pour expliquer l’origine de la mort par empoisonnement avec les métaux295

. Ce faisant, ce dernier entre dans des détails et ne se contente pas de survoler les travaux de Liebig. Il écrit

par exemple à propos de l’empoisonnement par les composés du plomb que : « La colique des

peintres, maladie si commune dans les fabriques de céruse296, est inconnue là où les ouvriers prennent habituellement comme préservatif de la limonade d’acide sulfurique. τr, l’acide sulfurique dilué a la propriété de dissoudre les composés de plomb ou de matières organiques

295 MILL, John Stuart. Système de logique déductive et inductive. Exposé des principes de la preuve et des

méthodes de recherche scientifique, Volume 1, 3ème édition traduite de la sixième édition anglaise par Louis Peisse, Louis Alcan Editeur, Paris, 1889, Chapitre IX : Exemples divers des quatre méthodes, pp. 449-ζηζ. J’ai travaillé à partir de la version française disponible gratuitement sur le site de la bibliothèque numérique (Gallica).

296 La céruse encore appelée carbonate de plomb, blanc de Saturne, blanc de plomb ou blanc d'argent, fut longtemps le seul pigment blanc couvrant connu. Dès l’Antiquité, et jusqu'à l'époque moderne, la céruse servit à fabriquer du fard blanc, signe de distinction sous l’Ancien Régime. Les effets toxiques sont connus dès la fin du XVIIIème siècle en particulier dans le cadre de son usage cosmétique, suite notamment aux publications du Docteur Maurice Deshais-Gendron en 1760, puis du docteur Anne-Charles Lorry en 1777. La corporation des gantiers-parfumeurs qui cherche alors à étendre ses prérogatives professionnelles à la fabrication des cosmétiques est alors confrontée au coût de production et aux médecins. Le lecteur pourra se référer au travail de Catherine LANOË, « δa céruse dans la fabrication des cosmétiques sous l’Ancien Régime (XVIe-XVIIIe siècles) », Techniques & Culture [En ligne], 38, 2002, mis en ligne le 11 juillet 2006, URL : http://tc.revues.org/224.

ou d’empêcher leur formation. »297

Il serait aisé de multiplier de tels exemples de référence à la chimie en lien avec la question du vivant ; ils présentent l’avantage de montrer que εill a lu attentivement les travaux de δiebig afin d’étudier sa façon de raisonner. Il a donc suivi son raisonnement, les étapes, le choix des exemples, la force de certaines inférences, et les discute

sur la base de ses propres connaissances en chimie et physiologie. Cette façon d’étudier les travaux des scientifiques montre que l’absence de toute référence à δiebig dans le cadre du vitalisme n’est très probablement pas liée à un manque de connaissances ; et ce d’autant plus

que Liebig est lui-même, à sa façon, un vitaliste.

δ’absence de référence aux débats internes à la chimie à propos du vitalisme, est-elle alors

due à une méthodologie particulière ? A une façon de se référer aux sciences en philosophant ? Mill décrit les raisonnements scientifiques ; Lewes, Broad, Morgan et

Alexander interrogent les liens entre les sciences, entre le corps et l’esprit. La chimie leur

permet d’illustrer leurs thèses mais aussi de raisonner pour penser la nouveauté, et l’absence de déductibilité des propriétés d’un tout par rapport à celles de ses parties. Ils étudient comment les chimistes raisonnent. Leur philosophie est empirique tout en restant orientée sur les raisonnements, la théorie, et les lois de la chimie. Ces auteurs évoquent les « lois » chimiques : la loi des proportions définies de Proust, la loi des proportions multiples de Dalton, la loi d’isomorphisme298 d’Eilhard Mitscherlich, etc. Même si la chimie a souvent été mise à part par les philosophes, et continue de l’être au moins en partie de nos jours, il faut reconnaître aux émergentistes cette ouverture d’esprit à son égard et ce sens du détail dans

l’analyse des explications scientifiques. Le modèle de la mécanique et les lois de la physique

restent le cœur battant de leurs études, même s’ils sont ouverts à la biologie, la physiologie, et la chimie. Il y a donc quelque chose qui, dans les raisonnements des acteurs de la chimie, leur apparaît éloigné de leurs propres desseins. Les objectifs des émergentistes expliqueraient-ils dès lors cette absence de référence à la soi-disant réfutation du vitalisme par la chimie ?

