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Les virus d'archées sont très divers, par leurs morphotypes (Figure 11) et par leur contenu génétique. En effet, ils sont répartis dans 9 familles virales différentes et certains virus ne sont pas encore classés (exemples dans le Tableau 4). Ceci est d'autant plus frappant qu'une quarantaine de virus d'archées seulement ont été observés en microscopie électronique, contre plus de 5000 virus de bactéries (Ackermann, 2007). Au total, une trentaine de virus ont été isolés et caractérisés plus en détail (Tableau 4). Tous contiennent de l'ADN double brin et la plupart ont été séquencés.

En fait, ce sont les virus infectant les crenarchées qui concentrent l'essentiel de la diversité et des nouvelles familles virales, avec une série de morphotypes uniques et exceptionnels. Mais le tableau de la diversité virale chez les archées est encore inachevé puisque l'accent a surtout été mis sur les hôtes des ordres Sulfolobales et Halobacteriales. Des clades entiers (y compris d'archées cultivables) n'ont pas encore de virus connus, ou très peu. Dans le Tableau 4, on peut voir qu'un seul virus a été isolé pour les Thermococcales et les Methanococcales, et qu'aucun virus n'a été isolé pour les Desulfurococcales, Thermoplasmatales, Methanosarcinales et Methanomicrobiales.

3.3.1 Les virus d'euryarchées

La plupart des virus d'euryarchées isolés sont des virus tête-queue très similaires aux bactériophages (Figure 11L). Outre le morphotype commun, ils présentent des caractéristiques similaires de mosaïcisme génomique (Tang et al., 2002) et ont de plus un génome linéaire. Par la suite, différents virus fusiformes ont été identifiés (hôtes appartenant aux ordres Halobacteriales et Thermococcales, Tableau 4), un virus icosaédrique (Figure 11K, ordre Halobacteriales) et un virus oblong (ordre Methanococcales). Les virus d'Halobacteriales sont très abondants dans les lacs salés (Porter et al., 2007) et parmi eux, certains sont tempérés. Pour les autres, l'interaction avec l'hôte n'est pas encore bien comprise. Il est possible que les trois catégories classiques d'interaction hôte-virus (lytique ou virulent, tempéré, chronique) soient trop schématiques pour décrire parfaitement les interactions observées.

Figure 11 : Exemples représentatifs de morphotypes de virus d'archées. K, L : virus d'euryarchées. Tous les autres : virus de crenarchées. A : Sulfolobus spindle-shaped virus 1 (SSV1), famille Fuselloviridae. B : Acidianus bottle-shaped virus (ABV), famille Ampullaviridae. C : Acidianus two-tailed virus (ATV), famille Bicaudaviridae. D : Sulfolobus neozealandicus droplet-shaped virus (SNDV), famille Guttaviridae. E :

Sulfolobus islandicus rod-shaped virus 1 (SIRV1), famille

Rudiviridae. F-G : Acidianus filamentous virus 1 (AFV1), Lipothrixviridae. H-I : Acidianus filamentous virus 2 (AFV2), famille Lipothrixviridae. J : Pyrobaculum spherical virus (PSV), famille Globuloviridae. K : Haloarcula hispanica virus (SH1), non-classé. L : Halobacterium halobium virus !H, famille Myoviridae. M : Sulfolobus icosaedral turreted virus (STIV), non-classé. A-L : d'après Prangishvili et al., 2006a. M : http://serc.carleton.edu/microbelife/yellowstone/

A

B

C

D

F

E

G

H

I

J

K

L

M

3.3.2 Les virus de crenarchées

Côté crenarchées, seuls des virus de crenarchées hyperthermophiles ont été isolés jusqu'à présents. Ils ont été obtenus après des étapes d'enrichissement, à partir d'échantillons environnementaux.

Malgré un nombre de travaux encore relativement restreint et une étape initiale d'enrichissement très probablement sélective, un grand nombre de morphotypes différents et uniques a été obtenu (Ackermann, 2007, Tableau 4). Les morphotypes qui semblent dominer sont les formes linéaires (filaments, baguettes) et fusiformes (voir Tableau 4). Les virus de morphotype filamenteux sont très nombreux et ont été classés en plusieurs sous-familles. A

contrario, les morphotypes plus rares, et très surprenants, sont par exemple celui d'ABV

(forme de bouteille, Figure 11B) et celui d'ATV (Figure 11C). Si le corps, chez ATV, est Tableau 4 : La diversité des virus d'archées : principales caractéristiques des virus d'archées isolés et décrits dans la littérature. Les virus sont classés selon le phylum puis l'ordre de l'hôte, et enfin selon la famille virale. Colonne « Génome » : indique si les génomes sont circulaires (C) ou linéaires (L), et leur taille en kb. Colonne « Nb » : indique le nombre de virus entrant dans la même catégorie (même famille et hôte du même ordre). Colonne « Séquence » : indique si la séquence de l'un des virus au moins est disponible (o) ou non (n). Colonne « Enveloppe » : indique si les virus sont enveloppés (o) ou non (n), quelle que soit la nature de l'enveloppe. La présence d'une astérisque à côté de noms de familles virales indique que le processus d'approbation par le ICTV est encore en cours. D'après Prangishvili et al., 2006a, et Peng, 2008.

