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La s-tétrazine et ses dérivés : émergence, intervention et relations

concept d’émergence

2.1 Emergere et chimie: recherche d’une mise en relation possible

2.1.4 La s-tétrazine et ses dérivés : émergence, intervention et relations

Prenons un dernier exemple issu de la chimie cette fois, avant de proposer un premier bilan et d’envisager ensuite comment certains philosophes ont défini l’émergence en lien avec

la chimie. Je considère l’exemple de la synthèse et de la caractérisation de la s-tétrazine et de

certains de ces dérivés. Ces molécules ont été synthétisées en 2009 par mes anciens étudiants de BTS chimiste en stage à l’Ecole Normale Supérieure de Cachan au laboratoire de Photophysique et Photochimie Supramoléculaires et Macromoléculaires (UMR 8531).

ROZET Mathieu, in La chimie, cette inconnue ?, LLORED, Jean-Pierre (Dir.), HERMANN, Paris, à paraître en 2014.

85

La 1,2,4,5-tétrazine communément appelée s-tétrazine peut être représentée de la façon suivante :

Cette molécule intéresse les chercheurs en raison principalement des propriétés optiques et électrochimiques de ses dérivés qui sont utiles pour la synthèse de nouveaux matériaux. La s- tétrazine peut être fluorescente en fonction de deux substituants qui lui sont ajoutés. Le composé est lui-même très faiblement fluorescent et photo-instable (il se décompose aisément en absorbant certaines radiations électromagnétiques). Soumis à des radiations dans les

domaines de l’ultra-violet ou du visible, il peut se décomposer et changer de couleurs. Un

dérivé clé pour ce type de chimie est par exemple :

Figure 1 : Exemple de dérivé de la s-tétrazine : adamantane methanoxy chloro-s-tetrazine et sa forme cristallisée après synthèse et purification par chromatographie sur colonne.

Les dérivés peuvent servir de « traceurs » ou de « capteurs » biologiques. Les propriétés de fluorescence sont en effet indirectement utilisées pour quantifier des traces de métaux lourds dans des effluents industriels et le seront bientôt dans l’analyse des formulations sanguines humaines. Il s’agit de fabriquer sur mesure des édifices moléculaires qui ont la taille et la nature chimique requises pour piéger sélectivement des ions (un ion est représenté en rouge dans la figure suivante) :

Figure 2 : Schéma simplifié d'un ion complexé par le dérivé cyclique de la s-tétrazine.

N N N N O O O O O N N N N Cl N N N N Cl O N N N N Cl

Les chimistes produisent par exemple les molécules suivantes86 :

Figure 3 : Exemples de nouvelles molécules dérivées de la s-térazine qui formeront un nouvel édifice moléculaire comportant l'ion à doser.

Chaque dérivé de la s-tétrazine est unique et ses caractéristiques physico-chimiques dépendent des substituants greffés à la s-tétrazine et d’opérations chimiques ou physiques

d’analyse. Plusieurs voies de synthèse utilisant des corps chimiques différents peuvent mener

au même produit final. Les philosophes évoqueraient une sous-détermination des ingrédients à partir de la molécule finale souhaitée ou une réalisation multiple à partir de corps chimiques différents de la nouvelle entité. δ’essentiel est de signaler que le nombre et la nature des opérations chimiques peuvent changer et que les méthodes de synthèse peuvent varier. Le parcours de synthèse qui mène des ingrédients initiaux aux corps chimiques finaux, bref, les actes des chimistes, leurs interventions sont inéliminables. Une autre façon d’agir, un changement dans le protocole (une modalité de chauffage, un débit d’eau dans un réfrigérant,

un ordre et une vitesse d’ajout des corps en présence, etc.), le choix d’un nouveau fournisseur qui implique une nouvelle provenance d’un réactif voire un changement dans sa méthode d’obtention, un flacon laissé ouvert, « l’âge » des produits, la dextérité des expérimentateurs, et j’en passe, sont autant d’éléments décisifs dans une transformation chimique. Le passage d’un corps chimique à un autre dépend à la fois du chemin suivi et de très nombreuses sources

de changement possibles qui modifient la nature des espèces chimiques formées et influencent le rendement de la synthèse. La clause ceteris paribus, si nécessaire aux raisonnements philosophiques, est difficile à obtenir, voire impossible à vérifier, en chimie ! Je reviendrai sur

86 YONG-HUA G., MIOMANDRE F., MEALLET-RENAULT R., BADRE S., GALMICHE L., TANG J., AUDEBERT P. & CLAVIER G. « Synthesis and Physical chemistry of s-Tetrazines: Which Ones are Fluorescent and Why ? », Chemical European Journal of Organic Chemistry, 2009, pp. 6121-6128.

ce point lorsque sera évoquée son utilisation par les philosophes qui utilisent des exemples

issus de la chimie pour étoffer leur approche de l’émergence.