Ce n’est pas impossible car, comme le montre Jean Jacques, la question du vitalisme n’est

pas aussi tranchée à l’époque où les émergentistes britanniques écrivent299. Beaucoup de chimistes comme Berzélius, Liebig, ou Gerhardt, quoique d’abord fermement attachés à la notion de force vitale défendue par le médecin biologiste et physiologiste français Marie François Xavier Bichat (1771-1802), nuanceront progressivement leurs vues sur ce sujet tout

297

MILL, John Stuart. Système de logique déductive et inductive. Exposé des principes de la preuve et des

méthodes de recherche scientifique, op. cit., p. 452.

298 Loi relative à des corps différents cristallisant dans une même structure.

299 JACQUES, Jean. « Le vitalisme et la chimie organique pendant la première moitié du XIXème siècle », Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, tome 3, n°1, 1950, pp. 32-66.

en restant attachés à cette notion. En ce sens, les chimistes, en l’occurrence les chimistes organiciens, expriment des « formes » et des « degrés » de vitalisme dans l’évolution de leurs travaux. Comme l’écrit Canguilhem à propos de certains physiologistes du XIXème siècle,

propos qui n’en reste pas moins exact concernant certains chimistes : « A cette époque, être

vitaliste ce n’était pas nécessairement freiner le mouvement de la recherche scientifique. »300 A la caricature, à la prétendue unité de l’être rationnel se substitue la complexité des acteurs de la science, de leurs besoins, de leurs contextes et de leurs ambitions.

La synthèse de l’urée par Wöhler en 18β8 est souvent présentée, même à l’heure actuelle par certains professeurs de chimie, comme la démonstration de l’inconsistance de la notion de force vitale ; bref comme une « expérience cruciale ». Plusieurs historiens ont pourtant

montré qu’il ne s’agit que d’une reconstruction faite, a posteriori, par certains chimistes

comme Hofmann August Wilhelm et Berthelot301. Le mythe a remplacé la réalité car la

synthèse de l’urée n’a rien enlevé à la force vitale, ni son pouvoir explicatif, ni son pouvoir

heuristique, et encore moins sa notoriété dans les milieux de la recherche. Afin de diminuer la

portée de la synthèse de l’urée dans le cadre du débat à propos du vitalisme, Berzélius

souligne en particulier que la synthèse est faite à partir d’un cyanate (corps composé) et non à partir des éléments (entendus comme corps simples)302. Il insiste d’ailleurs sur le fait que le cyanate lui-même n’a pas été produit à partir de ses éléments, mais par une opération

chimique d’oxydation d’un cyanure à partir des cornes et des sabots d’animaux303

. Wöhler, lui-même, nous rappellent Bernadette Bensaude-Vincent et Isabelle Stengers, ne conclut pas son propre article en proclamant la fin de la force vitale mais en évoquant le problème des isomères (du grec iso-merès qui signifie parties égales). Je propose de revenir à ce texte un court instant. Wöhler commence son bref article en affirmant que :

« [L]e fait que dans l’union de ces substances, les substances apparaissent changer de nature pour former un nouveau corps, attira une nouvelle fois mon attention à ce sujet [la réaction entre le

300 CANGUILHEM, Georges. La connaissance de la vie, op. cit., Partie III, Philosophie, Aspects du vitalisme, p. 118.

301

BROOKE, John Headley. « Wöhler’s Urea and the Vital Force. A Verdict from the Chemists », Ambix, 15, 1968, pp. 84-114.

