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Le virage managérial et la promotion des produits du MIC 115

Chapitre 3 – La sociogenèse du MIC : d’un réseau-comme-structure à un réseau-comme-

3.4.2. Le virage managérial et la promotion des produits du MIC 115

On observe au cours de cette période l’apparition d’un vocabulaire économique et d’un mode de gestion managérial. Ces pratiques sont répandues dans le domaine de la gestion des organisations publiques par le New Public Management, une approche d’administration publique très ancrée dans les milieux institutionnels, et qui est directement inspirée des

72 Secrétariat exécutif, Report on Capstone SPS Meeting November 13-16 2006, Secrétariat exécutif, Pentagone, Washington D.C., 4 décembre 2006, p.11.

principes et des lois du marché74. Dans le cas du MIC, cette approche s’est d’abord manifestée par l’adoption des notions de « marketing » et de « produits », qui deviennent de plus en plus présentes dans le discours, mais qui deviendront significatives en influençant les actions et le cadrage de la direction stratégique de l’ensemble du réseau75.

En mai 2007, le secrétariat exécutif du MIC fournit une note interne intitulée Talking

Paper : MIC Marketing, adressée aux directeurs, et qui vise à lancer des discussions sur le

marketing du MIC, « dans le but d’élargir la présence du MIC au sein des États membres et d’autres forums et organisations »76. En sachant que la publication de documents et l’utilisation d’un site web n’ont pas donné une visibilité satisfaisante au MIC dans le champ de la sécurité internationale, le plan de marketing du réseau vise à faire du MIC un forum multinational « de premier plan »77. Pour ce faire, la note propose l’articulation du plan de marketing autour de vecteurs de communication, les « produits » du MIC, qu’il convient de publiciser auprès d’un auditoire ciblé78. Le document reconnaît que le succès de ce plan dépend en grande partie de la volonté des membres à s’engager activement dans la promotion du MIC au sein de leurs nations respectives.

Un an plus tard, les directeurs approuvent également l’élaboration et la bonification continue du plan de marketing, en reprenant les notions « de promotion des produits du MIC

74 Pour plus de détails sur le tournant managérial des institutions de l’État, voir Denis St-Martin, Building the

New Managerialist State: Consultants and the Politics of Public Sector Reform, Oxford, Oxford University Press,

2004, 262 p.

75 Le marketing et les plans de communications ne font pas nécessairement partie de l’ontologie du NPM, mais sont des pratiques qui s’inscrivent dans la philosophie de ce paradigme.

76 Canada MIC National Secretary, Talking Paper : MIC Marketing, Secrétariat exécutif, Pentagone, Washington D.C., 15 mai 2007, p.1.

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auprès d’auditoires ciblés ». Ils ajoutent deux nouveaux objectifs : l’amélioration de la mise en marché du MIC et l’augmentation des engagements du réseau auprès des associés, des observateurs et d’autres organisations79. Or, comme le rappelle un colonel lors d’une discussion tenue à ce sujet, il convient de s’interroger sur la « maturité » et les capacités du MIC à faire sa propre mise en marché. La clé du plan de marketing, rappelle-t-il, est d’identifier et de vendre auprès des autres acteurs les différents produits80, ce qui exige une certaine connaissance de soi et de la valeur de son capital. Le plan établit trois questions afin d’évaluer la validité d’une activité de marketing : quel est le message? Qui est l’auditoire cible? Quels sont les moyens qui seront utilisés pour transmettre le message? Ces questions ont rapidement convaincu les membres du MIC de rédiger une stratégie de communication en soutien au plan de marketing81. Les directeurs demandent aussi de renforcer les relations déjà

établies auprès de partenaires, d’établir de nouveaux liens, d’améliorer de façon significative la mise en marché des produits du MIC, et d’augmenter l’implication du MIC auprès de l’OTAN, de l’UE, du USNORTHCOM, du NORAD, du USCENTCOM’s Coalition Coordination Center (CCC), du USPACOM’s Multinational Planning Augmentation Team (MPAT), du Multiforum de Washington, et des quartiers généraux nationaux.

Une des premières actions du MIC à cet égard a été la publication d’articles sur le MIC au sein de revues militaires. Le groupe de suivi a recommandé la rédaction d’un article qui viendrait « introduire l’organisation du MIC, promouvoir le travail déjà fait et les produits déjà

79 Secrétariat exécutif, Multinational Interoperability Council (MIC) Strategic Guidance Document, Secrétariat exécutif, Pentagone, Washington D.C., 18 juin 2008, p.13.