Ordre Famille Génome Nb Séquence Intégré Enveloppe Noms

L, ! 59 2 o o n Non-classé HF1-HF2 L, ! 76 2 o n n HF1 HF2 Non-classé SH1 L, ! 31 1 o n o SH1 Fusiforme C, ! 15 2 o n o? His1 His2 L, ! 26-30 2 o o? n "M1 "M2 Non-classé VLP Exceptionnel/Oblong C, ! 23 1 n o o -

Non-classé PAV1 Fusiforme C, ! 18 1 o n o PAV1

Linéaire/Filament L, ! 40 6 o n o SIFV AFV3 AFV6 AFV7 AFV8 AFV9 Linéaire/Filament L, ! 21 1 o n o AFV1 Linéaire/Filament L, ! 32 1 o n o AFV2 Linéaire/Baguette L, ! 25-35 4 o n n SIRV1 SIRV2 ARV1 SRV

Non-classé STIV C, ! 18 1 o n n STIV

Fusiforme 5 o o o SSV1 SSV2 SSV4 SSV-RH SSV-K1 Exceptionnel/Goutte C, ! 20 1 n - - SNDV C, ! 60 1 o o ? ATV Non-classé STSV1 1 o n o STSV1 Exceptionnel/Bouteille 1 o n? o ABV Sphérique L, ! 21-28 2 o n o PSV TTSV1 Linéaire/Filament - 2 n - o TTV2 TTV3 Linéaire/Filament L, ! 16 1 o o? o TTV1 Type de morphotype Euryarchaeota

Halobacteriales Myoviridae Icosaédrique/Tête-queue !H

!Ch1 Icosaédrique/Tête-queue

Icosaédrique/Sphérique Fuselloviridae, Salterprovirus

Methanobacteriales Siphoviridae Icosaédrique/Tête-queue Methanococcales Thermococcales Crenarchaeota Sulfolobales Lipothrixviridae-" Lipothrixviridae-# Lipothrixviridae-$ Rudiviridae Icosaédrique Fuselloviridae/Fusellovirus C, ! 15 Guttaviridae

Bicaudaviridae* Exceptionnel/! Fusiforme ! Fusiforme C, ! 75

Ampullaviridae* L, ! 24

Thermoproteales Globuloviridae* Lipothrixviridae-" Lipothrixviridae-%

« classiquement » fusiforme, les virions présentent la particularité de développer deux queues lorsqu'ils sont en dehors de l'hôte, sous certaines conditions de température (Prangishvili et al., 2006c). Le stade de développement extracellulaire d'un virus est sans précédent, tous domaines confondus. Par contre, le morphotype tête-queue est absent chez les crenarchées, alors qu'il est ultra-majoritaire chez les bactéries (95% des morphotypes observés, Ackermann, 2007), et courant chez les euryarchées.

Le contenu génétique des virus de crénarchées est également unique. En effet, la plupart des gènes ne présentent aucune homologie avec les séquences disponibles dans les bases de données (Figure 12A). Les quelques gènes présentant une homologie sont souvent partagés par d'autres virus de crenarchées hyperthermophiles ou par l'hôte (Figure 12, A et B). Les génomes de certains virus, comme ABV (Ampullaviridae) et le duo PSV-TTSV1 (Globuloviridae) ne présentent même strictement aucune homologie.

Tout ceci contribue à faire des virus de crenarchées hyperthermophiles un groupe très particulier, et sur la base de leur unicité de morphotypes et de contenu génétique, ils ont été classés en sept nouvelles familles. Quatre familles on été approuvées par l'International Committee on Taxonomy of Viruses (ICTV). Il s'agit des familles Fuselloviridae, Lipothrixviridae, Rudiviridae et Guttaviridae. Pour trois autres, Ampullaviridae, Bicaudaviridae, et Globuloviridae, le processus d'approbation est en cours. Enfin, certains virus attendent encore d'être classés, comme le virus icosaédrique STIV (Figure 11M), et le virus fusiforme PAV1.

Un point commun à la plupart de tous ces virus est la présence d'appendices sur la particule virale. Ceux-ci doivent permettre l'adsorption des particules virales à l'hôte, comme l'indique parfois l'observation de particules adsorbées à des pili via ces appendices. Des exemples sont les trois petites fibres aux extrémités des rudivirus (Figure 11E), les diverses extrémités des lipothrixvirus (pinces chez AFV1, Figure 11G, structures plus compactes ressemblant à une brosse chez AFV2, Figure 11I, etc.), la fibre présente à une seule extrémité des fusellovirus (Figure 11A, insert), ou encore les petites tours sur la capside de STIV (Figure 11M). Par ailleurs, la plupart des virions ont une enveloppe (Tableau 4), dont la nature n'est pas toujours clairement établie, en particulier concernant la présence possible de lipides (Prangishvili, communication personnelle).