Il est par ailleurs possible de mettre en évidence des schèmes de covariation entre les « propriétés » des substituants et celles de la molécule synthétisée. Une corrélation est par exemple établie entre le comportement électrodonneur ou électroattracteur du substituant greffé au cycle de la s-tétrazine et la propriété globale de fluorescence. Les chercheurs corrèlent le type de capacité à donner ou à prendre des électrons du substituant (effet mésomère attracteur ou donneur, effet inductif donneur ou attracteur87) avec l’émission de fluorescence par l’entité obtenue. Si le substituant est greffé par l’intermédiaire d’un atome

d’oxygène, la fluorescence sera possible, si un atome de soufre est utilisé, la fluorescence ne

sera pas constatée. Le tableau suivant extrait de la publication précédente le montre très bien (HUANG-HUA et al., p. 6125) :

Sustituant X Sustituant Y ʎ1abs (nm) ʎ2abs (nm) ʎ3abs (nm)

Fluorescence

ʎémis (nm)

OCH3 OCH3 524 345 275 575

OCH3 O(CH2)4OH 526 347 Non observée 572

OCH3 SCH3 528 394 Non observée Non observée

Cette étude menée dans le solvant dichlorométhane montre la singularité de chaque dérivé de la s-tétrazine en fonction du mode d’action envisagé (une voie de synthèse pour passer

d’un composé à un autre, une irradiation spécifique à l’aide d’un laser et l’étude de la réponse

moléculaire par le biais de la spectroscopie moléculaire, etc.). En conclusion, il n’y a aucune indépendance des propriétés et des niveaux d’organisation (microscopique, mésoscopique,

macroscopique) par rapport aux modes d’accès, tout dépend des instruments, des protocoles,

87δes doublets libres d’électrons de l’oxygène peuvent être « donnés » au cycle de la s-tétrazine, les chimistes parlent alors d’effet mésomère donneur. Un échange d’électrons peut aussi se faire par le biais d’une liaison chimique, les chimistes parlent alors d’effets inductifs donneurs ou attracteurs. Pour des développements plus fins, se référer au livre de HUHEEY James, KEITER, Ellen & KEITER, Richard. Chimie inorganique, op. cit.

Absorbance dans l’UV-visible

N N

N N

Y x

de la synthèse, bref, de relations entre corps chimiques, instruments et ondes que le savoir- faire des chimistes rend possibles. Ces synthèses sont le résultat de très nombreuses étapes (interventions) comme le montre le schéma réactionnel ci-dessous :

Stable

Rendement total: 39%

Figure 4 : Synthèse de la dichloro-s-tétrazine (à gauche, composé n°10)88.

Le composé final est ensuite purifié par chromatographie colonne et est caractérisé par

résonance magnétique nucléaire, spectrométrie infrarouge, mesure d’un point de fusion,

spectrophotométrie d’absorption moléculaire, étude de la fluorescence, et d’autres techniques

d’analyse éventuelles. La chimie est un bien un « art des circonstances » comme l’écrit

Isabelle Stengers89, chaque étape relève d’un savoir-faire, d’une estimation et d’une connaissance, liés à une pratique de terrain. Il faut choisir, modifier, travailler, purifier, recouper des informations, puis changer, revenir, purifier, analyser et interpréter. Une nouvelle molécule sort de cet ensemble d’actes, elle émerge de circonstances multiples et hétérogènes que le chimiste évalue et utilise pour réussir une transformation.

Figure 5 : Purification de la dichloro-s-tétrazine par chromatographie sur colonne (figure de gauche) et élimination du solvant dichlorométhane par utilisation d’un évaporateur rotatif à droite90.

88

MARCILLAUD, Benoît. « Synthèse de dérivés de la s-tétrazine », 75 pages, Rapport de stage de BTS chimiste, Académie de Clermont-Ferrand, 2009.

89 STENGERS, Isabelle. « δ’affinité ambigüe : le rêve newtonien de la chimie du XVIIIe siècle », in Eléments d’histoire des sciences, Michel Serres (Dir.), Bordas, Paris, 1989.