80 Secrétariat exécutif, loc.cit., Capstone MIWG Report Sep 08 MIWG Meetings September 15-19 2008, p.21. 81 Groupe de suivi, Report on Capstone MIWG Nov 08 Strategic Planning Session, Secrétariat exécutif, Pentagone, Washington D.C., 7 novembre 2008, p.9.

utilisés par les nations du MIC et les autres forums, ou qui pourrait intéresser d’autres organisations », notamment le cadre de travail élaboré par le MIC au sujet de l’approche intégrée82. Détail intéressant : la proposition d’inclure le travail sur l’approche intégrée est ensuite rejetée par les directeurs, qui croient que l’avancement limité des travaux donneront une mauvaise image du MIC, soit celle « d’une organisation parmi tant d’autres qui promettent des produits sur l’approche intégrée et qui sont incapables de livrer les résultats qu’ils ont annoncés »83. Au final, cinq articles sont parus dans des revues militaires nationales, soit :

Multinational Interoperability Council Executive Secretariat, « Coalition Building for Comprehensive Operations », Vanguard : The Forum for Canada’s Security and

Defence Community (mars/avril 2009), p.22-2384.

Smith, Andrew et al., « Multinational Interoperability Council and Coalition- building », Défense nationale et sécurité collective, no 718 (avril 2009), p.123-129. Lewis, William Col., « Multinational Interoperability Council and Coalition Building », The Canadian Air Force Journal, vol. 2, no 2 (printemps 2009), p.31-3485. Poschwatta, Thorsten et Michael Trautermann, « Multinational lnteroperability Council (MIC) und multinationale Koalitionen », Europäische Sicherheit, vol. 11 (2010), p.70- 73.

Multinational Interoperability Council, « Il Multinational Interoperability Council (MIC) e la Coalition Building », Informazioni della Difesa, no 5 (2009), p.8-14.

L’appropriation d’un tel vocabulaire constitue une forme de stratégie de légitimation, que l’on peut assimiler à un coup linguistique ou rhétorique86. Les acteurs du MIC ont d’abord volontairement « emprunté », puis inscrit ces termes dans les pratiques du réseau. Recourir à

82 Ibid., p.8. 83 Idem.

84 Voir annexe VII.

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un tel lexique permet de légitimer la démarche du MIC autant à l’interne du réseau, qui peine à atteindre sa pleine à réaliser ses ambitions, qu’auprès des acteurs de leur champ national respectif où le paradigme du NPM domine. Cet objectif est d’ailleurs verbalisé comme tel par l’instigateur du plan de marketing, dont l’initiative personnelle avait pour but « de faire avancer les choses » et de sortir le MIC de son inertie, en s’inspirant « de ce que les autres organisations font »87.

Les emprunts des acteurs d’un champ à d’autres champs qui lui sont exogènes constituent une forme de pratique déjà observée en relations internationales : ils recourent à des ressources subjectives (normatives ou discursives) et/ou objectives (des techniques, des façons de faire), « développées dans d’autres domaines d’activité » que le leur pour les reconvertir de façon stratégique dans leur propre champ88. Ces gestes rhétoriques ont d’ailleurs des effets structurants. D’une part, ils s’accompagnent d’un ensemble de façons de faire qui s’instituera peut-être au sein du MIC en tant que pratique si elles sont régulièrement répétées. D’autre part, l’adhésion à une logique « marchande » contribue au processus de socialisation interne du MIC, en obligeant ses membres à réfléchir sur la spécificité et la valeur du réseau, qu’il convient ensuite de promouvoir auprès des institutions nationales et dans le reste du champ de la sécurité internationale.

87 Entretien informel dans le cadre d’une observation participante.

88 Amélie Forget et Antoine Rayroux, op.cit., p.513. Voir à ce sujet les études de cas empiriques de Chantal Lavallée, « Le marché européen de défense : un espace de lutte », Études internationales, vol. 43, no 4 (décembre 2012), p.-573-590 et Pascal Gauttier, « L’adoption d’une démarche de sécurité humaine dans le domaine de l’action extérieure de l’Union européenne », Études internationales, vol. 43, no 4 (décembre 2012), p.591-609.

3.4.3. La recherche de pragmatisme et la rationalisation du travail :