302 Attention ici à l’usage des mots, les notions de « molécules », « d’atomes », « d’éléments », sont en jeu à cette époque et le choix des termes est loin d’être tranché. Je renvoie le lecteur aux travaux de clarification proposés par Bernadette Bensaude-Vincent à propos de la notion d’élément, et à ceux de εary Jo σye à propos de l’importance du congrès de Karlsruhe : BENSAUDE-VINCENT, Bernadette. « Le tableau de Mendeleïev »,

La Recherche, volume 15, 1984, pp. 1207-1215. BENSAUDE-VINCENT, Bernadette. « εendeleev’s Periodic

System of the Elements », British Journal for the History of Science, 19, 1986, pp. 3-17; BENSAUDE- VINCENT, Bernadette. « Mendeleïev μ histoire d’une découverte », in SERRES, Michel (Dir.), Eléments d’histoire des sciences, op. cit., pp. 447-468 ; NYE, Mary Jo. The Question of the Atom: From the Karlsruhe

Congress to the First Solvay Conference, 1860-1911, Tomash, Los Angeles, 1984.

303 BENSAUDE-VINCENT, Bernadette & STENGERS, Isabelle. Histoire de la chimie, op. cit., Chapitre 20 : Ecrire des synthèses, pp. 186-196.

cyanogène et l’ammoniaque304

], et mes recherches ont conduit au résultat inattendu que la combinaison de l’acide cyanique305 avec l’ammoniaque forme l’urée, un fait dont il est intéressant de signaler l’existence puisqu’il fournit un exemple de production artificielle d’un organique, d’une substance en effet communément appelée animale, à partir de matériaux inorganiques. »306

Wöhler cite cette synthèse comme un exemple de production d’une « substance animale » par des corps inorganiques ; il s’agit d’un exemple parmi d’autres. Ce faisant, il s’inscrit bien dans le débat de son époque à propos des liens entre l’inerte et le vivant, mais ne va pas plus loin. Le pouvait-il d’ailleurs vraiment ? Il est en effet publié dans un journal spécialisé de physique et de chimie, Annalen der Physik und Chemie, qui limite le cadre des digressions non scientifiques. D’autres facteurs pourraient être pris en compte pour interroger sa position par rapport au vitalisme, mais, quoi qu’il en soit, il n’en reste pas moins exact qu’il n’adopte pas explicitement une posture anti-vitaliste dans ce texte. Il conclut son article en appelant de

ses vœux la découverte d’une loi qui dépasserait le cadre épistémique de la chimie de son

époque uniquement articulé autour des notions de composition et de proportion. Bref, il

s’interroge sur les corps qui, en dépit de leur composition commune dans des proportions semblables, n’en continuent pas moins de manifester des propriétés, somme toute, très

différentes les unes des autres. Il reste dans une perspective de recherche en chimie et

s’exprime donc en tant que chercheur lorsqu’il écrit :

« Je renonce aux considérations qui, si naturellement, s’offrent elles-mêmes comme une conséquence de ces faits, par exemple, à propos des proportions qui entrent dans la composition des substances organiques, et celles à propos des compositions élémentaires et quantitatives semblables de composés ayant des propriétés différentes, comme par exemple l’acide fulminique et l’acide cyanique, un hydrocarbure liquide et un gaz d’oléfine307 (éthylène). Une loi générale pourrait être déduite de futures expérimentations sur ces mêmes cas ou à partir de cas semblables. »308

304 Le cyanogène est un gaz incolore de formule [(CN)2] dont l’odeur rappelle celle de l’amande. δ’ammoniaque est une solution aqueuse du gaz ammoniac NH3gaz.

305δ’acide cyanique est un composé de formule HτCσ. 306

WÖHLER, Friedrich. « On the Artificial Production of Urea », Annalen der Physik und Chemie, 88, Leipzig, 1828. J’ai travaillé à partir d’une version disponible sur le site interactif de l’Académie de Paris μ chimie.scola.ac-paris.fr/sitedechimie/hist : « The fact that in the union of these substances they appear to change their nature, and give rise to a new body, drew my attention anew to this subject, and research gave the unexpected result that by the combination of cyanic acid with ammonia, urea is formed, a fact that is noteworthy since it furnishes an example of the artificial production of an organic, indeed a so-called animal substance, from inorganic materials. » (Ma traduction)

307 Une oléfine est un hydrocarbure insaturé possédant au moins un double liaison entre deux atomes de carbone successifs.