90

Une caractéristique qui sort de la réaction entre corps chimiques est la fluorescence moléculaire qui dépend aussi du solvant utilisé, bref du milieu environnant la molécule, ainsi

que de l’état physique de l’échantillon. δa fluorescence de certains dérivés est forte lorsque l’échantillon est sous forme liquide mais absente lorsqu’il se trouve à l’état solide. Les chimistes expliquent cette différence liée à l’état physique en rappelant que la distance entre

les corps chimiques est plus courte à l’intérieur d’une structure cristallisée. La fluorescence

d’un corps est ainsi absorbée, inhibée par les corps chimiques vicinaux et aucune fluorescence globale, à l’échelle de l’échantillon solide, n’est décelable ou n’émerge (merci de vous référer

à la figure 6 ci-dessous). Un échantillon du même dérivé peut donc ne pas instancier une propriété de fluorescence selon les circonstances. Les chercheurs cherchent à rétablir cette

propriété à l’état solide en augmentant la distance entre les corps chimiques en greffant par

exemple un substituant volumineux à la s-tétrazine (merci de vous référer à la figure 7 ci- dessous).

Figure 6 : Absence de fluorescence d'un échantillon à l'état solide

Figure 7 : Rétablissement de la fluorescence à l'état solide par synthèse d’un nouveau dérivé de la s-tétrazine.

δ’émergence de la fluorescence dépend donc des relations entre corps chimiques à l’intérieur de l’échantillon et d’une sollicitation électromagnétique. δ’état physique de

l’échantillon et la nature du solvant utilisé influencent, conditionnent ces relations possibles. Il faut donc aussi tenir compte du milieu dans lequel se trouve l’échantillon.

Par ailleurs, aucun ingrédient contenu dans le dérivé de s-tétrazine considéré n’instancie

les propriétés de l’ensemble, ces propriétés sont seulement collectives. Il est toujours possible

cependant de remplacer un substituant chimique par un autre en réalisant une synthèse ce qui a pour effet d’augmenter ou d’annuler certaines propriétés, comme je l’ai déjà montré à propos de la fluorescence. La s-tétrazine est très faiblement fluorescente, la fixation de deux « atomes » de chlore pour former la dichloro-s-tétrazine augmente fortement cette fluorescence et la rend utilisable en science des matériaux. En effet, la s-tétrazine non

substituée (donc ne portant que des atomes d’hydrogène) est très faiblement fluorescente

(environ 1% de rendement quantique de fluorescence91) et celle portant des groupements méthyles (CH3) à peine plus (pas plus de 2 ou 3% de rendement quantique de fluorescence). En fait, ces deux dérivés sont photo-chimiquement instables. Sous irradiation lumineuse, leur voie de désexcitation majoritaire est la photo-décomposition. Ainsi, la s-tétrazine (notée H- Tz-H) donne la réaction :

H-Tz-H + radiation spécifique -> 2 HCN + N2

(Rendement quantique de photo-décomposition 99%)

et la diméthyl-s-tétrazine (Me-Tz-Me):

Me-Tz-Me + radiation spécifique -> 2 MeCN + N2

(Rendement quantique de photo-décomposition 50%)

En revanche, les dérivés synthétisés à l’EσS Cachan sont eux photo-stables (aucune

photo-décomposition instanciée à ce jour) ce qui permet à la fluorescence de se produire sans concurrence majeure de la photo-décomposition comme c'est le cas pour les deux « dérivés parents » pour parler avec les chimistes. Une nouvelle dynamique interne entre phénomènes énergétiques concurrents (radiatifs et non-radiatifs) se met en place, et sort de cette nouvelle molécule à laquelle de nouveaux substituants ont été introduits par le biais d’une transformation chimique.

91 Le rendement quantique est le rapport du nombre de photons émis par une molécule par le nombre de photons absorbés. δ’absorption de ces photons est à l’origine de transformations internes à la molécule qui provoqueront le phénomène d’émission.

δ’énergie absorbée par la nouvelle entité peut impliquer un changement de longueur des