Les génomes font 13,7 à 75,3 kpb et comprennent 31 à 74 cadres ouverts de lecture (ORFs). Ils sont linéaires, notamment lorsque le morphotype l'est aussi (Lipothriviridae, Rudiviridae, Ampullaviridae, Globuloviridae) ou circulaires (tous les autres) (Tableau 4). Les extrémités des génomes linéaires comportent des régions inversées répétées, allant de quelques bases pour AFV1 à quelques kb pour SIRV2, et des motifs répétés. Les régions terminales interviennent a priori lors de la réplication du génome, ce qui est courant pour les génomes linéaires (ex : Peng et al., 2001). Pour la plupart des virus, l'intégration du génome viral au chromosome de l'hôte n'a pas été observée (Tableau 4). Elle a lieu chez les fusellovirus (SSV1, etc.) et chez ATV ; ceux-ci ont des génomes circulaires qui codent pour une intégrase. Chez SSV1, l'intégrase est étudiée en détail (ex : Letzelter et al., 2004) et c'est bien elle qui permet l'intégration au génome de l'hôte (Muskhelishvili et al., 1993).

Concernant les relations avec l'hôte, différents cas existent. Pour la plupart des virus, le génome ne s'intègre pas au chromosome de l'hôte et aucune lyse cellulaire n'est observée. Il a donc été postulé que les particules virales sont produites et émises en continu sans que la cellule ne soit endommagée, et que celle-ci continue à se diviser, quoique plus lentement (Prangishvili and Garrett, 2005). Il s'agirait ainsi d'une relation avec l'hôte similaire à celle que développent les bactériophages filamenteux (ex : M13). Dans le cas des crenarchées

Figure 12 : Similarités de gènes chez les virus de crenarchées hyperthermophiles. A : Homologies des gènes ; quelques virus d'euryarchées ont été inclus (les 3 derniers à droite). L'axe Y correspond à un pourcentage de gènes au sein du génome. Les homologies entre virus très proches (exemple : SIRV1, ARV1) n'ont pas été prises en compte. B : Les gènes orthologues au sein des virus d'archées. D'après Prangishvili et al., 2006b.

A

hyperthermophiles, cette interaction aiderait les virus à se maintenir dans l'environnement agressif, en leur garantissant un refuge intracellulaire (Prangishvili and Garrett, 2005) et elle a été dénommée état porteur (« carrier state ») (Zillig et al., 1994). Mais l'état porteur n'est pas encore bien caractérisé. Comme pour les virus d'Halobacteriales, un flou persiste sur la nature exacte des relations hôtes-virus. Quelques virus de crenarchées développent des interactions différentes de l'état porteur. Il s'agit des fusellovirus, combinant lysogénie et état porteur ; d'ATV combinant lysogénie et phase lytique ; et enfin de STIV et TTV1, purement lytiques (Prangishvili et al., 2006b ; Ortmann et al., 2008).

L'exploration de la diversité des virus de crenarchées hyperthermophiles se poursuit, par l'utilisation d'approches métagénomiques (Snyder et al., 2007 ; Schoenfeld et al., 2008, et voir fin de la partie 3.2) et par l'isolement de nouveaux virus (ex : Xiang et al., 2005). Concernant les virus déjà isolés, les recherches ont pris plusieurs directions (revue dans Lawrence et al., 2009). SSV1, premier virus de crenarchée isolé (voir 3.3) et l'un des rares à présenter un caractère lysogène, est l'un des mieux caractérisés ; c'est un virus modèle, utilisé notamment pour l'étude des phénomènes d'intégration et d'induction (voir ci-dessus). SIRV2 et STIV sont également beaucoup étudiés. D'une manière générale, les aspects structuraux sont beaucoup abordés, que ce soit par l'analyse structurale des virions par des techniques de cryo-microscopie électronique et de reconstruction (ex : Vestergaard et al., 2008a) ou par l'identification des protéines composant les virions (ex : Reiter et al., 1987a). Des projets importants de génomique structurale sont également en cours, dans l'espoir d'obtenir des indications sur les fonctions des protéines ne présentant aucune homologie avec des systèmes connus. Par ailleurs, l'expression des gènes viraux a été analysée pour SIRV2 (Kessler et al., 2004), SSV1 (Reiter et al., 1987b ; Fröls et al., 2007), et STIV (Ortmann et al., 2008) avec une approche transcriptomique pour les études de 2007 et 2008 concernant respectivement SSV1 et STIV. Des études sur les mécanismes moléculaires de la transcription et la réplication de certains virus sont en cours. Enfin, les études in silico se développent, allant de la génomique comparative (Prangishvili et al., 2006b) à des études spécifiques et ciblées, par exemple sur les CRISPRs (ex : Vestergaard et al., 2008b) ou sur l'usage des cystéines et des ponts disulfures (ex : Menon et al., 2008).