308 WÖHLER, Friedrich. « On the Artificial Production of Urea », op. cit. : « I refrain from the considerations which so naturally offer themselves as a consequence of these facts, e.g., with respect to the composition proportions of organic substances, and the similar elementary and quantitative composition of compounds of very different properties, as for example fulminic acid and cyanic acid, a liquid hydrocarbon and olefiant gas

Un schéma de synthèse utilisé par Wöhler a été le suivant :

AgOCN + NH4Cl → NH4OCN + AgCl309 NH4OCN → O=C(NH2)2 (urée) [par chauffage]

Les questions que se posent Wöhler et les chimistes concernent les différences de

propriétés chimiques de l’urée et du cyanate d’ammonium (NH4OCN) alors que ces deux composés sont produits à partir des mêmes ingrédients initiaux (AgOCN et NH4Cl). C’est

typiquement une question liée à l’émergence de nouvelles propriétés au sens évoqué dans

mon essai préliminaire. Pour différencier les deux corps, il faut noter que le procédé n’est pas

entièrement le même, la synthèse de l’urée nécessitant en effet une étape supplémentaire de chauffage, ce qui renforce l’idée du rôle des opérations et du milieu associé pour individuer

un corps chimique. εais ce n’est pas dans cette direction que partent les chimistes de

l’époque car ils vont être intrigués par d’autres expériences qui permettent de synthétiser des

corps de même formule brute mais dont les propriétés sont différentes.

En 1823, Wöhler a déjà synthétisé l’acide cyanique (σ≡C-OH) à partir du cyanate

d’argent (AgτCσ) et δiebig a produit l’acide fulminique (C=σ-OH) à partir du fulminate de

mercure (Hg(CNO)2) qui était, soit dit en passant, utilisé comme explosif dans les amorces et les détonateurs. Les deux composés ont la même formule brute (CNOH) mais des propriétés très différentes. Le composé NCOH diffère du composé CNOH : à composition égale, les propriétés sont différentes. Ici deux facteurs changent en même temps : les ingrédients (réactifs initiaux) et les procédés. Si, contrairement à ce que j’ai essayé de faire dans mon essai préliminaire en me basant sur des connaissances en chimie contemporaine, abstraction est faite du procédé et du milieu associé, c’est-à-dire si nous raisonnons à partir du produit et des réactifs pour comprendre une transformation, ces synthèses posent la question d’une nécessaire réorganisation de la pensée chimique. Berzélius le souligne sans attendre dès 1832

lorsqu’il signale, dans son rapport annuel, qu’il est impératif pour les chimistes d’apprendre à

penser ensemble composition, proportions et arrangements des corps. Les découvertes des

propriétés optiques des isomères renforceront cette hypothèse d’une dépendance des propriétés d’un corps à une structure interne ; bref à ce que Morgan appelle une

« relationnalité intrinsèque » ou à ce que Mill, à sa façon, traduit par le mot « collocation ».

(ethylene). From further experiments on these and similar cases, a general law might be deduced. » (Ma traduction)

309 AgOCσ (cyanate d’argent) ; NH4Cl (chlorure d’ammonium) ; NH4τCσ (cyanate d’ammonium) ; AgCl (chlorure d’argent).

Cette intégration progressive de la notion de structure constitue un tournant majeur en chimie et donnera progressivement naissance à la « chimie structurale » dont j’ai évoqué

l’importance dans mon essai préliminaire. Composition, proportions et arrangements entre atomes seront pensés ensemble à l’intérieur d’un nouveau « réseau » qui incorpore, entre

autres, la polarimétrie, les mesures optiques, les nouvelles synthèses organiques, les débats avec les physiologistes, et les perspectives industrielles de la pharmacie.