liaisons de la molécule (selon la coordonnée de réaction CR92 dans la figure 8 ci-après, nous pouvons observer une rupture de liaison, une isomérisation, etc.). La fluorescence (transition entre états électroniques de même spin s’accompagnant d’une émission de photon) et la phosphorescence (l’émission de photon a lieu lors du passage d’un état électronique vers un état électronique de spin différent) sont les processus radiatifs qui accompagnent l’absorption. Le terme processus est le terme clé des explications formulées par les chimistes. Les transitions non radiatives sont : (i) la conversion interne (transition entre deux états électroniques de même spin) ; (ii) le croisement inter-système (transition entre deux états électroniques de spin différents) ; (iii) la redistribution d’énergie vibrationnelle (transition entre deux états vibrationnels dans un même état électronique c’est-à-dire le passage d’un mode de vibration à un autre pour une même énergie des électrons dans la molécule). Les processus chimiques comme la photoisomérisation sont « ultrarapides » (ils se déroulent souvent dans des temps inférieurs à une picoseconde). Les transitions radiatives ont lieu avec des temps plus longs (la fluorescence a lieu entre 10-12 et 10-6 seconde après l’absorption de photons et la phosphorescence commence entre 10-6 et 1 seconde après l’absorption). δ’entité formée fait tenir ensemble des changements associés à des temporalités hétérogènes. Les parties, le tout et le milieu extérieur sont reliés multiplement par des liens dynamiques. « Sortir de » implique donc d’envisager la dépendance mutuelle de certaines temporalités. La continuité apparente est le résultat de discontinuités sous-jacentes et interdépendantes, le

schéma semble s’inverser par rapport à l’émergence du dauphin qui nécessitait pour être

comprise de discerner une continuité derrière la discontinuité apparente.

δes processus d’échange d’énergie de la molécule avec son environnement (molécules

semblables, autres corps chimiques, champs électromagnétiques) sont modifiés et stabilisés sous certaines conditions. Une contrainte imposée par une opération chimique sur la structure

globale entraîne un réajustement des modes d’échanges d’énergie les uns par rapport aux autres. δ’usage de la fluorimétrie et des spectroscopies résolues dans le temps permettent d’inférer ces modifications de la dynamique énergétique moléculaire à partir des spectres

obtenus. Le diagramme de Perrin-Jablonski présenté à la figure 8 ci-après permet d’illustrer

ce propos. Il modélise les échanges d’énergie d’une molécule. Différents types de

transformations peuvent avoir lieu selon l’énergie des électrons dans cette molécule.

92 La coordonnée de réaction est une coordonnée monodimensionnelle abstraite qui représente l'évolution d'un processus chimique le long d'un « chemin » de réaction. Se référer au livre : Atkins, Peter & De Paulia, Julio. Atkins’s Physical Chemistry, Ninth Edition, The University of Oxford Press, Oxford, 2009. Elle est la modélisation de la dépendance des transformations à « l’histoire » de la synthèse.

δ’émergence d’une nouvelle molécule ou d’une nouvelle caractérisation relationnelle est liée à ces notions d’état d’énergie et de temporalités qui conditionnent et rendent possibles les

explications des chimistes. Ce diagramme articule une entité, ses parties, et son milieu

extérieur dans un même discours. Gardons à l’esprit cette coprésence dynamique et

constitutive des trois niveaux de description pour la suite de notre thèse.

Figure 8 : Processus énergétiques moléculaires93. Rappel : «C.R.» signifie «chemin de réaction ».

A l’intérieur d’une classe de composés (les chimistes préfèrent le mot de « famille ») et par l’intermédiaire de types de transformations spécifiques (substitutions électrophiles

aromatiques, réaction de Diels-Alder, attaques « ipso » c’est-à-dire sur une position déjà substituée, photocyclisation, etc.), les chimistes modulent et optimisent des propriétés relationnelles (nulle fluorescence ne peut être observée sans action radiative préalable sur un échantillon de molécules !) en fonction de leur projet. Ce faisant, ils mettent en place des savoir-faire et des banques de « données » relatifs à leurs modes d’intervention. Ils classent des corps chimiques à l’intérieur de classes identifiées par le biais d’opérations chimiques et de types de réactivité chimique. Ils classent ainsi les composés relativement à des molécules de référence dont ils connaissent les caractérisations dans tel ou tel contexte.

Si aucun des ingrédients du dérivé de la s-tétrazine étudié n’instancie la moindre propriété

identifiable au niveau de l’entité globale, cela n’empêche pas les chimistes d’établir des

corrélations entre différentes entités et de développer des discours méréologiques qui tentent de rationnaliser, le plus souvent a posteriori, une évolution d’une « propriété »94 collective à

93

COTE-BRUAND, Isabelle. Etude théorique de la photophysique et de la photochimie de composés de

coordination, 183 pages. Thèse de doctorat en chimie quantique, Université Louis Pasteur Strasbourg I, 2002.

