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À UNE VISION RÉCENTE PLUS GLOBALE DE LA MODERNISATION DE LA JUSTICE

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Malgré les multiples réformes intervenues au Sénégal ces dernières années dans le domaine de la Justice, l’on n’a pas encore été mis en place un système efficace et efficient. Il y a sans doute eu çà et là des réussites nées d’initiatives et de réformes sectorielles, mais depuis l’indépendance, il n y a pas eu véritablement une réflexion d’envergure portant sur les problématiques majeures de la Justice et regroupant toutes les parties prenantes - d’aucuns diraient des Assises nationales de la Justice à l’instar des Assises nationales de l’Éducation

des années quatre-vingts dans le sillage de l’avènement du Président Abdou Diouf.

Cette réforme d’envergure devra passer par une inversion des paradigmes pour que les propositions de solution partent de la base vers le sommet au lieu d’être « parachutées » par des experts du département de la Justice ou d’ailleurs. Ce processus inclusif, loin de faire table rase de l’existant devra consolider les expériences heureuses, telles que les maisons de justice, toutes les procédures de médiation et de conciliation, les réformes tendant à rapprocher la Justice du justiciable, le renforcement de l’aide juridictionnelle, l’accélération des procédures et leur fiabilisation, une meilleure prise en compte de l’accueil et de l’orientation des justiciables, le développement d’une culture axée sur les résultats, la promotion d’un leadership créatif par le biais d’une synergie entre la Direction des Services Judiciaires (DSJ), le Centre de Formation Judiciaire (CFJ), l’Inspection Générale de l’Administration de la Justice (IGAJ) et le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) pour une meilleure détection des compétences et des talents et une rationalisation de l’utilisation des personnels.

Il faudra aussi penser à moderniser nos lieux de détention par la construction de nouvelles prisons aux normes ainsi que des caves et des cellules plus respectueuses des droits humains dans les juridictions, brigades de gendarmerie et commissariats de police.

Il faudra également mettre en œuvre une synergie des actions entre l’Inspection générale de l’administration de la justice (IGAJ), l’Inspection générale des cours et tribunaux (IGCT), l’Inspection générale des Parquets (IGP) et les deux inspections techniques de la chancellerie, à savoir celles de la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) et de la Direction de l’éducation surveillée et la protection sociale (DESPS) : pour le moment, il n y a aucune coopération, ni échanges ni concertations entre elles.

Il faudra enfin un meilleur accompagnement des victimes de tortures, de violences sexuelles et de mutilations, aussi bien pendant le procès que dans la prise en charge psychologique et médico-sociale ultérieure.

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Il devra en être de même dans l’accompagnement et l’indemnisation des victimes de longue détention ou de détention arbitraire. La commission d’indemnisation des victimes, prévue par la loi organique n° 2008-35 portant création de la Cour suprême, n’a pas encore été mise en place157. Les structures de premier accueil pour les mineurs victimes ou en danger moral devront être augmentées : actuellement, il n’y en a que quatre qui sont fonctionnelles ; bien que récemment expérimentées, elles ont montré toute leur pertinence et ont déjà atteint leur vitesse de croisière ; elles devront surtout être démultipliées dans la région de Ziguinchor, où subsiste, depuis plus de trente ans, une rébellion armée qui fait subir aux populations toutes sortes d’exactions.

Les atteintes contre les règles disciplinaires et déontologiques doivent en outre être mieux sanctionnées par une internalisation de l’instance disciplinaire des personnels non magistrats. Pour le moment, le conseil de discipline relève du ministère de la Fonction publique, et ledit conseil ne s’est jamais tenu malgré les saisines du ministère et malgré les relances des différents ministres de la Justice auprès de leurs collègues successifs qui ont eu en charge le département de la Fonction publique.

Une meilleure politique de répression de la délinquance financière, de la lutte contre la corruption, la concussion et le détournement de deniers publics devra aussi être mise en place : elle pourrait passer par une meilleure exploitation des rapports et recommandations des différentes structures de contrôle que sont la Cour des comptes, l’Inspection générale d’État, l’Inspection générale des finances (IGF), l’Office National de lutte contre la corruption (OFNAC), la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF), l’Agence de régulation des marchés publics (ARMP).

Ce renforcement pourrait passer également par la création d’une passerelle entre la Cour des comptes et la Justice judiciaire afin de permettre à des juges de la Cour des comptes initialement magistrats de l’ordre judiciaire de réintégrer leur corps d’origine. Ils pourraient aider à mieux traiter les contentieux financiers avec l’expertise capitalisée. Dans le même sillage, on pourrait ouvrir le recrutement au tour extérieur à des experts comptables, des inspecteurs des impôts et domaines et des inspecteurs du trésor.

157 La mise en place a été retardée par l’absence de prise du décret d’’application prévue par la loi organique.

Avec la réforme de ladite loi en 2017, cette modalité a été allégée pur donner la compétence de son installation au Premier Président de la Cour suprême. Malgré cette atténuation, elle n’est toujours pas fonctionnelle.

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Voilà autant de préalables qui montrent les interactions entre plusieurs secteurs et qui rendent nécessaire voire urgente une vision plus globale de la justice pour aller vers des réformes mieux pensées et plus portées vers l’atteinte de la performance, parce que, justement, les justiciables sénégalais, dans leurs besoins, leurs préoccupations et leurs contraintes, sont placés au cœur du dispositif et de la réflexion. C’est pourquoi, dans le sillage de pays comme le Canada, les Pays-Bas et la Belgique, il convient de préconiser une véritable modernisation pour ne pas dire une métamorphose des institutions judiciaires sénégalaises, donnant la priorité à la médiation et à la conciliation et rapprochant réellement la Justice du justiciable.

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TITRE I