Broad utilisera cette notion d’isomérie pour contester la notion d’entéléchie. Pour ce faire,

il ne clame pas haut et fort que la chimie organique a balayé le vitalisme en lançant, joyeux, son chapeau vers le ciel. Il prend acte, au contraire, des questions que se posent des chimistes de son époque pour montrer comment ce savoir permet de raisonner autrement à propos des phénomènes émergents, et ce tout en refusant la moindre concession aussi bien au vitalisme

qu’au mécanisme radical. Connaissait-il les opinions des chercheurs en chimie à propos du

vitalisme ? Se contentait-il de lire les comptes-rendus scientifiques, les traités, et les cours de chimie de son époque ? Je ne peux pas répondre à cette question avec certitude, toujours est-il

qu’il analyse les raisonnements chimiques dans le détail en vue de défendre son point de vue

émergentiste. En ce sens, il ne peut, en supposant qu’il le sache, citer des passages de ces mêmes chimistes qui évoquent des formes différentes de vitalisme sous peine de se retrouver dans une situation embarrassante. Avant de conclure ce paragraphe, je souhaite revenir justement sur ce mythe de la réfutation de la force vitale mise en scène par Berthelot pour insister sur son absence dans les textes des émergentistes.

Jean Jacques a clairement mis à jour la stratégie utilisée par Berthelot pour mettre l’accent

sur l’importance de son propre travail dans la réfutation du vitalisme310

. Pour faire court, les synthèses de Berthelot auraient fait évènement : avant 1850, les chimistes croyaient en la

force vitale, après les synthèses de Berthelot ils n’y croyaient plus ! Certains chimistes, parmi

les plus illustres, croient dur comme fer en cette version de l’histoire. Jean Jacques cite par exemple le grand traité de François Auguste Victor Grignard (1871-1935) :

« ... De 1830 à 1850 ... une idée généralement admise comme un dogme régnait alors en maîtresse. On posait en principe que les corps appartenant à la chimie organique ne pouvaient prendre naissance qu'à la faveur de la force vitale, laquelle résidait exclusivement dans la nature vivante et l'emportait sur les forces unissant les éléments de la matière inorganique. (…) Ce ne fut toutefois que devant les multiples synthèses (acétylène, éthylène, éthane, méthane, alcool méthylique, etc.), réalisées par Berthelot de

310

1853 à 1859, que le mythe de la force vitale s'évanouit définitivement et que la chimie organique cessa d'apparaître comme relevant uniquement des méthodes analytiques. » 311

Et pourtant, Jacques démontre que cette manière de penser est principalement développée dans les textes et traités français et pointe ensuite du doigt les imprécisions des citations de Berthelot (en termes de dates, de citations tronquées, et de versions successives et améliorées des textes auxquels il se réfère et dont il ne tient pas compte). Il établit en outre qu’avant

18η0, la force vitale est loin de faire l’unanimité parmi les chimistes ; bref, il rappelle que ces

questions étaient en jeu ainsi que la diversité des opinions en fonction, entre autres facteurs, des lieux, des cadres culturels et des projets en cours. Jacques écrit en explicitant sa méthode

d’étude μ

« C'est ainsi que, sans cesse battue en brèche par une science en progrès constants, la « force vitale » des organiciens a connu des aspects nuancés et parfois contradictoires, peu conformes en tout cas à l'idée schématique que l'on en a généralement. Il convient donc, pour essayer de rétablir une vérité historique objective, d'avoir recours aux textes eux-mêmes et d'en dégager les doctrines philosophiques ou plutôt l'ensemble d'opinions dont les divers apports constituent le vitalisme chimique, d'en préciser les idées maîtresses et la valeur explicative qu'on lui attribuait. »312

Je marche en cordée avec Jean Jacques sur les chemins du retour aux textes et de la prise en compte, au combien délicate à réaliser, des significations que ces textes pouvaient avoir à

l’époque. Je garde la liberté toutefois de rester distant par rapport à des mots comme « progrès

constants », « vérité historique objective », qui nécessiteraient, à mon sens, d’être explicités. Aux idées de « progrès constants » et de « vérité » qui seraient établies une fois pour toute et qui donneraient raison aux uns et tort aux autres, je préfère, soit dit en passant et en préparant