94 J’écris le mot « propriété » entre parenthèses pour signaler que je vais discuter le choix de ce terme ultérieurement. Il ne sera pas forcément écrit systématiquement entre parenthèses dans la suite par mesure de simplicité. Ce qui « propre à » est à rattacher à un « substrat » en tant que tel. En ce sens, le mot de propriété

l’intérieur d’une classe de composés définie par la similarité des comportements chimiques par rapport à des modes d’intervention (instruments ou autres molécules qui permettent une

action médiée sur un collectif particulier de molécules). Des schèmes de covariation entre certaines propriétés globales de la s-tétrazine substituée sont mis en évidence en fonction de la nature chimique des substitutants greffés. Par exemple, les chercheurs établissent la corrélation qui suit entre une différence d’énergie électronique moléculaire95 et une différence de potentiels électrochimiques, c’est-à-dire une grandeur quantifiant la capacité d’échange

d’électrons de l’entité globale formée :

Figure 9 : Corrélation entre propriétés collectives. Les différences sont faites par rapport aux grandeurs associées à la dichloro-s-tétrazine prise pour référence (LUMO1 et E01)96. L’indicateur de fiabilité de la linéarisation obtenue est

élevé (voir publication d’origine).

Cet exemple illustre bien la façon dont les chimistes travaillent. Les composés et leurs « propriétés » sont étudiés les uns par rapport aux autres, ils sont classés relativement à des relations mutuelles entre composés ou entre « propriétés ». Ici une référence est prise, celle de

renvoie à une description du monde peuplé de corps chimiques qui ont leurs propres caractéristiques indépendamment de nos actions. En accord avec Denis Diderot, je montrerai, qu’au-delà des habitudes langagières, un corps chimique participe à un pluriel de caractérisations qui se substitue à la recherche d’une essence. Une « propriété » est indissolublement liée au mode d’opération chimique duquel elle est relative. Il n’y a pas de fluorescence sans irradiation préalable, pas de corps chimique sans les transformations et les opérations requises pour le synthétiser ! Je vais y revenir mais je tenais à clarifier ce qui est déjà présent dans les paragraphes précédents.

95 LUMO signifie « Lowest Unoccupied Molecular Orbital » que je traduis par « plus basse orbitale moléculaire non occupée ». J’étudierai précisément les orbitales moléculaires dans une partie ultérieure de la thèse. Pour l’instant, il est simplement nécessaire de savoir qu’il s’agit d’un outil analytique qui permet d’étudier la répartition, en termes d’énergie, des électrons sur l’ensemble de la molécule comprise comme une entité. Il s’agit du premier niveau d’énergie vacant disponible, c’est-à-dire non encore « occupé » par des électrons comme le disent les chimistes.

96 YONG-HUA, G. et al., « Synthesis and Physical chemistry of s-Tetrazines: Which Ones are Fluorescent and Why ? », op. cit., p. 6124.

la molécule de base qui sert à synthétiser toutes les autres de la série étudiée, à savoir la dichloro s-tétrazine, et les chimistes établissent ensuite une corrélation entre deux différences calculées par rapport à cette « référence ». Selon la nature des substituants utilisés lors de la synthèse (c’est-à-dire selon la nature des réactifs chimiques), ils établissent une modulation des propriétés et quantifient leur covariation. Cette démarche méréologique (propriété d’un tout par rapport à des parties) est hautement relationnelle !

Sortir de, émerger, signifie donc dépendre de, au sens d’être corrélé à, tout en étant

nouveau, c’est-à-dire tout en étant le résultat, inédit, d’une transformation chimique, d’une

réaction entre corps chimiques, différents ou pas. Comme pour le cas du papillon issu du ver à

soie, il y a une dépendance du papillon par rapport au ver à soie, une transformation de l’un en l’autre et une nouveauté qualitative μ l’apparition d’une nouvelle entité. Bien entendu, la transformation est le fait de l’action humaine dans le cas de la chimie. Cette action contraint les évolutions possibles comme le ferait l’évolution dans le cas de la biologie. δ’invocation d’un mode de contrainte extérieure est nécessaire pour clore le raisonnement et fermer la

possibilité d’une réduction entendue comme une déduction des propriétés de l’entité à partir

de sa base d’ingrédients isolés ou mis en relation. Dans les deux cas, une articulation est à l’œuvre qui met en jeu une entité, ce qu’elle contient, le milieu dans lequel elle évolue (un

solvant, un écosystème, une cuve en spectrophotométrie, un réacteur en production, etc.) et des circonstances (météorologie, température, état physique, provenance des produits, modalités du protocole, etc.).

Emerger, sortir de, dépend donc, dans ces cas précis, de relations entre niveaux